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Atlantisme et eurasisme. Encerclement et contre-encerclement
du monde au XXIème siècle
Date : 28 mars 2017
Jean-Claude Empereur ♦
Les récents événements politiques, tant aux États-Unis qu’en Europe : élection de Donald
Trump, Brexit, montée des mouvements antisystèmes sur le Vieux continent marquent la fin
d’un monde. On ne peut s’empêcher de penser à Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le
nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Parmi ces événements, sans doute le plus important est l’élection de Donald Trump à la
présidence des États-Unis. La violence des attaques qui le visent provenant de l’establishment
médiatique et politique, de la communauté du renseignement, comme du « deep state », traduit
l’inquiétude des milieux qui ont fait d’une conception idéologique et hégémonique de la
mondialisation l’alpha et l’oméga de leur philosophie politique.
L’élection de Donald Trump est le reflet de la sourde révolte des « quiet people » ces
« électeurs cachés », ces américains oubliés dont le président Obama lui-même a reconnu qu’il
les avait « négligés », de tous ceux qui « n’en pouvaient plus » , devant l’impuissance de nos
gouvernants , face à une crise américaine, à l’origine immobilière et financière , devenue au fil
des ans sociale, économique, politique et enfin géopolitique.
Ce que nos médias ont qualifié de séisme politique n’est autre que la traduction dans la
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politique intérieure des États-Unis de cette dimension géopolitique de la crise qui a conduit une
partie des électeurs américains à voter pour celui qui leur a promis de mettre fin aux
conséquences d’une mondialisation ravageuse pour leurs emplois et leur genre de vie.
Au cœur de cette perception : le rôle grandissant de la Chine et de l’expansion illimitée,
conquérante et assumée comme telle, de son économie. C’est la raison pour laquelle Donald
Trump bénéficie aussi du soutien d’une partie de l’élite dirigeante hostile à la mondialisation
effrénée de l’économie américaine .On voit resurgir, ironie du sort, s’agissant de la Chine,
l’opposition traditionnelle entre « bourgeoisie nationale » et « bourgeoisie compradore ».
On ne peut rien comprendre à l’attitude de Donald Trump, tant au cours de sa campagne que
depuis son élection, si l’on ne prend pas en compte cette situation. Ce qui a été reproché aux
élites dirigeantes en place depuis de longues années est, par entêtement néo-libéral et
mondialiste, refusant toute alternative, (le « there is no alternative »de Thatcher et Reagan), de
s’être laissé surprendre par la réémergence d’une Chine en passe de devenir la première
économie mondiale, et dont la stratégie , dénommée « le Marathon du siècle »(1), a été définie
par la direction du Parti communiste chinois en 1972 au lendemain de la relance des relations
diplomatiques avec les États-Unis par Nixon et Kissinger.
L’objectif affiché de ce plan, était d’effacer les humiliations passées en organisant un nouvel
ordre mondial favorable à la Chine, remettant définitivement en cause les principes de la
domination économique américaine fixés lors de la conférence de San Francisco ainsi que par
les accords de Bretton-Woods.
Cette stratégie hégémonique renforcée en août 1971 par l’abandon de la convertibilité du dollar
et la politique d’irresponsabilité financière qui s’en est suivie a conduit les Etats-Unis à afficher
aujourd’hui une dette de 20 000 milliards de dollars détenue pour un tiers par la Chine, les
plaçant ainsi, dans une situation de relative dépendance.
Ce dollar post 1971, non convertible en or ,émis sans mesure, a permis aux Américains de se
procurer en abondance des produits fabriqués à l’étranger. Les étrangers l’ont utilisé pour bâtir
leurs économies et concurrencer les entreprises américaines sur leur propre terrain en vue de
fournir des produits meilleur marché à des consommateurs américains gorgés de crédits en
compensation de la stagnation de leurs revenus. La Chine fut, de loin, le premier bénéficiaire de
cette situation.
Le déficit des États-Unis avec la Chine s’élève désormais à un milliard de dollars par jour.
Depuis 1980, période à laquelle le commerce avec l’Empire du Milieu a vraiment pris son essor,
les États-Unis ont accumulé un déficit cumulé d’environ 10 000 milliards de dollars.
Cet argent a créé une dette mondiale colossale de 152 000 milliards de dollars qui représente
225 % du PIB mondial (Rapport du FMI du 4 janvier 2017) et a déstructuré et corrodé
l’ensemble du système financier mondial.
