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Descartes, La Lettre au Marquis de Newcastle
Le langage
A. Finalité et modalités du cours
Le texte dont je vais essayer de vous expliquer l’usage que j’en fais en cours est celui, très célèbre, de
Descartes, connu sous le titre de « Lettre à Newcastle ». Tout le monde l’a lu, beaucoup peut-être
l’étudient en cours ; c’est le cas typique du texte dit « classique » en cours de philosophie.
Comme il arrive souvent, du fait du renouvellement potentiellement permanent que nous pouvons faire
de notre pratique, je n’ai pas toujours eu le rapport que j’ai aujourd’hui avec ce texte.
- Dans un premier temps, je dois avouer que j’évitais d’utiliser ce texte, que je trouvais trop riche et
trop complexe pour l’étudier en cours.
- Dans un deuxième temps, j’ai intégré la lecture de ce texte à mon cours sur les questions relatives au
langage, mais j’avais une impression de déséquilibre que j’ai mis un moment à identifier.
- Ce n’est que dans un troisième temps que j’ai compris ce déséquilibre : il y avait en fait une forme de
redondance entre le contenu de ce texte et celui de mon cours. D’où l’effort de relecture que j’ai dû en
faire, afin de voir comment, au lieu de l’intégrer à mon cours, je pouvais essayer d’organiser mon cours
autour ou à partir de lui.
En somme, au lieu d’utiliser ce texte comme un des moments de mon cours, je l’ai travaillé pour en
faire le point de départ, et l’axe principal d’une grande partie de ce cours sur la question du langage.
D’élément du cours, le texte de Descartes est donc devenu ce qu’on appelle en pédagogie, je crois, un
texte « matrice ».
Pour bien préciser les choses, il me faut expliquer comment j’organise mon travail dans le traitement
du programme avec une classe, tout au long de l’année.
A la suite d’une introduction à la philosophie, où je présente les contextes historique, politique, et
intellectuel de la naissance de la philosophie, je propose deux travaux à mes élèves :
- d’abord essayer de définir, à partir d’une lecture du programme des notions, ce que peut être la
pratique de la philosophie pour nous, élèves de Terminale.
= les notions ne se lisent pas comme une liste de chapitres ; diversité des notions / disparité des
questions / totalité des questionnements de l’être humain.
= la philosophie pour nous, est de la philosophie (pas une philosophie au rabais).
- toujours à partir d’une lecture du programme des notions, essayer de dégager des questions générales
sous lesquelles nous pouvons aborder la réflexion sur diverses notions.
= j’invite les élèves à se rendre compte que celles-ci renvoient à trois grands problèmes rencontrés par
les êtres humains, ou à trois grandes interrogations qui recouvrent cette totalité du questionnement :
« Qu’est-ce qu’un homme ? », « Que pouvons-nous savoir ? », « Comment vivent les hommes ? ». Ces
trois questions, en fonction des propositions des élèves, peuvent varier, mais elles reviennent presque
toujours à celles-là.
Mon introduction à la philosophie se termine par le choix d’une de ces trois « grandes questions », en
fonction de l’orientation prise par la réflexion des élèves sur ce qu’est la philosophie.
Je leur précise que ces trois grandes questions seront celles que nous traiterons tout au long de l’année,
chacune nous occupant, à peu près, un trimestre.
Pour traiter chacune de ces trois grandes questions, je commence par une introduction très brève, qui
vise à en présenter les enjeux généraux. Puis je la traite en passant par ce que j’appelle des « questions
intermédiaires », qui mettent plus directement en évidence les thèmes qui seront traités. Il y a environ
quatre à cinq de ces questions intermédiaires, dans le cadre desquelles j’aborde différents problèmes liés
aux notions proposées.
C’est dans l’interrogation sur la « grande question » « Qu’est-ce qu’un homme ? » que j’aborde la
lecture du texte de Descartes.
Plus précisément, ayant posé le fait qu’une telle question repose sur l’ambiguïté qui veut que le mot
« homme » peut être entendu à titre d’individu et à titre d’espèce humaine, je précise que cette question
permettra, en priorité mais pas exclusivement, de réfléchir sur les notions mentionnées autour de celle du
sujet et autour de celle de la culture.
De là, la première « question intermédiaire » s’intéresse à cette dernière notion, ou à ce « champ de
problèmes » comme dit le programme, et se formule ainsi : « Peut-on parler d’une nature humaine ? »
(ou bien, comme cette année : « Nature et culture »).
Puisqu’à l’intérieur de la réflexion sur cette première question intermédiaire, il est évoqué la notion de
langage comme moyen de distinction entre le naturel et le culturel, c’est autour du langage proprement dit
qu’est énoncée ma deuxième « question intermédiaire » : « Peut-on définir l’humain par le langage ? ».
B. Peut-on définir l’humain par le langage ?
Introduction
L’introduction me sert toujours à montrer qu’il y a un lien entre les divers moments autour desquels
nous articulons la réflexion sur la « grande question ».
Je reprends donc, en l’occurrence, un argument emprunté à Michel Leiris dans le traitement de la 1 e
question intermédiaire, et je le complète avec une référence à C. Lévi-Strauss, qui va permettre de poser
de manière précise la problématique relative au thème du langage.
Pour traiter cette question, je m’efforce en fin d’introduction de préciser, comme je demande à mes
élèves de le faire dans leurs dissertations, le point de départ particulier que prendra la réflexion.
A savoir ici : « en quoi la communication qui existe entre les animaux, ne relève pas du langage, et
quels sont les traits spécifiques de celui-ci ».
Pour prolonger les affirmations déjà vues à partir de la référence à Michel Leiris, on peut considérer
que le langage occupe une place à part dans la compréhension de ce qu’est l’être humain en propre.
Selon Claude Lévi-Strauss, le langage est en effet « la marque même de la culture », pour trois raisons
essentielles :
- d’abord, il est « une partie de la culture », en ceci que nous le recevons « de la tradition externe ». Il
faut en effet bien comprendre que si la faculté du langage relève de notre organisation physiologique
(cerveau, appareil phonétique, etc.), et à ce titre est donc naturelle, l’usage même d’une langue, c’est-àdire l’exploitation de cette faculté, n’est possible que si nous avons appris cette langue ; cet usage nous
est donc transmis par les autres = il n’est pas naturel (inné) ; il est culturel (acquis).
- ensuite, parce que le langage n’est pas un fait culturel parmi d’autres : il est au contraire celui au
moyen duquel on va transmettre les autres pratiques culturelles du groupe à l’enfant. Ainsi, dit L-S, « un
enfant apprend sa culture parce qu’on lui parle : on le réprimande, on l’exhorte, et tout cela se fait avec
des mots ». - enfin, parce que comme « système de signes », le langage est représentatif des autres
pratiques culturelles, qui sont aussi « des codes formés par l’articulation de signes, sur le modèle de la
communication linguistique ». En ce sens, L-S considère que « l’art, la religion, le droit, peut-être même
la cuisine ou les règles de politesse », sont des systèmes de signes au même titre que le langage.
