François Vatin
P
rofesseur de sociologie à Paris X Nanterre
1. La plupart des revues de cette liste ne sont pas francophones et les sociologues français y
publient fort peu. Il serait intéressant de mesurer le nombre d'articles qu'y ont publié les
sociologues français au cours des 25 dernières années. La raison n'en est pas que linguistique.
Il est absurde de considérer que la sociologie aurait d'emblée, comme la physique ou la
physiologie, une valeur internationale. Les sociologues ont d'abord pour mission de
fournir une certaine réflexivité sur leur propre société. Il est donc normal qu'ils publient à
80 % dans leur propre pays. Cette conception internationaliste de la publication scientifique
risque d'avoir un effet désastreux pour les sciences humaines en privilégiant les approches
formalistes. On voit bien quels sont les secteurs des sciences humaines qui basculent dans ce
modèle : la science économique, la psychologie cognitive, la linguistique théorique. C'est un
désastre annoncé pour la sociologie. Et on retrouve ici la question de la langue: la publication
d'un article scientifique en anglais n'exige pas une fine maîtrise de cette langue, mais
seulement celle d'un idiome scientifique international. Je pense en revanche que la sociologie
continue à relever des humanités et exige un "esprit de finesse" langagier.
2. En revanche, on ne prend absurdement en compte que des revues "sociologiques" comme si
la sociologie était une discipline assez vaste pour être fermée sur elle-même, alors qu'il est
normal que qu'un spécialiste de sociologie de l'environnement publie chez les géographes,
qu'un spécialiste de sociologie de l'éducation publie en sciences de l'éducation, qu'un
spécialiste de sociologie de la connaissance publie en philosophie, etc. On avait envisagé
naguère une seule liste de sciences sociales. C'est à mon sens la seule voie raisonnable.
Cette liste constitue assurément une amélioration par rapport à la première liste de revues
élaborées par l'AERES. Mais elle est toujours absurde dans l'esprit de sa construction (les
deux remarques précédentes) et par son existence même, quand on sait que les publications
les plus marquantes en sociologie ne sont pas les articles mais les ouvrages... lesquels on
ne sait pas évaluer. On oriente ainsi la production sociologique vers un standard international
de la production scientifique pour des raisons de commodité métrologique de l'évaluation,
sans aucun souci de l'heuristique de la discipline.
Tout ce qui reste à espérer, c'est que personne ne prenne au sérieux cette liste pour
orienter son travail scientifique.