Comédien, formateur et metteur en scène, David Ayala a fait ses

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David Ayala
Propos recueillis par Julie Cadilhac / crédit photo ( pièce Scanner/ précédente mise en scène de David Ayala) ©Silvia
Mammano
Comédien, formateur et metteur en scène, David Ayala a fait ses classes au
Conservatoire National de Region de Montpellier, a suivi des cours au Théâtre du
Passage et des stages dirigés notamment par Ariane Mnouchkine, Joël Jouanneau,
Juliette Binoche, Alain Françon etc...Depuis 1990, il a joué sous la direction de
nombreux metteurs en scène dont Dan Jemmett avec lequel, après Ubu et La Comédie
des erreurs, il a imaginé The Notes : une pièce dans laquelle Dan Jemmet met sens
dessus dessous ( une fois de plus ! ) l'œuvre de Shakespeare en montrant les fureurs et
délires d'un metteur en scène au sortir d'une couturière de MacBeth. Une pièce qui ,
quand on connaît l'humour déjanté de Dan Jemmett et l'énergie prodigieuse de David
Ayala, promet d'être un morceau de choix dramatique!
En tant que metteur en scène, David Ayala a par ailleurs monté des auteurs du
répertoire, des dramaturges contemporains et a adapté des œuvres littéraires, critiques
et cinématographiques pour le plateau. C'est notamment le cas pour certaines œuvres
de Guy Debord dont l'artiste prise le travail et les idées. Aussi, après avoir monté
Scanner, il y a six ans, il travaille aujourd'hui sur Les Idiots qui poursuit la réflexion
entamée dans Scanner et la transcende en quelque sorte. Rencontre en mots et en
images avec un artiste 16
talentueux
engagé,
également
directeur de la Compagnie
- BSC NEWSet
MAGAZINE
- N° 65
- JANVIER 2014
La Nuit Remue.
Les Idiots:
C'est un des seuls écrivains et théoricien
de la révolution qui, en France et dans
le monde, a pu susciter un tel respect et
Les idiots est la suite logique (et
a engendré tant de courants de
inévitable) si l'on comprend bien de "
pensée capables d'attaquer le système.
Scanner" que vous aviez monté six ans
Aujourd'hui ses
plus tôt....si vous
mots, ses idées,
nous parliez
ses pratiques
" Tout chez Guy
d'abord de leur
peuvent nous
dénominateur
Debord peut séduire
aider à analyser
commun,
à
et à trouver les
mais surtout fasciner,
savoir
Guy
arguments utiles
Debord? Qu'estet nécessaires
interroger et insuffler
ce qui vous
voire imparables
séduit chez cet
de grandes forces de
pour combattre
é c r i v a i n ,
les systèmes
vie et de combat."
e s s a y i s t e ,
d'aliénation.
cinéaste et
C'est le seul qui
révolutionnaire
est allé jusqu'au bout de l'idée de
français? Sa poésie, ses idées virulentes,
renverser intégralement une société qui
sa technicité...? Evidemment tout chez
oppresse, asservit et corrompt les
Guy Debord peut séduire mais surtout
individus. Il peut faire peur car il est
fasciner, interroger et insuffler de
toujours resté dans une radicalité mais
grandes forces de vie et de combat.
17 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 65 - JANVIER 2014
aujourd'hui cette radicalité apparaît
comme l’une des voies les plus salutaires
pour critiquer, renverser et reconstruire
peut-être un monde vivable. En tout cas,
les émanations de ses idées peuvent aider
les individus à se positionner et à retrouver
du sens là où la guerre économique a tout
laminé. C'est un homme qui a oeuvré toute
sa vie pour le dépassement, dépassement
de soi, de l'écrit, de l'art, en particulier de la
p o é s i e e t d u c i n é m a e t , b i e n s û r,
dépassement de la vie qui nous est
imposée.
On peut lire que "Dans Scanner, tout
l'édifice des théories et des films de Debord
rendaient compte en les analysant et les
décortiquant, de tous les systèmes
d'aliénation des sociétés spectaculaires
marchandes" et vous affirmez que dans "
Les idiots" vous allez plus loin que le simple
constat de cette aliénation...c'est à dire?
Passe-t-on en quelque sorte du théorique
au pratique, de la cause aux
conséquences?