Ainsi la distinction qui sépare la nature de la culture, passe nécessairement par le thème du langage.
Selon cette première remarque, le langage ne relèverait donc que de la culture, et serait ainsi le propre de
l’être humain.
Dès lors il est essentiel de comprendre en quoi la communication qui existe entre les animaux, ne
relève pas du langage, et quels sont donc les traits spécifiques de celui-ci.
I - Les propriétés du langage selon Descartes
D’une manière générale j’essaie toujours de préciser quelques points importants dans la présentation
d’un texte que nous allons étudier : les dates de l’auteur, la date de la rédaction.
Pour ce texte, je présente en quelques mots la polémique Montaigne / Descartes, afin de dégager
clairement les enjeux de la lettre à Newcastle : nous pouvons dire de l’homme seul qu’il est pourvu
d’âme et de pensée.
Je précise aussi le contexte historique, philosophique, ou scientifique (Copernic, Galilée). C’est ainsi
que j’évoque la thèse des « animaux-machines », qui s’inscrit dans une physique du 17e siècle, et qui
fonde logiquement, pour Descartes, l’hypothèse que les animaux ne sont doués ni d’âme ni de pensée.
Cette thèse doit être évoquée, parce qu’elle sous-tend l’argumentation de Descartes au moins au
début ; également parce qu’à la fin, une affirmation admet implicitement que les animaux ont peut-être
bien une forme de pensée, quoique différente de celle des hommes. Intérêt du texte : les distinctions.
Dans une lettre datée du 23 Novembre 1646, adressée au Marquis de Newcastle, Descartes (15951650) répond à un certain nombre de questions concernant la constitution de certains composants
naturels, des pierres et de certains métaux.
Puis il aborde un autre problème suggéré par le Marquis de Newcastle, et qui touche à la distinction
entre les hommes et les animaux. La question porte sur la présence, ou non, de la pensée chez les
animaux. On demande à Descartes s’il est du même avis que Montaigne, qui affirme qu’il y a « plus de
différence d’homme à homme, que d’homme à bête » ; autrement dit, s’il peut y avoir plus de pensée chez
certains animaux que chez certains hommes.
Dans des textes qui précèdent la rédaction de cette lettre, Descartes a déjà élaboré son hypothèse des
« animaux-machines ». Sans entrer trop dans le détail, disons que l’ambition de Descartes, qui écrit donc
dans la première moitié du 17e siècle (Copernic publie son livre en 1543 ; Galilée publie le sien en 1632),
est d’appliquer à la compréhension du monde un modèle mécanique.
= il s’agit de voir en tout phénomène naturel le résultat de mécanismes qui obéissent à des lois
physiques compréhensibles de manière abstraite.
Ainsi pour comprendre l’être vivant, fait-il le rapprochement avec les automates qu’on sait construire
à l’époque : il développe ainsi la thèse selon laquelle les animaux ne sont rien d’autre que des machines
faites de pièces plus petites que celles qui nous servent à construire nos automates, mais dont les
mouvements s’expliquent de la même manière.
De cette hypothèse, il découle que les animaux-machines sont évidemment dépourvus de toute âme, et
donc de toute pensée.
On va voir que dans le texte qui suit, cette hypothèse des animaux-machine est sous-jacente en un
endroit au moins. Mais on va voir aussi qu’à plusieurs reprises, Descartes attribue aux animaux des
comportements qui ne sont guère compatibles avec cette hypothèse. A la fin de sa lettre, il reconnaît qu’il
doit bien y avoir de la pensée chez les animaux, mais il leur dénie la possession d’une âme ; cette pensée
ne peut donc rien avoir en commun avec celle des hommes.
En revanche, l’intérêt fondamental de ce texte, est qu’il opère toute une série de distinctions qui ont
pour but de montrer que l’usage du langage est le propre de l’homme, et qu’on ne peut ainsi parler de
langage pour les animaux. On peut faire un relevé précis de ces distinctions, phrase par phrase.
Lorsque je donne un texte à lire à mes élèves, je leur demande de le lire en silence. Je pense que la
lecture à voix haute par un élève, exempte tous les autres d’être totalement attentifs, et empêche le lecteur
de comprendre ce qu’il lit.
Je fais une exception pour Descartes : parce que sa langue a un peu vieilli par rapport à la nôtre, et
parce qu’elle est si belle, je lis souvent moi-même ses textes à voix haute, au moins pour qu’ils soient
bien lus (je m’y emploie en tout cas), et pour que les élèves soient sensibles à la beauté du style.
Lorsque le texte a été lu une fois, j’amène mes élèves à faire spontanément le relevé des « connecteurs
logiques ». Cette notion a un sens large dans ma pratique : « mais, toutefois, etc. », et aussi expressions
plus longues ou moins tranchées : « à savoir », par exemple. Objectif : repérage des arguments. Ici, je les
rends attentifs à la ponctuation : quatre points ; tout le reste = points-virgules.
Enfin il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent,
que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a
aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des
sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. Je dis les paroles ou autres signes,
parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix ; et que ces
signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets, sans exclure celui des fous, qui
ne laisse pas d’être à propos des sujets qui se présentent, bien qu’il ne suive pas la raison ; et
j’ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non
seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être
enseigné par artifice aux animaux ; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse,
lorsqu’elle la voit arriver, ce ne peut être qu’en faisant que la prolation de cette parole
devienne le mouvement de quelqu’une de ses passions ; à savoir, ce sera un mouvement de
l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise,
lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses qu’on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux
singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte
qu’ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble, fort remarquable que la
parole, étant ainsi définie, ne convient qu’à l’homme seul. Car, bien que Montaigne et
Charron aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne
s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour
faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions ; et
il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et
muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me
semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point
comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur
manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ;
car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous
exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.
René Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle, 23 novembre 1646
Cette lettre est composée de trois parties :
- Première partie = la première phrase à elle seule.
« Enfin il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent,
que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a
aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des
sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. »
Descartes y procède en trois temps clairement repérables :
a) D’abord, il pose le problème de la distinction que l’on peut faire entre les hommes et les animaux ;
plus précisément, si l’on veut trouver un critère incontestable d’une telle distinction, par lequel on puisse
établir que les hommes sont doués d’une âme et par là d’une pensée, alors que les animaux ne le sont pas,
c’est sur la base de l’observation extérieure du comportement des corps qu’elle doit être faite.
Il est utile de prendre le temps d’exposer, bien que de manière pas trop étendue, la méthode qui est
celle de Descartes :
- d’abord parce que les élèves admettent trop facilement leur expérience personnelle comme critère
évident d’un rapprochement possible entre l’homme et l’animal sur le plan du langage.
- ensuite, parce que cette méthode de modélisation opère de manière concrète sur la question du
langage.
