CHAPITRE III Catéchisme de l’Eglise catholique (1992) 6. Christophe Geffroy Catéchisme de l’Eglise catholique : un événement exceptionnel La publication en français en novembre 1992 du Catéchisme de l’Eglise catholique est pour les chrétiens un événement d’une importance exceptionnelle. Evénement exceptionnel, car la réalisation d’un tel texte de référence à vocation universelle est extrêmement rare dans l’Eglise : le dernier, le Catéchisme du Concile de Trente, date en effet de 1566. Plus de quatre siècles séparent les deux ouvrages ! « Ce sera un événement d’une portée historique, a dit Jean-Paul II, car le nouveau Catéchisme n’est pas l’un des nombreux volumes de théologie et de catéchèse, mais un texte de référence générale pour l’activité catéchétique exercée parmi tout le peuple de Dieu » (Angelus du 15 novembre 1992). Evénement exceptionnel également, en raison de la densité, de la qualité et de la clarté des enseignements de ce Catéchisme, auquel ont été associés les évêques du monde entier. Tout l’essentiel 42 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE est présent sans ambiguïté, aucune difficulté n’a été esquivée, si bien que les quelques petites remarques que nous pourrions faire deviennent bien secondaires. Le plan est classique. Il reprend celui des catéchismes traditionnels : ce qu’il faut croire (Credo); ce qu’il faut espérer (Pater); ce qu’il faut faire (Commandements); la grâce pour la vie chrétienne (Sacrements). Evénement exceptionnel encore, en raison du besoin urgent d’un tel travail, réclamé par une large majorité d’évêques au Synode de 1985. Certes, le Catéchisme pour adultes des évêques de France publié en 1991 a contribué à combler un vide catéchétique catastrophique. Mais l’envergure et l’autorité de ce bon manuel ne peuvent être comparées à celles du Catéchisme universel publié par Rome. Et il n’efface pas les ravages commis en France par l’absence de véritable catéchisme pendant une vingtaine d’années, malgré les demandes insistantes et pressantes de nombreux fidèles et intellectuels ! Ravages qui, au demeurant, ne vont pas cesser du jour au lendemain, les lamentables manuels Pierres Vivantes et leurs fumeux Parcours catéchétiques n’ayant d’ailleurs toujours pas été officiellement remplacés. A la lumière de cette absence passée de bonne catéchèse, comment croire sérieusement au formidable « renouveau postconciliaire » dont on nous rebat encore les oreilles ici ou là ? « Renouveau » qui a la particularité originale de se caractériser par une ignorance ou un refus du Credo par un nombre croissant de catholiques, et par une chute vertigineuse de la pratique religieuse et des vocations ! Evénement exceptionnel enfin, en raison de la sûreté doctrinale du Catéchisme de l’Eglise catholique, au moment, précisément, où l’Eglise traverse l’une des très graves crises de son histoire. La publication du Catéchisme romain a d’ailleurs mis en évidence l’un des aspects de cette crise – qui est CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 43 notamment une crise de l’autorité : une sorte de libre examen à l’égard du Magistère s’est instauré dans certains milieux catholiques, parfois très influents, qui vont jusqu’à créer, pour reprendre les termes du cardinal Ratzinger, « une sorte de magistère parallèle des théologiens, en opposition au Magistère authentique et en concurrence avec lui » (La vocation ecclésiale du théologien, 1990). A l'occasion de la publication du Catéchisme nous en avons eu un cas exemplaire, parmi d'autres, avec Témoignage chrétien (du 21 novembre 1992), où Georges Montaron écrit que « c’est le principe même du catéchisme – sous cette forme – que nous contestons ». Cinq pleines pages de critiques acerbes et fallacieuses suivent, où l’on a bien du mal à percevoir un quelconque sens de l’Eglise, chacun semblant être libre de juger subjectivement ce Catéchisme comme s’il s’agissait de donner son avis sur le dernier roman à la mode. Pour nous, ce Catéchisme est un véritable don de Dieu. Sachons lui en rendre grâces… En espérant qu’il ne restera pas lettre morte ! 