Dans Scanner nous avons eu l'ambition de
donner à voir et à entendre tout l'édifice de
la pensée Debordienne mais il y avait aussi
une réappropriation et une transposition de
cette pensée dans la vie des gens
aujourd'hui. Il en ressortait qu'on interrogeait
la position du citoyen spectateur; c'était
une interrogation sur la passivité en général
face aux moyens d'oppression. En ce sens,
scanner n'était pas un spectacle sur la
théorie mais une mise en pratique souvent
ludique et très vivante des idées de
Debord. Aussi elles apparaissaient sous nos
yeux, grâce au jeu des comédiens et à la
dramaturgie, sous l'aspect d'images très
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concrètes et très organiques. Le
que la grande réussite universelle du
spectacle Les Idiots se propose
système économique et machinique
d'interroger la position du citoyen non
qui tente de gérer les êtres humains a
pas simplement spectateur mais du
réussi la prouesse de rendre inoffensifs le
citoyen comme
moindre de ses
a n é a n t i ,
combats qui
" Le spectacle Les
pulvérisé. L'idiot
tente de porter
ayant donc
atteinte à son
Idiots se propose
remplacé de
intégrité. Nous
d'interroger la position s o m m e s i d i o t s
m a n i è r e
planétaire la
parce que nous
du
citoyen
non
pas
notion
de
sommes sous
citoyen. C’est en
emprise de la
simplement
ce sens que l'idiot
machine globale
spectateur mais du
est désigné
et que nous
comme un être
a c c e p t o n s
citoyen
comme
privé de sa
aveuglément les
capacité de
conditions
anéanti, pulvérisé"
discernement et
existantes qu'elle
donc souvent de
nous impose. Où
sa capacité d'action contre un système
tout sens véritablement critique ou
qui l'oppresse. C’est en ce sens aussi
velléité de combat s'agenouille devant
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la puissance de l'Empire. Aussi le
spectacle Les Idiots sera une manière
de rire infiniment de nos travers, de nos
comportements puisque tout sera
exagéré ou décalé dans le système
Idiot, c'est à dire dans le système qui
utilise les signes d'apparition du monde
d’aujourd'hui sous toutes ses formes:
c'est à dire globalement grotesque,
ridicule et terrifiant si l’on se place du
point de vue de l'observation de
l'organisation globale de la société.
Le spectacle des " Idiots" se divise en
trois phases, celle où l'on montre les
spectateurs du temps de Debord puis
celle des spectateurs d'aujourd'hui, les
fameux "Idiots" et enfin, celle que vous
nommez " La chambre des désirs"...? En
quoi se distinguent-elles scéniquement
et intellectuellement parlant?
La première partie sera quasiment sans
texte (ou presque). Elle sera visuelle et
sonore mais comportant énormément
d'accessoires de scènes. Elle mettra en
scène les visions de l'Idiotie globale.
Comment tous les actes de nos vies
peuvent être "montrés" et
"démontrés" (de manière extrêmement
ludique, comique, méchante aussi). Ce
sera comme une suite d'études de
comportements de toutes les parties de
la vie quotidienne, standardisée et
globalisée. Une sorte de recherche sur
les comportements déviants, délirants
induits par l'organisation de la vie
sociale dite "normale". Le texte et les
images de Debord interviendront dans
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un second temps et passeront tout cela
au crible de sa critique.
"La chambre des désirs" est quelque
chose que je veux explorer mais je ne
sais pas encore bien comment. Je sais
seulement que cela interrogera la
notion de survie, d'être humain et
«L'humanité au fond
peut bien continuer à
faire ce qu'il lui plaît et
c'est d'ailleurs ce qu'elle
a toujours fait sans
jamais nous demander
notre avis.»
surtout d'être humain pouvant choisir de
continuer à être ou de disparaître. Cela
pourra aussi parler de la mutation de
l'être humain, voire même de la notion
de post-humain.
Dans le titre de votre pièce, après les
"Idiots" est ajouté entre parenthèses "
Irrécupérables"...l'humanité ne peut
donc pas s'extirper seule de cette
Idiotie selon vous? David Ayala est-il
profondément pessimiste à ce sujet?
