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Cette même disposition se trouve attestée chez Athénagoras d’Athènes et
MélitondeSardes(2esiècle).Ilallaiteneffetdesoi,enconséquencedeceux
quileprofessaient,quelemessageduchristianisme,devaitêtrequalifiéde
«philosophie», de «notre philosophie» (Tatien, 2e siècle), de «vraie
philosophie»(Clémentd’Alexandrie,2e‐3esiècle),ouencorela«philosophie
de Dieu» (Eusèbe 4e siècle) ou même de la «philosophie de la Bible»
(Tatien, Grégoire de Nysse, 4e siècle) ou de la «philosophie évangélique»
(Théodoret,4esiècle).LalogiquedetellesdésignationsexigeaitqueleChrist
fûtlui‐mêmedéclaré«lepremierdetouslesphilosophes»(Eusèbe).
Il faut admettre que l’histoire «patristique» de la rencontreentre
philosophieetchristianismealaissédestracesd’uneoppositionfarouche.Il
n’est cependant pas assuré qu’un Tertullien, contrairement à ce qui a pu
être indûment soutenu, en ait été l’agent le plus virulent. Lestravaux
engagésàcetégarddepuisvonBraundanslesannées19507ontconduità
des révisions profondes et à des propos très nuancés que Jean‐Claude
Fredouille, il n’y a pas si longtemps, a homologués. Il faudrait mentionner
plutôt les noms «latins» d’Hilaire de Poitiers, d’Ambroise de Milan.
Nonobstant, donc, quelques oppositions matinales, rarement radicales,
entrelafoietlaphilosophie,l’idéeduchristianismecommeveraphilosophia
se répandra dans l’Occident latin à la manière dont elle s’imposera dans
l’Orientchrétien.C’estpourquoil’hypothèseconsistantàtenirlaphilosophia
christiana pour un paradigme nécessaire à toute compréhension de l’ère
patristique» s’impose. C’est même de cette idée‐force que participera
l’équivalenceprogressivementétablieentrelemoineetlephilosophe,etqui
seprolongerajusquedansleMoyen‐âgeprofond.
Onserappellera,eneffet,quedanslasecondepériodepatristique(àpartir
des5e‐6esiècles),laphilosophiechrétienneapusignifierlaviemonastique
elle‐même: le moine se comprenant comme celui qui réalisait oudevait
réaliser la sagesse des évangiles.ÀpartirdesPèresCappadociens et pour
unepériodenotablementlongue,laphilosophia christiana sera reçue
comme un véritable topos de la vie monastique. Au 11e siècle, le moine
s’entend, selon la formule de Pierre Damien, comme verus Christi
philosophus,ouencore commephilochristus(selonDuCange),sonétatde
vieétantconsidérécommediademachristianaephilosophiae(Alcuin)etson
monastère comme un christianae philosophiae speculum (Guillaume de
Newbury)ouencorecommechristianaescolaphilosophiae(Guerricd’Igny).
Mais si le Moyen‐Âge a pu délaisser, sans y renoncer, la stricte acception,
présente dans la première patristique, de la «philosophie chrétienne»
comme «religion chrétienne», ce au bénéfice d’une domiciliation
exclusivement théologico‐monastique, il ne semble pas lui avoir donné, à
traverslesthéoriciensappelésphilosophantes,unegrandeimportance.Ainsi
AlbertleGrand,Thomasd’Aquin,BonaventureetDunsScotn’enfontaucun
7 Concernant les contributions de René Braun sur Tertullien, on consultera le collectif Approches de Tertullien.
Vingt-six études sur l’auteur et sur l’œuvre (1955-1990), Collection des Études augustiniennes, Série Antiquité,
134, Paris, 1992.