7. Robert Chermignac Catéchisme de l’Eglise catholique : un texte de référence Il est difficile de parler d’un catéchisme comme l’on parlerait d’un livre quelconque. Notre ambition ici n’est donc pas d’en faire une « recension », tâche au demeurant impossible pour un ouvrage aussi dense, mais seulement de donner un éclairage sur tel ou tel aspect de son élaboration et de son contenu. Le pape a décidé la mise en œuvre du Catéchisme de l’Eglise catholique à la suite d’une large demande des évêques exprimée au cours du synode d’octobre 1985. Chose unique pour un tel document, les trois mille évêques du monde ont été consultés pour sa rédaction entre novembre 1989 et mai 1990. Environ mille réponses contenant plus de 24 000 propositions d’amendements ont été reçues à Rome. L’analyse de ces réponses a notamment montré que la première mouture du Catéchisme a été bien accueillie par l’ensemble des évêques, qui ont confirmé l’urgence et la nécessité d’un texte catéchétique unique pour toute l’Eglise catholique. C’est en tenant compte de ces CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 45 propositions que la Commission de travail présidée par le cardinal Ratzinger a pu présenter en février 1992 un « projet définitif » au Saint-Père, dont il a approuvé la rédaction finale le 25 juin 1992 et promulgué le texte le 11 octobre par la Constitution Apostolique Fidei depositum, où il écrit : « Je le reconnais comme un instrument valable et autorisé au service de la communion ecclésiale et comme une norme sûre pour l’enseignement de la foi ». Nul doute que ce Catéchisme restera comme l’un des documents les plus importants du pontificat de Jean-Paul II. Le dernier pape à avoir publié un tel texte est saint Pie V en 1566, qui recueillait là les fruits du Concile de Trente (1545-1563). « Ce Catéchismemajor fut rédigé pour les curés en vue de les aider dans leur rôle d’enseignement de la foi au peuple. C’était à une période difficile, qui requérait une autoréforme et une défense de la foi devant la scission protestante. La ligne doctrinale et méthodologique du Catéchisme romain était si claire qu’il devint un modèle pour son temps et pour les siècles suivants » (dossier d’information du Vatican). Dans son genre, ce catéchisme était une nouveauté et ne connaîtra pas d’autres formulations… jusqu’en 1992, l’actuel Catéchisme romain se situant dans la droite ligne de celui de Trente, qui demeure l’un des textes de référence de l’Eglise catholique. Certes, il ne faudrait pas oublier les catéchismes moins universels qui ont eu en leur temps une grande influence, comme ceux de saint Pierre Canisius, saint Robert Bellarmin, et plus récemment le fameux Catéchisme par questionsréponses de saint Pie X, dont beaucoup de familles se servent encore face à la carence de l’actuel enseignement catéchétique basé sur les manuels Pierres Vivantes, dont le cardinal Ratzinger disait en 1983 qu’ils « ne respectent pas la tradition de l’Eglise ». 46 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE Dans sa forme, d’ailleurs, le Catéchisme de l’Eglise catholique est très proche de celui du Concile de Trente. On retrouve les quatre parties qui sont le propre des catéchismes : explication du Credo pour ce qu’il faut croire (vertu théologale de foi); du Notre Père pour ce qu’il faut espérer (vertu théologale d’espérance); des Dix Commandements pour ce qu’il faut accomplir (vertu théologale de charité); des Sacrements, canaux de la grâce nécessaire à toute vie chrétienne. Les tables et index (qui occupent presque 100 des 680 pages de l’ensemble) sont remarquablement bien faits et facilitent grandement la consultation de l’ouvrage. La présence des résumés « en bref » à la fin de chaque chapitre est également fort utile. Quant au fond, il s’agit d’un résumé extrêmement dense mais jamais austère de la foi catholique, proposé d’abord aux évêques, comme premiers responsables de la catéchèse, puis aux rédacteurs de catéchismes locaux, et enfin à tous les chrétiens désireux de fortifier ou de mieux connaître le contenu de leur foi. A en croire certains journalistes, on pourrait penser que ce Catéchisme ne fait qu’énoncer un catalogue d’interdits, et ce plus particulièrement en matière morale et sexuelle, comme s’il n’y avait que cela qui intéresse les médias ! En