Motivation, mémoire et pédagogie

publicité
Motivation,
mémoire et pédagogie
Collection Savoir et formation
dirigée par Jacky Beillerot et Michel Gault
A la croisée de l'économique, du social et du culturel, des acquis du passé
et des investissements qui engagent l'avenir, la formation s'impose
désormais comme passage obligé, tant pour la survie et le développement
des sociétés, que pour l'accomplissement des individus.
La formation articule savoir et savoir-faire, elle conjugue l'appropriation
des connaissances et des pratiques à des fins professionnelles, sociales,
personnelles et l'exploration des thèses et des valeurs qui les sous-tendent,
du sens à leur assigner.
La collection Savoir et Formation veut contribuer à l'information et à la
réflexion sur ces aspects majeurs.
Dernières parutions
Dominique FABLET, Les interventions socio-éducatives, 2002.
Collectif, L'identité chez les formateurs d'enseignants. Echanges francoquébécois, 2002.
Jean-François CHOSSON, Pratiques de l' entrainement mental, 2002.
Bernadette TILLARD, Des familles face à la naissance, 2002.
Jacky BEILLEROT, Pédagogie: chroniques d'une décennie (19912001), 2002.
P. CARRE, M. TETART (coord.), Les ateliers de pédagogie
personnalisée,2002.
Bernadette TILLARD (coord.), Groupes de parents, 2002.
Ouvrage coordonné par Chantal HUMER T, Institutions et organisations
de l'action sociale. Crises, changements, innovations, 2003.
Claudine BLANCHARD-LAVILLE (coord.), Une séance de cours
ordinaire. « Mélanie tiens passe au tableau », 2003
Patricia VALLET, Désir d'emprise et Éthique de la Formation, 2003.
Claudine BLANCHARD-LAVILLE, Dominique FABLET, Travail social
et analyse des pratiques professionnelles. Dispositifs et pratiques de
formation, 2003.
M.C. BAIETTO, A. BARTHELEMY, L. GADEAU, Pour une clinique
de la relation éducative, 2003.
Fabien Fenouillet
Motivation,
mémoire et pédagogie
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALIE
@L'Hannatlan,2003
ISBN: 2-7475-4546-6
SOMMAIRE
...
INTRODUCTION
1
MÉMOIRE
I-
3
MÉMOIRE À COURT TERME ET MÉMOIRE À LONG TERME
1
1.1
1.2
233.1
3.2
3.3'
II -
Distinction entre stockage à court terme et à long terme
En termes de durée
En termes de capacité
Modèles modulaires de la mémoire
Pluralité de la mémoire à court terme
Activation à court tenne
Mélno ire de travai I
Mélnoire fichier
MÉMOIRE ET ORGANISATION
1-
1.1
1.2
1.3
22.1
2.2
33.1
Class
i fi cation.
2-
Ménl0ire encyclopédique
IV - LAMÉMOIREÀ L'ÉCOLEETENFORMATION
1Que retenons nous d'un cours?
1.1
Quantité d'infonnations :
1.2
Vitesse des infonnations :
1.3
Connaissances antérieures:
1.4
Et le reste ?
2lnlportance du nl0de de présentation des connaissances
2.1
Modalité de présentation:
2.2
Fonne de présentation:
-
De quelles connaissances
MOTIVATION
13
13
15
17
21
22
25
26
26
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 28
III MÉMOIRE ENCYCLOPÉDIQUEET EXPERTISE
1Expertise
3
4
4
6
6
10
10
Il
12
13
Stockage
Notion de" chunk"
Codes et organisation
Organisation subjective
Récupération
Récupération et catégorisation
Encodage des épisodes
Stratégies d'organisation et procédés mnémoniques
Principes généraux
3 .2
4
s'agit-il?
34
34
36
38
39
39
39
40
41
41
42
44
44
47
lII 123III
-
INSTINCT, DRIVEET MOTIVATION
MOTIVATIONINTRINSEQUEET EXTRINSEQUE
Mise en évidence expérÙnentale
COlnpétence et /11otivation intrinsèque
Conception théorique
49
57
57
60
63
RÉSIGNATION APPRISE
68
1Mise en évidence expérÙnentale
68
2Conception théorique
70
IV - L'EGO ET LATÂCHE
75
1Habileté et efJort
75
2Implication de l'ego, ÎInplication pour la tâche ou but de
performance et but d'apprentissage
78
3Approche de la Perforlnance et évitelnent de l'échec: une
distinction importante
83
VBUTETAUTO-EFFICACITÉ
86
1Auto-efficacité
... 86
2But
89
3Buts et stratégies
92
IV
-
LA MOTIVATION
A L'ÉCOLE
ET EN FORMATION
96
1Dis-lnoipourquoi tu vas à l'école etje te diraispourquoi tu
es /110tivé
96
2Les motifs d'engagements enfor/11ation
98
3L'engrenage évaluatif.