Les élections américaines n’ont surpris que ceux qui refusaient de voir que, derrière cette
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illusion d’une dollarisation sans frein de l’économie mondiale, se profilait la remise en cause de
grands équilibres géopolitiques mondiaux qui reposaient jusqu’alors, grâce au privilège
exorbitant du dollar, sur le déni de fragilité de l’hyperpuissance États-Unienne. On se souvient
des propos de John Connally, Secrétaire au trésor du président Nixon : « Le dollar est notre
monnaie mais c’est votre problème ».
Il est clair que les signaux adressés par Donald Trump à l’Empire du milieu, dès son élection,
sans même attendre sa prise de fonction du 20 janvier 2017, n’avait d’autre but que de signifier
à XI Jinping, qu’arrivé à mi-parcours de ce Marathon titanesque il était plus que temps de revoir
la règle du jeu.
Mais ne nous y trompons pas, « make no mistake » comme disait, en d’autres temps, G.W.
Bush, ce qui s’annonce est une remise en cause de l’ensemble de l’architecture géopolitique
mondiale qui, depuis la nuit des temps, repose sur l’affrontement des puissances de la mer
avec celles de la terre, affrontement masqué jusqu’alors par l’effacement séculaire de la Chine.
L’affrontement Chine/États-Unis est inéluctable
Il est parfaitement symbolisé, par l’image du piège de Thucydide. Le seul problème étant de
savoir si les deux antagonistes auront la sagesse d’éviter ce piège. Compte tenu de l’énormité
des enjeux et de la puissance des acteurs, le sort de la planète est en cause. On ose à peine
imaginer ce que représenterait, en ce XXIème siècle nucléarisé et peuplé de plus de sept
milliards d’habitants, un « remake » du conflit entre Sparte et Athènes et surtout de son issue…
En la schématisant beaucoup, la vision géopolitique américaine d’hégémonie telle qu’elle fut
pratiquée et développée progressivement, sans partage, au cours du dernier siècle, se fonde
sur la notion de « containement », voire de « roll back », c’est-à-dire d’endiguement ou de
refoulement.
Cette notion théorisée depuis le début de la guerre froide s’est appliquée, pour l’essentiel, à
l’Union soviétique Elle est restée au cœur de la conception américaine des relations
internationales, le maintien en activité de l’OTAN malgré la disparition de l’URSS et du pacte
de Varsovie en est l’un des témoignages les plus marquants.
Bien des signes laissent à penser que dans l’esprit des stratèges américains, malgré les
interdépendances économiques, cet endiguement s’étend maintenant à l’ensemble sino-russe
c’est-à-dire à l’Eurasie.
Ce conflit, qui s’annonce, entre Atlantisme et Eurasisme tend à prendre les traits, d’une guerre
de siège. C’est pourquoi on préférera pour le décrire les termes d’encerclement,
désencerclement et contre-encerclement.
Encerclement : le cauchemar de Mackinder
Dans un article de douze pages qui reprenait le texte de la conférence prononcée à Londres
devant la Royal Society of Geography , le 25 janvier 1904, intitulé « Le pivot géographique de
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l’histoire » le géographe et géopolitologue anglais John Halford Mackinder a fixé les principes
d’une vision géopolitique opposant les puissances de la mer, le monde anglo-saxon aux
puissances de la terre , l’Eurasie.
Plus schématiquement comme l’avait déjà prédit des 1840 Tocqueville dans la « Démocratie en
Amérique », les Etats-Unis à la Russie.
Il devait résumer ces principes en un adage en forme de ritournellei : « qui contrôle le cœur du
monde (the heartland) commande à l’île du monde (the world island), qui contrôle l’île du
monde commande au monde ».
Les événements qui se déroulèrent au cours du siècle qui suivit sa formulation donnent a
posteriori à celle-ci le caractère d’une prédiction auto-réalisatrice.
Nicholas Spykman journaliste et professeur à Yale complétera plus tard en 1943, de manière
décisive, cette vision du monde dans une étude que lui avait commandée, dans un but
pédagogique, le président Roosevelt. Cette étude avait pour objet d’expliquer au public
américain, à quoi ressemblait le Vieux monde.