fait, les pages concernées par ces « interdits » sont peu nombreuses, mais ne montrer que cet aspect de l’ouvrage permet d’attaquer une fois de plus l’Eglise prétendûment rétrograde et intolérante qui refuse d’évoluer avec son temps ! Nous ne donnerons pas ici les passages sur la morale qui reprennent l’enseignement traditionnel de l’Eglise. C’est ainsi que pour les manipulations génétiques, par exemple, le Catéchisme cite longuement la remarquable instruction du cardinal Ratzinger Donum vitæ (1987). La fermeté de l’Eglise CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 47 sur toutes ces questions ne peut surprendre que ceux qui, ne comprenant pas les fondements de son enseignement, croient que l’Eglise le modifiera un jour ou l’autre. Autre exemple : on a beaucoup reproché au Catéchisme de légitimer le principe de la peine de mort, ce qui a fait écrire à Mgr Gaillot dans Le Monde du 28 novembre 1992 que « le discours de l’Eglise sur les droits de l’homme sera moins crédible (il l’avait déjà dit à propos du refus de l’Eglise du sacerdoce des femmes). A peine promulgué, le nouveau catéchisme porte des rides », a-t-il conclu. Mgr Gaillot appartient à cette catégorie de chrétiens qui passent leur temps à battre la coulpe de l’Eglise sur la poitrine de leurs prédécesseurs. Ce faisant, par la désobéissance et la division qu’ils sèment dans l’Eglise, ce sont eux qui contribuent à la discréditer aux yeux du monde, les médias étant trop contents d’offrir une tribune à tous ceux qui l’attaquent de l’intérieur. Je comprend au reste que le Catéchisme déplaise fort aux progressistes dont Mgr Gaillot est une figure de proue. En effet, les sympathies idéologiques de l’ancien évêque d’Evreux y sont condamnées conformément au magistère passé : « L’Eglise a rejeté les idéologies totalitaires et athées associées, dans les temps modernes, au “communisme” ou au “socialisme”. Par ailleurs, elle a récusé dans la pratique du “capitalisme” l’individualisme et le primat absolu de la loi du marché sur le travail humain » (n. 2425). Sur la politique, au sens large et noble du terme, les passages du Catéchisme sont au demeurant remarquables, ce qui contraste malheureusement fort avec les prises de position locales de tel évêque ou de telle commission « clérocratique ». On y parle de doctrine sociale de l’Eglise (avec de longues citations de Centesimus annus), de bien commun, de légitimité de la nation, du patriotisme, de l’immigration en des 48 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE termes que l’on a malheureusement trop peu l’habitude d’entendre dans la bouche de nos évêques. L’essentiel du Catéchisme, cependant, n’est évidemment pas là. Il est dans l’explication de la doctrine de la foi dont le commentaire du Credo est la clef de voûte et dont le message central, loin d’être un « interdit », est le mystère de l’Amour de Dieu pour les hommes. Voilà bien du « positif » qui aurait mérité d’être présenté aux foules, mais cela n’intéresse pas nos médias en quête de scoops et de scandales. Suivent les parties sur les Sacrements, les Commandements et la prière (dans laquelle est incluse le commentaire du Notre Père qui nous semble être sans doute la partie la moins riche de l’ensemble). Relevons au passage le commentaire savoureux de la traduction contestée « ne nous soumets pas à la tentation » qui explique que cela signifie « ne nous laisse pas succomber à la tentation » (n. 2846) ! Les quelques critiques de ce genre que l’on pourrait faire ici ou là sont cependant secondaires au regard de la qualité globale de l’ouvrage. Ce Catéchisme a été l’événement éditorial de la fin de l’année 1992. Plus de 500 000 exemplaires auraient déjà été vendus. Si vous ne l’avez déjà, achetez-le. Mais surtout lisez-le. N.B. – La version définitive du Catéchisme a été publiée en 1998 en français par le collectif d’éditeurs Centurion-Cerf-Fleurus-Mame. En 1992, le texte latin n’avait pas été établi, le Catéchisme ayant été rédigé en français. La nouvelle 8. François Foucart Catéchisme de l’Eglise catholique : sa réception par les médias Quelle surprise ! Les médias, les commentateurs, les théologiens d’occasion, qui n’ont d’habitude qu’indifférence