L'humanité au fond peut bien
continuer à faire ce qu'il lui plaît et
c'est d'ailleurs ce qu'elle a toujours fait
sans jamais nous demander notre avis.
Quand je fais Scanner ou Les Idiots je
ne veux surtout pas donner de leçon
(puisque de toute façon elles ne
servent à rien), je veux faire passer un
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sens, une émotion et surtout pas un
message. Par contre je peux m'octroyer
Comment se concrétise sur le plateau
la liberté de châtier, punir, violenter et
et dans le jeu cette volonté de montrer
ne
pas
les " Idiots"
respecter les
d'aujourd'hui?
règles quand
Aborder avec
«L'unique défi, pour
bon
me
sérieux et légèreté
moi,
est
de
mettre
à
semblera, et
des
thèmes
surtout pas les
jour les forces de mort p h i l o s o p h i q u e s
règles de la
comme
la
bienséance.
question
du
qui nous entourent et
Etre pessimiste
pourquoi l'homme
nous
réduisent
et
ou optimiste ne
accepte sa "
veut rien dire
trouver les moyens de s e r v i t u d e
pour moi, je
volontaire sans se
les combattre.»
réagis plus sur
révolter", c'est un
des
mots
sacré challenge,
c o m m e
non?
désespoir et joie ou force de vie et
C'est pour moi l'unique défi, mettre à
force de mort.
jour les forces de mort qui nous
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entourent et nous réduisent et trouver
quasiment partout "arrêté", "interrompu"
les moyens de les combattre. Les
par les spectateurs eux mêmes dans la
systèmes politique, économique,
salle (et qui montaient sur le plateau).
médiatique et culturel actuel
On a même beaucoup parlé de cela à
construisent les prisons et les désespoirs
la télévision, sur les radios et dans les
des gens. Combattre le sentiment de
journaux, à l'époque. C'est dire à quel
honte que l'on peut éprouver en
point Scanner a pu re-questionner la
regardant ce qui nous entoure est une
place du spectateur. Ils n'avaient pas
des formes de colère qui peut donner
besoin de siège sur scène. Ils montaient
l'énergie à bâtir un tel projet. Il faudrait
sur le plateau ou déclenchaient des
vraiment que le public éprouve la
débats, parlaient, hurlaient, faisaient
honte, la terreur et la pitié d'être
toutes sortes de trucs. Ils s'exprimaient
devenus de tels
quoi. On n'était
idiots. Nettoyer
plus tout à fait au
l'ordure et la
spectacle. A
«Scanner a été le seul
merde incrustée
certains moments
spectacle joué en
dans les cerveaux
on aurait pu
et dénoncer la
parler d'une
France
qui
était
l â c h e t é
agora. Sur ce
généralisée, c'est
point et avec la
quasiment partout
ce que nous
marchandisation
"arrêté",
"interrompu"
entendons faire
de la culture, il est
humblement
intéressant de
par les spectateurs
avec Les Idiots.
s'interroger sur la
eux- mêmes dans la
C'est ce qu'a fait
complicité des
d'ailleurs Debord
directeurs et
salle »
en son temps sans
acteurs culturels
trop de modestie
qui ne font que
et nous l'en
cultiver l'art de la
remercions.
passivité des spectateurs (avec pour
eux dans le même temps la continuité
Enfin, vous dites que " le texte de
d'un confort financier dont ils profitent
Debord oblige le théâtre à "déposer les
g r a n d e m e n t ) . D a n s S c a n n e r, l a
armes" et qu'il vous a forcé à inventer
machine spectaculaire s'interrompait
une nouvelle forme de théâtre où vous
grâce - ou à cause - de Debord et du
y interrogez la place du spectateur: Estcoup les ex citoyens avaient la langue
ce à dire que ce dernier pourrait monter
et le corps qui leur brûlaient et se
sur le plateau, avoir son siège sur la
sentaient poussés d'intervenir. Cela
scène....?
témoignait de l'urgence absolue qu'il y
En 2008-2009-2010, Scanner a été le seul
avait pour certains de reprendre la
spectacle joué en France qui était
parole qu'on leur avait volé. Je ne vois
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pas beaucoup d'oeuvres, d'auteurs ou
de soit-disant spectacles qui aujourd'hui
mettent cette urgence devant les yeux
et les oreilles du public d'une soitdisante démocratie. Je ne m'attribue en
rien la paternité d'une telle situation
( que ces réactions et interventions
aient eu lieu sur Scanner). Les mots, la
poésie et la force des arguments de
Debord y étaient pour beaucoup. Avec
Les Idiots j'espère de tout coeur que
cela sera pire.