99
3.1
Feedback et évaluation
99
3.2
Contexte contrôlant ou inforJllant
100
3.3
La note de l'ego
101
3.4
Le détail de la note
105
3.5
La pression de l' encadrelllent
106
4La Inécanique infernale de la résignation
109
4.1
L'illusion de la facilité
109
4.2
hllpasse pour une pédagogie de la réussite
III
4.3
Une question d'orientation
113
MÉM 0 IRE ET M OTIV ATI ON
III -
12III 1-
115
QUALITÉ DE TRAITEMENT ET TYPE DE RAPPEL
115
MÉMOIRE À COURT TERME ET MOTIVATION
La théorie d'Atkinson
et Wickens
Mé/11oire à court terlne et lnotivation
incitative
120
120
122
MÉMOIRE À LONG TERME ET MOTIVATION
Mé1110ire, lnotivation
intrinsèque
et intérêt
130
131
1.1
1.2
Motivation intrinsèque
Intérêt.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
Mémoire et type d'implication
2Mémoire et dépression
3Mémoire et but
4IV - ORGANISATION
ENMÉMOIRE
ETMOTIVATION
1Assignation d'un but et organisation en nlénl0ire
Type d'Ùnplication et expertise
2MOTIVATION ET MÉMOIRE À L'ÉCOLE ET EN FORMATION
VIDe l'intention à l'attention en passant par l'intérêt
Un peu de stratégie
2La qualité d'expert
3-
131
13 3
136
140
142
146
146
158
170
170
171
173
CONCLUSION
175
BIBLIOGRAPHIE
179
INTRODUCTION
Les pages qui vont suivre ont pour al11bition de montrer que la
motivation n'a pas une 111aisplusieurs actions sur la 111émoire.L'intérêt de
cette démonstration est double. A un niveau théorique tout d'abord, s'il
est essentiel de savoir que la motivation agit sur la mémoire il faut être
encore en mesure d'en cOl11prendreles mécanisl11es.A un niveau pratique
ensuite, la compréhension de l'action de la motivation sur la mémoire peut
en effet avoir des implications Ï111portantesdans le cadre de toute
formation notamment scolaire. En effet, pour nombre d'enseignants ou de
formateurs, la réussite ou l'échec d'un étudiant ou d'un élève sont
conditionnés par sa motivation. Cette considération n'inclut cependant pas
la mémoire qui se fait généralement voler la vedette par l'intelligence dans
ce même registre explicatif. L'exposé des différents mécanismes
mnémoniques devrait cependant donner des pistes d'actions sur la
conduite à tenir face à un apprenant.
Avant d'aller plus en avant, il est nécessaire de définir les
ramifications théoriques qui fondent les concepts de mémoire et de
motivation dans le champ de la psychologie. La l11émoiretout autant que
la motivation sont des tenl1es très usités qui se trouvent cités dans de
nombreux courants de recherches. De plus, il s'agit de concepts
communément el11ployésavec des acceptions qui ne sont valides que dans
le sens coml11un.
L'étude de la l11émoirediffère cependant de celle de la motivation
de par son ancienneté. Les études sur la mémoire datent de l'antiquité
alors que le concept de motivation n'a pour sa part qu'une centaine
d'années d'existence. Cette relative jeunesse du concept de motivation fait
toujours peser un certain doute relatif à son utilité dans le cadre des
recherches en psychologie. En effet, on peut reprocher à ce concept son
manque de définition qui pen11et d'entretenir avec d'autres notions telles
que celles de besoin, d'émotion ou d'intérêt des rapports confus de
délimitation.
Dès lors, pourquoi
s'encombrer
d'un
concept
supplélllentaire ?