ou agressivité pour l’Eglise catholique ont fait montre d’un curieux intérêt pour ce qui devrait être pour eux un non-événement : la sortie d’un catéchisme. C’est au point que le jour de la présentation à la presse, le Père di Falco a dû, d’urgence, trouver une autre salle, celle qui était prévue ne pouvant contenir la foule des journalistes et cameramen. Toute cette agitation n’est pas innocente, et le but de l’opération médiatique a été, généralement, de critiquer ou de tourner en dérision une parole qui ne pouvait qu’être ferme puisqu’inspirée par Rome. « Reprise en main », « Volonté apostolique de défense et d’affirmation de la foi catholique », et même « Nouveau code pénal de l’Eglise » (!), voilà quelques titres. Il y avait eu d’ailleurs des fuites bien avant la publication de l’ouvrage (le respect de l’embargo est, 50 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE aujourd’hui, tenu pour rien) et, par exemple, dès le 1er octobre, L’Evénement du jeudi publie un certain nombre d’extraits du nouvel ouvrage. Il est dit que « Le nouveau catéchisme universel arrive. Clef de voûte d’une grande opération de reprise en main des catholiques par Rome, son adoption a donné lieu à une âpre bataille gagnée par les conservateurs contre les adeptes de Vatican II ». On s’étonne que l’on ose dire qu’il « n’y a de vraie religion que le catholicisme », incroyable vieillerie qui bafoue l’humilité des évêques de Vatican II. Ou bien encore, on s’étonne que le nouveau catéchisme n’admette le doute « ni en ce qui concerne la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, ni pour sa célébration qui doit rester l’exclusivité des prêtres ». Tout cela est signé par Giancarlo Zizola présenté comme « l’un des meilleurs experts du Vatican à Rome » ! En fait, dès le 22 septembre, le sujet était « sorti », toujours à partir de fuites (venues d’Italie) et les Agences de presse (AFP, Reuter) donnaient suffisamment de détails supposés croustillants, de façon à allécher toutes les rédactions. Ce qui n’a pas manqué; presque tous les journaux alors publient des articles généralement sous le titre, banal, « le catéchisme nouveau est arrivé » (sans doute par référence au Beaujolais nouveau !). Sans voir, ou sans vouloir comprendre, que ce catéchisme sera d’abord et essentiellement un exposé complet de la foi catholique, tous les articles reprennent alors le même cliché : le sexe, et ce qu’en dit l’Eglise. Second cliché : l’Eglise serre les boulons. Après ce déluge de fuites, toujours sur le même sujet, et quelques jours avant la sortie officielle en France, c’est L’Express qui rompt aussi l’embargo et fait même sa couverture de l’événement. Il faut dire cependant que tous les extraits présentés le sont sans le mauvais goût d’autres publications, et que le CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 51 commentaire de Michel Legris est intéressant et digne. On en est d’ailleurs à s’étonner du bon travail d’un journaliste, tant les commentaires de certains autres sont tendancieux ! A la lecture de cette véritable revue de presse des articles publiés, on peut constater que les journalistes, croyants ou non (en général non) et aussi bien d’une presse progressiste que plus traditionnelle, auront retenu trois aspects. D’une part, tout ce qui concerne la sexualité : on voudrait bien que l’Eglise soit moins stricte, on constate qu’elle propose un langage plus fraternel, plus accueillant, mais que sur le fond il n’y a rien de changé. Par exemple, le catéchisme demande « compréhension et compassion » pour les homosexuels, ne condamne pas leurs tendances profondes s’ils n’en sont pas responsables, mais condamne le passage à l’acte et ne peut leur proposer que la chasteté, d’où ricanements et apparente déception. D’autre part, les « nouveaux péchés ». Il est en effet question dans ce catéchisme de sujets dont il ne pouvait guère être question dans les Tables de la Loi : l’imprudence au volant, la fraude fiscale, le trafic d’influence et les pots-de-vin, le trafic et la consommation de drogue, les obligations civiques et militaires (service national). Il y a là, il est vrai, une bonne actualisation des commandements, mais enfin il s’agit