Islam,débat oucombat? - societe des lecteurs du monde

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décryptages DIALOGUES
Islam, débat
ou combat?
Médiateur
Pascal Galinier
C
her “mon journal”. Je suis partisan de la liberté totale d’expression (de création, de protestation, de critique, de caricature, etc.) dans la presse.
Mais je n’approuve pas la
publication de ce jour de Charlie Hebdo. »
Robert Gros, de Montpellier, ne cache pas
son irritation après la publication cette
semaine de nouvelles caricatures de
Mahomet. Eût-il publié des pages sur
« Jésus, Marie, le prophète Jérémie,
Bouddha et d’autres personnages sacrés »,
l’hebdomadaire aurait mis « au pied du
mur les croyants (et les responsables) de
ces diverses croyances, et on aurait distingué, selon leur réaction, les gens ouverts et
les bornés, les tolérants et les violents… »,
dit ce lecteur. Las ! « Charlie Hebdo n’a
publié ses caricatures que sur le prophète
des musulmans. Dommage ! Ce n’est pas
pédagogique. Et c’est dangereux.»
«Le rire peut être explosif», prévenait,
mercredi, notre éditorial sur le sujet
(LeMonde du jeudi 20septembre). Pour
l’heure, Dieu merci (si l’on ose dire…), l’affaire a surtout fait exploser… le ton et le
nombre des courriers et commentaires en
ligne. A la question posée par l’édito –
« Intégrisme: faut-il verser de l’huile sur le
feu?» –, chacun répond à sa façon. Avec ou
sans nuance. «Les anti, les pro, les ouimais… Thèse, antithèse, synthèse…», résume “AmellaL” (Web, Paris), sur un ton ironique de circonstance. Une question de
cours, en somme. Eliminatoire, à en croire
certains lecteurs examinateurs…
«Je trouve que vous n’allez pas assez
loin, nous reproche ainsi Pierre Jamey
(Saint-Jean-de-Blaignac, Gironde). Vous
devriez clairement répondre “non” à la
question que vous posez. » «Cette prise de
position, sous couvert de responsabilité,
renvoie, peu ou prou, à l’esprit de Munich»,
Courrier
Témoignage
« Comme un drapeau
sur une barricade »
Le monde musulman s’indigne
des récentes caricatures du Prophète publiées par CharlieHebdo. La
rédaction du journal satirique
argue de la défense du droit inaliénable à la liberté d’expression, et
refuse de céder au chantage de cer-
tains extrémistes. Mais à quelles
réalités fait face ce beau principe
qui claque comme un drapeau sur
une barricade? Quelle légitimité
quand les conséquences de ses
actes sont subies par d’autres? La
position de CharlieHebdo se heurte tout d’abord à la réalité des
conséquences de ces publications:
les pays musulmans compren-
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Dimanche 23 - Lundi 24 septembre 2012
attaque Jean Pébayle (Bordeaux). « Quelle
évolution depuis la publication des caricatures de Mahomet au Danemark, regrette
“Ernest Escolano” (Web, Varces-Allières-etRisset, Isère). A l’époque, Le Monde
publiait des dessins de Plantu pour soutenir ses confrères danois. Aujourd’hui, on
baisse la tête, pour ne pas dire plus,
devant l’épouvantail islamiste. »
LeMonde ne baisse pas la tête. Il s’efforce au contraire de la tenir haute, de la garder froide. D’élever le débat autant que de
l’alimenter. De donner la parole à tous. De
faire son métier, quoi! Ni plus ni moins.
Sur une ligne de crête de plus en plus étroite. Et en pesant nos mots, qui peuvent
être, comme les caricatures, autant de «pistolets chargés», comme dit un internaute.
Alors, pour ou contre CharlieHebdo?
