LE DERNIER VOYAGE DE L’EMPEREUR
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comme un simple particulier. Dans ses mémoires, Fleury de Chaboulon, éphémère secrétaire du
cabinet impérial pendant les Cent-Jours, décrit un Napoléon n’hésitant pas à marcher à côté de ses
grognards suite à son retour d’exil de l’île d’Elbe. L’empereur, qui eut, quelques mois avant sa
mort à Saint-Hélène en 1821 l’occasion de parcourir ce livre, eut cette réflexion lapidaire :
pourquoi à pied ? Il (Napoléon parlait de lui à la troisième personne du singulier) avait six chevaux
à sa calèche ! On peut résumer ainsi, par ces deux petites phrases, le fondement de l’exil impérial.
D’un côté, le faste impérial et cette voiture à six chevaux exclusivement réservée aux têtes
couronnées, de l’autre, la terreur saisissante de se retrouver comme un simple voyageur anonyme,
dépouillé de tous ses attributs.
UN PREMIER EXIL TRAUMATISANT
Un retour en arrière s’impose pour comprendre le caractère erratique de l’empereur en juin 1815.
Le premier exil d’avril 1814 le marqua durablement et explique, en grande partie, son attitude
l’année suivante. Dans la nuit du 12 au 13 avril 1814, Napoléon avait tenté de de suicider en
avalant du poison. Ce geste n’était pas dénué de sens. Il souhaitait, outre conserver son honneur
en ne ratifiant pas le traité de Paris, réduire un des principaux arguments des détracteurs d’une
régence de Marie-Louise au nom du roi de Rome : Napoléon disparu, l’Europe n’aurait plus à
craindre un empire militaire français. Son titre impérial finalement reconnu par le traité de Paris
qu’il se résigna à signer, il prépara son exil avec une domesticité importante et nombre de bagages
et valises. Les émissaires étrangers chargés de le surveiller et de le conduire sur l’île d’Elbe furent
stupéfaits, lors de leur arrivée à Fontainebleau, de trouver le palais fonctionnant à l’identique
comme celui des Tuileries ! En fait, la cour impériale, ou ce qui en restait, procurait à l’empereur
déchu une sorte de bulle protectrice qui l’isolait des tracas quotidiens et concourrait à son
équilibre psychique. Tout était fait pour lui rappeler son règne : meubles, étiquette du palais,
fastes, apparats. Lors de son départ de Fontainebleau, il demanda à changer d’itinéraire. Aussi, les
villes où il s’arrêta le reçurent avec fastes. Tout semblait, alors, se dérouler dans un rêve où
l’Empire perdurait malgré la défaite et l’occupation militaire étrangère. Cependant, d’autres cités
refusèrent de le recevoir et, en Provence, la belle mécanique des visites protocolaires voulu par
Napoléon tourna au calvaire. Cette région qu’il connaissait bien pour y avoir été acclamé à son
retour d’Égypte en 1799 l’accueillit désormais comme « l’Ogre » et non plus comme l’empereur. A
Orange, personne ne l’acclama. Pire ! A Avignon, des milliers de personnes armées de sabres, de
fourches et de fusils le menacèrent en entourant sa voiture. Enfin, dans le petit village d’Orgon, il
dut s’échapper en domestique à défaut d’être écharpé ! On comprend pourquoi Napoléon tira un
très grand enseignement de ce premier exil traumatisant. Dès son retour en France le 1er mars
1815, il chercha rapidement à renouer avec les fastes du pouvoir. L’empereur, depuis le Directoire,
avait toujours été très entouré. C’est donc, pour lui, un gage de sécurité, de stabilité et de
puissance qu’il tente de préserver par tous les moyens pour garantir une légitimité face à Louis
XVIII et aux puissances étrangères. Lors de cette remontée sur Paris, il devient à nouveau
« pleinement empereur » à Lyon, où les corps constitués le reçoivent. Il assiste au défilé militaire
de la garde nationale place Bellecour. Dans cette ville, la partie aventureuse de son épopée tirait à
sa fin comme le mentionna Thierry Lentz dans son ouvrage, Nouvelle histoire du Premier Empire.
Durant les vingt jours que dura ce « vol de l’Aigle » qui le remit en selle sur le trône, deux
questions se posèrent à la population : qui, de Louis XVIII ou de Napoléon devait réellement
régner ? Et par la suite, se posa également la question des apparences du pouvoir. Le roi, en
quittant précipitamment Paris le 16 mars avait, de facto, abdiqué. Il reprit la route du nord vers la
Belgique tandis que « l’Usupateur » parvenait, porté par l’enthousiasme populaire, à gravir de
nouveau les marches du pouvoir. De retour à Fontainebleau le 20 mars 1815, soit onze mois après
son départ, le gouvernement impérial se mit à fonctionner dès le 21 mars 1815.
LA CHUTE DEFINITIVE DU PHOENIX
Alors que la fumée des canons de la bataille de Waterloo se dissipait à peine, Napoléon, de retour
à Paris et après moins de trois mois de restauration du pouvoir impérial, fut de nouveau obligé de
sauver en hâte son pouvoir. Il s’installa, non pas aux Tuileries, mais à l’Élysée, signe de son
extrême faiblesse. En effet, il n’était plus le seul à tenir les rênes du pays. La chambre des pairs et