Les Etats-Unis ont, comme tous les pays du monde, connu des chefs d’Etat remarquables. George Washington (1732-1799) prit la tête de l’armée pendant la guerre d’Indépendance et participa à l’élaboration de la Constitution américaine. Thomas Jefferson (1743-1826) négocia avec Napoléon la vente de la Louisiane (un territoire de plus de deux millions de kilomètres carrés), doublant ainsi la superficie du pays. Les négociations de paix avec la France lui permirent de plus de réduire les dépenses militaires. Abraham Lincoln (1809-1865) sauva l’Union et mit fin à l’esclavage. Il tint ses promesses de campagne en mettant en place un système bancaire national et en lançant la construction d’un transcontinental. Les Nord-Américains ont souvent de l’affection pour Teddy Roosevelt (1858-1919) qui créa le réseau des parcs nationaux. Sa médiation dans la guerre russo-japonaise lui valut le prix Nobel de la paix. Franklin D. Roosevelt (1882-1945) mit en œuvre le New Deal en 1933, alors que les USA traversaient une crise économique sans précédent. Il sortit le pays de la Grande dépression. John F. Kennedy (1917-1963) mit en œuvre une politique d'égalité des genres et lutta contre la ségrégation, en soutenant le mouvement afro-américain des droits civiques. Lindon B. Johnson (1908-1973) signa le Civil Rights Act en juillet 1964, abolissant officiellement la ségrégation. Bill Clinton (1946) a laissé un bon souvenir puisque son mandat a été marqué par la plus longue période d'expansion économique en temps de paix de l'histoire moderne américaine. Mais les USA, comme les autres pays, ont aussi connu aussi de mauvais présidents. James Buchanan (1791-1868) est souvent considéré comme l’un des pires pour la politique inepte qu’il mena au cours des années qui précédèrent la Guerre de Sécession – politique qui contribua d’ailleurs à la faire éclater. Warren Harding (1865-1923) freina les réformes progressistes de ses prédécesseurs. Son mandat fut marqué par une série de scandales impliquant son gouvernement et ses amis. Autant dire que lui non plus n’a pas laissé un souvenir impérissable. C’est à George W. Bush que le monde doit la guerre en Irak (entreprise, comme on sait, sous des prétextes fallacieux). Ses sbires et lui n’ont pas lieu d’être fiers : alors que l’Irak est le dixième producteur de pétrole, son indice de développement humain1 le situe au cent trente-deuxième rang mondial sur 187. Les tensions communautaires entre chiites, sunnites et kurdes restent très vives et aucun équilibre politique durable n’a été trouvé. Les chrétiens ont quasiment tous fui le pays, également déstabilisé par la guerre civile en Syrie2. On peut aussi mettre au crédit de Bush & co le développement de l’anti-américanisme dans de nombreux pays étrangers. Enfin, lors du passage de l’ouragan Katrina qui dévasta la Nouvelle-Orléans en 2005, l’ampleur du chaos provoqua une violente polémique sur les choix de son administration, accusée d’avoir sacrifié la sécurité de son pays à son obsession de la lutte antiterroriste3. Je crois que c’est le fait de voir arriver à nouveau à la Maison blanche un pauvre type (le fait de crouler sous l’argent et d’être un pauvre type ne me paraît en rien incompatible) qui m’a poussée à m’intéresser de plus près aux présidents étasuniens. Et dans la série des imbéciles, j’en ai découvert un qui n’a rien à envier à personne : Andrew Johnson, dont la biographie suit. On comprend en la lisant pourquoi le Sud des USA est resté si longtemps raciste – il semblerait d’ailleurs que la situation n’y soit pas encore parfaite. Les conséquences de l’action d’un crétin pouvant s’avérer si longues, je souhaite bien du courage aux Nord-Américains … 1 L’IDH, créé par le Programme des Nations Unies pour le Développement en 1990 cherche à évaluer le niveau de développement humain des pays du monde. Il prend en compte la santé et la longévité, le niveau d’éducation et le niveau de vie. 2 Source : https://fr.sputniknews.com/points_de_vue/20130106197140576/ 3 Source : http://www.diploweb.com/L-ouragan-Katrina-les-lecons-d-un.html Traduction et adaptation : Karin Lafont-Miranda, 2017 1 Andrew Johnson Andrew Johnson was a stubborn, racist politician. (Eric Foner, historien) ENFANCE ET JEUNESSE