- enfin, parce qu’une telle méthode inscrit la réflexion de Descartes sur le langage dans la physique
mécaniste du 17e siècle, qui peut être approfondie ultérieurement dans le cadre de la réflexion sur la
science, voire sur la technique.
= Evoquer notre expérience intérieure comme critère de distinction entre l’homme et l’animal n’aurait
aucune pertinence :
- rien ne me prouve que les autres hommes ont une telle expérience intérieure
- rien ne me prouve que les animaux ne l’ont pas.
= Parce qu’il est impossible de connaître l’expérience intérieure qu’un autre être humain a de luimême, et a fortiori celle qu’un animal a ou n’a pas de lui-même, afin de savoir s’ils ont une âme et une
pensée, il faut poser le problème d’un point de vue extérieur.
Or ce point de vue extérieur n’a de sens que s’il ne se fonde pas seulement sur les ressemblances entre
l’homme et l’homme, entre l’homme et l’animal. Pour pouvoir penser l’homme et l’animal d’un point de
vue extérieur, c’est-à-dire d’un point de vue purement mécanique, il faut se donner un troisième terme,
par rapport auquel nous pourrons déterminer avec précision les différences entre l’homme et l’animal,
sans tomber dans une confusion due aux ressemblances entre les deux. Ce 3e terme nous servira de
modèle.
= c’est la machine.
Ainsi lorsque Descartes écrit que « notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soimême », c’est que celui de l’animal, lui, peut être pensé comme étant « seulement une machine ».
Le modèle, c’est l’instrument connu par moi, qui me permet de penser ce qui m’est encore inconnu. Il
ne s’agit donc évidemment pas, dans la théorie dite des « animaux-machines », d’affirmer que les
animaux ne seraient que des machines. Ni même d’affirmer que les animaux ressemblent à des machines.
Il s’agit, par référence à ce qu’est une machine, de déterminer d’un point de vue extérieur (le seul
possible pour nous), si les animaux, dans leurs comportements, trahissent la présence en eux d’une âme
et d’une pensée, ou si au contraire il est possible de rapporter ces comportements à des mécanismes
d’ordre physique, ne nécessitant pas la possession d’une âme et d’une pensée.
= remontant des effets (les comportements) aux causes, il faut savoir si celles-ci ne peuvent être le fait
que d’une âme, ou si elles peuvent relever seulement de la mécanique.
b) Considéré extérieurement, tous les comportements de l’homme peuvent être rapprochés de ceux
d’un automate (cf. les « chapeaux » et les « manteaux », les « spectres » ou « hommes feints qui ne se
remuent que par ressorts », Méditations, II).
Tous, sauf un (« il n’y a aucune de nos actions extérieures (...) excepté... »), qui permet d’assurer
qu’on n’a pas affaire à des machines, parce qu’il est la manifestation d’une réalité intérieure à l’être
humain.
= La seule de nos « actions extérieures » qui puisse servir de critère incontestable pour faire une telle
distinction entre l’homme et l’animal, c’est notre usage du langage.
Remarquons que Descartes n’utilise pas le terme de « langage », mais celui de « paroles ». Et encore
ce terme ne peut-il pas être lu seul, pour lui-même. Car dès cette première phrase, dans un troisième
temps, Descartes énonce la définition complète de ce qu’est le langage, autour de trois caractéristiques
essentielles, par quoi sera faite la distinction claire entre l’homme et l’animal.
c) Ces trois caractéristiques ou conditions sont :
- qu’il s’agisse de « paroles, ou autres signes »
- que ces signes soient « faits à propos des sujets qui se présentent »
- qu’ils ne se rapportent « à aucune passion ».
D’un point de vue formel, sans insister encore sur le contenu, le repérage des liens logiques permet (en
étant guidé par moi) de faire ce découpage : « Je dis », « et que ces signes », « et j’ajoute ».
La troisième partie se repère plus facilement par la présence d’un point, et le connecteur « Or ».
Cette attention à la forme n’est pas toujours suffisante.
Deuxième partie : chacun de ces quatre points est donc développé pour lui-même dans la suite de la
lettre, et peut donner lieu à une réflexion approfondie sur trois propriétés essentielles du langage.
= de « Je dis les paroles » à « peuvent faire sans aucune pensée ».
Troisième partie : Descartes conclut son texte par une définition du langage comme appartenant à
l’homme seul. Par cette conclusion, c’est d’ailleurs plutôt une définition de l’homme qu’il donne. Il
énonce trois nouvelles raisons d’admettre que seul l’homme est pourvu du langage.
= de « Or il est, ce me semble », à la fin.
1 - « paroles et autres signes »
Le découpage du cours va donc suivre le découpage qu’on peut faire du texte. Chacune des trois
caractéristiques essentielles du langage tel que le définit Descartes dans la 2e partie, sera l’objet d’un
moment du cours.
Descartes considère donc les « paroles » que nous prononçons comme cette action extérieure de notre
corps qui manifeste la présence en nous d’une âme et d’une pensée.
Toutefois il précise qu’il peut s’agir de paroles « et autres signes ». Il y a ainsi une équivalence entre
« paroles » et « autres signes », ou plus exactement une définition de la notion de paroles : les mots que
nous prononçons sont des signes.
Cette équivalence ou définition permet à Descartes d’inclure un cas particulier dans la règle générale,
celui des « muets » :
« parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix »
Autrement dit, il n’y a strictement aucune différence, du point de vue du langage, entre les mots que
prononcent les parlants avec « la voix », et les « signes » des muets, c’est-à-dire les gestes qu’ils font
avec leurs mains.
Par cette assimilation des mots et des gestes à des « signes », il faut entendre que la particularité des
éléments qui constituent le langage, quels qu’ils soient, c’est qu’ils sont signifiants, parce qu’ils forment
ce qu’on peut appeler des « systèmes de signes ».
II-
Le langage : définition de la notion
Première « sortie » par rapport au texte de Descartes.
= son insistance sur l’identité entre les paroles et les « autres signes » oblige à comprendre ce qu’on
entend par signe.
La notion de « système de signes » a déjà été abordée dans la première « question intermédiaire » et
peut donc être ici orientée vers une compréhension de la différence entre langage (faculté naturelle) et
langue (activité culturelle).
Pour comprendre cette notion, on peut d’abord noter la distinction à faire entre langage et langue.
Que toutes les communautés humaines utilisent le langage, ne revient évidemment pas à dire qu’elles
parlent toutes la même langue.
Il y a donc une dimension d’universalité de la notion de langage, alors que la notion de langue renvoie
plutôt à une dimension de particularité : si toutes les communautés humaines utilisent le langage,
chacune d’elles l’utilise sous une forme qui lui est propre.
- Le langage, c’est ainsi la faculté de s’exprimer suivant un certain système de signes. Faculté qui,
parce qu’elle est universelle chez l’homme, est présente naturellement chez tous les êtres humains, du
fait de leur constitution, grâce à la transmission héréditaire de caractères physiologiques (cerveau,
poumons, pharynx, etc.).
