Faut-il avoir peur de l`islam

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Faut-il avoir peur de l’islam ?
2 fév 2013 Rubrique: Société
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Charles Consigny explique qu’il y a un problème d’absorption de l’islam en France.
Pour lui, il y a davantage une cohabitation qu’un vivre-ensemble.
Photo d’illustration © Thomas Samson / AFP
C’est une enquête spectaculaire que publie Le Monde dans son édition du 26 janvier : réalisée
par Ipsos, elle indique que 74 % des Français estiment que l’islam est une religion
« intolérante », et que huit Français sur dix « jugent que l’islam cherche à imposer son mode
de fonctionnement aux autres ». Les médias s’en sont peu faits l’écho, tout mobilisés qu’ils
étaient par l’ennuyeux débat qui entoure le mariage pour tous.
Parler d’islam quand on n’est pas musulman, c’est tendu (comme disent les jeunes). Associer
islam et peur, c’est brûlant. Les accusations sont vite portées et tout ça est régi par la loi
pénale ; je la connais, je fais gaffe. Mais nier le réel, comme le font ceux qui prétendent qu’un
enfant peut avoir deux mères, ou faire comme s’il n’existait pas, comme François
Hollande qui estime qu’il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par
régler, c’est irresponsable ; on sait depuis longtemps que le progressisme consiste en un
mélange d’irresponsabilité et d’illettrisme (d’illettrisme, car le savoir enracine : il fait les
conservateurs).
Crise de civilisation
Si la politique suivie par les gouvernants actuels consiste à ne pas aborder les sujets qui
fâchent, cela n’aura eu jusqu’à maintenant aucun effet sur leur persistance, voire leur
expansion. On parle moins, aujourd’hui, de l’immigration, de la place de la religion
musulmane en France ou, plus généralement, des diverses crises qui secouent le pays (crise de
civilisation, crise de l’école, crise de la culture, crise de la langue, crise identitaire), et cela n’a
pas pour conséquence d’améliorer le sentiment populaire à leur égard ni, évidemment, de les
régler. Patrick Buisson répondra peut-être que c’est une des raisons du forage sondagier
entrepris par le président et son Premier ministre, ainsi qu’un des facteurs, sinon LE facteur de
crise (encore une) de confiance du peuple dans l’action de ses représentants (un autre sondage
récent indiquait qu’une très forte proportion de Français, plus de 70 %, considèrent que les
responsables politiques agissent avant tout dans leur intérêt personnel).
Moi, perso, je m’en fous un peu de l’islam. Comme je m’en fous un peu du mariage pour tous
: viendra le temps où je pourrai répondre, comme l’a fait mon confrère Vergès dans sa
dernière participation à l’émission Ce soir ou jamais, que « ce que font nos autorités morales
ou politiques, je m’en fous : tout ce qui m’intéresse, c’est ma vie privée, et mon métier
d’avocat ». Rétorquer ça à presque toutes les questions que lui posait Frédéric Taddéi, ça ne
manquait pas de panache. Mais je suis un patriote inquiet, tout ce qui concerne les environs de
Versailles me concerne et la religion musulmane est la deuxième de France. Elle ne l’est pas
par l’histoire, elle ne l’est pas par la place qu’elle a pris dans la construction du pays, elle l’est
par la population. Il est évident que les Français se réclamant de cette confession doivent être
respectés au même titre que tous les autres, car ici tous les hommes « naissent et demeurent
libres et égaux en droits ». Cela ne doit pas empêcher de voir ce que nous voyons sans
chausser les verres occultants de l’idéologie wierviorko-plénelienne.
Faces de craie
Quel constat peut-on poser sans langue de bois ? Qu’il y a un problème, aujourd’hui,
d’absorption de l’islam par la France. Que la situation est celle d’une cohabitation plus que
d’un vivre-ensemble. C’était à prévoir : on ne fait pas entrer 200 000 personnes par an sur un
territoire donné sans heurts. Il en découle un bouleversement démographique dont le produit
est imprévisible, et qui sera peut-être un changement de civilisation. Car la question se pose
davantage des enfants de l’immigration que de leurs parents : n’est-il pas troublant de voir des
jeunes gens parler des « Français » sans s’y inclure alors qu’ils en sont ? Qui peut accepter
que soient légion, dans des centaines de collèges et de lycées, les insultes francophobes ou
racistes à l’encontre des Blancs ? Comment peut-on accepter que des enfants soient traités de
« faces de craie » ? Ne peut-on pas regretter que ces faits ne soient pas condamnés avec plus
de vigueur et de visibilité par les musulmans modérés ?
