Connexions principales et théories quantiques.

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THÉORIES QUANTIQUES ET
FIBRATIONS
Daniel BENNEQUIN
Institut de Mathématiques de Jussieu - Paris 7
Théories quantiques et fibrations
(Daniel BENNEQUIN, Institut de Mathématiques de Jussieu, Paris 7)
1) Depuis Galilée, la physique moderne a connu bien des révolutions : mécanique
classique, théorie des champs, thermodynamique et mécanique statistique, relativité,
mécanique quantique, théorie quantique des champs, supercordes,….
À partir de ces bouleversements, selon Heisenberg, on peut considérer que des
continents séparés se sont formés. Cependant, sur ces continents, on parle une même langue,
on entend les noms des mêmes concepts ; dynamique, énergie, symétrie, perturbation, action,
dualité,….
Comme l’avait compris Galilée, la nature en physique parle la langue géométrique.
Mais la géométrie elle-même a changé, des territoires nouveaux ont surgi, se sont creusés. La
géométrie euclidienne semblait suffire aux besoins de la mécanique, mais les champs ont
provoqué la géométrie différentielle. En retour, la géométrie symplectique a servi la
mécanique classique aussi bien que la mécanique quantique.
Cet exposé ne vise qu’un objectif : à montrer simplement que la topologie des fibrés et
des connexions est au cœur de la physique quantique, et plus particulièrement des champs
quantiques. Il suffit de parcourir les superbes livres de ‘t Hooft “ Under the Spell of the
Gauge Principle“ [25] et de Polyakov “Gauge Fields and Strings“ [35], pour s’en convaincre.
2) Partons des équations de Maxwell pour l’évolution du champ électromagnétique
 
( E, B ) dans l’espace-temps usuel.

  ∂E 
 
c ∇×B=
+ j / ε  , ∇.E = ρ / ε  ,
∂t

 
 
∂B
∇ × E = − , ∇.B = 0 .
∂t
2
Il est plus naturel, pour comprendre son côté tensoriel, de construire une forme
 
 

différentielle de degré 2 sur l’espace-temps : F = E.dx × dt + B.dx × dx , et d’introduire




l’opérateur ∗ de dualité de Hodge : ∗ E = −c 2 B, ∗ B = − E .
1
 
Les équations se réécrivent, avec j = jdx + ρdt ,
d ∗ F = ∗ j / ε° , dF = 0.
La seconde équation dit que F est une forme fermée, ce qui, localement, justifie
l’introduction du potentiel A :

 
   
∂A 
F = dA , A = A.dx + ϕ dt, cB = ∇ × A, E = −
+ ∇ϕ .
c∂t
Les équations peuvent se réécrire comme un système du 2e ordre sur A, mais font alors
apparaître une indétermination de jauge : à A il est toujours possible d’ajouter une 1- forme
fermée donc localement différentielle d’une fonction. L’histoire n’a pas saisi cette occasion
pour interpréter F comme une courbure et A comme une connexion.
La mécanique quantique, relativiste ou non, aurait également pu passer à côté sans la
vigilance de Weyl et de London : car ce sont eux qui comprirent les premiers que l’ambiguïté
de jauge venait d’une ambiguïté fondamentale sur la phase (absolue) des fonctions d’ondes
des particules chargées : à A A′ = A+df correspond le champ de rotation :
∀x, Ψ(x)  Ψ '(x) = exp(−
2π i
ef (x))Ψ(x) .
h
C’est à condition de pratiquer ensemble ces deux transformations qu’on peut trouver
(A′,Ψ′) solution des équations complètes du champ et des particules à partir d’une autre
solution (A, Ψ) . Il est bien tentant de dire qu’il s’agit de la même solution vue à travers un
autre repère.
La naissance du principe d’équivalence de jauge est bien retracée dans le livre de
reprints de O’Raifeartaigh [34].
3) Pour traduire la nature de ces équations et de ces invariances, il n’y a pas de
meilleure structure que celle de fibré et de connexion dessus mises en place par Charles
Ehresmann à partir des idées de Elie Cartan (Réf : Ehresmann [17], Nomizu [33], Steenrod
[37], Atiyah [ 1], [ 2]).
Au-dessus d’un espace-temps W (ici de dimension 4 si l’on souhaite profiter de
l’étoile de Hodge, mais qui à part cela peut être de dimension quelconque), imaginez une
2
collection d’espaces vectoriels, Ex , x ∈W , réunis, tenant ensemble comme dans un faisceau de
fibres grâce à leurs zéros 0 x , x ∈W , attachés par la base W, afin de former l’espace total E.
Intrinsèquement, une fonction d’ondes Ψ est une section de Ε : un point dans Ex pour
chaque x dans W.
Commençons avec le cas le plus simple, où E est un fibré hermitien en droites
complexes. Il faut écrire des équations du mouvement car la physique ne veut s’occuper que
de dynamique. C’est là que l’électromagnétisme (même avec un champ complètement nul)

