Résistance. De 1940 aux maquis de 1944 Des départs vers l’Angleterre en juin 1940 aux maquis de 1944, la Résistance bretonne a, tour à tour, pris de multiples visages. Réseaux d’évasion, cellules d’espionnage, manifestations silencieuses, opérations de sabotage… La Bretagne est l’une des régions de France où la résistance à l’occupant a été la plus active. Christian Bougeard, un universitaire spécialiste de la Résistance bretonne, nous propose de mieux comprendre les faits et gestes de l’organisation des combattants de l’ombre. A la mi-juin 1940, la Bretagne est occupée par la Wehrmacht en trois jours sans combat. La région, qui accueille environ 1,2 million de réfugiés, constitue un enjeu stratégique pour le contrôle de la Manche et de l’Atlantique. Les Allemands font édifier dès 1940 des bases sous-marines à Brest, à Lorient et à Saint-Nazaire et agrandissent les aérodromes bretons pour préparer l‘invasion de l’Angleterre. Services de renseignements anglais (IS, SOE) et gaullistes (SR puis BCRA) vont vouloir en savoir plus. Pendant la débâcle, de nombreux navires quittent les ports en catastrophe. Parmi les partants, des militaires mais aussi des jeunes volontaires, comme les 80 élèves de l’école d’hydrographie de Paimpol qui veulent poursuivre la lutte, tels les 133 pêcheurs de l’île de Sein partis les 24 et 26 juin. Le choc de la défaite Dans ces premiers engagés des Forces françaises libres naissantes, beaucoup de Bretons. De Camaret et de Douarnenez, de Henvic et de Carantec (Finistère), des évasions par mer se poursuivent pendant plusieurs semaines encore malgré le bouclage des côtes, en zone interdite. Ce sont des bateaux passés outre-Manche et barrés par des pêcheurs (de Sein, du Guilvinec, de Camaret…) qui débarquent les premiers agents gaullistes à la pointe de Bretagne à partir de juillet 1940. Le départ le plus original est celui de Maurice Halna du Fretay, de Jugon-les-Lacs (Côtes-du-Nord), qui remonte un petit avion pour gagner l’Angleterre le 15 novembre 1940. Malgré l’abattement de la défaite, des actions de résistance à « l’ordre nouveau nazi » sont immédiates. Elles vont des lacérations d’affiches (Lamballe, Gouarec…) aux premiers sabotages, surtout des coupures de lignes téléphoniques en 1940-1941 (13 dans les Côtes-du-Nord, 18 dans le Morbihan, une vingtaine dans le Finistère). A Rennes, le cheminot Marcel Brossier est le premier fusillé pour sabotage. Le réseau ébauché par Roger Barbé au camp de Servel-Lannion est démantelé le 28 décembre 1940 ; son chef sera fusillé le 4 octobre 1941. Des attentats visent les Allemands (deux tués fin 1940 dans le Morbihan, un noyé à Lorient). Une population tournée vers l’Angleterre Encore rares, ces actions reflètent un rejet précoce de l’occupant dans les villes et sur la côte, plus marqué en pays bretonnant. La cohabitation forcée est difficile : à la suite d’insultes et de rixes, les tribunaux allemands condamnent des dizaines de personnes à des peines de prison. L’effet Mers-el-Kébir est moins profond que ne le prétend la propagande de Vichy. Pourtant, 1 300 marins dont beaucoup de Bretons ont été tués par les Anglais le 3 juillet 1940, quand la flotte française a tenté de gagner Toulon. Dès novembre 1940, dans le Finistère, « la propagande anglaise est très active. Les populations bretonnes y sont fort sensibles », selon le préfet, qui ne craint pas d’écrire : « L’Intelligence service donne l’impression d’être très renseignée (beaucoup mieux que notre police) ». Dans une région rurale plutôt conservatrice et très catholique, le ralliement des notables et de l’Eglise au maréchalisme et à la Révolution nationale semblait aller de soi. Pourtant, sept parlementaires, tous Finistériens, sur 57 présents à Vichy, n’ont pas voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Et dès l’automne 1940, dans l’ouest de la péninsule, les autorités se plaignent du fort taux d’écoute de la BBC, un mouvement qui