et de sa bonne gouvernance démocratique. Je formulerai à ce propos trois remarques
préliminaires.
- Première remarque, la notion de lutte est abordée dans une perspective séquentielle
et dynamique. Dans le Dictionnaire de la Justice (Le Roy, 2004), et dans la lignée de
nombreux travaux africanistes et américanistes, je mets l’accent de manière plus large
sur une séquence de transformations successives des luttes : ce sont initialement des
problèmes qui deviennent une tension qui conduit au différend qui dégénère en conflit
et que le litige appartient pour nous au langage judiciaire.
- Deuxième remarque, le vocabulaire grec ayant présidé à l’usage actuel du terme
antagonisme a une fonction de socialisation. Il exprime une mise en relation avant
d’indiquer une opposition. On n’oubliera
pas que le grec (agon) ne désigne, selon
mon dictionnaire « la lutte, le combat , l’action militaire puis le procès judiciaire » qu’au
sens III et que ses sens I et II sont respectivement l’assemblée ou la réunion et, d’autre
part, l’assemblée pour les jeux publics (Bailly, 1950, p. 21). Par ailleurs
(antagonisma) est un terme d’usage plutôt rare qui désigne globalement « l’émulation »
(ibidem), donc le sens du jeu et du concours et, sous la forme adjective, ce qui est
débattu ou disputé. En introduisant ces précisions, j’insiste sur le fait que le travail sur
les concepts, leur histoire et leurs connotations est un préalable à notre pratique
ethnologique d’approcher des situations dans lesquelles les individus se disent et se
révèlent dans leur identité singulière comme le faisait remarquer Marcel Mauss dans sa
conclusion sur « l’Essai sur le don » (Mauss, 1960) récemment commentée (Le Roy,
2013). Ainsi, pour nous anthropologues, l’idée que nous retenons de la sémantique de
l’agon/agonisme est que sa fonction est de « faire société », que l’anta/gonisme n’en est
qu’une forme dérivée qui n’autorise pas à considérer que « faire opposition », ou
« provoquer des confrontations » en sont ses expressions cardinales originelles, même si
le conflit est une des dimensions des rapports sociaux sur lesquelles je vais y revenir, et
ce dans toutes les sociétés et, pour nous, à tous les moments de l’histoire.
- Troisième remarque, la définition précédente de Michel Alliot ne s’applique plus
seulement au droit mais à un processus plus complexe et d’application plus générale, la
juridicité. Le droit, entendu dans nos sociétés occidentales comme le monopole de l’Etat
et généralement approché comme « droit positif », n’est plus considéré que comme un
folk system, sans doute d’une extraordinaire efficacité dans le contexte de la présente
mondialisation, mais qui ne peut épuiser l’ensemble des expériences passées et
présentes, et sans doute futures, des sociétés humaines.
Pour rendre compte de l’état d’avancement de notre réflexion, je vais reprendre les dix
postulats que j’exploite dans le cadre d’un enseignement du diplôme universitaire «
Gestion des conflits : médiation et négociation » de l’Université René Descartes Paris V.
Puis j’en proposerai quelques commentaires qui seront développés selon le temps
disponible.
C’est une autre spécificité de nos démarches, depuis Le jeu des lois, que de se
préoccuper du sens initial des termes non par enfermement dans une « essence
notionnelle » originelle mais pour saisir le travail épistémique dont un terme a été
l’objet, donc son épaisseur notionnelle et conceptuelle.