Il reste que depuis quelques années de nOlllbreuses théories
psychologiques revendiquent ce tenne COlnlne principe explicatif. Le
terme de motivation n'est d'ailleurs plus à considérer seulelllent comme
une explication possible à certains COlllportements humains mais
égalelllent COl11lneun trait d'union entre différentes théories qui ont en
commun d'expliciter le fonctionnement de la motivation.
Ces différentes théories qui visent à décrire et à expliquer le
fonctionnement de la motivation dans le but de cOlllprendre le
comportement, vont donc être exposées. Nous allons ensuite nous servir
des divers principes qui auront été abordés pour en détailler l'action
possible sur la mémoire. Mais là encore il convient de préciser dans quel
sens le concept de 11léllloireva être utilisé.
Tout comllle pour la 11l0tivation, il existe de nombreuses
conceptions de la lnéllloire à l'intérieur et à l'extérieur du champ de la
psychologie. Contrairement à la lnotivation, le fait d'utiliser plusieurs
conceptions de la mélnoire n'aurait pas pour effet une somlllation mais
une confusion ce qui pourrait donner lieu à une dilution de l'explication
finale du rapport entre ces deux concepts. Nous allons donc nous
contenter du cadre de la psychologie cognitive pour expliciter le
fonctionnelnent de la lnélnoire.
Cette restriction n'est cependant pas synonYllle d' appauvrisselllent
notionnel puisque cOlnlne nous allons le voir la psychologie cognitive
propose de décolllposer la Inéllloire en plusieurs structures en fonction
principalement de la durée de vie de l' infonllation qui y est stockée. De
plus, trois processus différents sont distingués: l' encodage, le stockage et
la récupération de l'information.
Dans la lnesure où il existe non pas une lnais plusieurs méllloires et
en considérant que celles-ci sont concernées par divers processus, il est
donc lllaintenant tout à fait plausible d'envisager que la Inotivation puisse
agir différelnlnent en fonction du processus et de la structure Innélnonique
concernée. La 11l0tivationa plusieurs actions sur la lnéllloire car il existe à
la fois différentes mélnoires et différentes Inotivations. Le champ
d'investigation de cette relation 11léllloire - motivation est donc
potentiellement immense lnême si le nombre d'études sur le sujet est
relativelnent lnodeste cOlnlne nous le verrons après avoir détaillé les
notions de Inélnoire puis de Inotivation.
2
MÉMOIRE
Il existe de multiples représentations de la mélnoire, certaines sont
issues de recherches scientifiques, d'autres s'inspirent en partie de ces
mêmes recherches ou se dégagent d'autres conceptions qui sont difficiles
à cerner. Par exemple, l'expression « J'ai un trou de mémoire» semble
indiquer que la mémoire est une Inatière lisse qui ne doit présenter aucune
aspérité sous peine de dysfonctionnement plus ou moins grave. « Je n'ai
pas la mémoire des chiffres» permet d'imaginer que la mémoire des
chiffres ne fait pas bon ménage avec celle des lettres si bien qu'elles sont
séparées. « Je ne retiens que ce qui est écrit» suppose cette fois que
chaque sens dispose de sa Inélnoire et qu'il vaut mieux négocier la
restitution d'informations avec le Inoins réticent d'entre eux.
Finalement tout ceci est un peu vrai. Mais dans quelle proportion?
En effet, ces expressions peuvent être à la base de certaines
représentations de la Inélnoire. Ces mêmes représentations ont pour
conséquence l'utilisation d'une méthode pédagogique au détritnent d'une
autre. Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur quoi exactement
repose telle ou telle conception de la Inélnoire.
Les différents travaux qui vont être présentés dans ce chapitre vont
nous permettre de voir COlnlnentont été Inis en évidence les structures et
le fonctionnement de la Inélnoire. Nous nous rendrons ainsi compte que
nous pouvons emmagasiner plus d'informations que nous pouvons en
restituer, qu'il ne faut pas parler de mélnoire au singulier et que si chaque
sens à bien une mélnoire, ces dernières sont tellement fugitives qu'il est
impossible de négocier avec elles au-delà de 10 secondes.