intervient : intrinsèquement le potentiel A = ( A, ϕ ) correspond à une distribution de plans, de
mêmes dimensions que W, transverses aux fibres de Ε et compatibles avec la structure
vectorielle des Ex et avec leurs métriques : juste ce qu’il faut pour relever à Ε les chemins dans
W en des applications linéaires unitaires.
3
Ce qui s’appelle une connexion linéaire unitaire, une structure horizontale spéciale,
notée∇A.
Le long d’un chemin, du genre espace comme du genre temps, la phase de Ψ doit se
décaler selon la prescription de A et des autres forces ; plus précisément le poids affecté à un
chemin de x0 à x1 dans le calcul de l’amplitude quantique Ψ(x1 ) | Ψ (x0 ) doit être multiplié
par le nombre complexe exp(−
2π i e x1
A(xt )) .
h c ∫x 0
Cette formule possède l’invariance de jauge écrite plus haut. Pour l’écrire, il a fallu
faire de Ψ un nombre complexe et de A une forme différentielle ; pour cela Ε a été trivialisé,
c’est-à-dire qu’on a choisi (au-dessus d’un domaine de W assez petit mais contenant le
chemin) un isomorphisme de Ε avec W × Ex0 .
4
L’invariance de jauge stipule que l’équation reprend la même forme après un
changement de trivialisation. Comme le principe de relativité, il y a une conséquence : étant
donné une solution, tout automorphisme du fibré la transporte sur une autre solution. D’une
certaine façon, cette autre solution est équivalente à la première et il est naturel de considérer
l’objet décrit par Ψ et A comme une classe d’équivalence de fibré + section + connexion. Et
c’est toute la structure qu’on peut penser comme une sorte de repère.
L’expérience de Aharonov-Bohm [20] met en évidence le déphasage de Ψ, même
lorsque dA=0. La forme différentielle F=dA de degré 2 est la courbure de la connexion ∇ A ,
elle mesure la structure infinitésimale de retour après transport le long des boucles.
5
D’ailleurs, la classe d’équivalence de jauge de (Ε,∇A) est entièrement décrite par la
structure du retour : il existe sur l’ensemble des chemins une relation d’équivalence pour les
“aller-retours simples“ qui en fait un pseudo-groupe. À chaque point x0 ∈W est attaché un
groupe : le groupe des lacets Ω x0 (modulo cette relation d’équivalence des “ aller-retours “ ).
Dès lors la classe d’équivalence de ∇A modulo transformation de jauge active est donnée par
la représentation de Ω x0 dans le cercle S1 = U1 , vu comme ensemble des automorphismes
unitaires de Ex0 .
4) Lorsque le spin intervient, E est encore un fibré en espaces vectoriels complexes
mais en général pas de dimension 1.
Pauli et Dirac ont démontré qu’un fibré de spineurs, de dimension complexe 2 sur 3
et de dimension complexe 4 sur 3,1 au moins, est nécessaire (voir [6]).
Pourtant, le champ électromagnétique continue d’agir. Pour que ce soit possible (dans
toutes les situations connues), il faut procéder à un petit déplacement conceptuel : le champ
d’interaction électromagnétique doit posséder son propre domaine, un fibré principal P en
groupe S1 = U1 au-dessus de W, et ∇A doit être remplacée par une connexion principale sur P
(Réf. [33], [37], [2]).
6
De façon générale, un fibré principal P sur W de groupe structural G, est l’application
quotient d’une action libre (à droite) de G sur P ; dans une trivialisation locale au-dessus de
U⊂ W , P s’identifie à U × G .
Une connexion principale α sur P est un sous fibré du fibré tangent T(P), invariant par G ; ce
qui permet de relever les chemins de W à P.
En trivialisation locale, P est donnée par une forme différentielle A à valeurs dans
l’algèbre de Lie L(G) de G : le relèvement d’un chemin Γ dans G×U s’obtient en résolvant le
système d’équations différentielles linéaires :
dg −1
dΓ
.g = −A( ) .
dt
dt
À toute représentation linéaire (unitaire) ρ de G dans un espace vectoriel Eρ on peut associer
un fibré vectoriel E (ρ) = P × Eρ : le « fibré associé ».
G
L’hypothèse sur l’espace fibré E recevant la fonction d’onde de particules chargées est qu’il
s’écrit E (ρ) pour une représentation ρ : U1 → Eρ.
A agit sur Ψ et Ψ sur A. Par exemple, la plus importante de toutes les équations de la
physique pour comprendre la matière (selon Feynman), est l’équation de Dirac pour les
spineurs :
iγ. (∇+
2π ie
A)Ψ = mΨ .
hc
Ici la lettre γ désigne le quadri-vecteur des matrices 4×4 de Dirac.
En retour Ψ agit sur A à travers l’équation de Maxwell : avec Ψ on forme le quadri-
 γ Ψ = j(Ψ) et on pose F = dA dans les équations du début.
vecteur de courant Ψ.
5) La théorie de Yang et Mills part de là pour donner le modèle actuel des interactions
faibles (G = SU2), électrofaibles (G = SU2 × U1), fortes (G = SU3) et le “ modèle standard “
(G = SU3×SU2×U1). Les spineurs Ψ intervenant sont des électrons, des muons, des taus et
leurs neutrinos, et des quarks aussi. Pour être complet, il faudrait encore ajouter une particule