toujours du petit bout de la lorgnette, du spectaculaire au détriment du sérieux : car il ne sera pas dit un mot de la partie essentielle qu’est l’analyse détaillée du Credo. Enfin, le commentaire général consiste à dire : devant la montée des périls, la dérive générale des idées et des mœurs, la perte de culture chrétienne, l’érosion de la pratique religieuse (80 % des Français se disent catholiques, mais seulement 9 % « pratiquent » : messe au moins une fois par... mois, 52 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE effondrement de la confession, etc), le bien petit nombre de vocations (au moins en Occident), Jean-Paul II a voulu présenter sans ambiguïté ce que dit l’Eglise, proposer une pierre d’angle, un ouvrage de référence. En quelque sorte, ce serait le réveil d’une Eglise osant, enfin, affirmer ses convictions, dire haut et clair ce qu’elle sait être la vérité. Ou encore : le retour d’une Eglise-institution musclée, façon Ratzinger, face à une Eglise venue de la base, « sympa » et démocratique. Mais, curieusement, ce qui pouvait apparaître comme une critique se retourne contre ses auteurs. Car il ne s’agit pas d’opposer ce que seraient des communautés de base spontanées, adeptes d’un Jésus libérateur, à une sorte de pouvoir tyrannique venu de Rome mais, comme le dit Mgr Honoré (l’un des rédacteurs) : « [...] alors que le confusionnisme se répand, n’est-il pas opportun d’annoncer les couleurs ? » Cela dit, comment a été reçu ce nouveau catéchisme après sa véritable sortie ? Dans Le Pèlerin, Henri Caro n’hésite pas à écrire qu’il s’agit « d’un monument d’une importance exceptionnelle : comme une cathédrale ». Joseph Vandrisse, dans Famille chrétienne, note que « rien n’est plus jeune que la tradition de source, c’est elle qui nous réunira ». Quant à Alain Decaux dans le Figaro-Magazine, il pousse un cri d’enthousiasme. En face, les commentaires sont ironiques, ou subtilement critiques. C’est Libération qui s’effare « qu’en 1992 une poignée de rédacteurs prétendent assener à plus de cinq milliards d’individus l’“intégralité” du vrai et du faux, du bien et du mal sur toutes choses humaines, en plus des surhumaines qui sont leur spécialité [ … ] ». C’est Le Nouvel Observateur qui estime que « L’Eglise d’aujourd’hui n’a plus le souffle qui voilà trente ans, emportait le concile Vatican II. [...] L’Eglise n’actualise guère “ses vérités et ses préceptes”. Pour l’essentiel, elle les redit, comme CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 53 indifférente aux mouvements du monde moderne […] ». Le Monde, pour sa part, associe dans le même titre deux événements : « Alors que l’Eglise d’Angleterre accepte l’ordination des femmes, JeanPaul II publie un catéchisme universel ». Ce qui signifie qu’il y aurait d’un côté libéralisme et ouverture, de l’autre enfermement et regain de rigueur ! Et, en première page, le dessin de Plantu représente un garçonnet lisant le nouveau catéchisme : et Jésus dit « Vive les femmes ! », pendant qu’un évêque assis à ses côtés lui rétorque : « tu as dû mal lire !… ». Et sous le titre « Retour au dogme », Henri Tincq écrit que « […] le “catéchisme universel” de Jean-Paul II semble s’inspirer d’une volonté apologétique de défense et d’affirmation de la foi catholique plus que d’un souci de vouloir répondre aux requêtes de la culture contemporaine ». Enfin, le jour même de la présentation à la presse et alors que, généralement, c’est tout le courant contestataire par principe qui s’empare des micros, il n’y eut que peu de questions. On a pu entendre un imbécile s’étonner « qu’il n’y ait rien contre le racisme ». C’est là que l’on voit le poids du conformisme et du terrorisme intellectuel !