pharmaJournal 11 | 5.2010
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Pharmazie und Medizin · Pharmacie et médecine
Prévention des interactions médicamenteuses en officine
Lorsque le patient ne parle pas spontanément
de l’ensemble de son traitement
Jérôme Berger, Olivier Bugnon
Les patients suivant un traitement antirétroviral (cART, de l’anglais «combined
antiretroviral therapy») fréquentent parfois plusieurs pharmacies par souci
de discrétion: la cART est alors retirée dans une pharmacie loin du domicile
et/ou du lieu de travail et les autres traitements chroniques ou aigus, sur
ordonnance ou en OTC, dans une (ou plusieurs) pharmacie(s) proche(s) du
lieu de vie. Il y a manifestement risque d’interactions médicamenteuses qui
pourraient être évitées si le patient se rendait dans une seule pharmacie de
confiance.
ordonnance de Methergin® alors qu’elle
prend habituellement l’ensemble de ses
autres médicaments et ceux de sa famille
dans une seconde pharmacie qui n’est pas
au courant de son traitement antirétroviral.
L’association de ritonavir (puissant
inhibiteur du CYP3A4 [1]), de lopinavir
(inhibiteur modéré du CYP3A4 [1]) et
d’alcaloïdes de l’ergot de seigle
(essentiellement métabolisé par le
CYP3A4 [1]) est contre-indiquée.
Ceci est précisé dans la monographie
du Kaletra®: «Kaletra ne doit pas être
associé à des médicaments dont la
clairance dépend fortement du CYP3A
et pour lesquels une élévation de la
concentration plasmatique est
associée à des effets indésirables
graves et/ou engageant le pronostic
vital. Sont concernés les médicaments
suivants: […] les alcaloïdes de l’ergot
de seigle (p. ex. l’ergotamine, la
dihydroergotamine, l’ergométrine et
la méthylergométrine), car la marge
thérapeutique de ces substances est
étroite».
Ainsi que dans la monographie de
Methergin®: «L’utilisation combinée
de Methergin et d’inhibiteurs
puissants du CYP3A tels que les
antibiotiques du groupe des macro-
lides (p.ex. troléandomycine, érythro-
mycine, clarithromycine), d’inhibi-
teurs de la protéase du VIH ou de la
transcriptase inverse (p. ex. ritonavir,
indinavir, nelfinavir, délavirdine)
ou d’antimycotiques azolés (p. ex.
kétoconazole, itraconazole, voricona-
zole) doit être évitée».
En cas d’association, la diminution
de la métabolisation de l’alcaloïde de
l’ergot de seigle entraîne une
augmentation de sa concentration
plasmatique qui peut conduire à un cas
d’ergotisme: diminution de la perfusion
des membres périphériques, voire
d’organes vitaux, manifestée par des
troubles gastro-intestinaux (nausées,
vomissements, douleurs abdominales),
des symptômes neurologiques (maux de
tête, étourdissements, perte de
conscience), des vasospasmes ou des
thromboses [2].
Plusieurs cas d’ergotisme liés à la
prise concomitante de ritonavir et
d’alcaloïdes de l’ergot de seigle sont
décrits dans la littérature. Il s’agit toujours
de cas liés à des doses thérapeutiques et
survenant généralement en l’espace de
quelques jours (voir tableau 1). Une
patiente était toujours dans un coma
stade I (dit coma vigil) deux ans après la
survenue de l’incident [2].
Discussion
Tout porte à croire qu’une grave interaction
a été évitée «par chance»! Ce cas illustre
les limites auxquelles sont confrontés
médecins et pharmaciens lorsqu’un
patient choisit (ou oublie!) de parler
d’une pathologie ou d’un traitement.
Certains patients retirent par souci
de confidentialité leurs médicaments
dans deux pharmacies différentes, p. ex.
Tableau 1: Décours temporel de quelques cas d’ergotisme liés à la prise de
ritonavir et d’alcaloïdes de l’ergot de seigle
Posologie de l’alcaloïde de
l’ergot de seigle
Durée avant la survenue
des symptômes Référence
1 mg 3 fois par jour < 4 jours [2]
0,75 mg en prise unique 1 mois [3]
3,0 mg répartis en 10 prises sur 5 jours 5 jours [4]
1 mg en prise unique quelques heures [5]
1 à 2 mg par jour 10 jours [6]
Discrétion, confidentialité et profession-
nalisme sont des éléments importants
que les patients souhaitent trouver auprès
de leur médecin ou pharmacien. Malgré
tout, certaines personnes préfèrent ne pas
annoncer prendre des traitements comme
les antirétroviraux à un médecin ne les
suivant pas habituellement ou lors de
remise de médicaments dans une
pharmacie ne connaissant pas l’ensemble
de leur traitement.
Le cas
Une patiente de 1983 ne parlant pas
français, sous traitement Truvada®
(emtricitabine/ténofovir) et Kaletra®
(lopinavir/ritonavir) s’est présentée à une
consultation ambulatoire de gynécologie
où elle s’est vue prescrire:
Methergin® (méthylergométrine),
1 dragée 3 fois par jour durant 7 jours
Cette patiente est connue de la
pharmacie où elle vient retirer
régulièrement sa cART. Par commodité,
elle est venue ce jour-là avec son