de Higgs, non encore découverte, qui n’est pas spinorielle, mais décrite aussi dans un fibré
associé à P.
6) Avant de retourner à ces théories non-abéliennes, considérons comment la situation
de la charge ± e des premières particules élémentaires apparues: protons, électrons, positrons,
est modifiée par le cadre géométrique précédent.
7
Traditionnellement, on pensait à la charge comme appartenant aux particules, à l’instar
de leur masse. Ici, on constate une répartition différente : la valeur numérique |e| se montre
comme une quantité, liée aux unités, à la dimension, appartenant au champ F, par contre le
signe ± devant e, et même le nombre entier relatif pour d’autres particules plus compliquées
(ou le
1
pour les quarks) appartient à Ψ.
3
En effet |e| mesure la métrique dans l’algèbre de Lie L(G) du groupe G. Lorsque G est
U1, L(G) est i  , mais si on ne fait que supposer l’existence d’un isomorphisme de G avec U1,
on sait seulement que L(G) est un espace vectoriel réel de dimension 1.
L’exigence d’un choix d’unité dans L(G) est révélée par l’analyse des dimensions : si
M désigne la masse, L la longueur et T le temps (que l’on peut mesurer par le kilogramme, le
mètre et la seconde), la constante de Planck h a la dimension d’une action ML2 T −1 , la vitesse
de la lumière est en L T −1 donc hc est en ML3T −2 . Comme l’opérateur gradient ∇ est en L−1
l’opérateur ieA dans l’équation de Dirac doit être en ML2T −2 , c’est-à-dire de la dimension
d’une énergie. Par ailleurs, la densité d’énergie du champ électromagnétique est égale à
|F|2=|E|2+c2 |B|2 et il faut la multiplier par la mesure d’espace en L3 pour avoir une énergie,
1
−
1
donc F lui-même possède la dimension M 2 L 2 T −1 et comme F=dA, la dimension de A est
1
2
1
2
M LT
−1
1
2
3
2
et celle de e doit être M L T −1 . On retrouve bien que la constante de structure fine
e2 /   1 / 137, 038 est sans dimension.
Notons que A elle-même n’est pas une 1-forme différentielle ordinaire et que c’est
seulement (ie/  c) A qui en est une. Si l’on identifie L à T (Einstein ; par exemple en faisant
c=1) et M à L -1 (Planck ; par exemple avec  =1), e devient sans unité et cela donne à A la
dimension L-1 que doit posséder une 1-forme différentielle. Ceci indique bien l’accord entre
l’interprétation géométrique du champ électromagnétique et les principes de la mécanique
quantique. Comme l’équation de Dirac gère la fonction d’onde Ψ des particules de matière
(électron, muon…etc), celle de Maxwell gère la fonction d’onde A des photons. Toutes les
deux sont des extensions relativistes de l’équation de Schrödinger.
Aux particules matérielles chargées, il reste la propriété de l’entier n∈ devant |e|
dans la charge totale q=ne. Cet entier mesure la représentation irréductible de G ≈U1 qui
permet de construire un fibré vectoriel E associé au fibré principal P. Le fibré E abrite la
fonction Ψ comme section, le fibré P abrite la forme A comme connexion sur lui.
8
À vrai dire, le fibré E peut (et doit) être de rang supérieur à 1 à cause de son caractère
spinoriel, il est donc associé à une représentation qui n’est pas irréductible ; par exemple, pour
décrire l’électron, il faut la représentation  ⊕  ⊕  ⊕  où z ∈U1 agit par (z, z, z , z ) , ce qui
fait apparaître automatiquement le couple électron+positron [14].
L’invariance de |e| traduit l’unité du champ, un seul pour toutes les particules ; par
contre, plus il y a de particules chargées plus la dimension de E croît.
La même discussion est valable pour les autres particules d’interactions : W, Z, gluons
dans SU3× SU2×U1 avec un fibré P, une constante de charge g pour chaque facteur simple (ou
circulaire) de G (à cause de l’invariance de la métrique, Casimir, Killing). Et ce qui remplace
le nombre n est un invariant discret aussi : une représentation unitaire ρ pour chaque facteur
de G. Au total pour les leptons et quarks une représentation E non nécessairement irréductible
de tout le groupe G.
Des considérations analogues devraient répartir la masse des particules autrement que
d’habitude : au champ de gravitation une (ou plusieurs) constantes |m| et aux particules une
structure discrète. C’est ce que promet le mécanisme de Higgs, de brisure spontanée de
symétrie. Si l’on voit le champ Φ de Higgs comme une partie spéciale du champ de
gravitation, par exemple, venant de composantes compactifiées en espace de la métrique
d’espace-temps, alors la situation spéciale du sous-groupe-non-brisé H dans G et sa
représentation dans E déterminent une structure discrète responsable de la valeur attribuée à
toutes les masses observées ( Réf : Itzykson-Zuber [27]).
7) Que la valeur absolue de la charge revient au champ de jauge, se voit également
dans la forme des poids affectés aux trajectoires de ce champ dans l’intégrale de Feynman :
i
f (A) = exp β ∫ W £ (A),