s’amplifie tout au long de la guerre. En juin 1941, certains cantons du Trégor seraient « à 75 % intoxiqués par la radio anglaise et gaulliste », selon le souspréfet de Lannion. Les manifestations publiques Dès juillet 1940, à deux reprises, des habitants de Pontivy ont manifesté contre la présence au château de la poignée de nationalistes bretons du PNB. Mordrel et Debauvais rêvent pendant quelques jours d’établir un Etat « indépendant » breton sous l’aile protectrice du IIIe Reich. Collaboration d’Etat et partis groupusculaires des ultras de la collaboration (PNB, PPF, RNP, Collaboration) ne seront jamais du goût des Bretons. Les manifestations sont un moyen d’exprimer collectivement un esprit de résistance sans trop de risques. Soit elles sont spontanées, soit elles répondent à des consignes de la France libre à une heure donnée, lors de commémorations patriotiques (11 novembre, 18 juin, 14 juillet, 1 er mai). A l’appel du général de Gaule, le 1 er janvier 1941, la population reste chez elle mais elle sort dans la rue en arborant les couleurs tricolores le 11 mai (fête de Jeanne d’Arc) et le 14 juillet 1941 ou le 1 er mai 1942. La jeunesse scolarisée est souvent en pointe. En 1940-1941, la liste serait longue des cinémas fermés par l’occupant à la suite de sifflets de l’assistance lors des actualités allemandes : Rennes, Brest, Lorient (juillet et octobre 1940) ; Guingamp, Saint-Quay-Portrieux, Châteaulin, Concarneau (1941). Les premiers tracts et inscriptions « gaullistes » et communistes (à Brest) sont signalés en octobre avant Montoire (Guingamp) et autour du 11 novembre (Lorient, Saint-Brieuc, Paimpol, Rennes, Nantes). Des lycéens brestois ont confectionné des drapeaux britanniques. Le 18 juin 1941, de jeunes Briochins se présentent au lycée avec un crêpe noir, en signe de deuil pour marquer la première année d’occupation. Le lendemain, un tract incite les Brestois à mettre un linge noir aux fenêtres. Les interpellations de la police française sont fréquentes. 4 000 personnes à Rennes Des initiatives locales appellent aussi à manifester en masse en 1941 : le 20 mai, à Lorient, 3 000 personnes (beaucoup d’ouvriers) défilent contre Pétain ; elles sont 3 000 ou 4 000 le 17 juin, à Rennes. Le commandant de gendarmerie Guillaudot, qui a refusé de donner l’ordre de charger la foule, est muté d’office à Vannes où il deviendra, en 1943, l’un des chefs de l’Armée secrète (AS) du Morbihan. Malgré les bombardements, des milliers de personnes défilent sur les tombes de soldats britanniques de 1940 à 1942, à Brest, Lanester, Lorient, Saint-Brieuc, SaintCast, Saint-Malo… Au printemps 1941, V de la victoire et croix de Lorraine fleurissent partout, agaçant fortement l’occupant. « Le vent mauvais » que Pétain voit se lever le 12 août 1941 souffle déjà bien sûr la Bretagne. Certains veulent aller plus loin. Les réseaux de renseignements En 1940, des filières d’évasion de prisonniers se sont ébauchées (à Nantes, à Rennes, à Dinan). Jusqu’à sa destruction, le groupe nantais de Marcel Hévin, qui a une antenne dans les Côtes-du-Nord, prend en charge des aviateurs anglais (ceux tombés à Lanvollon et à Saint-Michel-en-Grève). SR gaulliste et IS et ISOE britanniques recrutent leurs premiers agents dans les ports militaires. Plusieurs missions londoniennes parcourent la Bretagne en 1941-1942 (Savannah, Overcloud). Le Vannetais Gilbert Renault-Rémy trouve des correspondants très efficaces : l’officier de marine Philippon à Brest, l’ingénieur A. Tanguy à Lorient, qui lui remet tous les plans de toutes les bases sous-marines à la fin 1941. De 1940 à 1944, l‘ingénieur alsacien Stosskopf surveille les sous-marins de Lorient pour le SR Marine de Vichy qui informe les Anglais par l’ambassade américaine puis pour le réseau Alliance. Des évadés de 1940 reviennent monter le réseau Johnny qui surveille pour les Anglais les croiseurs allemands à Brest. Des petits groupes locaux cherchent le