La morale peut devenir intelligente Ce fut une annonce marquante de la dernière rentrée scolaire : du primaire au lycée, les cours d’"enseignement moral et civique" remplace l’ancienne "éducation civique". Ce retour en grâce du terme "moral" mérite d’être signalé. Le mot a connu de longues années de purgatoire. Il n’évoquait pour beaucoup que des discours moralisateurs, infantilisants, répressifs… On (re)découvre qu’il existe une acceptation positive de ce terme, que suggère son étymologie : faire de la morale, c’est avant tout réfléchir à l’organisation et à la régulation des comportements humains, des mœurs dans un groupe donné. Nul ne niera que cette préoccupation soit chose utile. La morale est de retour ? Réjouissons-nous ! Il faudra néanmoins répondre à deux questions. La première est celle des contenus : Enseigner la morale, oui, mais laquelle ? Dans nos sociétés pluralistes et en dehors de quelques évidences générales (respect, vivre-ensemble …), il est malaisé de répondre de façon consensuelle à cette interrogation. La seconde concerne la manière de "faire (de) la morale". Il existe en effet deux façons de la présenter. La première correspond à ce que les philosophes appellent "l’éthique du devoir". Elle insiste sur ce qui est permis et défendu. Elle relègue au second plan les interrogations sur le bonheur, l’épanouissement de celui qui agit. Elle exprime le plus souvent les règles morales sous forme d’une liste d’interdits. Cette façon peu appétissante de faire "la morale" a longtemps été dominante, ce qui explique la piètre réputation du mot même de "morale". Mais il existe une autre façon de présenter la morale : envisager qu’elle consiste à nous guider pour que nous accomplissions au mieux ce qui est bénéfique pour nous. Cette seconde façon correspond à ce que les philosophes appellent l’"éthique des vertus"- le mot "vertu" désignant ici les bonnes dispositions qu’il est profitable d’épanouir. Ainsi envisagée, la morale apparaît plus joyeuse et attirante que dans le cadre de l’éthique du devoir. Éthique du devoir et éthique des vertus ne désignent d’ailleurs pas nécessairement deux morales au contenu divergent. Si par exemple un petit enfant envisage de mettre ses doigts dans une prise électrique, je lui dirai de ne pas le faire. Et s’il me demande "pourquoi ?", je lui répondrai "c’est défendu". Si un adolescent, qui sait réfléchir et qui a étudié l’électricité au collège, envisage à son tour de mettre les doigts dans la prise, je lui conseillerai également de ne pas le faire, mais en lui expliquant que c’est mauvais pour lui et en lui suggérant d’autres comportements existentiellement plus bénéfiques. Au petit enfant pas malin, je fais la morale en termes d’interdiction ; à l’adolescent plus éduqué, en termes de bonne conduite de vie. Il en va de même avec ces grands enfants que sont les adultes : certains sont incapables d’entendre autrement qu’en termes de contrainte qu’il vaut mieux ne pas rouler à 200km/h sur l’autoroute – éthique du devoir ; d’autres comprennent – éthique de la vertu – qu’il est bénéfique, pour eux comme pour les autres, de respecter les limitations de vitesse. La question est donc d’importance et concerne tous ceux qui ont à faire (de) la morale : Vont-ils se contenter d’un catalogue rébarbatif d’interdits mal (ou pas) expliqués ? Ou sauront-ils, en faisant un pari sur l’intelligence de leurs interlocuteurs, présenter cette morale sous la forme d’une annonce joyeuse de préconisations libératrices ? Cette interrogation vitale concerne non seulement les parents et professeurs, mais aussi, à une autre échelle, les Églises chrétiennes. Denis Moreau