The Notes:
Ce n'est pas votre première expérience
d'acteur sur du Shakespeare avec Dan
Jemmett...si vous deviez décrire ce
metteur en scène et ses méthodes de
travail, qu'est-ce que vous diriez?
c'est un ami, un complice, d’une
grande rigueur et d’une immense
liberté d'invention, un grand bonheur
de créer ensemble dans la recherche
de formes théâtrales originales.
C'est une pièce de théâtre qui fait de la
mise en abime son principe fondateur,
c'est ça? Et vous êtes seul sur scène
après une générale ratée de Macbeth!
Un rôle assez jouissif, on suppose, pour
un comédien et metteur en
scène?...difficile aussi parce qu'il faut
arriver à trouver un personnage qui ne
soit pas juste soi-même? Oui tout à
fait... et c’est une réponse valable pour
les 3 questions.
Comment Dan Jemmett a choisi de
vous faire travailler ce monologue
délirant? Quelles ont été les scènes
pour lesquelles vous avez eu le plus de
difficulté à trouver le ton juste?
Tout a été difficile puisque c'est un
metteur en scène supposé qui parle à
des acteurs de la pièce qui viennent de
jouer (ces acteurs étant prétendument
les spectateurs devant moi). Il a fallu
aussi improviser pour rendre crédibles
les mots du metteur en scène à
l'adresse des acteurs supposés.
Concernant le texte de Shakespeare lui
même, il y a une vingtaine de moments
de textes assez courts qui sont joués,
bien ou mal, selon l'appréciation que
l'on a du bonhomme, puisque ce
metteur en scène est sans doute aussi
un acteur raté. Mais, au delà de ça, on
peut entendre quelques grands
moments de la pièce.
On imagine que le plaisir du spectateur
est triple car il jouit en quelque sorte de
trois pièces: la ratée qu'il n'a pas vue, la
deuxième réincarnée par le metteur en
scène et la troisième mise en scène par
Dan Jemmett! Un rôle épuisant à
endosser pour un acteur, non? Dan
Jemmett a -t-il besoin de comédiens
emplis d'énergie tonitruante?
Pas forcément, je ne sais pas.
Une phrase de la pièce pour conclure
et nous laisser sur un vers shakespearien
ou une réflexion de metteur en scène
excédé?
"La vie n'est qu'une ombre en marche,
un pauvre acteur qui se pavane et se
démène une heure durant sur la scène
et puis qu'on entend plus. c'est un
conte raconté par un idiot, plein de
bruit et de fureur et qui ne signifie rien".
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Au fait, qu'est-ce qui vous excède, vous,
en tant que metteur en scène chez un
comédien? La prostitution.
▶︎ Pour aller plus loin
Dan Jemmett: Trois Richard pour un
Richard III - Une interview de Dan
Jemmett
La scène nationale de Sète trinque avec
Shakespeare - La prestation géniale de
David Ayala dans La Comédie des erreurs The Notes / Mise en scène : Dan
Jemmett
Tournée 2013-2014
Béziers – SortieOuest : 3 rep. du 15
au 17 janvier 2014
Compiègne – Espace Jean
Legendre : 4 rep. du 22 au 25
janvier 2014
Maison des Arts – Thonon : 3 rep.
du 28 au 30 janvier 2014
Fontainebleau – Théâtre
Municipal : 1 rep. le 1er février
2014
Beauvais – Théâtre en Beauvaisis :
1 rep. 6 février 2014
Corbeil-Essonnes - Théâtre : 1 rep.
11 février 2014
Chelles - Théâtre : 1 rep. 14 février
2014
Mézières - Théâtre du Jorat : 2 rep.
les 26 et 27 juin 2014
Les idiots / Adaptation, Réalisation
& Mise en scène: David Ayala
Création en novembre 2014 au
Théâtre Jean-Claude Carrière (Montpellier)
EN CE DÉBUT D ANNÉE,
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