Lorsque le patient ne parle pas spontanément de l`ensemble de son

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Prévention des interactions médicamenteuses en officine
Lorsque le patient ne parle pas spontanément
de l’ensemble de son traitement
Jér ô m e B e rg e r, O l i v i e r B u g n o n
Ainsi que dans la monographie de
Methergin®: « L’ u t i l i s a t i o n c o m b i n é e
de Methergin et d’inhibiteurs
p u i s s a n t s du CYP3A tels que les
antibiotiques du groupe des macro­
lides (p.ex. troléandomycine, érythro­
mycine, clarithromycine), d’inhibi­
teurs de la protéase du VIH ou de la
transcriptase inverse (p. ex . ritonavir,
Discrétion, confidentialité et profession­ ordonnance de Methergin® alors qu’elle i n d i n a v i r, n e l f i n a v i r, d é l a v i rd i n e )
nalisme sont des éléments importants prend habituellement l’ensemble de ses o u d ’ a n t i m y c o t i q u e s a z o l é s ( p. e x .
que les patients souhaitent trouver auprès autres médicaments et ceux de sa famille kétoconaz ole, itraconaz ole, voricona­
de leur médecin ou pharmacien. Malgré dans une seconde pharmacie qui n’est pas z ole) doit être évitée».
tout, certaines personnes préfèrent ne pas au courant de son traitement antirétroviral.
En cas d’association, la diminution
annoncer prendre des traitements comme
L’association de ritonavir (puissant de la métabolisation de l’alcaloïde de
les antirétroviraux à un médecin ne les inhibiteur du CYP3A4 [1]), de lopinavir l’ergot de seigle entraîne une
suivant pas habituellement ou lors de (inhibiteur modéré du CYP3A4 [1]) et augmentation de sa concentration
remise de médicaments dans une d’alcaloïdes de l’ergot de seigle plasmatique qui peut conduire à un cas
pharmacie ne connaissant pas l’ensemble (essentiellement métabolisé par le d’ergotisme: diminution de la perfusion
de leur traitement.
CYP3A4 [1]) est contre-indiquée.
des membres périphériques, voire
Ceci est précisé dans la monographie d’organes vitaux, manifestée par des
Le cas
du Kaletra®: «Kaletra ne doit pas être troubles gastro-intestinaux (nausées,
a s s o c i é à des médicaments dont la vomissements, douleurs abdominales),
Une patiente de 1983 ne parlant pas clairance dépend fortement du CYP3A des symptômes neurologiques (maux de
français, sous traitement Truvada® e t p o u r lesquels une élévation de la tête, étourdissements, perte
de
(emtricitabine/ténofovir) et Kaletra® c o n c e n t r a t i o n
plasmatique
e s t conscience), des vasospasmes ou des
(lopinavir/ritonavir) s’est présentée à une a s s o c i é e à d e s e f f e t s i n d é s i ra b l e s thromboses [2].
consultation ambulatoire de gynécologie g ra v e s et/ou engageant le pronostic
Plusieurs cas d’ergotisme liés à la
où elle s’est vue prescrire:
vital. Sont concernés les médicaments prise concomitante de ritonavir et
Methergin® (méthylergométrine),
suivants: […] les alcaloïdes de l’ergot d’alcaloïdes de l’ergot de seigle sont
1 dragée 3 fois par jour durant 7 jours
d e s e i g l e ( p. e x . l ’ e r g o t a m i n e , l a décrits dans la littérature. Il s’agit toujours
Cette patiente est connue de la d i hy d r oergotamine, l’ergométrine et de cas liés à des doses thérapeutiques et
pharmacie où elle vient retirer l a m é t hylergométrine), car la marge survenant généralement en l’espace de
régulièrement sa cART. Par commodité, t h é ra p eutique de ces substances est quelques jours (voir tableau 1). Une
elle est venue ce jour-là avec son é t r o i t e ».
patiente était toujours dans un coma
stade I (dit coma vigil) deux ans après la
survenue de l’incident [2].
