Développement d`un indicateur du changement climatique sur la

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DOSSIER
Développement d’un indicateur
du changement climatique
sur la biodiversité :
exemple des pollens
MICHEL THIBAUDON, SAMUEL MONNIER
Réseau National de Surveillance Aérobiologique
O
n estime que 15 à 25 % de la population
présente une allergie aux pollens
(encore appelée pollinose); soit près
d’un quart des Français est touché.
Les principaux symptômes sont essentiellement
conjonctivites, rhinites, toux, respiration sifflante
et même asthme. Secondairement, les pollens
peuvent provoquer des signes cutanés (urticaires)
et une grande fatigue.
Seules les espèces végétales à reproduction
anémophile produisent des pollens à caractère
allergisant. Ils sont, en effet, du fait de leur dispersion
dans l’air, extrêmement abondants. L’ampleur du
problème ainsi posé pour la santé publique a justifié,
comme dans la plupart des pays, la création d’un
réseau de mesure du contenu pollinique de l’air. Ainsi,
le Réseau National de Surveillance Aérobiologique
(RNSA) a été créé en 1996. Pour ce faire, le RNSA a
mis en place en zone urbaine un réseau de capteurs
de pollens dont l’implantation est déterminée par
les cartes climatiques, phénologiques et de densité
de population, pour être représentatif de ce que
respire la population.
Les données polliniques (résultats en concentrations
de pollens par jour) sont associées à des observations
phénologiques et à des bulletins cliniques. Ceci
permet de connaître les risques d’exposition
aux pollens et la symptomatologie associée.
L’utilisation des prévisions météorologiques permet
au RNSA d’émettre des bulletins prévisionnels sur
le risque allergique pour la semaine à venir. Ainsi,
le dénombrement et l’identification des grains de
pollen sur plusieurs années permet d’estimer et,
par la suite, de prévoir les dates de pollinisation de
diverses familles de végétaux et ainsi de mettre
en place une action préventive au bénéfice des
allergiques, mais aussi de déceler d’éventuelles
modifications de la flore atmosphérique et d’en
avertir les allergologues.
Le changement climatique est un phénomène
prouvé scientifiquement et dont les conséquences
sont par ailleurs visibles sur la végétation, mais aussi
sur la pollinisation. Les changements qui affectent
la pollinisation sont nombreux mais sont remplis
d’incertitudes, mais un point évident concerne
le fait que la prévalence des allergies n’a cessé
d’augmenter ces dernières années. De même, la
sévérité des symptômes allergiques semble liée
aux modifications du climat. En effet, un climat
plus chaud semble entraîner une augmentation
du nombre de grains de pollen dans l’air, une plus
grande précocité des dates de floraison et de
pollinisation, une modification de la durée de la
saison pollinique, un déplacement vers le nord ou en
altitude de l’aire d’extension de certaines espèces...
Le CO2 atmosphérique qui ne cesse d’augmenter
lui aussi est susceptible de renforcer certaines de
ces modifications. Enfin, d’après les simulations, la
tendance du changement climatique et ses effets
sur les pollens vont se poursuivre et même s’amplifier
dans le futur.
1
Etude de l’apparition
d’événements périodiques,
annuels le plus souvent, dans
le monde vivant, déterminée
par les variations saisonnières
du climat (exemples: floraison,
pollinisation).
2
Observatoire National des Effets
du Réchauffement Climatique.
Ensemble d’êtres vivants
partageant certaines
caractéristiques, à partir
desquelles est établie leur
classification.
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5
15
25
%
à
%
DE LA POPULATION
PRÉSENTE UNE ALLERGIE
AUX POLLENS
La phénologie :
un outil au service du climat
CHATONS DE BOULEAU
EN AOÛT
CHATONS DE BOULEAU
EN AVRIL
Les observations phénologiques1 sont utilisées pour
évaluer l’influence du changement climatique sur
la végétation et la biodiversité. Ces observations,
si elles sont réalisées sur des espèces végétales
à caractère allergisant, permettent d’évaluer
l’influence du changement climatique sur la santé
humaine. Le travail qui a été réalisé par le RNSA,
à la demande de l’ONERC2 avait pour objectif
de rechercher des indicateurs du changement
climatique ayant une incidence sur la santé.
Tout d’abord, le choix du taxon3 s’est porté sur le
bouleau, arbre à potentiel allergisant très élevé
(5/5) et est très représenté sur une grande partie du
territoire français. Pollinisant en mars-avril, il libère
de grandes quantités de pollens dans l’air qui sont
un vrai problème pour les personnes allergiques.
Photos 1 et 2 : Les chatons (fleurs) mâles du bouleau sont situés en
bout de rameau de manière à disperser au mieux leurs pollens. Ils se
développent sur l’arbre dès le début de l’été et arrivent à maturité
concomitamment au débourrement, en mars de l’année suivante.
Ils sont alors pendants et peuvent mesurer jusqu’à 10 cm de long.