- La langue, c’est un certain système de signes. Système qui, parce qu’il est particulier à une
communauté humaine, est développé culturellement chez les individus de ce groupe, grâce à l’éducation
qui leur est donnée par les autres membres du groupe.
De cette distinction découle donc un problème essentiel : comment, au-delà de la particularité des
langues, comprendre l’universalité du langage ? Autrement dit, au-delà des langues elles-mêmes, et des
différences qui nous permettent de les distinguer, y a-t-il des points communs entre elles qui font qu’on
peut parler non pas des langages humains, mais du langage ?
C’est cette universalité que Descartes recherche, puisqu’il parle de « l’homme », autrement dit de tous
les hommes en tant que tels. En ce sens, Descartes ne s’interroge pas sur la diversité des langues, parce
qu’en elle-même elle n’est pas significative de différences fondamentales entre les hommes ; il
s’interroge sur les caractéristiques du langage, sur ce qui fait qu’au-delà — ou plutôt en deçà — de cette
diversité, on a bien exactement le même objet, à savoir du langage.
La notion de système est assez facilement compréhensible pour les élèves, dès lors qu’on les interroge
sur la différence entre un système et un ensemble.
Les Terminales S se font souvent le reproche de ne pas savoir la faire spontanément.
Système de signes
Un « système », c’est un ensemble d’éléments, entre lesquels des relations sont établies à l’aide de
règles, à l’aide d’un code. Chacun de ces éléments, par ce code, prend valeur de signe.
Dès lors, il ne suffit pas qu’on ait un ensemble de mots pour qu’il y ait langage ; il faut que ces mots
soient utilisés dans le respect de ces règles, en fonction de leur statut (nom commun/adjectif/article/etc.),
et dans un certain ordre (sujet/verbe/ complément). Ainsi, c’est bien les uns par rapport aux autres que
les mots sont utilisés, et qu’ils prennent donc leur sens, dans le cadre d’un usage défini par les règles
d’une grammaire.
Système de signes
Reste à bien comprendre ce que l’on entend par « signes » : c’est un élément qui peut être phonique
(mot prononcé), gestuel (pour les sourds et les muets), graphique (mot écrit), dont la fonction est
d’évoquer autre chose que lui-même ; un signe, par définition, représente quelque chose, renvoie à
quelque chose d’autre. En somme, un signe ne peut être posé indépendamment d’une signification qui lui
est rattachée.
* Certains signes sont naturels, et peuvent être considérés comme des indices de quelque chose, au
sens où il s’agit de phénomènes naturels qui indiquent d’autres phénomènes naturels :
la fumée, qui révèle (la plupart du temps) la présence d’un feu, la fièvre, la douleur, etc.
* Dans le cadre d’une langue, les signes ne sont pas naturels. Cela apparaît nettement si on considère
les deux éléments auxquels renvoie tout signe :
- le signifiant, qui est la forme phonique, ou graphique, ou gestuelle, du signe, et qui sert de support à
la signification ; ce sont donc les sons que l’on produit, ou les traits que l’on trace, ou les gestes que fait
le muet.
Or, ce signifiant ne présente aucun lien naturel avec l’objet qu’il sert à désigner : ainsi par exemple les
sons qui composent le mot « voiture » n’ont rien à voir avec l’objet voiture. Ce qui le prouve aisément,
c’est que d’une langue à l’autre, on utilise des sons différents (« Car » en anglais, « Wagen » en
allemand, etc.).
Aussi dira-t-on que le signifiant d’un signe a la propriété d’être arbitraire : rien, dans l’objet qu’on
désigne, ne justifie qu’on utilise tel son plutôt que tel autre.
- le signifié, qui est le sens qu’on rattache à cette forme phonique, graphique, ou gestuelle, et qui
consiste donc dans l’idée ou le concept désigné.
Hypothèse : Si un signifiant avait un lien naturel avec l’objet qu’il sert à désigner, il serait transmis
naturellement aux hommes, et ce signifiant serait alors utilisé par tous les êtres humains. Il aurait une
valeur universelle.
Mais nous avons vu qu’un signifiant n’a pas de lien naturel avec l’objet qu’il sert à désigner. Cela
implique qu’il n’y a pas de signe qui ait une signification universelle, c’est-à-dire qui signifie la même
chose pour tous les hommes.
Dès lors, la signification d’un signe, autrement dit le signifié, n’est valable qu’à l’intérieur d’un
groupe humain particulier. Le signifié est conventionnel.
Très concrètement, cela veut dire qu’un même signe, d’un groupe à l’autre, a toutes les chances de
signifier des choses différentes, et que plus généralement, le moindre geste, la moindre attitude, qui peut
nous sembler avoir une signification « normale », c’est-à-dire naturelle, donc universelle, n’a en réalité
un sens que par rapport au groupe auquel il appartient.
Le cours sur le langage est relativement technique. Pourtant nous faisons un usage constant du
langage. Il me paraît donc essentiel de pouvoir illustrer ce que nous disons d’un point de vue technique,
par des exemples, des situations tout à fait concrètes, observables par n’importe qui.
C’est dans le même but que je fais la remarque sur les onomatopées : elle est amusante, facile à
comprendre, et peut reposer sur une connaissance que les élèves ont souvent de la manière dont on les
« traduit » dans les langues qu’ils apprennent par ailleurs.
Illustrations :
- d’une langue à l’autre, le phénomène des « faux amis ».
- dans le cadre d’un argot, le sens d’un mot va changer par rapport à son sens habituel : le mot
« vache » pour un lycée, « c’est mortel », « il craint », une « caisse », etc.
- d’une culture à l’autre, comment on se dit bonjour (on s’embrasse une fois, deux, trois, quatre, on se
sert la main, on se roule par terre, on se crache à la figure)
- d’une culture à l’autre, une même attitude, par exemple de prosternation, est différemment codifiée
(on se baisse un certain nombre de fois, on plie le genoux d’une certaine façon, etc.).
On peut remarquer que même les onomatopées, qui sont des mots dont le signifiant vise à imiter le
son produit par l’objet qu’elle désigne (meuh, ouaf-ouaf, miaou, vroum, clac, etc.), sont aussi arbitraires
et conventionnelles : d’une langue à l’autre elles changent, et ne relèvent donc pas d’une imitation
naturelle de l’objet.
On peut même dire que les onomatopées dérivent des moyens sonores dont dispose une langue (en
anglais, « cocorico » est imprononçable ; en français, l’anglais « cock-a-doodle-do » est imprononçable
également). Et par ailleurs, sur la base des onomatopées, on forme des verbes ou des mots qui respectent
les règles particulières à chaque langue : beugler, aboyer, miauler, vrombir, claquer, etc.
Aussi, du fait que le signe est à la fois arbitraire et conventionnel, cela implique une possibilité de
diversification infinie de l’usage du langage, puisque l’on peut toujours inventer des mots, ou plus
généralement des signes nouveaux, voire inventer des codes qui soient propres à un groupe et qu’on ne
puisse comprendre dans un autre groupe : codes secrets, mots utilisés entre nous, etc. Il suffit de
comprendre les règles de fonctionnement de ce code, pour pouvoir manipuler les signes correspondants.