… Mais, et comme quoi l’hostilité à Jean-Paul II et à tout ce qui demeure fondamentalement d’« Eglise » ne cède sur aucun point, on a pu noter certaines réactions dont la rage côtoie le dépit devant le succès de l’ouvrage. C’est Témoignage chrétien qui « regrette que la Bonne Nouvelle de l’Evangile soit placée sous surveillance », c’est l’ACAT (Chrétiens contre la torture) qui évoque « un Caté désespérant ». On peut préciser à ce sujet que la question de la peine de mort a servi un peu partout dans ces milieux de munition, comme exemple-type de ce que serait un catéchisme de type fasciste ! Curieusement d’ailleurs, les plus farouches opposants à la peine de mort pour les criminels sont aussi les plus farouches défenseurs de 9. RP Dominique-M. de Saint Laumer Catéchisme de l’Eglise catholique et la liberté religieuse Le Catéchisme de l’Eglise catholique aborde la question de la liberté religieuse à propos du premier commandement et du culte qui doit être rendu à Dieu seul. Le paragraphe est intitulé : « Le devoir social de religion et le droit à la liberté religieuse » (nn. 21042109). Le Catéchisme rappelle tout d’abord (n. 2104) l’obligation morale, pour tout homme, de chercher la vérité et d’y adhérer, une fois qu’on l’a connue (cf. DH 1). Ce devoir est aussi réaffirmé avec force et dans les termes mêmes du concile Vatican II, à propos du huitième commandement qui nous impose de vivre dans la vérité (n. 2467, citant DH 2). C’est un devoir qui « découle de la nature même des hommes ». L’attachement à la vérité n’est pas opposé à un « respect sincère » pour les diverses religions qui « apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (NA 2). Il faut savoir distinguer en effet, dans les diverses religions, la part de vérité qu’elles contiennent, digne de respect, et les erreurs qu’il faut CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 55 au contraire détester et combattre (on aimerait voir ce point un peu mieux souligné). Mais cette lutte doit se faire dans la charité qui presse les chrétiens « d’agir avec amour, prudence, patience, envers ceux qui se trouvent dans l’erreur ou dans l’ignorance de la foi » (DH 14). Le numéro suivant (n. 2105) traite du devoir social de religion. Le culte authentique doit être rendu à Dieu, non seulement individuellement mais aussi socialement, vérité trop oubliée durant la période moderne de laïcisme. Le renvoi aux encycliques Immortale Dei de Léon XIII et Quas primas (sur la Royauté du Christ) de Pie XI, souligne la volonté de continuité avec la doctrine catholique traditionnelle. Le devoir social ne se limite pas au culte et le Catéchisme rappelle en même temps que « les chrétiens sont appelés à être la lumière du monde ». L’Eglise travaille à ce qu’ils puissent « pénétrer d’esprit chrétien les mentalités et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent » (AA 13). On pourra estimer trop discret ce passage. Il ne faut pas perdre de vue cependant qu’il s’agit ici principalement du culte social à rendre à Dieu et non de l’organisation de la cité qui doit être imprégnée d’esprit chrétien. La reconnaissance sociale de la vérité révélée – point difficile à admettre pour les esprits modernes imprégnés de laïcisme – est toutefois rappelée indirectement par le renvoi explicite à Quas primas et la mention de « la royauté du Christ sur toute la création et en particulier sur les sociétés humaines ». Ce rappel est capital. Les numéros suivants (nn. 2106-2109) décrivent le droit à la liberté religieuse, en citant d’abord la définition donnée par Vatican II (DH 2). Le Catéchisme insiste pour bien situer ce droit qui a très souvent été (1) Cf. Léon XIII dans Libertas præstantissimum. (2) Cf. Pie XII, Discours du 6 décembre 1953. 56 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE mal interprété. Il ne s’agit ni d’une « permission morale d’adhérer à l’erreur » (1), ni d’« un droit supposé à l’erreur » (2), mais d’« un droit naturel de la personne humaine à la liberté civile, c’est-à-dire à l’immunité de contrainte extérieure, dans de justes limites, en matière religieuse, de la part du pouvoir politique » (n. 2108). Ce droit « ne peut être de soi ni illimité, ni limité seulement par un “ordre public” conçu de manière positiviste ou naturaliste » (n. 2109). Ici, le Catéchisme renvoie à Pie Vl et à Pie IX (Quanta cura), dans le souci évident de montrer que le droit à la liberté religieuse ne s’oppose pas aux condamnations par les papes du XIXème siècle de la « liberté de conscience ». Celle-ci était en effet une liberté excessive revendiquée par certains (non-catholiques et catholiques libéraux), qui estimaient que la liberté ne pouvait être limitée que par