contact (le groupe Elie à Brest, « la bande à Sidonie » de Suzanne Willborts à Bréhat). Du fait des infiltrations policières, la durée de vie de ces réseaux ne dépasse guère quelques mois. Au bout, il y a souvent la torture, l’exécution ou la déportation. La Résistance communiste Frappé par la répression en 1939-1940 à cause de son approbation du pacte germano-soviétique, le PCF est désorganisé. Marcel Paul arrive en Bretagne en juillet 1940 pour renouer des contacts à Rennes, à Brest (où une structure clandestine s’est maintenue) et dans la région nantaise. Des militants ont caché quelques armes. A Nantes, Auguste Havez aurait lancé un appel « à la lutte de libération nationale », non conservé, alors que la direction centrale du parti (Jacques Duclos) dénonce la guerre interimpérialiste, critique de Gaulle et les Anglais, et tente d’obtenir des Allemands la reparution légale de « L’Humanité ». La répression suit Fin 1940-début 1941, Alain Le Lay dans le Finistère et le Morbihan, Pierre Le Quéinec dans les Côtes-du-Nord réorganisent le parti. Des groupes se forment à Rennes, à Saint-Malo et à Fougères. La propagande communiste est signalée dans plusieurs villes de Bretagne à l’automne 1940, notamment dans les arsenaux ; des journaux sont diffusés : « La voix de l’Arsenal » à Rennes, « La Bretagne ouvrière, paysanne et maritime » de Brest à Nantes à partir de mars-avril 1941. La répression suit. Onze jeunes de Lorient sont condamnés à plusieurs jours de prison pour avoir chanté l’Internationale dans un café, le 1 er janvier 1941. La montée en puissance de cette propagande en avril-mai 1941, c’est-à-dire deux mois avant l’attaque de l‘URSS, inquiète les Allemands. A leur demande, 16 suspects de Callac, de Guingamp et du Trégor sont arrêtés en août 1941. 27 otages fusillés Plusieurs Résistants des trois départements les plus à l’ouest sont internés à Châteaubriant. Peu après, 27 otages communistes désignés par Vichy, dont Paul Guéguin, l’ancien maire de Concarneau, et 27 autres Nantais sont fusillés en représailles contre la mort du commandant Hotz. Le 21 octobre 1941, il a été abattu à Nantes par Gilbert Brustlein, envoyé par le PC spécialement de Paris. Cette affaire a un profond retentissement sur l’opinion et sur l‘essor de la Résistance communiste. Les quelques groupes de l’Organisation spéciale pratiquaient déjà des sabotages (chemins de fer, arsenaux, chantiers allemands). Celui du port de Brest tue trois Allemands en mars 1941 et immerge les corps. Un officier allemand est abattu en novembre pendant un bombardement. Avec la création des Francs tireurs et partisans (FTP), en avril 1942, commandés par le Breton Charles Tillon, les sabotages augmentent. Des attentats à la bombe visent des locaux fréquentés par les Allemands dans toutes les grandes villes. Mais la répression se durcit. La plupart des pionniers tombent et sont fusillés (25 à Rennes le 30 décembre 1942, 19 Brestois au Mont-Valérien le 17 septembre 1943). 1943 : l’essor des mouvements Alors que les privations s’aggravent, la Relève fin 1942, l’envoi d’ouvriers requis en Allemagne est difficile. En 1943, le Service du travail obligatoire (STO) jettent des milliers de jeunes gens dans la dissidence. Plus de 4 500 réfractaires sont cachés dans les fermes du Morbihan et autant dans celles des Côtes-du-Nord en août 1943. En 1942 et surtout en 1943, les grands mouvements de zone occupée se développent en Bretagne. Il s’agit de Libération-Nord (proche de la SFIO et de la CGT), du Front National lancé par le PCF, de Défense de la France (dans les milieux modérés). S’y ajoutent des groupes de l’OCM, de l’ORA, de Vengeance. Grâce à leurs journaux clandestins, ils touchent de plus en plus de monde, revendiquant plusieurs milliers d’adhérents en 1944. Avec des responsables comme Tanguy-Prigent, Libé-Nord, qui a une audience importante, est chargé d’organiser l’Armée secrète (AS). Dans le Morbihan, c‘est le commandant