La conclusion de cette première « sortie » doit évidemment nous ramener au texte de Descartes,
puisque c’est lui que nous prenons pour fil directeur.
Il est important, aussi, de lier ce premier point au deuxième.
III-
Le caractère humain universel du langage selon Descartes
Par cette première propriété, qui permet de statuer sur le cas particulier des muets qui, bien que
non doués de la parole (au sens verbal du terme), sont également doués du langage, Descartes
trouve un élément d’universalisation du langage aux hommes.
Dans un deuxième temps, il va s’efforcer de penser un premier critère d’exclusion des animaux
de la prétention à la possession du langage. Là encore, il s’agira de l’établir par la méthode de la
physique, en remontant des effets visibles aux causes invisibles.
2 - « faits à propos des sujets qui se présentent »
Dès le début de la deuxième partie (après le 1er point-virgule), après avoir fait l’assimilation entre
« paroles » et « autres signes », Descartes reprend la deuxième propriété du langage : les signes qu’on
utilise ne peuvent être considérés relever du langage qu’à une condition :
« et que ces signes soient à propos des sujets qui se présentent, pour exclure le parler des
perroquets, sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d’être à propos des sujets qui se
présentent, bien qu’il ne suive pas la raison ».
Ainsi le simple fait de prononcer un mot n’est pas automatiquement révélateur d’un usage ou de la
maîtrise du langage.
Référence à deux cas évoqués dans la première « question intermédiaire » sur le thème nature /
culture.
Les élèves doivent bien comprendre qu’on est toujours dans la même « grande question ».
On peut considérer deux cas particuliers :
- un jeune enfant qui prononce un mot ne l’utilise pas nécessairement comme mot, car il ne lui donne
pas spontanément un sens ; il peut prononcer les sons qu’il entend et qu’il se contente ainsi d’imiter.
- Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage, ne prononçait le mot « lait » qu’en présence d’un bol de lait,
ou pour exprimer son désir de lait. Mais jamais il n’a dit quelque chose sur le lait lui-même.
Descartes fait une double opération autour de cette propriété : d’abord une opération d’exclusion, qui
concerne les « perroquets », ensuite une opération d’inclusion qui intéresse les « fous » — ce qui
équivaut, comme dans le premier point, à une démarche d’universalisation du langage à tout être humain.
La méthode de Descartes apparaît ici de manière très claire : en opposant directement le « parler des
perroquets » avec celui des « fous », l’enjeu n’est pas que d’établir une différence. Il s’agit de savoir de
quel côté on peut situer, par hypothèse, la « parole » du perroquet.
Or, parce qu’aucune relation ne peut être établie entre les sons prononcés et un sujet de discussion, il
est évident que l’activité du perroquet peut être assimilée (non identifiée) au fonctionnement d’une
machine. Donc, la production de sons chez le perroquet peut être attribuée à des causes seulement
mécaniques.
- Exclusion du « parler des perroquets »
= les perroquets prononcent bien des sons qui correspondent aux mots que nous utilisons. Mais ces
sons n’ont aucunement valeur de mots, parce qu’ils sont utilisés hors de toute signification pour eux.
Ce qui nous le montre, extérieurement, c’est que ces sons ne se rapportent pas à un « sujet » de
discussion ; ils ne sont jamais « à propos », c’est-à-dire relatifs à un objet dont on parlerait. Ils sont
totalement détachés d’un contexte de discussion.
Autrement dit, les animaux ne répondent pas à une question qu’on leur pose, ils ne participent pas à
une conversation. Leurs « mots » ne révèlent aucune compréhension de ce dont on parle, et par là
peuvent être assimilés à une production purement mécanique de sons.
= encore une fois cela ne signifie pas que les perroquets soient de pures et simples machines ; cela
signifie qu’on n’a pas besoin de supposer la présence d’une âme chez le perroquet, pour rendre compte
des sons qu’il prononce, puisque ceux-ci ne traduisent aucune pensée.
- Inclusion du parler des « fous »
= les fous ne font pas qu’utiliser des sons. Ils utilisent bien des mots auxquels ils donnent un sens.
Même si leurs discours sont incohérents, c’est-à-dire « ne suivent pas la raison » comme dit Descartes,
sont délirants, ne correspondent pas à la réalité ; pourtant il s’agit bien de discours.
Autrement dit, il y a bien une certaine logique dans leurs paroles. Ils ne disent pas n’importe quoi. Ils
savent de quoi ils parlent, il y a des discussions possibles avec eux, ils ont une compréhension de ce
qu’ils disent et de ce qu’on leur dit, même si leur logique n’est pas la nôtre.
Donc, leur production de sons ne peut pas être purement mécanique ; elle relève bien d’une pensée qui
n’est pas réductible au seul fonctionnement mécanique du corps.
Les fous aussi sont donc bien des hommes, puisqu’ils utilisent le langage et qu’ils trahissent par là la
possession d’une âme.
_________________________
IV-
Objections au texte et réponses
Deuxième « sortie » par rapport au texte de Descartes.
On peut facilement soutenir que le perroquet « parle ». Mais au-delà, les verbes signifiant le fait de
« parler » sont souvent pris les uns pour les autres. La distinction conceptuelle est donc essentielle à faire.
Pour élargir la perspective sur ce point, il peut être utile de distinguer les différents types d’actions qui
peuvent être confondus avec le fait d’utiliser le langage :
- Exprimer
Lorsqu’on dit que le langage est un moyen d’expression, on donne une définition qui ne dit pas grandchose. Car si l’on s’intéresse à ce que c’est que l’expression, on verra que cette notion est beaucoup trop
large pour contenir la seule aptitude au langage.
= exprimer, dans le sens le plus courant qu’on donne à ce verbe, c’est être capable de donner une idée
de ce qu’on pense, de ce qu’on ressent, par l’usage qu’on fait des mots. On va ainsi s’exprimer, donner
son avis, montrer qu’on est d’accord ou non.
Mais on peut considérer aussi qu’une œuvre d’art exprime quelque chose, c’est-à-dire suscite,
provoque chez celui qui la contemple, un certain sentiment, une certaine émotion, alors que l’artiste luimême ne les a pas forcément ressentis. En ce sens on voit déjà que la notion même d’expression ne
relève pas forcément du langage, ou de l’usage des mots. On peut s’exprimer par bien d’autres choses
que des mots.
D’une manière générale, exprimer signifie, si l’on se base sur le mot lui-même : rendre extérieur,
extérioriser, manifester. L’expression, c’est proprement exercer une pression qui fait sortir (comme du
dentifrice). Par exemple, lorsqu’on se cogne fortement et qu’on crie, ce cri est bien provoqué par le choc
et du coup exprime la douleur, comme s’il la faisait sortir du corps.