les exigences d’un « ordre public » conçu de manière positiviste ou naturaliste. Pie IX, dans l’encyclique Quanta cura, condamnait ce naturalisme politique qui prétend que « la société humaine doit être constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la religion que si elle n’existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie religion et les fausses » , e t q u e « l e m e i l l e u r gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande ». La revendication de la liberté de conscience par les libéraux du XIXème siècle était donc inacceptable dans la mesure où elle ne tenait pas compte du bien commun de la société dont la religion est un élément essentiel. Le Catéchisme au contraire, souligne que les « justes limites » du droit à la liberté religieuse « lui sont inhérentes » et qu’elles doivent être déterminées pour chaque situation sociale par la prudence politique, selon les exigences du bien commun [c’est nous CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 57 qui soulignons], et ratifiées par l’autorité civile selon des « règles juridiques conformes à l’ordre moral objectif » (n. 2109). Ces précisions tranchent le débat sur l’interprétation à donner à la déclaration Dignitatis humanæ. On ne p e u t p l u s d i r e q u e l e s « justes limites » sont extrinsèques à ce droit. On ne peut plus dire non plus qu’elles sont identiques à celles que leur assigne le naturalisme politique. Le droit est au contraire essentiellement limité par les exigences véritables du bien commun. Rappelons que les Pères de la minorité traditionnelle au concile (le Cœtus internationalis Patrum, dont Mgr Lefebvre était l’un des principaux représentants) se déclaraient prêts à voter l’adoption du texte à condition de dire que le critère déterminant les limites de la liberté religieuse devait être le bien commun (3). Cette interprétation authentique de Dignitatis humanæ par le Catéchisme montre bien que la doctrine traditionnelle sur ce point n’a pas été abandonnée. Pour bien comprendre la nature profonde de ce droit à la liberté religieuse, il faut le replacer dans l’enseignement global du Catéchisme sur « les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine » (n. 1907). Cet enseignement – nouveau en un certain sens, car il n’avait pratiquement pas été explicité avant le XXème siècle – s’inscrit cependant très profondément dans la doctrine de l’Eglise sur la nature de l’homme et de la société. Il faut lire à ce sujet le passage sur « la liberté de l’homme » (nn. 17301748). « Chaque personne humaine, créée à l’image de Dieu, a le droit naturel d’être reconnue comme un être libre et responsable. Tous doivent à chacun ce devoir du respect. Le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de la personne (3) Cf. Ralph Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, DMM, 1975, p. 247. 58 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE humaine, notamment en matière morale et religieuse. Ce droit doit être civilement reconnu et protégé dans les limites du bien commun et de l’ordre public » (n. 1738). « Mais l’exercice de la liberté n’implique pas le droit supposé de tout dire ni de tout faire » (n. 1747). L’homme est tenu d’agir selon sa conscience – qu’il doit former en se laissant guider « par l’enseignement autorisé de l’Eglise » (n. 1785). Il a donc « le droit d’agir en conscience et en liberté afin de prendre personnellement les décisions morales » (n. 1782). Un domaine où cette doctrine sur la liberté responsable de la personne est particulièrement nette et a toujours été reconnue par l’Eglise, c’est « la liberté de la foi » : « la réponse de la foi donnée par l’homme à Dieu doit être volontaire; en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré soi. Par sa nature même, en effet, l’acte de foi a un caractère volontaire » (n. 160, citant DH 10). L’homme est obligé en conscience de répondre à l’appel de Dieu, mais il n’y est pas contraint (ibid., citant DH 11). Il est donc essentiel de bien distinguer, d’une part l’obligation morale par laquelle l’homme est toujours lié à l’égard de Dieu et de la vérité, telle que sa conscience la lui manifeste, et d’autre part, l’exemption de