3
I
-
MÉMOIRE
À COURT TERME ET
MÉMOIRE À LONG TERME
1-
DISTINCTION ENTRE STOCKAGE À COURT TERME
ET À LONG TERME
1.1
EN TERMES DE DURÉE
Conlbien de telnps pouvons nous nous rappeler un Inot, une iInage
ou une sonorité? Pour Peterson & Peterson (1959) la réponse est 18
secondes. Ce telnps a été lnis en évidence au 1110yend'une tâche
interférente qui suit la présentation d'un ensemble de trois consonnes,
appelé trigralll1lle. Dans ce type de paradigme, le sujet doit compter à voix
haute et à rebours de trois en trois, pendant un telllps défini
expérimentalement entre 0 et 18 secondes, avant de faire son rappel. Ces
auteurs ont montré un spectaculaire déclin du rappel de l' infoflllation au
cours de ces 18 secondes. Le rappel est parfait lorsqu'il n'y a pas de
tâche interférente (0 seconde) puis décline jusqu'à disparaître
complètement au bout de 18 secondes.
Ce résultat a 111arquéla fin de la conception lnonolithique de la
mémoire au profit d'un éclatelllent en deux grandes structures
nmémoniques qui sont encore d'actualité 111êlllesi le 1110dèle,depuis les
années 60, a considérablelnent évolué COlnlnenous le verrons plus loin.
Ces deux grandes structures sont la Inélnoire à court tenne et la Inélnoire à
long teflne.
Bien entendu une infonnation peut être Inélnorisée au-delà de 18
secondes mais pas quand l'individu doit en Inêlne telnps effectuer une
autre activité Inentale qui tnobilise toutes ses ressources attentionnelles.
Cette disparition «quasi» cOlnplète de l' infonnation (ce résultat est à
moduler par la présence d'interférence due au grand nOlnbre de
trigralmnes COlnlnevont le souligner Keppel et Underwood en 1962) qui
ne fait l'objet d'aucune attention indique la présence d'un stockage de
l'infoflnation dans une structure mnélnonique à court teflne.
L'information, pour subsister au-delà de 18 secondes, doit donc passer
dans une deuxièllle structure où elle peut être stockée cette fois à long
4
terme.
Une autre étude, celle de Glanzer et Cunitz (1966) met justement
en évidence ce transfert d'informations du stockage à court terme au
stockage à long ten11e.Cette fois, les individus commencent par apprendre
une liste de mots qu'ils doivent ensuite iml11édiatement rappeler dans
n'importe quel ordre. Les auteurs ne se contentent pas de compter le
nombre de mots que les individus rappellent mais ils représentent le
nombre de mots rappelés selon leurs positions lors de la phase de
présentation. Grâce à cette représentation du rappel en fonction de la
position les auteurs s'aperçoivent que les prel11iers et les derniers mots
présentés sont mieux rappelés que les mots présents en milieu de liste. Ces
deux effets sont devenus des classiques incontournables dans l'étude de la
mél110ire et ont fait l'objet à ce titre d'une désignation particulière: il
s'agit de l'effet de récence pour le rappel des derniers 1110tS
et de l'effet de
primauté pour le rappel des prel11iersmots. L'effet de primauté est attribué
à la mémoire à long terme et l'effet de récence à la 111él11oire
à court terme.
De plus, cette étude cOl11prendun rappel dit différé qui fait
apparaître une différence entre ces deux effets. Le rappel différé consiste
à intercaler une tâche subsidiaire, telle que de compter à rebours de trois
en trois pendant 30 secondes de façon à l110biliser l'attention de
l'individu, avant de del11ander un deuxième rappel. L'étude du nombre
rappelé de mots en fonction de l'ordre de présentation fait apparaître que
les premiers 1110tSsont toujours mieux rappelés (effet de primauté) que
ceux du l11ilieu111aiscontrairel11entau rappel iml11édiat(le premier rappel
qui a lieu immédiatement à la fin de la présentation), les derniers mots
(effet de récence) ne sont pas l11ieuxrappelés. L'interprétation est qu'en
rappel immédiat, les prel11iersmots de la liste sont stockés en mémoire à
long terme alors que les derniers 1110tSde la liste sont stockés en mémoire
à court terme, d'où la présence des deux effets. En rappel différé, la tâche
interférente a pour effet d'effacer la mémoire à court terme ce qui
explique le déclin des derniers mots de la liste uniquel11entpour ce type de
rappel et non pour le rappel Ït11111édiat.