Andrew Johnson naquit à Raleigh, en Caroline du Nord, en 1808. Son père mourut quand il avait trois ans, laissant la famille dans la pauvreté. Sa mère travailla comme blanchisseuse et couturière pour joindre les deux bouts. Pendant son enfance, Andrew souffrit du mépris des classes supérieures et développa en retour une croyance La maison d’enfance de Johnson en la suprématie blanche, qu’il conserva toute sa vie. Polly Johnson et son second mari placèrent Andrew et son frère William en apprentissage chez un tailleur local. Souffrant de leurs conditions de travail, les adolescents s’enfuirent ; ils filèrent entre les doigts de la police qui les recherchait pour les ramener à leur patron et s’employèrent comme tailleurs itinérants. Quand ils rentrèrent chez eux, la famille déménagea à Greeneville, dans le Tennessee. Johnson y ouvrit un atelier, vite florissant, et épousa Eliza McCardle en 1827. Elle l’aida à parfaire sa formation autodidacte et le conseilla sur ses investissements. Elle souffrait de tuberculose mais malgré sa maladie, elle resta le soutien constant de Johnson durant leurs cinquante ans de mariage. PREMIERS PAS EN POLITIQUE Johnson s’intéressait de plus en plus à la politique et son atelier devint un lieu de réunion et de discussion. Il obtint le soutien de la classe ouvrière locale et se fit l’avocat des travailleurs. Il devint conseiller municipal en 1829 et fut élu maire de Greeneville cinq ans plus tard. Après la rébellion de Nat Turner1, en 1831, le Tennessee se donna une Eliza McCardle nouvelle constitution qui privait les noirs libres du droit de vote. Johnson soutint ce texte et fit campagne dans tout l’Etat pour sa ratification, ce qui contribua à le faire connaître. En 1835, il fut élu membre de l’assemblée du Tennessee ; il soutint la politique démocrate d’Andrew Jackson2, plaidant pour les pauvres et s’opposant aux dépenses inutiles du gouvernement. Fervent anti-abolitionniste, il tenta de renforcer les prérogatives des Etats, tout en restant un défenseur enthousiaste de l’Union. 1 Nat Turner conduisit une révolte dans le comté de Southampton en Virginie. Cet épisode de violence extrême de la part d'esclaves noirs mena à une répression sanglante et à l'émergence de nouvelles lois dans les Etats du Sud, plus restrictives encore vis-à-vis des esclaves. 2 Septième président des Etats-Unis de 1829 à 1837. Traduction et adaptation : Karin Lafont-Miranda, 2017 2 MEMBRE DU CONGRES ET GOUVERNEUR DU TENNESSEE En 1843, Johnson devint le premier démocrate du Tennessee élu au Congrès des Etats-Unis. Il rejoignit la majorité démocrate à la Chambre des représentants, affirmant que l’esclavage était essentiel pour préserver l’Union. Ceci l’éloigna de ses compatriotes du Sud qui commençaient à parler de faire sécession si l’esclavage était aboli. Pendant son cinquième et dernier mandat, le parti Whig1 gagna du terrain au Tennessee et Johnson comprit que ses chances de réélection s’amenuisaient. En 1853, il fut élu gouverneur du Tennessee. Pendant ses deux mandats, il essaya de favoriser une fiscalité conservatrice et affirma des points de vue populistes. Il trouva cependant l’expérience frustrante, étant donné que les pouvoirs constitutionnels du gouverneur se limitaient à émettre des suggestions, sans droit de veto. Homesteaders devant une maison de fortune L’élection présidentielle de 1856 approchant, Johnson envisagea brièvement d’entrer dans la course à la Maison blanche, mais sans envergure nationale, il préféra tenter de gagner un siège au Sénat. La campagne fut rude car de nombreux dirigeants démocrates désapprouvaient ses vues populistes. Après son élection, la réaction de la presse d’opposition fut immédiate et cinglante. Le Richmond Whig le dépeignit même comme "le radical le plus vil et le démagogue le moins dénué de scrupules de l’Union." Une fois au Sénat, Johnson tenta de faire passer le projet de loi Homestead Act qui aurait permis à chaque famille pouvant justifier qu'elle occupait un terrain depuis cinq ans d'en revendiquer la propriété privée. Ce projet rencontra une forte opposition de la part de nombreux démocrates du Sud qui craignaient que la terre ne soit attribuée à des Blancs pauvres et à des immigrants qui n’auraient pas les