Là encore, l’illustration se veut la plus concrète possible, la plus « parlante » possible. Une distinction
conceptuelle n’a de sens, me semble-t-il, que si elle est directement opératoire dans l’expérience
commune.
Ainsi n’y a-t-il pas besoin de vouloir dire pour exprimer quelque chose. Un regard peut exprimer
quelque chose et n’être pas compris, un clin d’œil, un sourire, etc., parce qu’il n’y a pas de code qui dise
explicitement ce qu’ils veulent dire.
De même, un visage, par lui seul, est expressif : il y a des gens qui, sans être tristes, ont un visage
triste ; des acteurs jouent toujours des rôles de salauds parce qu’ils ont des « gueules de salauds ».
- Communiquer
Communiquer au contraire renvoie, comme le mot l’indique, à quelque chose de commun. Quand il y
a communication, c’est qu’on a affaire à un émetteur d’un côté, et à un récepteur de l’autre. Il n’y a pas
forcément une volonté de dire quelque chose, mais du moins, une certaine attitude chez le premier va
donner lieu à une réaction chez le deuxième.
En somme, il y a bien entre les deux un certain code, qu’il soit conscient ou non, par lequel une
certaine information passe de l’un à l’autre.
Là encore, il ne faut pas réduire le fait de communiquer à l’usage du langage : on peut dire qu’entre un
prédateur et sa proie, il y a bien une sorte de communication, qui se traduit par la fuite de la deuxième
devant l’approche du premier.
Mais s’il y a information, il n’y a pas forcément échange.
- Dire
Dire, implique qu’on cherche à « dire quelque chose ». Il ne faut pas confondre cet acte avec celui de
parler, pris dans son sens large. On peut considérer, si l’on veut, que le perroquet « parle », c’est-à-dire
prononce des mots. Mais il ne comprend pas ces mots, autrement dit, il ne dit rien. De même l’enfant qui
commence à parler, et qui prononce des mots dont le sens lui échappe.
A l’inverse, on peut dire qu’un muet ne parle pas, parce qu’il n’utilise pas la parole, bien qu’il dise
quelque chose, parce qu’il sait formuler des phrases avec les gestes qu’il fait.
Remarquons que parler est un verbe intransitif : on peut donc parler pour ne rien dire.
Dire est un verbe transitif : on dit pour dire quelque chose, même si c’est pour cacher qu’on n’a rien à
dire.
Dès lors, dire implique qu’on utilise le langage avec l’intention de s’adresser à quelqu’un, même si
c’est à une photo, à un poisson rouge, ou encore à soi-même.
Par ailleurs, ce qui est essentiel, c’est que le fait de dire implique la possibilité que l’on réponde, et
qu’il y ait ainsi un échange entre l’émetteur et le récepteur, qui ainsi à tour de rôle passent d’un statut à
l’autre. Dire implique donc l’usage d’un moyen par lequel il puisse y avoir dialogue, discussion, ou
conversation ; ce moyen, ce ne peut être qu’une forme de langage.
La conclusion de cette deuxième « sortie » du texte doit nous ramener à lui. Il est important de
constater l’avancée de Descartes dans son analyse, et d’annoncer, là encore, le lien avec la troisième
démarche.
Par cette deuxième propriété, qui permet de statuer sur le cas particulier des fous qui, bien que suivant
leur propre logique, parlent « à propos » et sont donc doués du langage, Descartes a trouvé un deuxième
élément d’universalisation du langage aux hommes. Dans le même temps, il a exclu les animaux qui
semblent être les plus semblables aux hommes, les perroquets.
Mais pour que le critère de la parole soit absolument déterminant, il faut encore une troisième
condition (« et j’ajoute »).
3 - « sans se rapporter à aucune passion »
C’est le plus long passage du texte : « et j’ajoute que ces paroles ou signes (...) en sorte qu’ils les
peuvent faire sans aucune pensée ».
Pour ne pas alourdir la lecture du texte (déjà rendue difficile par les allers et retours que nous y
faisons), je ne fais pas le détour, ici, vers la théorie des passions de Descartes : passion de l’âme = action
du corps.
L’explication que Descartes donne, dans sa lettre, de ce qu’il désigne du nom de passion me semble
suffire à faire comprendre la distinction homme / animal, et plus généralement langage / réaction. Aller
au-delà risquerait de nous perdre.
Pour que ces paroles ou autres signes que nous prononçons soient bien représentatifs, extérieurement,
d’une pensée, c’est-à-dire ne puissent être expliqués de manière seulement mécanique, il faut encore
qu’elles ne résultent pas de nos passions.
Par ce critère, Descartes va pouvoir procéder à une double exclusion : celle des « cris de joie ou de
tristesse, et semblables », et celle de « tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ».
Autrement dit, certains comportements, qu’on trouve aussi chez les hommes (cris de joie et de
tristesse), ne sont pas significatifs d’une pensée, mais peuvent s’expliquer par le seul mécanisme du
corps ; au même titre que tout ce que peut accomplir un animal, par « artifice ».
- Exclusion des « cris de joie ou de tristesse, et semblables ».
Considérés en eux-mêmes, il ne s’agit pas de mots. Ils ne disent rien. Ils expriment la joie ou la
tristesse.
Nous avons vu plus haut que pour exprimer, il n’est pas besoin d’avoir l’intention de dire quelque
chose, c’est-à-dire de penser.
Dès lors, s’ils ne relèvent pas de la parole, on peut les comprendre comme une réaction du corps
devant une situation donnée. Ils ne manifestent aucune pensée véritable, mais seulement un plaisir ou un
déplaisir par quoi nous réagissons spontanément.
= de tels cris peuvent bien être des signes naturels de joie, tristesse, plaisir, déplaisir, mais en ce cas
ils relèvent bien plutôt du fonctionnement mécanique de notre corps que de l’expression de notre pensée.
= un cri de joie ou de douleur n’est poussé que dans la situation où l’on ressent de la joie ou de la
douleur. Autrement dit, ils dépendent directement, comme réactions, d’une situation qui en est la cause.
A l’opposé, il y a langage lorsqu’on peut parler de sa joie ou de sa douleur, la décrire, la nommer,
indépendamment d’une situation où on la ressent. Le discours n’est pas une réaction à cette situation. Il
est l’?uvre de la pensée, qui peut envisager nos sensations et nos sentiments indépendamment d’un
contexte où nous les ressentons.
Ce point apparaît confirmé par la deuxième exclusion :
- Exclusion de « tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ».
Descartes en donne l’explication par l’exemple de la pie, qui ne prononce une parole que dans un
contexte bien déterminé :
- d’abord c’est le résultat d’un apprentissage (« si on apprend à une pie à dire bonjour à sa
maîtresse »),
- cette action n’est accomplie que dans une situation donnée : « lorsqu’elle la voit arriver »,
- elle n’est possible que parce que cette « prolation » exprime « quelqu’une de ses passions », c’està-dire ici, de « l’espérance qu’elle a de manger »,
- laquelle passion ne repose que sur une habitude, puisqu’à chaque fois que la situation se présente,
on lui donne à manger (« si l’on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a
dit »).