La technique dite des effets sériels qui consiste à représenter le
nombre de 1110tSrappelés en fonction de la position de présentation
permet donc de l110ntrerque les informations qui passent en mémoire à
long terme peuvent être rappelées au-delà de 30 secondes d'où l'effet de
primauté présent dans les deux rappels. Par contre, quand l'information
n'a pas la possibilité d'être traitée et reste uniquel11enten mél110ireà court
terme, elle disparaît en l110insde 30 secondes, d'où la présence de l'effet
de récence en rappel il11111édiat
l11aispas en rappel différé.
5
1.2
EN TERMES DE CAPACITÉ
La distinction entre mélnoire à court tenne et Inémoire à long
terme ne s'établit pas seulelnent en terme de durée Inais aussi de capacité.
En effet différentes études telles que celles de Glanzer et Cunitz montrent
que sur une liste d'une vingtaine de mots les individus rappellent en
moyenne 7 mots en rappel immédiat. Ce constat d'un rappel de 7 unités
lors d'un rappel imlnédiat pennet de dire que les informations présentes
en mémoire à court tenne sont non susceptibles de disparaître au bout
d'une vingtaine de secondes mais aussi que cette mémoire ne peut stocker
qu'un nombre limité d'éléments. Il s'agit d'une deuxième distinction qui
existe entre les deux mémoires: ]a Inémoire à court terme à une capacité
limitée ce qui n'est pas le cas de la mémoire à long tenne. Il convient de
préciser deux éléments importants sur cette limitation.
D'une part, il s'agit d'une litnitation en terme d'unités ou « chunk»
(en référence à Miller, 1956, COl111ne
nous allons le détailler par la suite)
et non de mots, de chiffres ou d'images. Une unité peut être composée de
plusieurs mots, de même qu'un Inot peut être composé de plusieurs
syllabes. Il est donc possible de rappeler sept Inots de deux syllabes, sept
de quatre syllabes ou encore sept phrases de 4 Inots.
D'autre part, ces sept unités ne correspondent pas à la capacité de
la mémoire à court tenne. Cowan (1988) dans une étude bibliographique
qui rasselnble plusieurs études qui se sont intéressées à la capacité de la
mémoire à court tenne, part du principe tout à fait légitilne que le rappel à
court tenne est constitué d'un stockage à court tenne et d'un stockage à
long terme. Si le stockage à long terme est soustrait du rappel itrunédiat
alors la capacité de stockage à court terme ne serait que de 2 ou 3 unités.
Nous reviendrons par la suite sur ce double stockage lors du rappel
immédiat.
2
-
MODÈLES
MODULAIRES
DE LA MÉMOIRE
Parmi les nOlnbreux Inodèles qui furent proposés pour rendre
cOlnpte de la distinction entre un stockage à court terme et un stockage à
long tenne, celui proposé par Atkinson et Shiffrin (1968) est sans doute
celui qui a eu le plus d'impact sur la recherche. C'est également à partir
de ce Inodèle que furent fonnulées les prelnières conceptions générales de
l'impact de la Inotivation sur la rnérnoire (Atkinson et Wickens, 1971).
6
C'est pour ces deux raisons que ce l110dèleva être décrit un peu plus en
détail.
Ce modèle fait la distinction entre trois structures dont les
caractéristiques sont permanentes et non modifiables: la mémoire
sensorielle, la mémoire à court terme et la mémoire à long terme.
Nous avons vu plus haut quelles sont les spécificités des mémoires
à court terme et à long terme et COl11mentelles ont été mises en évidence.
La mémoire sensorielle ou plutôt les l11él11oiressensorielles se distinguent
entre autre par l' extrêllle fugacité des infonllations. Ces l11émoiressont par
hypothèses présentes pour chacun de nos sens. Pour des raisons de facilité
d'étude les mémoires sensorielles les plus étudiées ont été celles de la vue
et de l'ouïe. Une étude menée par Sperling en 1961 a permis de l110ntrer
que la durée de vie d'une infonllation en 111éllloiresensorielle visuelle ne
dépasse pas 500 IllS. L'infonllation visuelle doit donc très rapidement
passer en mémoire à court terme pour pouvoir être rappelée au-delà d'une
seconde.