Lorsque des intégristes catholiques viennent prier d’une façon grotesque devant l’Assemblée
nationale, Canal+ est là pour les moquer dans les plus brefs délais, et toute l’intelligentsia
avec, notamment des catholiques. Or aujourd’hui, au pays de Voltaire, plus personne n’oserait
monter la pièce Mahomet. N’y a-t-il pas de quoi être inquiet quand on sait, par exemple, que
le cheikh Al-Qaradaoui, qui fut accueilli avec vénération par les manifestants de la place
Tahrir pendant toute la révolution égyptienne, s’est rendu célèbre par des propos d’une grande
violence contre les Juifs, contre leur « arrogance », estimant qu’Hitler leur avait « administré
une bonne leçon » ? Pourquoi les médias font-ils comme s’il ne se passait rien ? Pourquoi
n’entend-on pas Christiane Taubira user de son éloquence, remarquable (reconnaissons-le),
pour dénoncer cela ? Le prétexte de l’utilisation du problème par l’extrême droite et de la peur
de la stigmatisation n’est que l’expression d’un manque de courage.
La France manque d’un chef
La place de l’islam en France ne peut être traitée ni par le rejet inconséquent d’une partie de la
droite, ni par la faiblesse coupable d’une partie de la gauche. C’est une des questions majeures
qui sont posées en ce début de siècle à quiconque a encore un peu d’espoir pour le pays de
Saint Louis, et qui croit que le pouvoir politique peut encore quelque chose. Car la
mondialisation libérale s’en moque : que nous sombrions en tant que peuple, que nous
n’ayons plus de destin commun, que ne continue pas ce qui a été entrepris depuis six ou sept
siècles n’a aucune importance du moment que les échanges commerciaux continuent.
La jeunesse d’aujourd’hui, hélas, est comme ça et il sera intéressant de voir si les responsables
politiques, funestement, s’y adaptent : elle ne veut plus de frontières, elle ne prendrait pas les
armes pour les défendre, elle préfère quitter le navire plutôt que d’essayer de le faire échapper
au naufrage. En un sens, elle est lâche et individualiste, c’est-à-dire en phase avec son époque.
Il sera intéressant de voir si, dans dix ou vingt ans, les mots de Malraux ou d’Ernest Renan
résonnent encore dans les discours électoraux. La candidate Joly a entamé le mouvement, en
2012, avec sa campagne totalement dénationalisée : les Verts sont parfois les alliés des
grandes compagnies pétrolières.
La France manque d’un chef, d’un cap, d’une envie, d’un désir. Elle ne fait plus écouter
Rameau, lire Ronsard ou entendre Racine à ses enfants, qui s’éloigneraient peut-être des
vociférations rappeuses s’ils s’imbibaient de ce triptyque en R. Elle ne leur fait plus voir
Poussin, ils préfèrent le street-art et le Palais de Tokyo s’adapte. Elle ne leur promet rien, ne
parle que de dialogue social, c’est-à-dire de chômage, et n’exige rien d’eux. À quels enfants la
laissons-nous ? Elle ne se vit plus comme une nation fière, comme une vieille terre glorieuse,
forte, auréolée de mille victoires, militaires et architecturales, musicales, littéraires. Elle ne
sait pas comment combattre dans la globalisation, son État colbertiste s’accordant mal avec
les principes européens de concurrence libre et non faussée. Et, fille aînée de l’Église, elle a
un peu de mal avec l’islam, qui a un peu de mal avec la laïcité telle qu’on la conçoit ici. Sauf
que parler de laïcité pour l’appliquer à l’islam ne sert à rien : il faut retrouver, collectivement,
un chef, un cap, une confiance, une envie, un désir.
Le Point.fr – Publié le 02/02/2013
Par CHARLES CONSIGNY
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