En somme, la pie, mais également les « chiens », « chevaux », « singes », n’agissent que sous
l’impulsion « de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie ».
Il n’y a pas de compréhension de ce qu’on leur demande ; on ne fait que développer, par l’habitude,
un conditionnement auquel réagit leur corps. De tels comportements ne requièrent donc pas le recours à
la pensée pour être expliqués ; on peut en rendre compte par des causes mécaniques.
= ils ne déterminent pas leur comportement, de manière autonome, par rapport à une compréhension
du sens des signes. Il est déterminé en eux par réaction à un signal.
_______________________
V-
Langage et culture
Troisième « sortie » du texte de Descartes : la distinction à faire entre les notions de « signe » et de
« signal ».
Par là le lien sera sans doute plus net encore entre la réflexion sur le langage et celle sur la notion de
culture, puisqu’elle débouche sur la distinction dressage / éducation.
Le signal est d’une toute autre nature que le signe. Un signal n’est pas l’objet d’une compréhension,
comme le signe. Il n’a pas besoin d’être interprété pour qu’un sens soit saisi.
= le propre d’un signal, c’est de déclencher un comportement. Il joue en quelque sorte le rôle d’un
stimulus : un mot, un geste, une circonstance quelconque, va provoquer une réaction chez l’individu qui
le perçoit.
Ainsi l’action qui découle du signal ne relève pas de l’intelligence, mais d’une habitude, d’un
comportement conditionné. Du coup il déclenche toujours le même comportement, sans que celui-ci
relève d’une intention.
Il faut faire ici une distinction essentielle :
Cette distinction permet de conclure la réflexion menée depuis la première « question intermédiaire »
sur le thème de la culture.
- Si le langage n’y avait été évoqué que comme une des formes prises par la dimension culturelle de
l’homme,
- s’il avait été considéré comme un des moyens par lesquels pouvaient s’acquérir les autres pratiques
culturelles,
- s’il avait été défini comme l’une des aptitudes significatives du développement des potentialités
humaines chez l’individu (à travers le cas des enfants sauvages), et dont le non développement signifiait
par contrecoup l’absence d’une « nature humaine » en l’homme, d’un « instinct humain » en tout homme.
Le langage est clairement désigné ici comme la définition même de l’homme, puisque se trouve
explicitée la relation qu’on peut établir entre : langage, pensée, éducation, liberté, raison.
- Par le langage, on peut amener l’autre être humain à adopter un certain comportement : il n’y a pas
nécessairement besoin de lui montrer ce qu’on souhaite obtenir de sa part, ni de le menacer ou de le
récompenser.
= Il comprend les mots qu’on utilise. Ce qui permet de s’en rendre compte, c’est qu’il peut adopter les
mêmes comportements lorsque nous utilisons des mots différents pour dire la même chose, et qu’à
l’inverse il peut aussi en inventer d’autres lorsque nous utilisons les mêmes mots.
= Par l’éducation qui lui est donnée à travers l’usage des mots, et donc par la compréhension de ces
mots, l’enfant éprouve son humanité. Il développe sa capacité à l’autonomie grâce à l’usage de sa pensée.
L’éducation est donc le moyen de développer la liberté de l’individu, en tant qu’il se conduit selon la
raison.
- L’animal, quant à lui, adopte un comportement relativement uniforme. Si celui-ci correspond bien à
ce qu’on lui demande (« assis », « couché »), il ne peut pourtant pas adopter le même comportement si on
utilise des mots différents voulant dire la même chose. Aussi peut-on dire qu’il ne comprend pas les mots
qu’on lui dits : il réagit en fonction de son plaisir, de sa peur, de son désir, sans faire appel à une
quelconque pensée.
= C’est donc par rapport au ton ou aux gestes que son comportement est déterminé. Il s’agit alors de
dressage, non d’éducation. L’objectif est que l’animal ait un comportement totalement défini selon
l’ordre qui lui est donné. Le dressage se fait par l’exercice d’une contrainte = récompense, punition.
L’animal se comporte toujours de la même manière, en fonction d’un contexte qui est toujours le même.
C’est donc par les signes qu’on éduque, parce qu’ils s’adressent à la pensée, et qu’ils sollicitent ainsi
une appropriation personnelle de leur signification à travers un comportement individualisé.
C’est par les signaux qu’on dresse, qu’ils soient des mots, des gestes, des attitudes : ils ne sont pas
compris, ils installent seulement une habitude (ordre, obéissance, récompense), qui fait que l’animal
réagit toujours de la même façon à l’ordre qui lui est donné.
________________________
Ces différentes analyses étant faites, par lesquelles le langage se trouve précisément défini autour de
trois caractéristiques essentielles, Descartes tire une conclusion dans une troisième partie.
C’est ici qu’il énonce précisément sa position par rapport aux affirmations de Montaigne et de
Charron. Pour cela, il va faire un rappel de deux arguments déjà vus, et va en exposer un dernier.
4 - « la parole (...) ne convient qu’à l’homme seul »
Dans la dernière partie de sa lettre, Descartes fait le bilan des différents arguments qu’il a utilisés, en
montrant combien on doit, extérieurement, réserver l’usage du langage à l’homme seul.
Il énonce d’abord clairement son opposition à la thèse de Montaigne et de Charron, selon laquelle il
peut y avoir « plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête ».
Si la thèse de Montaigne laisse supposer qu’il n’y a, entre les hommes et certains animaux,
qu’une différence de degré, Descartes va insister en cette conclusion pour montrer qu’il y a une
différence de nature.
Pour bien établir celle-ci, il fait le rapprochement entre un homme et un animal dont les
qualités, selon le point de vue de Montaigne, sont censées les rendre presque identiques l’un à
l’autre : une « bête si parfaite », un « homme si imparfait ».
Entre les deux, Descartes va montrer que la différence de nature porte sur trois points : l’objet de
l’expression ; les organes de l’expression ; et plus généralement la faculté de l’expression.
a - l’objet de l’expression
« il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe,
pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses
passions ».
Descartes insiste sur le point qu’il a déjà établi auparavant : un animal ne communique jamais qu’en
rapport « à ses passions ».
Il utilise le terme de « signe », mais cela désigne en général tout ce qui relève de la communication
animale : mouvements, attitudes, cris, etc.
Ainsi la perfection de l’animal n’y fait rien (« aucune bête si parfaite ») ; la limite de l’animal quant à
la faculté d’exprimer une pensée, ne vient pas de ses qualités propres, mais de sa nature : dans ce qu’on
peut observer, extérieurement, on ne peut rien attribuer à quelque chose qui requiert une pensée pour être
exprimé ; tout peut être attribué à ses passions = au corps.
A l’opposé, « il n’y a point d’homme si imparfait », comme dit Descartes, c’est-à-dire si défavorisé
quant à la capacité de s’exprimer (« sourds et muets », et même « fous » comme il a été vu auparavant),
qui ne parvienne, d’une manière ou d’une autre, à exprimer « leurs pensées ».
