HEGEL La Religion
une forme de la pensée, c'est-à-dire le rationalisme qui selon l’auteur « s’oppose à la philosophie »
(ligne 12). C’est là la définition, cette fois contenue dans le texte, qu’il fait de l’entendement. La raison
n’étant définie que comme contenu spéculatif et parachèvement de la forme du concept concret, sans
que ces termes ne soient eux-mêmes définis.
Alors, évidemment, le rationalisme n’est pas ici une discipline de la raison, du moins pas
telle que Hegel la définit. C’est en ce sens qu’il rappelle que s’il « a toujours à la bouche le mot
raison (…) il ne s’agit [toutefois] que d’un entendement sec, abstrait ».
Il est donc clair que ce qu’il reproche à « la théologie moderne » (ligne 9) et, partant, à la partie
théorique de la religion, c’est bien d’avoir manqué son objectif, c'est-à-dire la compréhension de son
contenu, l’absolu, du fait de n’avoir eu de foi qu’en une forme livide (d’où l’expression « caput
mortuum ») de la pensée : le seul entendement, le seul concept abstrait identique à lui-même.
Seulement, au même moment dans ce texte, le lecteur se trouve comme confronté à une
contradiction car ce rationalisme, pourtant propre à la partie théorique de la religion, ne s’oppose pas à
la philosophie seulement pour sa forme mais « pour le contenu et la forme. » (ligne 12) alors qu’en son
début le texte n’évoquait qu’une opposition quant-à la forme.
La réponse à cette difficulté se situe probablement en aval du texte. Hegel distingue en effet dans
la religion deux courants de pensée, qui sont déjà annoncés en filigrane dans la première partie : le
rationalisme et le supranaturalisme. La religion de manière générale a pour contenu l’absolu. En cela
elle est comparable à la philosophie. Mais comme il y a un échec de la religion à véritablement
appréhender l’absolu, celle-ci se trouve obligée de faire appel aux mythes et, partant à l’imagination,
pour combler le vide créé par la pensée d’entendement qui, elle, tant du point de vue de sa forme que du
point de vue de son contenu, est incapable de rendre compte de l’absolu autrement que sous la forme de
mystères. En quoi elle s’oppose alors tant par la forme que par le contenu à la philosophie, car par sa
forme elle manque totalement, pour ainsi dire, l’absolu, c'est-à-dire son contenu. Ce qui laisse une place
privilégiée, en quelque sorte, au supranaturalisme qui bien que « dépourvu d’esprit » (ligne 21) est
néanmoins « d’accord avec la philosophie » « en ce qui concerne le vrai contenu ». (ligne 19) Qu’en
est-il exactement ?
II Tout d’abord quel est ce contenu du rationalisme qui s’oppose à la philosophie ? Ensuite en
quoi sa forme s’oppose-t-elle à la philosophie ?
Ce rationalisme est une pensée d’entendement. Or l’entendement doit être ici, mais aussi dans
toute l’œuvre de Hegel, compris dans son sens le plus courant, à savoir comme faculté des jugements.
Mais il s’agit de jugements soumis à la logique générale, celle qui chez Kant dans la Critique de la
Raison Pure définit le canon de la connaissance. Cette logique est la logique traditionnelle que l’on
connaît depuis Aristote et qui a pour principe fondateur le principe de contradiction. Tout raisonnement,
de ce point de vue, doit obéir à ce principe et par conséquent n’admettre aucune contradiction. Le but de
cette logique est de développer des jugements universels et nécessaires (apodictiques). La condition de
cette nécessité est que tout jugement soit circonscrit dans le cadre d’une expérience possible dans le
temps et dans l’espace, car on ne peut nier, avec Kant dans la première partie de la Critique, que le
temps et l’espace sont bien des intuitions nécessaires et universelles : nul ne peut en effet ne serait-ce
qu’imaginer qu’il n’y ai pas de temps ou pas d’espace.
Mais si l’on se contente de cette logique et de cette contrainte de l’apodictique aucune
contradiction ne peut être comprise autrement que comme erreur, voire comme illusion. Dès qu’un
jugement s’opérera en dehors du cadre du temps et de l’espace, dès qu’il prendra pour contenu des
objets qui ne sont pas ainsi délimités, finis, alors, selon le rationalisme kantien, il se perdra en de vaines
considérations. C’est pourquoi Hegel écrit ici que « Ce rationalisme (…) réduit tout le reste à de simples
finitudes dans l’espace et dans le temps ». (ligne 15)