Z = ∫ DA f (A) ,
β = c / e02 ,
ou de même, β proportionnel à g0−2 dans le cas non-abélien. Le calcul des perturbations se fait
lorsque β tend vers + ∞ .
Ces constantes e0,g0 , appelées constantes de couplage, forment la base du groupe de
renormalisation. La quantification du champ donnant un sens à Z et aux corrélations qui s’en
réduisent, réclame e02  (log Λ)−1 , de façon à obtenir une valeur de e2 finie à l’échelle observée
9
(voir [25], [35], [27], [13]). Ces valeurs observées e (ou g) dépendent de l’échelle et mesurent
la force de l’interaction du champ avec la matière (ou de son auto-interaction dans les cas
non-abéliens) :
Confrontée à l’expérience, la valeur de e n’est donc ni à Ψ ni à Α mais à leur
rencontre. Car mesurer Α réclame des Ψ et observer des Ψ demande la présence d’un Α.
8) Historiquement, l’explication topologique de la quantification des charges
électriques est intervenue autrement : c’est en 1931 que Dirac introduisit les monopôles
magnétiques [15].
Réfléchissant sur la nature des singularités en mécanique quantique, Dirac remarque
que les flux magnétiques à travers les surfaces fermées (compactes sans bord) dans l’espace,
n’ont pas besoin d’être nuls pour que la théorie soit cohérente. En effet, le champ n’agit que
par déphasage des fonctions d’onde suivant la formule indiquée plus haut (§ 2), il suffit donc
que les flux soient multiples entiers d’une quantité fixe b.
 