Guillaudot-Yodi, chef du réseau Action de la France combattante, et ses gendarmes qui prennent les choses en mains. Les généraux Audibert et Allard commandent l’AS des régions M2 et M3 (Bretagne). Des actions de guérilla Dans le Centre-Bretagne, des groupes FTP très mobiles, plus quelques corps francs des autres mouvements (24 dans le Morbihan en décembre 1943), pratiquent la guérilla (sabotages, attaques de mairies et de fermes, premières exécutions sommaires). Avant le débarquement, il y a très peu de maquis en Bretagne. On est pourtant passé de 23 attentats en juillet 1943 à 348 en mars 1944 ; de 29 à 104 dans les Côtes-du-Nord du 1 er au 2e semestre 1943. Mais les armes font défaut et il faut se débrouiller (rails déboulonnés) en attendant quelques parachutages au printemps, mais surtout en juillet 1944. La Cie FTP de Plouaret réalise ainsi 24 sabotages sur la ligne Paris-Brest de janvier au 9 mai 1944. Un climat quasi-insurrectionnel règne dans plusieurs zones de l’intérieur en avrilmai, provoquant des rafles allemandes. En outre, la plupart des chefs départementaux civils et militaires de la Résistance ont été arrêtés, empêchant la fusion en cours des Forces françaises de l’Intérieur (FFI) et des FTP. Face à quelques milliers de résistants, sans armes ou presque, les Allemands concentrent quelque 150 000 hommes dans la péninsule. Participation de la Résistance à la Libération Les Alliés ne font guère confiance aux Résistants de l’intérieur pour appliquer les divers plans de sabotage prévus pour retarder l’envoi de renforts allemands en Normandie. A partir du 6 juin, ils comptent sur les 500 parachutistes SAS du commandant Bourgoin largués sur les deux bases Samwest et Dingson, à Duault (Côtes-du-Nord) et à Saint-Marcel (Morbihan) ainsi que sur 18 Coney parties. Surpris, les SAS se rendent vite compte de l‘importance et de la combativité des FFI et des FTP. Après la dislocation après combat des bases de Duault (12 juin) et de Saint-Marcel (18 juin), plusieurs parachutistes prendront la tête de maquis importants comme celui de Plésidy, au sud de Guingamp. Dans une ambiance de levée en masse, des milliers de FFI des bataillons en formation dans le Morbihan passent au camp de Saint-Marcel pour s’y armer. Ils sont 2 400 au matin du 18 juin quand les Allemands attaquent. Une telle concentration était dangereuse. La bataille rangée fait rage toute la journée, soutenue par l’aviation alliée. Le soir, FFI et SAS décrochent, laissant 30 tués pour 300 à 560 Allemands ? La stratégie alliée des maquis mobilisateurs est un échec. 35 000 FFI Grâce à une dizaine d’équipes Jedburgh (trois hommes), les armes vont bientôt tomber du ciel (64 parachutages dans les Côtes-du-Nord dont 54 en juillet). Dans ce département, les plans de sabotages ont bien été mis en œuvre par les FFI-FTP : 143 voies ferrées, 102 lignes téléphoniques coupées selon Roger Huguen. Il y a eu 116 embuscades et accrochages du 6 juin au 31 juillet. Partout, les maquis attaqués doivent décrocher avec des pertes ; certains sont détruits (Saffré) ; les représailles allemandes sont de plus en plus sanglantes. Heureusement, la percée d’Avranches permet aux armées américaines de foncer vers Brest dans les premiers jours d’août, soulageant une pression de plus en plus insupportable. Quelque 35 000 FFI participent à la Libération de leur région, servant d’infanterie aux Américains, nettoyant les campagnes. Ils libèrent des villes évacuées par les Allemands qui se replient sur Brest et Lorient. Il faut l’intervention américaine pour réduire, de la mi-août à la mi-septembre 1944, les mini-poches côtières (Saint-Malo, le Cap Fréhel, Lézardrieux, Paimpol, Concarneau, Brest, Crozon), mais celles de Lorient et de Saint-Nazaire vont tenir jusqu’en mai 1945. Les Bretons, qui n’ont pas démérité, peuvent fêter la liberté reconquise. Source : Hors-série Le Télégramme "La Bretagne libérée" 2004, p. 4-5. Christian Bougeard.