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L’objectif est de comprendre ce qui est en jeu dans la relation sociale qui constitue le rapport au commun
avec des modes d’appropriation originaux (appropriation est pris dans ses deux sens avec les deux préfixes
latins possibles : ab, se retirer, et ad, ajouter). Il s’agit de regarder comment le terme d’appropriation peut
être mis en œuvre avec « approprier à » et « approprier par ». Dans le premier cas, le commun est possible
car le mode d’appropriation privilégie l’usage et « l’entre soi » tandis que le second renvoie au régime de
propriété collective puis privée car « par » devient de plus en plus particulier, une unique personne et
privilégie le bénéficiaire. Il est important de prendre en compte ces deux aspects dans l’étude des
communs. Mais dans la première situation, comment permettre la co-construction entre tous les
participants ? David Bollier met en avant l’importance des règles autour desquelles se construit la
communauté.
2) L’invention de la propriété privée, un acquis de la modernité
Nous sommes face à un obstacle conceptuel : dans notre vision du monde, tout peut devenir marchandise
et donc matière à propriété. Selon la doctrine juridique moderne, les objets qui en sont exclus sont des
choses, non des biens, et leurs titulaires sont frappés d’une sorte d’ostracisme, voire de disqualification qui
s’étend du droit au politique. Selon les législations dominantes en Afrique depuis l’époque coloniale, ceux
qui ne sont pas susceptibles d’afficher des titres de propriété voient leurs droits s’inscrire dans la catégorie
des « terres vacantes et sans maître », souffrant ainsi avec d’une forme d’exclusion de la vie juridique que
seule justifie une fiction qui n’est compréhensible que dans notre monde. Peut-être deux milliards d’êtres
humains sont étrangers à la propriété et vivent en « communs », sans que leur expérience n’ait été encore
labélisée et encore moins protégée. Leur vie est comme entre parenthèses, disqualifiée selon des principes
dont l’injustice leur paraît flagrante puisque leurs ancêtres ont toujours fait ainsi.
Face aux communs classiques, pré-capitalistes, et donc étrangers au propriétarisme, on observe
l’émergence de nouveaux communs qui créent une rupture sur un certain nombre de thèmes (économie
numérique, logiciels…). Cette nouvelle vague provoque un regain d’intérêt à l’échelle internationale pour
les communs et nous invite à poser le problème d’une manière différente. Le règne de la propriété semble
incontournable dans la société capitaliste, il faut donc apprendre à gérer ces nouveaux communs entre
anciens communs et société propriétariste.
3) Comment expliquer qu’une société puisse se reproduire sans propriété (publique ou privée) de ses ressources, spécialement
foncières ?
La célèbre « tragédie des communs » de Hardin a été une catastrophe intellectuelle car elle a profondément
stérilisée la réflexion intellectuelle tout en étant scientifiquement nulle car aucune société ne peut
fonctionner dans le cadre qu’il décrit sans un minimum de règles, qu’il ne prend pas en compte. Dans nos
sociétés, l’absence de propriété rime avec zizanie et il règne une forme d’addiction à l’exclusivisme. Il nous
faut séparer par des frontières, des normes autonomes tendant à l’absolutisme, à la souveraineté et à la
libre et discrétionnaire aliénation.
Notre pensée s’est construite autour de celle de Descartes pour lequel l’homme est maître et possesseur du
monde. Dans ce contexte, il faut un artefact institutionnel pour permettre de gérer cet exclusivisme en
réduisant ces implications. La Terre est le support essentiel pour ce type de réflexion. Elle est avant tout
une matière, un support, un milieu. Le droit sur la terre est abordé par une représentation géométrique de
l’espace permettant de mesurer afin de valoriser puis d’échanger. Ces explications, peu critiquées, restent
prévalentes et pour les dépasser il faudrait, comme l’a montré B. Latour dans son ouvrage sur Gaïa,
vulgariser des mythes fondateurs d’une nouvelle manière de penser, plurielle et communautaire.
Pour les communaux, c’est-à-dire les gens du commun, chaque collectif est une entité distincte qui ne vaut
et ne se reproduit que par son inscription dans un maillage plus vaste, de la famille à l’échelle de