moyens de s’acheter des esclaves ou n’en voudraient pas. Un projet très amendé fut voté, auquel le Président Buchanan opposa son veto. Durant le reste de son mandat, Johnson conserva un cap indépendant, s’opposant à l’abolition tout en continuant d’exprimer sa dévotion à l’Union. L’ADMINISTRATION LINCOLN Après l’élection d’Abraham Lincoln en 1860, le Tennessee fit sécession. Andrew Johnson rompit avec son Etat d’origine et devint le seul sénateur du Sud à conserver son siège au Sénat. Il fut diffamé dans le Sud, on confisqua sa propriété, on expulsa sa femme et ses deux 1 Le Parti whig était un parti politique américain de la droite libérale, créé durant l'hiver 1833-1834 pour s'opposer à la politique du président Andrew Jackson. Traduction et adaptation : Karin Lafont-Miranda, 2017 3 filles de l’Etat du Tennessee. Cependant, sa passion pour l’Union ne passa pas inaperçue au sein de l’équipe de Lincoln. C’est ainsi que quand les troupes de l’Union occupèrent le Tennessee en 1862, Lincoln nomma Johnson gouverneur militaire. Ce dernier se trouva dans la position d’un équilibriste, tendant un rameau d’olivier à ses compatriotes tout en exerçant les pouvoirs donnés par le gouvernement fédéral contre les rebelles. Il ne parvint pas à contrôler totalement les insurgés du Tennessee qui, conduits par le général conféré Nathan Bedford Forrest, opéraient des descentes dans les villes à leur guise. Johnson était initialement opposé à la Proclamation d’émancipation, mais après avoir obtenu une exemption pour le Tennessee et compris qu’il s’agissait d’un outil important pour mettre fin à la guerre, il l’accepta. Les journaux du Sud l’accusèrent de faire volte-face dans le but de pousser sa carrière, mais son attitude décida plus tard Lincoln, inquiet de ses chances de réélection, à choisir Johnson comme vice-président afin d’équilibrer son ticket. Andrew Johnson vers 1860 Après plusieurs victoires de l’Union, très médiatisées pendant l’été et l’automne 1864, Lincoln fut finalement réélu haut la main. 17EME PRESIDENT DES ETATS-UNIS Le 14 avril 1865, alors qu’il passait la soirée au Ford's Theater à Washington, le président Abraham Lincoln fut abattu par John Wilkes Booth et mourut le matin suivant. Johnson constituait également une cible mais celui qui devait l’assassiner ne se présenta pas. Trois heures après le décès de Lincoln, Andrew Johnson prêtait serment en tant que dix-septième président des Etats-Unis. Par une étrange ironie de l’histoire américaine c’est donc le Sudiste raciste qui se trouva en charge de la reconstruction du Sud et de l’extension des droits civils et du droit de vote des anciens esclaves noirs. Il devint rapidement évident que Johnson ne contraindrait pas les Etats du Sud à accorder l’égalité aux anciens esclaves, installant de ce fait une confrontation avec les parlementaires républicains qui avaient besoin des suffrages des Noirs, essentiels pour promouvoir leur influence politique dans le Sud. Les travaux du Congrès étant suspendus pendant les huit premiers mois de son mandat, Johnson mit pleinement à profit l’absence des législateurs pour mettre en œuvre sa propre politique, accordant rapidement l’amnistie à tout rebelle qui prêterait serment d’allégeance. Il en résulta que beaucoup d’anciens Confédérés furent élus dans des instances des Etats du Traduction et adaptation : Karin Lafont-Miranda, 2017 4 Sud et instituèrent des "codes noirs" qui, pour l’essentiel, consistaient à maintenir l’esclavage. Plus tard, Johnson étendit ces amnisties aux officiers confédérés de haut rang. Quand le Congrès se réunit à nouveau, ses membres exprimèrent leur indignation devant la clémence des ordres donnés par le Président et le peu de cas qu’il avait fait des droits civils des Noirs. En 1866, le Congrès vota le projet de loi du Freedmen's Bureau1, qui accordait les mesures indispensables à la protection des anciens esclaves et à leurs droits devant la justice. Il vota ensuite le Civil Rights Act, définissant "toute personne née aux Etats-Unis et n’étant assujettie à aucune puissance étrangère, excluant les Indiens non sujets à l’impôt," comme citoyen. Johnson opposa son veto à ces deux mesures car il pensait que les Etats du Sud n’étaient pas représentés au