Introduisant la notion de « rimland », Spykman complète la vision essentiellement géographique
de Mackinder en lui donnant une dimension géopolitique. Le « rimland » est constitué des États
qui tout au long de la guerre froide participeront à la stratégie d’endiguement (containment) de
l’Union Soviétique imaginée par George Kennan et appliqué par Foster Dulles, poursuivie sans
relâche tout au long de la période et amplifiée depuis lors de manière à englober la Chine. Le
rimland s’étend dorénavant du nord des îles britanniques au Japon en passant par le Moyen
orient.
L’adage de Mackinder se décline dès lors ainsi : « qui contrôle le rimland maîtrise l’Eurasie qui
maîtrise l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».
Il n’est pas exagéré de dire que cet adage inlassablement ressassé pendant des décennies est
au cœur de la géopolitique américaine. Il inspire toujours la plupart des géopolitologues Etats-
Uniens ainsi que leurs présidents successifs sans exception, au moins jusqu’à maintenant.
Il correspond à une vision exclusive des relations internationales qui consiste à désigner
frontalement l’ennemi et, par la stratégie du bélier, à chercher à le disloquer C’est dans cette
perspective que Zbigniew Brzezinski ou George Friedman soutiennent que le contrôle de
l’Ukraine est le moyen de disloquer la Russie.
L’état du monde actuel met en évidence que l’application de cette stratégie est toujours en
cours.
Mais du temps de l’URSS, le « rimland » endiguait un « heartland » conçu comme
puissamment nucléarisée mais économiquement faible et non structuré. Les murs étaient
solides mais la forteresse vide, son cœur était l’empire des steppes.
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Avec la réémergence de la Chine et le rapprochement sino-russe cet espace devient une
puissance économique considérable organisée et en plein essor. Le rêve hégémonique de
Mackinder se transforme en cauchemar.
Désencerclement : la route et la ceinture
Le paysage dans lequel va se déployer le « Marathon » commence à se dessiner : en fait il
s’agit d’aménager le territoire de l’Eurasie, de rompre le « rimland », de le fragiliser en de
multiples endroits par des accords internationaux ou de le percer par des corridors de transport
au moyen d’une politique de désencerclement et de contre-encerclement planétaire, en
associant la Russie et la plupart des nations d’Asie.
Autant la politique américaine d’encerclement synthétisée par Z. Brzezinski dans le « Grand
échiquier »s’inspire précisément du jeu d’échec : enfermer, agir en force et frapper
soudainement autant la politique chinoise de désencerclement et de contre encerclement
s’inspire du jeu de go : accumuler discrètement et progressivement ses forces, s’infiltrer se
répandre, occuper progressivement l’espace ; « faire comme l’eau » selon les préceptes de
Lao Tseu. «Rien n’est plus souple et plus faible que l’eau, mais pour enlever le dur et le fort,
rien ne la surpasse ».
La géopolitique eurasienne en découle tout naturellement : il s’agit de traverser et contourner le
« rimland » en créant les institutions, les infrastructures et les financements.
Institutions
L’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) assure la couverture institutionnelle de
l’ensemble. Peu connue cette organisation souple et efficace regroupe la Russie, la Chine, le
Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et en 2001 par les présidents de ces six pays. L’OCS
a décidé d’admettre l’Inde et le Pakistan comme membres à part entière. Il est probable que
l’Iran la rejoindra ultérieurement. L’organisation s’étend sur plus de 60% du territoire de
l’Eurasie et regroupe 43% de la population de la planète soit 37,5 millions de km² au total.
C’est une alliance politique économique et militaire qui regroupe quatre puissances nucléaires
dont deux, l’Inde et le Pakistan sont pourtant en très mauvais termes.
Du côté Russe le partenariat de l’OCS avec l’Union économique eurasienne qui regroupe :
Russie Biélorussie, Kazakhstan, Arménie et Kirghizstan se met en place.
Infrastructures
Les infrastructures ont pour objectif de constituer l’armature physique de l’ensemble, voies
ferrées (50 000 km de TGV en projet dont 12 000 déjà réalisées), oléoducs et gazoducs (ex :
Force de Sibérie, gazoduc d’environ 4 000 kilomètres, s’étendant du gisement de Tchaïanda
en Iakoutie jusqu’à l’extrême nord-est de la Chine) etc…
L’axe majeur est le gigantesque programme dénommé « One Belt One Road »« La route et la
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