Les deux mon général ! « Pour », “L’ignorant” (Web) : « Charlie a toujours bouffé
du curé. Aujourd’hui on leur dit qu’ils ont
le droit, mais uniquement du curé catholique! Or, ils sont pour l’égalité de traitement…» Et de rappeler que l’hebdo satirique fut quand même « le premier journal
à s’indigner du racisme, à exiger dans une
pétition que le Front national ne soit pas
reconnu comme un parti ». « Pour », “Emilio Alba” (Web, Paris): « CharlieHebdo fait
comme vous, il traite l’actualité, lui, à sa
manière, et vous, à la vôtre. Alors, sous prétexte que c’est chaud, Le Canardne devrait
rien révéler? Charlie ne devrait pas se
moquer? Les dessinateurs devraient faire
relâche, et Le Monde devrait passer de la
musique funèbre ? »
nent des minorités extrémistes et
agissantes, difficiles à contrôler,
qui se nourrissent des désespérances liées au chômage et à la misère.
Certains accueillent des dizaines
de milliers de Français (plus de
25000 rien qu’en Tunisie). Les
symboles de la France – consulats,
écoles françaises, instituts culturels, et même certaines entreprises– y sont nombreux, et difficiles
à protéger.
La défense d’un principe, fût-il la
liberté, n’est légitime que si l’on
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« Contre», Lucien Rodier (Paris): «Nous
sommes tous assis sur une poudrière et ces
enfants gâtés défendent leur “liberté” de
craquer une allumette?» Ni « pour» ni
« contre», Ludovic Lefèvre (Bailleul, Nord),
même si, dit-il, «J’avoue m’être demandé
en quoi les caricatures n’étaient pas tout
aussi imbéciles que le film et les actes qu’elles dénoncent». «Bravo pour la liberté d’expression, mais pourquoi le faire maintenant? », s’interroge “Didier Herry” (Web).
A quoi “Philippe Marrel” (Web) répond:
« Y a-t-il un “meilleur moment” pour caricaturer une religion ? Je ne crois pas,
demandons à nos concitoyens musulmans.»
B
onne idée ! Si nos lecteurs « concitoyens musulmans» s’expriment
(plus ou moins) volontiers en tant
que tels sur notre site Internet, force est de
constater que leurs courriers-courriels relèvent de la rareté. «Le salafisme, c’est le problème de l’Occident, pas des musulmans! »,
balaie d’un revers de mail Wardia Salem –
l’une de ces raretés, sise à Montrouge
(Hauts-de-Seine). «Boubakeur, Malek Chebel, taisez-vous! Laissez donc les salafistes
et les Occidentaux laver leur linge sale en
famille! Quand on trouve criminel de provoquer une manifestation grâce aux
réseaux sociaux, on ne les applaudit pas à
Tunis, à Damas ou à Pétaouchnok!»
Le débat est décidément un combat…
« Ne jamais caricaturer une religion?
Vraie question…», susurre “Philippe Marrel”. Une question « vieille comme Héro-
assume soi-même toutes les conséquences de ses actes, tels les avocats tunisiens défenseurs des
droits de l’homme dans les geôles
de Ben Ali. Mais lorsqu’elle revient
à faire payer les effets de ses propres actions aux autres, dans leur
chair, celle de leurs enfants, dans
leur vie de tous les jours, alors non,
cette défense-là n’est pas légitime
et elle est lâche! Les caricatures
participent-elles à la défense de la
liberté d’expression?
Les sociétés occidentales et musulmanes ont une vision caricaturale
les unes des autres, vision souvent
générée par les thèmes récurrents
traités par la presse – la montée du
salafisme – ou par les séries télévisées – la société de consommation
et la vie facile. Il est difficile de comprendre dans les sociétés post-religieuses occidentales, et notamment en France, pays de la laïcité,
l’importance de la religion dans la
vie de tous les jours des sociétés
arabes.