(Source : RNSA)
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#6
Le début de la saison pollinique du bouleau
correspond à la date à laquelle une concentration
journalière moyenne de 30 grains/m3/jour est atteinte
pour la première fois. Cette limite est considérée
dans de nombreux pays comme le seuil de
déclenchement des symptômes allergiques chez la
plupart des personnes concernées.
Impacts de l’évolution des conditions
météorologiques sur la végétation
Le climat a toujours varié de façon naturelle au
cours du temps avec des successions de périodes
glaciaires et interglaciaires. Mais depuis la révolution
industrielle, les activités de l’homme ont accéléré le
changement climatique avec le dégagement massif
de composants gazeux comme le CO2, mais aussi le
méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O), qui
absorbent le rayonnement infrarouge émis par la
surface terrestre et entraînent ainsi une intensification
de l’effet de serre. L’élévation moyenne de la
température à la surface du globe est de 0,74°C entre
1906 et 2005. Depuis 1988 en France, les températures
moyennes sont supérieures à la normale (1971-2000)
quasiment chaque année.
Figure 1 :
Graphique de l’évolution des
températures en France sur 111 ans
(source : Météo France)
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Alfred Angot, un météorologue du XIXème siècle
a été le premier à réaliser des observations
phénologiques animales et végétales, et
notamment sur le chêne pédonculé (Quercus
pedunculata) et le bouleau pubescent (Betula
pubescens). Le stade phénologique observé est la
feuillaison.
Le RNSA disposant d’une base de données de
pollinisation sur le bouleau et le chêne, une
comparaison des données de feuillaison de 1880
à 1890 avec les données de pollinisation de 1991
à 2002 a été réalisée et montre un avancement
des paramètres de 10 à 20 jours selon les zones
géographiques.
Figure 2 :
Cartes de Alfred Angot sur le bouleau et le chêne réactualisées par le RNSA. Elles montrent les
dates du début de la feuillaison et de la pollinisation du chêne et du bouleau (en nombre de
jours depuis le 1er janvier) en France de 1880 à 2009 (source : RNSA)
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Cependant à partir de 2003, la précocité de la
pollinisation du bouleau et du chêne a stagné. Cela
s’explique par des automnes et des débuts d’hiver
plus doux et des fins d’hiver plus froides à partir de 2003,
qui ont entraîné une dormance plus longue et donc
une saison pollinique retardée. En effet, pour lever
leur dormance4 les arbres ont besoin d’avoir satisfait
leur besoin en froid (chilling) et en chaud (forcing).
Ainsi, une période de chilling (accumulation de froid)
et une période de forcing (accumulation de chaud)
sont nécessaires pour la maturation des bourgeons et
des chatons des arbres comme le bouleau.
Figure 3 :
Evolution du nombre
de jours nécessaires
à la maturation des
bourgeons et des
chatons de bouleau
au fin des années,
explication du chilling
et du forcing (source :
RNSA)
On constate alors que de 1991 à 2002, les fin d’hiver
et début de printemps étaient doux, le forcing a
été réduit car l’accumulation de chaleur s’est faite
plus rapidement, ce qui a induit une précocité de la
feuillaison et de la pollinisation.
De 2004 à 2013, les hivers ont également été assez
doux ce qui a allongé la période de chilling (plus de
temps pour accumuler du froid). Toutefois, le forcing
a été retardé par une fin d’hiver plus froide, ce qui a
favorisé un retard de la feuillaison et de la pollinisation
par rapport à la période 1991-2002.
4
État d’inactivité biologique, se traduisant par l’arrêt
momentané du développement. Par exemple, chez les
végétaux, la levée de dormance pour les graines, est
souvent l’effet du froid, ou pour les bourgeons, l’effet
de l’allongement des jours au printemps.
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L’apparition de la première
feuille
du
marronnier
de
Genève
est
une
des plus longues séries
phénologiques de Suisse.
Depuis le début du XXème
siècle, est constaté la
précocité de l’apparition
de la première feuille.
Graphique de l’apparition de la première feuille du marronnier de
Genève de 1800 à nos jours (source : Météo Suisse)
Le réchauffement climatique et la hausse des
températures conduit à une modification des
dates de floraison et de pollinisation surtout pour les
espèces qui pollinisent à la fin de l’hiver et au début
du printemps comme le cyprès, le frêne ou encore
le bouleau. Cette pollinisation précoce est liée à
la température. Par exemple de décembre 1987
à février 1988, les températures moyennes ont été
supérieures aux normales saisonnières sur une grande
région nord de la France ; la pollinisation a été
avancée de 4 à 6 semaines par rapport à la normale
pour la plupart des espèces d’arbres qui pollinisent
au début de l’année.
L’année phénologique du bouleau va de juillet à juin
de l’année suivante. En effet, les quantités de pollens
de bouleau qui sont libérées en mars-avril dépendent
des températures et du temps qu’il a fait auparavant,
soit à partir du mois de juillet de l’année précédente.