Tableau 1: Décours temporel de quelques cas d’ergotisme liés à la prise de
ritonavir et d’alcaloïdes de l’ergot de seigle
Discussion
Les patients suivant un traitement antirétroviral (cART, de l’anglais «combined
antiretroviral therapy») fréquentent parfois plusieurs pharmacies par souci
de discrétion: la cART est alors retirée dans une pharmacie loin du domicile
et/ou du lieu de travail et les autres traitements chroniques ou aigus, sur
ordonnance ou en OTC, dans une (ou plusieurs) pharmacie(s) proche(s) du
lieu de vie. Il y a manifestement risque d’interactions médicamenteuses qui
pourraient être évitées si le patient se rendait dans une seule pharmacie de
confiance.
Posologie de l’alcaloïde de
l’ergot de seigle
Durée avant la survenue
des symptômes
Référence
1 mg 3 fois par jour
< 4 jours
[2]
0,75 mg en prise unique
1 mois
[3]
3,0 mg répartis en 10 prises sur 5 jours
5 jours
[4]
1 mg en prise unique
quelques heures
[5]
1 à 2 mg par jour
10 jours
[6]
pharmaJournal 11 | 5.2010
Tout porte à croire qu’une grave interaction
a été évitée «par chance»! Ce cas illustre
les limites auxquelles sont confrontés
médecins et pharmaciens lorsqu’un
patient choisit (ou oublie!) de parler
d’une pathologie ou d’un traitement.
Certains patients retirent par souci
de confidentialité leurs médicaments
dans deux pharmacies différentes, p. ex.
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une première officine pour une cART, une
seconde pour les autres médicaments.
Dans le cas de la pharmacie délivrant la
cART, il est important de rappeler au
patient
le
risque
d’interactions
médicamenteuses lié à l’emploi de ces
médicaments et de lui conseiller
d’annoncer spontanément son traitement
lors du retrait de tout médicament. Il est
aussi possible de conseiller au patient de
contacter le pharmacien par téléphone
avant de retirer ou d’acheter des
médicaments dans une autre pharmacie.
Lors du renouvellement de toute
ordonnance, il est utile de demander
directement si d’autres médicaments sont
parfois utilisés.
Le rôle de la seconde pharmacie
délivrant les traitements «hors cART» est
plus complexe et sa marge de manœuvre
pharmaJournal 11 | 5.2010
limitée au fait que le patient parle ou non
de son infection VIH et/ou de ses
médicaments. Assurer la confidentialité
du patient nous semble la meilleure façon
de lever cet obstacle: parfois le patient
craint que les emballages de médicaments
puissent être vus par d’autres personnes,
mais accepte de discuter de son traitement
si l’environnement est favorable.
Finalement, il est important de
rappeler au public et aux médecins qu’il
est préférable que les patients soient
fidèles à une seule pharmacie connaissant
l’ensemble de leur traitement.
z
Littérature
[1] Interactions médicamenteuses et cytochromes P450
(Service de pharmacologie des HUG): http://
pharmacoclin.hug-ge.ch/_library/pdf/cytp450.pdf
(consulté le 16.04.10)
[2] Irreversible coma, ergotamine and ritonavir. C. Pardo Rey
et al. Clinical Infectious Diseases. 2003; 37: e72–73
[3] Ergotism caused by concurrent use of ritonavir and ergot
alkaloids: a case report. A. Catagay et al. Acta Chirurgica
Belgica. 2009; 109: 639–640
[4] Severe ergotims associated with interaction between
­ritonavir and ergotamine. L. Liaudet et al. British Medical
Journal. 1999; 318: 771
[5] Leg ischemia in a patient receiving ritonavir and
ergotamine. A. Montero et al. Annals of Internal Medicine.
Adresses de correspondance
Dr Jérôme Berger et Prof. Olivier Bugnon
Pharmacie de la Policlinique Médicale Universitaire
1999; 130 (4): 329
[6] Ergotism related to concurrent administration of
ergotamine tartrate and ritonavir in an AIDS patient. F.J.
Rue du Bugnon 44
Caballero-Granado et al. Antimicrobial agents and
1011 Lausanne
chemo­therapy. 1997; 41 (5): 1207
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