contrainte extérieure réclamée par le droit à la liberté religieuse : la personne doit être exempte d’une contrainte de pouvoirs humains qui la forcerait à agir contre sa conscience ou l’empêcherait d’agir selon sa conscience, car sa dignité exige en principe (étant sauf le bien commun), qu’on lui laisse la liberté de suivre sa conscience (ce qui suppose précisément que la personne est liée par sa conscience). Mgr Lefebvre confondait l’obligation morale et la contrainte lorsqu’il écrivait : « La déclaration sur la liberté religieuse (accorde) à l’homme le droit naturel d’être exempt de (4) Fideliter, n°49, janvier-février 1986, p. 4. CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE 59 la coaction que lui impose la loi divine d’adhérer à la foi catholique pour être sauvé » (4). Cependant la transcendance de la personne sur la société (cf. n. 1881) et l’exigence de liberté qui lui est due ne contredit pas le fait que « le bien de chacun est nécessairement en rapport avec le bien commun » (n. 1905). C’est même précisément la synthèse entre ces deux principes de l’ordre social qui permet de comprendre la juste nature des droits de l’homme. La personne humaine a besoin d’une certaine marge de liberté pour s’ordonner elle-même, selon sa nature d’être raisonnable, à Dieu et à la vérité. Mais elle doit le faire dans le cadre d’une société, car sa nature est essentiellement sociale. La liberté individuelle doit donc s’harmoniser avec le bien commun. C’est la « justice sociale » qui établit les justes rapports entre les hommes et la société, entre la liberté et la vérité, rendant à chacun ce qui lui est dû (cf. n. 1928). On aurait souhaité que soit mieux précisé comment « le respect des droits fondamentaux qui découlent de la dignité intrinsèque de la personne » (n. 1944) peut et doit s’harmoniser avec une organisation sociale qui n’accorde pas les mêmes droits à la vérité et à l’erreur, au bien et au mal. L’idéologie libérale et égalitariste a en effet imposé une conception minimiste du bien commun. Résultat : les valeurs spirituelles, morales, religieuses, ne sont plus protégées. « Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne [...] doit être dépassée, comme contraire au dessein de Dieu » (n. 1935, citant GS 29, n. 2). Certes, si on entend par là une injuste différence de traitement à l’égard des personnes dans leurs droits fondamentaux. Mais cela ne devrait pas signifier que la loi ne puisse pas favoriser certaines valeurs : le bien, le vrai... plutôt que le mal, l’erreur... Le Catéchisme le reconnaît par exemple pour ce qui concerne la famille : 60 CATÉCHISME DE L’EGLISE CATHOLIQUE « Que le pouvoir civil considère comme un devoir grave de “reconnaître et de protéger la vraie nature du mariage et de la famille, de défendre la moralité publique et de favoriser la prospérité des foyers” (GS 52, n. 2) » (n. 2210). La vérité religieuse, quand elle est suffisamment reconnue, devrait elle aussi avoir un statut privilégié dans l’ordre de la cité. Par exemple, « les chrétiens ont à faire reconnaître les dimanches et jours de fête de l’Eglise comme des jours fériés légaux » ( n . 2188). La vérité, même et surtout religieuse, n’est pas indifférente au bonheur des peuples qui est la fin de la société. Le cardinal belge Jérôme Hamer confiait récemment à la revue Trente Jours (novembre 1992, p. 32) : « Trente ans après le dernier Concile, on est encore loin de l’avoir compris et d’en avoir appliqué les véritables directives. Je pense à la déclaration sur la liberté religieuse, interprétée de façon erronée à la lumière de l’idéologie libérale, comme équivalence de la vérité et de l’erreur. Je songe à la réforme liturgique, et à tous les abus qui se vérifient dans l’application des décrets conciliaires. Il y a tant de travail à faire, encore... » On peut dire que l’enseignement du Catéchisme sur la liberté religieuse, comme sur de nombreux autres points, redresse un certain nombre de fausses interprétations et constitue un très grand pas accompli dans la voie d’une juste compréhension du concile, en accord avec la Tradition de l’Eglise. Souhaitons que cet enseignement soit largement répercuté et assimilé par le peuple chrétien.