Le rôle de mémoire à court terme dans ce modèle est double. Elle
reçoit les informations sélectionnées du registre sensoriel ainsi que de la
l11émoire à long tenlle. Atkinson et Shiffrin en partant des résultats tels
que ceux mis en évidence par Peterson et Peterson (1959) estil11entqu'une
information est COl11plètelllentperdue en méllloire à court terme au bout de
30 s. Cependant un processus, la boucle de répétition, penllet de rafraîchir
l'information en l11él11oire
à court tenlle ce qui donne au sujet la possibilité
de maintenir un nOl11brelil11ité d'informations dans ce stockage aussi
longtemps qu'il le désire. La boucle de répétition COlnme son nom
l'indique consiste à répéter une information telle qu'un mot ou un chiffre.
Le transfert entre la Inémoire à court tenlle et la Inélnoire à long terme est
vu COlll111e
une copie, c'est-à-dire que l' infonnation transférée en 111éllloire
à long tenlle reste Inalgré tout en Inél110ireà court terIlle Partant de ce
principe de l11aintien de l' inforIllation en JlléJll0ire à court tenlle, les
auteurs postulent donc que plus l' infonllation est Inaintenue longtelllps en
l11él11oireà court tenlle grâce à l' autorépétition, plus elle a de chance
d'être transférée en l11él11oire
à long tenlle.
Les auteurs él11ettentégalel11entune distinction entre d'une part les
caractéristiques structurales de la l11émoireque nous venons d'exal11iner et
les processus de contrôle qui peuvent être l110difiéset reprogral11més par
le sujet. Les processus de contrôle sont des processus sur lesquels
l'individu peut agir autrel11entdit qu'il peut contrôler. La répétition est un
processus de contrôle, le fait de diriger son attention sur tel ou tel aspect
d'une image est un autre processus de contrôle, les processus de codage
7
ou les stratégies de recherches en sont d'autres exelllples. Les processus
de contrôle sont souvent opposés aux processus automatiques car ces
derniers s'effectuent sans intervention volontaire et ne consomment pas
les ressources attentionnelles contrairement aux prel11iers.
Les processus de contrôle sont sélectionnés, construits et utilisés
par le sujet suivant la tâche de 111élllorisationqu'il doit effectuer. Le
transfert de l' infon11ationen mél110ireà long ten11eserait en grande partie
initié par les processus de contrôle. Si le sujet est trop concentré sur le
rafraîchissement de l'infonllation via la boucle de répétition alors le
transfert de l'infonnation entre Inélnoire à court tenne et mémoire à long
terme va être assez faible. Cependant si le sujet augmente son effort pour
engager des processus de codage varié alors il va augl11enterle stockage
de l' infonnation en Inélnoire à long ten11e.
L'hypothèse selon laqueIIe plus une infonnation reste longtelnps en
111émoireà court tenne, plus elle a de chance de passer en Inémoire à long
terme est appuyée par l'étude de Rundus (1971). Dans cette étude,
l'auteur présente Il listes de 20 Inots COlnlnunssans aucun lien à raison
d'un Inot toutes les 5 secondes. Suite à cette présentation, les sujets font
un rappel libre. Les sujets ont pour instruction d'étudier les 1110tsen les
répétant à haute voix durant cet intervalle de 5s.
COlnl11e on peut le voir (Figure 1) les résultats confirment
parfaitement les prédictions du l110dèled'Atkinson et Shiffrin (1968). En
effet, les itel11sles plus répétés, présents en début de courbe, sont ceux qui
ont le plus de probabilité de passer en mél110ireà long ten11eet sont l11ieux
rappelés que les items présents en Inilieu de courbe. A l'inverse les
derniers itel11sde la courbe, les Inieux rappelés, sont égalelnent les Inoins
répétés car ils sont toujours présents en l11él11oire
à court ten11eau 11101nent
du rappel. Dans une autre expérience (exp. 4), les sujets ont à apprendre
des listes de 24 Inots cOlnposés de 12 Inots sans lien apparent et de 12
mots regroupés en deux catégories de 6 1110tschacune. Cette fois,
indépendalll111entde la position, pour un nOlnbre donné de répétitions
équivalent, le rappel des Inots catégorisés est Ineilleur que celui des mots
non catégorisés. Ce dernier résultat Inontre donc que, selon le type
d'infon11ation à apprendre les processus de contrôle Inis en œuvre par les
sujets, vont être différents COlnlne le prédit le lTIodèle d'Atkinson et
Shiffrin.
8
0.9
->:-
Probabilité
de rappel
ëi)
0.8
8:
co
~
0.7
"C
~
~
o
c:
0.6
0.5
E
'(1)
0.4
....,
:Ë 0.3
co
.c
e
a..