Dans la Tunisie qui m’accueille et
que j’apprécie, le fait religieux est
intimement mêlé à la culture et il
faut comprendre que la grande
majorité des citoyens (pratiquants
et non pratiquants), qui par
ailleurs condamne les actes de violence de ces derniers jours, est
effectivement choquée par des
caricatures qu’elle perçoit comme
des manifestations de haine et de
mépris.
A quoi dès lors sert-il de blesser
les gens dans ce qu’ils ont de plus
cher? Est-ce ainsi que l’on transmet, drapé dans son bon droit, le
principe de la liberté d’expression? Où se situe le combat pour
cette liberté? Dans les vieilles
Républiques européennes ou dans
les jeunes démocraties arabes?
Accepter « l’autre» – je ne parle pas
des extrémistes –, c’est accepter
une histoire différente, une
conception différente de la vie, des
valeurs différentes. S’enrichir de
ses valeurs, et enrichir l’autre de
nos valeurs, cela n’est possible que
dans le respect mutuel, dans l’attention et dans le dialogue.
Je ne pense pas que les caricatures
publiées par CharlieHebdo relèvent de cette approche, et je crois
qu’au contraire elles confortent
ceux-là même qu’elles pensent
combattre. Je ne pense pas non
plus qu’elles contribuent à rassembler les peuples.
La façon avec laquelle cet hebdomadaire prétend défendre la liberté d’expression n’est donc ni légitime ni efficace.
Daniel Verdeil, Tunis
Résident en Tunisie
depuis janvier 2011
Education
De la morale laïque
Parler de « morale laïque», c’est la
distinguer de la question du salut
personnel. L’individu n’est pas seu-
de », auraient dit nos grand-mères… Elle
concerne l’islam ici et maintenant, mais
interpelle toutes les religions, rappelle le
professeur François Boespflug, dans un
entretien au Monde.fr. C’est peut-être là
que le bât blesse. « Je n’en peux plus de
l’importance démesurée prise par les religions dans l’actualité, dans les médias et
aussi dans Le Monde, nous écrit MarieFrance Waser (Paris). Il me semble que les
événements récents nécessitent un rappel
serein à la raison et à la laïcité! »
Laïcité. Encore un mot explosif. Comme des réactions de lecteurs le montrent,
l’intégrisme n’est pas toujours là où on le
croit… Ce n’est pas par hasard que Marine
LePen a fait de la laïcité son nouveau cheval de bataille (Le Monde du 22 septembre). « La vérité, c’est que nous avons
échoué à résoudre ce problème, par l’intégration et l’éducation. Qu’un jeune adulte
formé par l’école française ne comprenne
pas les fondements de notre société est un
constat d’échec sans appel», tranche Etienne Chambolle (Bordeaux). « A quand une
page d’entretien avec un philosophe
athée pour qu’il explique les multiples raisons qui font qu’on a envie non seulement
de s’arc-bouter mais bien d’envoyer promener ces traditions, ces rites, ces croyances, ces doctrines, ces injonctions insupportables», insiste Mme Waser. Encore un
beau sujet d’éditorial – et de polémique –
à venir… Voltaire, réveille-toi! p
[email protected]
Mediateur.blog.lemonde.fr
Election
Objectif: intégrer
La pertinente tribune des 75 députés socialistes sur « Le statut des étrangers doit passer de celui d’invisibles à celui d’acteurs de la vie locale » (Le
Monde du 18 septembre) ne répondait que partiellement à l’objection
de Manuel Valls : le vote des étrangers aux élections locales n’est pas
« un puissant facteur d’intégration». Pour approfondir cette question, il
est intéressant de se référer à un sondage Ipsos effectué fin 2011 à Paris
et à Lyon, qui analysait comment les étrangers perçoivent leur intégration : ils répondaient à 92 % vouloir se rendre aux urnes, mais par
contre ils étaient beaucoup moins attirés par la naturalisation française
vu les procédures trop contraignantes et le peu d’impact sur leur quotidien. A une droite présentant l’accès à la nationalité française comme
solution pour régler les problèmes d’identité des étrangers, la gauche
devrait répondre en faisant de ce vote une première étape pour intégrer
les étrangers avant leur accession à la nationalité. Pour construire la
démocratie de confiance prônée par François Hollande, le vote local
peut être un facteur décisif pour de nombreux étrangers.
