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Actualité de la langue etde la fable
Dernière pièce de Sophocle, alors âgé de plus de quatre vingt ans, Œdipe à Colone
est un trésor de l’humanité. Elle entremêle des thèmes qui nous sont essentiels. Il y
est question de l’acceptation, des étrangers, des plus âgés, des « inutiles », de tous
ceux dont le chœur des citoyens d’Athènes se demande ce qu’ils vont coûter, et que
leur roi Thésée décide d’accueillir au prix fort. Maintenant l’Europe toute entière
fait face à la tragédie de milliers de migrants, et l’Athènes d’aujourd’hui, sous
l’index de Bruxelles, questionne à son tour nos valeurs, comme le faisait Œdipe.
La famille errante et désunie d’Œdipe nous renvoie aussi à nos familles, rancœurs et
querelles, aux « places » que nous y occupons, celle de l’enfant non désiré, du
traître, de l’égoïste, de la préférée, de la sacrifiée. Peut-on dépasser la place allouée,
peut-on, contre la fatalité, être acteur de sa vie, agir sur le monde ?
Difficile, Sophocle ? Irréductible au simplisme en tout cas, et c’est à la charge des
artistes d’envoyer les signes qui font sonner d’une manière saisissante la profondeur
polysémique de cette fable ancienne. La musique live en permanence, la sensualité
de la scénographie et des lumières, l’humour féroce et vivifiant – cette « politesse
du désespoir » dont nous avons absolument besoin – tout cela rend à Sophocle ce
qu’il est, un grand auteur populaire qui réjouit, interroge, élève.
La grande fluidité le la traduction de Nicolas Wapler, qui réinterroge le grec ancien
mais aussi les lectures rythmiques de très belles traductions anglaises et italiennes,
est une voie nouvelle entre l’écueil parnassien de certains hellénistes et la séduction
facile d’un trash trop réducteur. Elle donne accès à l’oralité et à la rythmique
originelles, à la subtilité des jeux de mots et des champs sémantiques qui se
rapportent au sacré, au politique, au territorial, à l’hospitalité.