Les mondes ruraux à l'épreuve des sciences sociales - Dijon, 17-19 mai 2006
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j’invoquais mon parcours, mettait une ombre à mon enthousiasme premier d’accéder enfin
à l’activité scientifique avec l’ascension sociale comme perspective. Se dire sociologue à
l’INRA dans les années 1970, n’était pas très crédible, comme si je n’étais pas dans la
« vraie » recherche.
Si l’on admet que : « L’univers « pur » de la science la plus « pure » est un champ social
comme un autre, avec ses rapports de forces et ses monopoles, ses luttes et ses stratégies,
ses intérêts et ses profits, mais où tous ces invariants revêtent des formes spécifiques »
(Bourdieu, 1976, p. 89), il est moins important de se préoccuper de la subjectivité de ses
agents que d’analyser ce qui se joue et comment on joue ? Pour cela, il ne suffit pas de s’en
tenir à la norme juridique ou administrative qui organise le champ mais à ces formes de
régularité qui vont parfois à l’encontre le la règle officielle tout en étant régulières. Enfin,
pour repérer les invariants propres au champ scientifique et en particulier à la recherche
agronomique (pourquoi ce terme, agronomique, pour aborder la sociologie), un travail
historique est nécessaire. De plus, appartenir à un collectif de recherche, comme toute
appartenance à un groupe, se négocie, parfois se marchande. Mais parce qu’il s’agit de
science, quels sont les termes du marché d’où s’organise la négociation ?
Il me faut remonter à une époque très antérieure à mon entrée à l’INRA, à la naissance de
l’institution et aux circonstances de sa création pour pouvoir prétendre à une certaine
objectivité. Sachant que le parti pris de l’objectivité est le seul capable de révéler quelque
chose de la trajectoire personnelle, il peut être difficile de rompre avec « l’illusion
biographique » pour découvrir une autre version de la réalité que celle que l’on s’est forgée
au fil de sa vie (Bourdieu, 1994). Le travail de recherche m’est apparu tout à coup colossal.
Je n’ai pu dépasser jusque là que les préliminaires en indiquant quelques pistes.
Dans quelles circonstances a été créé l’INRA1 ? A partir de quelles relations avec les
acteurs internes du champ scientifique ? Dans quelles relations avec les acteurs externes
influant sur la définition de la recherche scientifique ? Pour quelle place ?
1. Les débuts de la recherche agronomique en tant
que service à la disposition des agriculteurs
C’est avec l’utilisation des engrais au milieu du XIXème siècle que se créent les premiers
laboratoires de recherche destinés à l’agriculture comme une fonction de contrôle liée à la
répression des fraudes. Au départ, « la station agronomique » fonctionne comme un
laboratoire d’analyses. En 1878, on en compte en France 28, 82 en 1900. Peu à peu, les
directeurs de ces laboratoires investis du double titre de « chimistes » et « d’agronomes »
étudient la nature des sols et certains problèmes de nutrition végétale. En 1883, paraît leur
publication : Les Annales de la science agronomique française et étrangère devenant à
partir de 1930, « Les Annales Agronomiques ».
Ces stations ou laboratoires sont organisés par l’Etat, les départements ou les municipalités
avec une double mission : effectuer des recherches mais aussi éclairer les cultivateurs sur la
1 Pour cette partie historique j’ai amplement puisé dans l’ouvrage de Jean Cranney, (1996) chef du
Département d’Economie et Sociologie Rurales de 1984 à 1990.