Avec les notations introduites précédemment, le flux b = ∫ Σ cB ×ds à travers Σ doit
satisfaire
eb
∈2π  , d’où les conditions de Dirac :
c
e b=m.h.c, m ∈ .
Le champ classique possédant de tels flux doit être singulier le long d’une ligne
d’univers Γ, la trajectoire du monopole magnétique. En 1931 Dirac donnait la formule en
10

magnéto-statique avec un champ B en 1 / r 2 près de la singularité. En 1948, Dirac a étudié
des cas dynamiques et la quantification.
Du point de vue des fibrés, c’est clair : le champ F est supporté par un fibré principal
P non-trivial sur  4 \ Γ.
Dès que la cohomologie de l’espace-temps de degré 2 est non-triviale, c’est à dire dès qu’il y
a dans cet espace des trous de co-dimension 3, il est possible d’avoir de tels fibrés.

Le potentiel A ne peut être défini sur  4 \ Γ, il faut enlever une surface allant de Γ à
l’infini, ce qui donne dans chaque section du genre espace une ligne appelée “corde de
Dirac “.
Mais ∇ A peut être définie sans problème sur  4 \ Γ. La courbure de n’importe quelle
connexion unitaire sur P fournit les classes caractéristiques de P selon la théorie de ChernWeil :
c1 (P).Σ =
1
∫ Σ Tr(F)
2π i
11
Pour les fibrés associés E à l’aide d’un entier n, traduisant une représentation de U1, on
aura c1(E)=n.c1(P). La condition de Dirac quantifiant e par b −1. h.c montre bien l’origine
topologique de la charge et la nécessité de considérer des fibrations.
9) L’intervention des monopôles laisse espérer une vraie dualité entre l’électricité et le

magnétisme : à côté de l’étoile de Hodge, réalisant la dualité de Poincaré en échangeant E et