Congrès et que les décisions relatives au suffrage relevaient de la responsabilité des Etats, non du gouvernement fédéral. Le Congrès passa outre. En juin, le Congrès approuva le Quatorzième Amendement2 et le fit parvenir aux Etats pour ratification : il fut accepté moins d’un mois plus Portrait officiel tard. Dans une nouvelle interprétation de la clause Advise and Consent3 de la Constitution, le Congrès fit également passer le Tenure of Office Act4, qui refusait au président le pouvoir de renvoyer des membres du gouvernement sans l’accord du Sénat. En 1867, le Congrès fit appliquer les mesures de Reconstruction dans les anciens Etats confédérés par des militaires, afin d’imposer les droits sociaux et politiques des Noirs du Sud. Le président Johnson contre-attaqua, en appelant directement au peuple dans une série de discours lors de l’élection des membres du Congrès de 1866. En diverses occasions, il apparut que Johnson avait trop bu et qu’il cherchait à éveiller l’hostilité plutôt qu’à convaincre le public. Cette campagne fut désastreuse et Johnson dut faire face à une désaffection croissante du peuple. Les Républicains radicaux remportèrent une écrasante victoire aux élections de mimandat. Johnson vit alors sa position de président vaciller : il avait perdu le soutien du Congrès et celui du peuple. Il pensa que la seule alternative consistait à disqualifier le Tenure of Office Act comme une violation de son autorité constitutionnelle. En août 1867, il renvoya le Secrétaire de la guerre, Edwin Stanton, avec qui il avait eu plusieurs altercations. En 1 Le « Bureau des réfugiés, affranchis et terres abandonnées » était une agence gouvernementale, créée en 1865, dans le but d’aider les esclaves affranchis du Sud pendant l’Ere de reconstruction des Etats-Unis et de changer la société des anciens Etats confédérés. 2 Le XIVe amendement à la Constitution des Etats-Unis, ratifié en 1868, vise à protéger le droit des anciens esclaves, en particulier dans les Etats du Sud. Il garantit la citoyenneté à toute personne née aux Etats-Unis et affirme la nécessité de garantir l'égale protection de tous ceux qui se trouvent sur son territoire. 3 L'Article II de la Constitution des États-Unis d'Amérique est l'article qui crée l'exécutif américain, comprenant notamment le Président. 4 Le Tenure of Office Act était une loi fédérale (de 1867 à 1887) qui visait à restreindre le pouvoirs du président à révoquer certains membres du gouvernement sans l’accord du Sénat. Traduction et adaptation : Karin Lafont-Miranda, 2017 5 février 1868, le Parlement vota la destitution du Président Johnson pour violation du Tenure of Office Act et pour avoir ridiculisé le Congrès. Il fut jugé au Sénat et acquitté à un vote près. Il conserva donc son poste de président, mais sa crédibilité et sa capacité d’action furent détruites. DERNIERES ANNEES, HERITAGE Johnson termina son mandat en maintenant son opposition à la Reconstruction et en persévérant dans le rôle de « protecteur de la race blanche » qu’il s’était imposé. Après son départ de la Maison blanche, il utilisa ses talents d’orateur en donnant une série de conférences. En 1874, il remporta à nouveau une élection sénatoriale et lors de son premier discours, il s’opposa à l’intervention militaire en Louisiane décidée par le président Ulysses S. Grant. Johnson mourut pendant les vacances parlementaires de l’été suivant, près d’Elizabethton, dans le Tennessee (1875). Selon ses vœux il fut enterré à Greeneville, enveloppé dans un drapeau américain. Certains historiens considèrent Andrew Johnson comme le pire président que le pays pouvait avoir à la fin de la guerre civile. Il est certain que son racisme l’empêcha de mettre en oeuvre une paix satisfaisante. Son manque de compétence politique lui aliéna le Congrès, son arrogance lui fit perdre le soutien du peuple. En tant que président, il contribua probablement au conflit qui suivit la Guerre de Sécession et perdit l’opportunité de devenir le champion des droits des déshérités. Statue de Johnson à Greeneville Sources : http://www.biography.com/people/andrew-johnson-9355722 Photos : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrew_Johnson Traduction et adaptation : Karin Lafont-Miranda, 2017 6