On constate qu’une augmentation de la température
entraîne une précocité de la date de démarrage
de la pollinisation du bouleau à Paris (voir figure 4).
De plus, ce phénomène a également entraîné une
hausse de la quantité de pollens de bouleau émis et
donc une augmentation des allergies.
Figure 4 :
Graphique des relations entre la température (moyenne de juillet de l’année N à juin de l’année N+1)
et les dates de démarrage de la pollinisation du bouleau à Paris en 1880-1890 et 1991-2002 (source : RNSA)
Un indicateur du
changement climatique
Six villes françaises avec des données climatiques et
de végétation différentes, et possédant des données
polliniques fiables ont été choisies : il s’agit de Lyon,
Montluçon, Strasbourg, Paris, Toulouse et Amiens.
Afin de limiter les variabilités interannuelles liées aux
conditions météorologiques, une moyenne mobile sur
5 ans (l’année en cours et les 4 années précédentes)
de ces six villes a été réalisée, pour avoir la quantité de
pollens de bouleau et la température pour chaque
année (données de juillet à juin selon la phénologie
du bouleau).
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#6
Figure 5 :
Moyenne mobile sur 5 ans de la quantité de pollens de
bouleau et des températures annuelles pour les 6 villes
françaises retenues, de 1993 à 2013 (source : RNSA).
Ainsi, la quantité annuelle de pollens de bouleau présente une tendance vers une
augmentation depuis 1993 (plus de 20 % en 20 ans). Une tendance à la hausse et
une relation significative est observable pour la quantité de pollens de bouleau et
la température.
Le réchauffement climatique entraînerait donc une hausse de la quantité de pollens
dans l’air et de ce fait, une augmentation des allergies.
Une des conséquences du réchauffement climatique est de provoquer
la migration des pollens du Sud vers le Nord (ambroisie, olivier,
graminées, cyprès, chêne...). Une hausse de 1°C de la température
moyenne annuelle équivaut théoriquement à un déplacement des
espèces de 200 km vers le Nord ou à une remontée d’environ 150 m
en altitude, mais la végétation présente une grande inertie.
Les prévisions signalent un réchauffement de 3,5°C d’ici 2100. L’aire
de Quercus (chêne vert) pourrait alors dès 2050 dépasser une ligne
Bordeaux-Saint-Etienne et franchir la Loire avant 2100.
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Figure 6 :
Simulation de l’aire climatique potentielle
du chêne vert en 2000, 2050 et 2100 (source : INRA)
Le changement climatique a aussi une
influence sur la durée de la saison pollinique en
l’augmentant, même si ce dernier paramètre
est moins visible que le précédent. De plus, un
déplacement vers le Nord ou en altitude de l’aire
d’extension de certaines espèces est observable
en lien avec le changement climatique. D’après
les simulations, la tendance du changement
climatique et ses effets sur les pollens vont se
poursuivre et même s’amplifier dans le futur.
Au-delà de l’indicateur, il est important de noter
que la pollution urbaine aggrave la toxicité des
pollens et que la hausse de concentration des
gaz à effet de serre (CO2, N2O) affecte les pollens
en augmentant leur production.
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#6
Perspectives
D’autres recherches sont à faire pour
vérifier la vraie nature de la relation entre
le changement climatique et les pollens.
Il serait bon aussi de développer des
recherches sur le lien entre les pollens et
les allergies sachant que de plus en plus
de personnes sont allergiques aux pollens
de nos jours. Des efforts sont également à
entreprendre comme le renforcement de
la surveillance aérobiologique, la prévision
aéropollinique, la lutte contre les plantes
allergisantes (campagnes d’arrachage de
l’ambroisie par exemple), le contrôle des
plantations d’ornement, la planification
urbaine, les préconisations architecturales
visant à réduire l’entrée des pollens dans
les locaux, la facilitation de l’accès aux
soins de santé et aux médicaments,
l’éducation, notamment sur l’éviction
allergénique, la diffusion d’informations sur
le risque sanitaire et tout spécialement sur
les « nouveaux » risques. Enfin, des études
complémentaires doivent être réalisées
en testant d’autres paramètres et/ou
d’autres taxons comme les graminées par
exemple dont les totaux annuels semblent
augmenter sur les relevées polliniques.
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Les conséquences du changement climatique sont :
Une hausse des concentrations de pollens
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Une modification des dates
de la floraison et de la pollinisation
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Une augmentation de la durée de la saison pollinique
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Une augmentation du contenu
allergénique des grains de pollen
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Une stimulation de la croissance végétale par le CO2
qui entraîne une augmentation du nombre
de grains de pollen dans l’air
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Un impact sur la santé aggravé
(symptômes allergisants plus forts et plus fréquents)
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Un nombre de personnes allergiques en augmentation
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Un déplacement vers le Nord ou en altitude
de l’aire d’extension de certaines espèces
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