B , les charges e et b peuvent s’échanger. Symétriquement à d*F = j on peut avoir un courant
magnétique j* = dF. A cause de la condition de Dirac, cette dualité échangerait un couplage
faible (e petit) avec un couplage fort (b  e −1 ) .
Mais de grosses difficultés apparaissent au niveau quantique : essentiellement car,
dans le formalisme canonique, la variable conjuguée de F est A et cela impose dF = 0.
Cependant, divers ordres du calcul des perturbations sont compatibles avec la dualité
électrique-magnétique (Cho, Pak [11]). Et surtout, en partant de la théorie non-abélienne (par
exemple G = SU2) et à condition d’inclure une quantité suffisante de super-symétries (N = 4,
voir [13]), Montonen et Olive [32] ont proposé en 1977 une théorie intégrable, en dimension
4, où l’on trouve un électro-magnétisme parfaitement autodual. L’existence de cette dualité a
été vérifiée en 1994 par A. Sen [36].
La base de cette théorie est la construction des monopôles “ non-abéliens “ de ‘t Hooft
et Polyakov en 1974 (Réf : [25], [35], [3], [13]).
Ce sont des monopôles magnétiques avec un comportement asymptotique analogue à
ceux de Dirac mais sans singularité, on les obtient à partir d’un champ de Higgs Φ dans une
théorie de Yang-Mills, avec symétrie brisée sur un cercle U1 (voir [27]). Cette construction
s’étend au cas d’une symétrie résiduelle H dans un groupe compact G quelconque, comme
l’ont indiqué Goddard, Nuyts et Olive (cf. [23]).
Dans le cadre non-abélien, ce sont les classes de représentations du groupe G qui
généralisent les charges des particules, pour les monopôles de Goddard, Nuyts et Olive, la
généralisation des charges magnétiques est fournie par des classes de conjugaison de sousgroupes de G isomorphes à S1 (en passant par le sous-groupe de symétrie brisée H). Ces
cercles correspondent à des représentations d’un autre groupe compact : le dual de Langlands
G∨ de G (cf. [29]). Ce qui amena Montonen et Olive à conjecturer leur extension de la dualité
électrique-magnétique échangeant des théories de jauge associées au groupe G et G∨.
12
Récemment Kapustin [28] a construit des monopôles de Dirac mieux adaptés à cette
dualité non-abélienne N=4, D=4. Au niveau quantique, où se trouve plus naturelle la dualité,
la construction de Kapustin répond aux vœux de ‘t Hooft, en échangeant les opérateurs de
boucles de Wilson pour G et les opérateurs de boucles de ‘t Hooft pour G ∨. Ces opérateurs
sont associés à des lacets Γ dans l’espace-temps W, celui de Wilson associe à une connexion
∇ son holonomie le long de Γ, celui de ‘t Hooft ne se dit bien qu’avec les amplitudes de
corrélations des champs et, comme l’opérateur de désordre du modèle d’Ising, consiste à
introduire une singularité de monodromie autour de Γ dans le calcul de toutes les amplitudes
de la théorie. L’opérateur de ‘t Hooft est associé à un élément du groupe fondamental de G, il
a été proposé comme modèle de mécanisme de confinement des quarks (cf [25]). Tout
récemment Witten [39] a montré comment la dualité de Langlands géométrique sur 
concernant les systèmes locaux sur une surface de Riemann, se déduit de la dualité nonabélienne. Notons que la dualité en Physique reste à établir mathématiquement, alors que la
correspondance de Langlands sur  a été démontrée (pour le groupe linéaire au moins) par E.
Frenkel, D.Gaitsgory et K.Vilonen en 2001 [ 21], voir l’exposé de Laumon [ 30].
La topologie des fibrés est maintenant omniprésente : par exemple, le calcul des
monopôles de ‘t Hooft et Polyakov et Witten fait apparaître des corrections non-pertubatives
dans la théorie de Yang-Mills ; le facteur 4π / g02 doit être remplacé par un nombre complexe
iθ
4π
θ
τ
∫ Tr(F ∧ F)
+
= , où la constante θ vient en facteur d’un terme topologique
2
4π 2
g0 2π i i
(la seconde classe de Chern du fibré principal) qui demande à être ajouté au terme dynamique
1
dans la formule de l’action : − g0−2 ∫ Tr(F ∧ ∗F) . Ce terme topologique n’a d’influence que
2
dans la théorie quantique ; la dualité électrique-magnétique permute τ et –1/τ, et les formes
modulaires classiques entrent en jeu (voir [7], [8], [13]).
Soient Γ, Γ′ deux nœuds dans l’espace 3 et lk (Γ, Γ′) leur nombre d’enlacements ; la