Jean-Claude Devèze, Paris
lement sous le regard d’un Dieu
qui lui a fait connaître ses exigences et qui est seul juge. Quand bien
même aucun Dieu ne lui parlerait,
chacun est en relation constante et
incontournable avec d’autres, qui
lui font connaître leurs exigences.
Toutes n’étant pas acceptables,
c’est au terme de compromis circonstanciels (dépendant de la
région du monde et de l’époque)
que l’on détermine des règles de
conduite identiques pour un espace et un temps donnés.
Peut-être que l’influence des religions ne porte pas sur la conception du « bien» ou du « mal », mais
sur l’idée que l’on ne peut imposer
une discipline qu’à soi-même, afin
de modifier ses propres comportements pour devenir « meilleur».
Or la morale laïque n’exige pas
d’être bon (elle ne l’interdit pas!),
d’être un exemple pour les autres.
Elle ordonne de ne pas leur faire de
mal. Ce n’est pas la morale, mais la
loi, fondée sur le même principe
de ne pas nuire, qui interdira ce
qui est considéré comme délit et
comme crime, passible de sanctions pénales.
En deçà de ces sanctions, il faut
bien exercer une contrainte sociale qui ne demandera pas grandchose: se retenir de ricaner, de
crier n’est pas un sacrifice.
Danièle Pontremoli
Paris
Controverse du Net
Impossible dialogue
Un site bloqué, une explosion de commentaires sur le Web, les gros
titres de la presse internationale… Depuis le 18septembre, un seul nom
est sur toutes les lèvres: Charlie Hebdo. En caricaturant à nouveau Mahomet, le journal s’est attiré l’ire de nombreux musulmans et a suscité la
polémique. Mais là où on devrait trouver des débats, parfois houleux,
avec un prisme d’avis très divers, il n’y a pas de réelle discussion. Et ce,
malgré un flot de réactions ininterrompu depuis mardi soir. Avec des lecteurs comme Raphaëlle sur notre page Facebook, les opinions modérées
en faveur de la liberté de la presse sont bien présentes: « Il est normal
qu’ils puissent tourner en ridicule tout et n’importe quoi. » Ou avec Christian: «Vu la situation, c’est donner du grain à moudre aux intégristes…»
Mais cette parole est phagocytée par les extrémistes de tous bords, rendant le dialogue impossible.
D’un côté, les réactions, plus que violentes, de certains musulmans
étouffent les commentaires modérés comme celui d’Ilhem: «Avoir un
religions], c’est normal.
esprit critique par rapport à l’islam [et les autres religions],
Mais pourquoi caricaturer le Prophète?» A côté des insultes et des menaces de mort envers la rédaction de Charlie Hebdo, la voix d’Ilhem peine à
être entendue. De l’autrecôté, les nationalistes, islamophobes et autres
militants d’extrême droite s’érigent en défenseurs de la liberté d’expression. «Qui met de l’huile sur le feu? Les barbus assassins, ou les journalistes qui se moquent de ces sinistres individus? La presse ne doit pas se laisser dicter ce qu’elle doit faire !», peut-on ainsi lire. Rodés à contourner la
modération, à envelopper leur idéologie douteuse dans des arguments
acceptables, ils donnent l’impression aux contradicteurs de Charlie Hebdo que, dans ce cadre, cette liberté n’existe que pour critiquer l’islam. Au
final, les extrémistes s’essayent à crier plus fort que l’autre « camp»,
empêchant les lecteurs de discuter calmement du sujet. La difficulté
pour nous? Parvenir à assainir le débat, pour permettre le dialogue. p
Flavien Hamon
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