0.2
0.1
o
1
3
5
7
9
11
Position
-.-
14
tJ)
5
13
15
17
19
sérielle
Nombre
Moyende
répétitions
12
~
~
'8. 10
'(1)
~
~
8
~
6
e
4
~
2
c:
o
E
.c
z
o
~
~
~
~
~
~ ~ ~ ~ ~
Position
Figure I. Probabilité
en fonction
sérielle
de rappel et nOJBlbre l110yen de répétitions
de leurs positions
sérielles (Rundus,
9
des items
1971, expo 1).
De nombreuses critiques (voir notamment Baddeley, 1993) et de
nouveaux apports expérimentaux qui montrent que la reconnaissance des
stimulus et les processus de codage sont effectués avant le moment où
l'information est stockée à court terme (Cowan, 1988 ; Klimesch, 1994)
ont montré les liInites de ce type de Inodèle. Outre une part prépondérante
accordée Inaintenant aux processus d'encodage, les modèles plus récents
(Lieury, 1992a; Cowan, 1988) diffèrents du Inodèle d'Atkinson et
Shiffrin (1968) par une distinction nettelnent moins marquée entre la
mélnoire à court tenne et la Inélnoire à long tenne.
3-
PLURALITÉ DE LA MÉMOIRE À COURT TERME
3.1
ACTIVATION À COURT TERME
Nous avons constaté plus haut que les effets d'interférences
pouvaient également rendre compte en partie du déclin de l'information
en mémoire à court terme (Keppel et Underwood, 1962). Parallèlement
plusieurs auteurs ont constaté qu'il était possible d'observer un effet de
récence et un effet de priInauté en mélnoire à long terme (Crowder, 1993).
Roediger & Crowder (1976) ont montré que les prelniers et derniers
présidents américains sont les Inieux rappelés tandis que Baddeley &
Hitch (1977) ont Inontré que lorsque des joueurs de rugby doivent se
rappeler des équipes contre lesquelles ils ont joué au cours d'une saison
de compétitions, les dernières équipes sont les Inieux rappelées (effet de
récence). Ce phénomène s' exp lique selon Cowan (1988) du fait que le
Inatériel à rappeler est codé à la fois en mémoire à long et en Inémoire à
court terme. Si le stockage à court terme disparaît alors les informations
sont recherchées en Inémoire à long tenne mais les inhibitions proactives
réduisent les chances de retrouver l'information avec succès.
Lieury (1990a) parle égalelnent d'un stockage des codes (lexical,
sémantique, imagé) au travers d'une activation à court terme de ces
différents codes présents en mémoire à long tenne. " La Inélnoire à court
terme n'est pas localisable dans un tel1nodèle car elle est conçue comme
l'ensemble des infonnations stockées à court terme mais dans différents
systèmes à un InOlnent donné [...] la mémoire à court terme jouerait plutôt
le rôle d'une mémoire tampon, d'une mémoire de travail ou d'une
mémoire fichier" (Lieury, 1992a, p. 92).
10
3.2
MÉMOIRE DE TRAVAIL
L'hypothèse d'une Inémoire de travail est déjà présente pour le
fonctionnell1ent de la mémoire à court terme dans le modèle d'Atkinson et
Shiffrin (1968). En effet, la position stratégique de la méll10ire à court
terme qui doit à la fois faire face aux infonnations en provenance de la
mémoire sensorielle et de la mémoire à long tenne, fait de cette unité de
stockage un endroit clef dans le traitelnent de l' infonnation. Mais ce sont
Baddeley et Hitch (1974) qui les prelniers ont proposé une analyse
systélnatique de la Inélnoire de travail. Baddeley (1993) définit la
Inélnoire de travail COlnlne" un systèlne servant à retenir telnporairelnent
les infonnations et à les Inanipuler pour une galnlne ilnportante de tâches
cognitives telles que l'apprentissage,
le raisonnement et la
compréhension" (p. 79). La Inélnoire de travail a surtout été étudiée à
l'aide de paradiglne de double tâche où le sujet doit en Inême temps qu'il
traite une tâche principale, telle que, par exemple, apprendre une liste de
mots, doit égalelnent effectuer une tâche concurrente, appuyer sur un
bouton par exelnple, qui est supposée occuper plus ou moins de
ressources attentionnelles qui vont diIninuer d'autant les ressources de
travail disponibles (voir Baddeley 1993).