relation suivante a lieu entre les opérateurs de Wilson et de ‘t Hooft (cf. Witten in [13]) :
Wδ (Γ) Tδ′ (Γ′) = exp (2πi δδ′ lk (Γ,Γ′)). Tδ′ (Γ′)Wδ (Γ).
Les travaux de Kronheimer et Mrowka (cf. [5]) ont introduit les connexions avec
monodromie, comme dans les opérateurs de ‘t Hooft, pour établir la conjecture du genre de
13
Thom. Ce qui échange les nombres de Chern c1(Σ) et l’autointersection Σ.Σ d’une surface Σ
en dimension 4 est donc la dualité électrique-magnétique.
Déjà, dans son traité d’Electricité et de Magnétisme, J.C Maxwell associait
l’enlacement des courbes Γ, Γ′ au travail effectué par un pôle magnétique lorsqu’il décrit
l’une des courbes en présence d’un courant électrique dans l’autre [ appendice 1].
10) Pour finir assistons avec Dirac [ appendice 2] à l’intervention en physique de
toutes nouvelles mathématiques, également inaugurées par Charles Ehresmann [18].
Comme le souligne J.L Brylinski [10], si l’on veut décrire la dynamique d’un
monopôle, mieux vaut disposer d’une structure de Géométrie différentielle sur 4 tout entier
et ne pas avoir à considérer les champs sur un espace-temps évidé. Alors il semble qu’il n’y
ait pas mieux que la structure de gerbe, découverte par Giraud et Grothendieck [22] dans leur
méditation sur le recollement, et mise à la base dès définitions de la cohomologie nonabélienne. Une gerbe est un champ (c’est-à-dire une sorte de faisceau en catégories où les
foncteurs de recollement ne sont définis qu’à isomorphisme unique près) dont les fibres sont
des groupoïdes (localement non-vides) tels que la structure des automorphismes des objets
locaux soit imposée (elle s’appelle le lien de la gerbe). Il existe sur les gerbes une notion de
connexion (la 2-connexion ; cf. Brylinski [10], R.Attal [4], Breen & Messing [9]), qui
correspond au “ B-champ“ des théories de super-cordes ou de super-gravité, dont la courbure
est une forme différentielle de degré 3 (à valeurs dans une algèbre de Lie). La structure des
gerbes munies de connexions est centrale dans l’étude des super-branes et des dualités
(cf Hitchin[24]), (Donagi & Gaitsgory [16] ). Dans le cas du monopôle de Dirac, (cf. [10]), si
14
l’on donne un voisinage U0 du monopôle et un ouvert U∞ ne contenant pas le monopôle, tels
que U0 ∪ U∞ =  3 , la gerbe en question est définie par les catégorie des fibrés principaux en
cercles sur U0 et sur U∞ , un foncteur de recollement est le produit tensoriel par un fibré de
Hopf L sur U0 ∩ U∞ , donc sans doute le premier fibré dans l’histoire ([26], 1931), celui de
l’application canonique S 3 → S 2 . Le champ magnétique du monopôle est une 2-connexion
sur cette gerbe, elle est formée d’une connexion unitaire ordinaire ∇ sur L et de deux formes
de degré 2, B0 sur U0 , B∞ sur U∞ telles que B0 − B∞ coïncide avec la courbure de ∇ audessus de U0 ∩ U∞ .
On a donc la 3-courbure Ω prolongeant dB0 et dB∞ à l’espace 3. Sur toute surface
∑2 cette 3-forme s’annule et B définit une classe de cohomologie de degré 2 à valeur dans S 1
(en général ce sera G∨), la 2-holonomie du monopôle.
Notons que le foncteur ⊗L n’est défini, comme le fibré L, qu’à isomorphisme unique
près et que par suite, seules les classes−d’équivalence−de−gerbes−munies−de−connexions ont
un “sens physique“.
15
Bibliographie :
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K-theory, W.A Benjamin INC, New York (1967)
[2] M.F.ATIYAH
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[3] M.F.ATIYAH, N.J.HITCHIN
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[4] R.ATTAL
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[5] D.BENNEQUIN
L’instanton gordien (d’après Kronheimer et
Mrowka), séminaire Bourbaki, exposé 770 juin
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[6] D.BENNEQUIN
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[7] D.BENNEQUIN
Invariants contemporains, Panorama et Synthèses
11 (2001) 129-157
[8] D.BENNEQUIN
Dualités de champs et de cordes (d’après ‘t Hooft
Polyakov, Witten et al), séminaire Bourbaki,
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[9] L.BREEN, W.MESSING
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AG/0106083 v3 10 Aug (2003)
[10] J.L.BRYLINSKI
Loop Spaces, characteristic classes and
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