Les hommes, quelles que soient leurs imperfections, ne sont pas limités à n’exprimer que leurs
passions. Ils peuvent toujours inventer « des signes particuliers », pour palier leurs déficiences, afin de
« dire » ce qu’ils pensent.
Or Descartes remarque qu’une telle capacité n’est pas seulement significative de la présence de la
pensée chez le muet ou le sourd, mais aussi et surtout du lien très particulier entre la faculté d’expression
et les organes permettant l’expression.
b - les organes de l’expression
« Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent
point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur
manquent ».
Si « les bêtes ne parlent point comme nous », comme dit Descartes, ce n’est pas parce qu’elles ne sont
pas douées des organes par lesquels nous-mêmes nous exprimons. L’explication de cette différence ne
peut relever du corps seulement, c’est-à-dire être de type seulement mécanique.
= certains animaux, dont le perroquet, sont doués d’une voix et de la capacité de prononcer des mots.
= sur le plan mécanique, le perroquet a tout pour parler comme nous ; il dispose même de plus de
moyens mécaniques que certains hommes — les muets.
Pourtant, les muets « parlent » alors que les perroquets « ne disent rien ».
= les muets « inventent des signes particuliers », en utilisant leur corps, qui n’est pas mécaniquement
pourvu du moyen de s’exprimer dont disposent les perroquets (la voix).
C’est donc que l’expression, chez eux, n’est pas dépendante de ces organes qu’ils n’ont pas, mais
trahit bien l’activité d’une pensée, qui trouve, dans la mécanique du corps, un moyen de substitution pour
s’exprimer — les gestes.
L’expression n’est donc pas réductible à une explication purement mécanique, à la constitution du
corps.
- En revanche, bien que certains soient munis des organes de la parole, les animaux n’expriment
toujours que leurs passions et jamais de pensée.
= au-delà de leur « perfection », l’expression peut être réduite, chez eux, à une explication d’ordre
mécanique : puisqu’ils ont les organes, rien ne les empêche, mécaniquement, de nous exprimer leur
pensée ; s’ils ne l’expriment pas, c’est qu’ils n’en ont pas.
La différence entre eux et les hommes « imparfaits », c’est-à-dire déficients sur le plan des organes de
l’expression, n’est pas une différence quantitative : bons ou mauvais organes ; elle est une différence
qualitative : pensée, ou pas pensée.
c - la faculté de l’expression
« Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car,
comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous
exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient ».
Ce qui justifie qu’on dénie aux animaux, non la faculté d’exprimer leur pensée, mais le fait d’être
doué de pensée, c’est qu’on doit leur reconnaître la faculté d’exprimer leurs passions.
Descartes souligne dans la dernière phrase qu’on ne peut admettre l’hypothèse que les animaux ont un
langage entre eux qu’on ne comprendrait pas : « on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que
nous ne les entendons pas », c’est-à-dire que nous ne les comprenons pas.
Ici encore le verbe est essentiel : il est bien question de « parler », c’est-à-dire de la capacité de dire
une pensée, et non d’exprimer une passion (peur, plaisir, etc.).
= les animaux peuvent en effet nous exprimer « leurs passions » : on sait quand un chien est triste, ou
quand il est content.
= par ailleurs, comme Descartes l’a souligné plus haut, nous pouvons apprendre aux animaux à
adopter certains comportements « par artifice », c’est-à-dire en jouant sur leurs passions.
C’est donc bien qu’il y a de la communication entre eux et nous, et entre nous et eux. Mais celle-ci
n’est possible que si elle porte, précisément, sur leurs passions. Dès lors :
- puisque sur le plan mécanique ils disposent parfois des organes de l’expression,
- puisque sur le plan mécanique ils parviennent à nous exprimer leurs passions,
- puisque mécaniquement leur manière de s’exprimer ne requiert aucunement la référence à une
pensée comme condition de compréhension de ce qu’ils expriment : il n’est rien qui ne puisse être
expliqué de manière mécanique et qui suppose l’existence d’une pensée,
nous pouvons affirmer, de ce point de vue extérieur, que les animaux n’ont pas de pensée qui
nécessiterait la possession d’une âme.
_____________________
Conclusion
Je conclus généralement l’étude de ce texte d’une manière relativement nuancée :
- Descartes lui-même est quelque peu indécis à la fin de la lettre, puisqu’il dit à propos des organes des
animaux qu’on « peut conjecturer qu’il y a quelque pensée jointe à ces organes » ; bien qu’il s’empresse
d’ajouter que les animaux ne peuvent penser « ainsi que nous » : Descartes refuse d’imaginer que les
huîtres et les éponges puissent être douées d’une âme.
- Certains élèves soutiennent qu’on en sait forcément plus, aujourd’hui, qu’à l’époque de Descartes,
sur la communication animale. C’est vrai, bien que nos connaissances ne remettent pas vraiment en cause
ce qu’il dit.
Voilà pourquoi, au minimum, je fais référence à quelques acquisitions plus « modernes », ou du moins
plus « récentes ».
Sur la communication animale, depuis Descartes :
- chez les animaux les plus proches de l’homme, c’est-à-dire certaines familles de singes, on ne trouve
principalement qu’une seule modalité de communication. Alors que chez l’homme on trouve deux
modalités de communication : injonctive, c’est-à-dire permettant de donner des ordres ou de formuler des
demandes (« viens », « donne », « va-t-en »), et déclarative, par quoi on donne des informations sur le
monde et sur soi-même (« je ne me sens pas très bien », « la pluie commence à tomber »).
Chez les chimpanzés, on ne trouve pratiquement que des énoncés de modalité injonctive. Ainsi ne
communiquent-ils pas, ou très peu, pour donner des informations sur leurs états intérieurs. Il n’y a pas
d’échanges sur le plan de la communication animale, de même que sur celui de la production et de
l’usage des outils.
Pour finir, le philosophe américain Daniel Dennett, a distingué trois niveaux de complexité de la
pensée, pour définir où se trouvent les singes les plus avancés, par rapport à l’homme :
- niveau 1 : un sujet agit pour qu’un autre fasse quelque chose. C’est ce qu’on remarque dans toutes les
formes de communication animale.
- niveau 2 : un sujet agit pour qu’un autre croie quelque chose. C’est le cas de certains animaux, dont
les singes (exemple des femelles, dans certains groupes, qui compensent une moins bonne mobilité en
faisant croire aux mâles à la présence de bananes sur la droite au loin dans la forêt, alors qu’elles sont sur
la gauche).
- niveau 3 : un sujet agit pour qu’un autre croie que le sujet lui-même croit quelque chose. Ce niveau
est réservé à l’humain ; il est le seul niveau où l’intention qui préside au message repose sur la dimension
de l’échange, d’un aller-retour entre celui qui délivre le message, et celui qui, le recevant, adopte une
attitude qui est elle-même significative pour l’émetteur.
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