« Finding Vivian Maier »,
histoire d’une vie
Décadence, renaissance, si l’étymologie les posent en
antonymes, l’histoire en fait des termes consanguins: la ruine
étant mère, et sœur, de l’essor nouveau. Le temps de la chute
et celui de la régénérescence se chevauchent, s’entremêlent,
dialoguent. Renaître au XXIème siècle c’est peut-être bien
plus explorer, maîtriser son passé, qu’inventer un inédit,
s’illusionner d’utopies.
Post-hérité, une renaissance artistique est possible.
Artistiquement, la renaissance d’une œuvre passe par un
renouveau d’intérêt à son endroit, une attention neuve lui
étant portée. La renaissance est d’autant plus épatante que
l’oubli a été profond (lorsqu’il ne s’agit pas de mépris). La
renaissance la plus remarquable d’un artiste est peut-être
alors celle acquise par la postérité.
A l’ère tout s’achète et tout se vend, à l’heure on
confond trop souvent « artistes » et show-biz bling-bling,
voir une création originale portée au triomphe sans que son
auteur ait la possibilité de parader de son vivant pour en
faire la promotion est admirable! La reconnaissance d’une
démarche artistique post-mortem assure que les productions,
transmises par le maître marginalisé en son temps, se
suffisent à elles-mêmes.
Appréciés, enfin, clichés, peintures, écrits, mélodies et
sculptures acquièrent le caractère d’héritage au lieu de
rester des vestiges ignorés. Renaissant, ces œuvres
enrichissent le présent plus qu’elles ne forcent au
rétropédalage historique. Pour Monsieur Valéry Giscard
d’Estaing, cette reconnaissance exclusivement posthume, en
laquelle peut consister la postérité, s’explique aisément :
les artistes, les « gens de lettres » s’adressant, en fait,
aux « générations futures ».
Parfois, par avant-gardisme conscient, par modestie ou par
souci de préserver leur « jardin secret », certains artistes
ne prendront pas même la peine de montrer leurs performances à
leurs contemporains. Tel est le cas révélateur de la
photographe inavouée Vivian Maier, à l’honneur jusqu’au 1er
juin prochain au château de Tours, dans l’exposition « Finding
Vivian Maier », orchestrée par le Jeu de Paume.
Photographie de Vivian Maier
« Finding Vivian Maier », découverte d’un talent anonyme de la
street photography.
Les étonnantes photographies de Vivian Maier (1926-2009) ont
été découvertes en 2007. Par hasard, John Maloof, jeune
collectionneur, amoureux des quartiers du Nord-Ouest de
Chicago, président de l’association de mémoire et de
sauvegarde du bâti leur étant dédiée, fait l’acquisition de
plusieurs cartons d’articles de presse, d’épreuves de négatifs
et de diapositives. Ils ont été saisis dans un garde-meuble et
le produit de leur vente est destiné au remboursement des
dettes accumulées par leur propriétaire originale, Vivian
Maier.
Vieille-fille américaine d’ascendances française et austro-
hongroise, gouvernante d’enfants, à la retraite, Vivian Maier
se meurt alors, inconnue du grand-public, dans un petit
appartenant de la banlieue Chicagoane. Ses anciens employeurs
subviennent gracieusement à ses besoins et la décrivent comme
discrète, masculine, solitaire, froide, généreuse, tolérante
et cultivée.
Ce que renferment ces cartons d’apparence anodine, est
assimilable à un trésor : les 120 000 clichés, pour la plupart
non-encore développés, et la dizaine de films super-8 qu’ils
recèlent sont très vite consacrés comme dignes des plus grands
noms de la photographie de rue outre Atlantique : Lisette
Model, Helen Levitt, Diane Arbus, Garry Winogrand.
Accessible à tous, la street photography qui consiste à
brosser le portrait d’inconnus citadins, croisés et
photographiés à la sauvette ou immortalisés le temps d’un
regard, d’une rencontre furtive, fourmille d’amateurs… mais
très peu sont promus « artistes ».
Artiste, ce titre, Vivian Maier ne l’a jamais revendiqué, pour
les rares clichés qu’elle a soumis au tirage, elle s’est
présentée aux laboratoires sous un faux nom… Curieux sort que
réserve donc la postérité à cette trappeuse de l’instantanéité
!
La grandeur d’un artiste comme celle de l’âme humaine ne se
mesure pas à la protubérance des ambitions exhibées. Il n’est
qu’à parcourir les témoignages sur la société américaine des
années 1950 léguées sans arrières pensées par Vivian Maier
pour s’en rendre compte. Se succèdent pleurs d’enfants, mines
importunées de bourgeoises en fourrure, yeux troubles de sans-
abri, et « selfies » de la photographe improvisés à l’aune
d’une surface réfléchissante. Tous anonymes, ces visages
marquent la mémoire des amateurs de galeries new-yorkaises et
des touristes égarés dans quelques châteaux français, par leur
sincérité, et leur singularité. Ces antihéros célèbres malgré-
eux, font renaître la pluralité de l’Amérique, prospère mais
fragmentée, connue par Jacques Kerouac, Nina Simone, Andy
Wharol et Marilyn Monroe.
Photographie de Vivian Maier
S’exprimer faisant fi de la postérité, advienne ce que pourra.
La postérité en somme, s’acquiert aléatoirement, au gré des
sensibilités présentes et futures. Contrairement à ce que
soutînt Diderot dans sa correspondance avec le sculpteur
Falconet (Le pour et le contre ou Dispute sur la postérité),
je ne crois pas que le moteur artistique de tout créateur soit
le désir de laisser son nom quelque part, à l’angle d’une
avenue, ou au pied d’une statue de cire.
D’ailleurs, l’époque funeste l’on faisait croire aux
citoyens du web que sans postérité, point de salut, semble
raisonnablement révolue : l’expérience Human Kind Wall débutée
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