Plus récemlnent, Ericsson et Kintsch (1995) ont proposé une
Inémoire de travail à long tenne. Ces auteurs partent de la définition
classique de la mélnoire de travail qui suppose un stockage temporaire de
l'infonnation qui est en train d'être traitée pour n'importe quel type de
tâche cognitive. Or, de nOlnbreuses études sur les experts (cf. chap. 11.3.1)
ont Inontré que ces derniers avaient, uniquelnent dans leurs dOlnaines
d'expertise, un rappel à court tenne décuplé qui échappe aux lilnitations
classiques de 7-12 itell1s sans relation (Miller, 1956). Les auteurs
proposent donc une Inélnoire de travail à long tenne qui est stable Inais
dont l'accès est Inaintenu telnporairelnent au travers d'indices de
récupération qui sont, eux, présents en mémoire de travail à court terme.
Les individus experts s'appuient sur des processus de contrôles qui leur
sont spécifiques, pour encoder intentionnellelnent l' infonnation en une
structure de récupération en Inélnoire à long tenne construite à partir de
leurs connaissances antérieures. Autrelnent ils se servent de leurs
connaissances pour créer des chunks qui leur sont personnels. A partir de
la construction de cette structure, les experts Inettent égalelnent en place
un système d'indiçage pour récupérer l'ensemble des infonnations
stockées. Cette conception du maintien des indices en Inélnoire à court
terme alors que les connaissances sont stockées en Inélnoire à long terme
Il
se retrouve dans le concept de Inélnoire fichier (Lieury, 1992a).
3.3
MÉMOIRE FICHIER
L'expérience présentée par Hulme, Roodenrys, Brown, et Mercer
(1995) utilise une tâche d'empan mnésique classique pour des mots et des
non-mots différents en longueur de verbalisation. Une fonction linéaire
relie les performances d'empan Innésique à la longueur de verbalisation
pour les deux types de Inatériel. Le rappel des non-mots est cependant
toujours inférieur à celui des mots (ex: 5.02 contre 3.93 dans le cas d'une
seule syllabe) et cette différence ne peut être attribuée à la différence de
longueur de verbalisation. En familiarisant les sujets avec la prononciation
des non-mots les auteurs constatent une augll1entation de l'empan pour ces
derniers. Les auteurs interprètent donc ces résultats comme l'influence de
la Inémoire à long tenl1e sur la perfonnance de l' ell1pan Innésique qui
représente pourtant une Inesure de la méllloire à court tenlle. On peut dire
que I'habituation effectuée au travers de la répétition des non-mots a
permis de créer une fiche lexicale stockée en Inémoire lexicale à long
terme.
Lieury (1992b) fait la Inêlne observation en partant du constat
qu'entre des étudiants français et étrangers, seuls les étudiants français ont
un empan mnésique de 7 mots. Dans la même logique, des listes de mots
variant d'un niveau de difficulté de 1 (mots faciles, mots très courants) à 5
(mots difficiles, très peu usités) sont utilisées dans un paradigme de
Inémoire à court tenlle COllllnecela est le cas dans les tâches d' el11pan
mnésique. Comme prévu, le rappel à court tenne des Inots de niveau 1
(5.62) est nettement plus élevé que le rappel des mots de niveau 5 (3.29).
Pour l'auteur, ce résultat n'a rien de surprenant puisque la mémoire à
court terme fonctionne en partie comme une mémoire fichier en ne
stockant que les indices. Cette conception d'une mémoire fichier repose
sur les mécanisllles de récupération (cf. chap. II.2.2 ) " en supposant qu'il
y a une capacité liIllitée d'une l11élnoire à court tenlle Inais que cette
l11émoirefonctionne COllllneune l11éllloirefichier en ne stockant pas les
infonnations en soi l11aisun indice par groupe d'infonllations, un peu
comme un fichier de bibliothèque (ou d'ordinateur qui stocke une fiche
par livre). Que le livre cOlnporte cent ou mille pages, la fiche ne prend
qu'une seule place... " (p 41-42, 1992). ComIne nous pouvons le voir,
cette notion de méllloire fichier est très proche de la notion de mémoire de
travail à long terme (Ericsson et Kintsch 1995). Lieury (I 992a) propose
un recouvrement partiel entre la méllloire de travail (à court tenne cette
12
Téléchargement