Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
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dossier thématique
Immunologie
et onco-hématologie
raconté à Juliette
Limmunité antitumorale
racontée à Juliette
M.C. Béné*
La première chose importante à se remé-
morer est que, malgré sa complexité, le
système immu nitaire fonctionne glo-
balement de la même manière quand
il est confronté à quelque antigène
que ce soit.
L’immunité innée intervient en premier
lieu, le plus souvent de façon silen-
cieuse, mais également via l’inam-
mation. Lorsque les signaux de danger
s’accumulent, les mécanismes plus
puissants de l’immunité cognitive ou
adaptative sont alors mis en jeu. C’est
à ce stade qu’interviennent les cellules
capables de reconnaître spéciquement
ces antigènes : les lymphocytes B et les
lymphocytes T.
Ces cellules, au cours de leur dévelop-
pement, réarrangent au hasard les gènes
codant pour leur récepteur à l’antigène
(respectivement BCR [
B-cell receptor
]
ou TCR [
T-cell receptor
]). Une phase
de sélection négative, au contact
des cellules stromales de la moelle
osseuse ou du thymus, permet d’élimi-
ner les lymphocytes dont le récepteur
reconnaîtrait des antigènes du soi, ou
auto-antigènes. Il existe donc chez
chaque individu un large répertoire
de lymphocytes dont le récepteur peut
réagir avec des antigènes du “non-soi”
ou “anormaux”, dont ceux exprimés par
les cellules tumorales de l’individu.
Celles-ci peuvent être reconnues parce
qu’elles expriment des antigènes viraux
(tumeurs viro-induites), des molécules
spéciques de la tumeur (par exemple,
l’idiotype de l’immunoglobuline des
proliférations B), des antigènes fœtaux
réexprimés par les cellules tumorales ou
des protéines anormales (protéines de
fusion issues de translocations).
Comme cela est très bien rappelé dans
les différents chapitres, les modèles
expérimentaux animaux ou d’immuno-
déficience humaine ont apporté la
preuve qu’il existait bien une immunité
antitumorale. C’est elle qui permet à
la majorité des individus de ne pas
développer de cancer. La pathologie
survient lorsque l’équilibre entre les
cellules potentiellement tumorales et
l’immunité est rompue, soit parce que
le système immunitaire est affaibli, soit
parce que les cellules tumorales déve-
loppent des mécanismes d’échappement.
Le rôle des anticorps dans l’immunité
antitumorale est suggéré par le fait que
l’on peut en mettre en évidence dans
les modèles murins de tumorogenèse, et
surtout par le rôle majeur que jouent
depuis le début du xx
ie
siècle les anti-
corps monoclonaux dans le traitement
des cancers. La lyse tumorale induite par
la xation de ces anticorps sur leur cible
fait intervenir la mise en jeu des cascades
apoptotiques, mais aussi l’activation du
complément, la phagocytose par les macro-
phages et surtout la cytotoxicité cellulaire
dépendante des anticorps (ADCC) liée aux
cellules
Natural Killer
(NK). Les anticorps
antitumoraux interviennent ainsi, lorsqu’ils
existent, comme interface entre l’immunité
innée et l’immunité cognitive.
* Laboratoire d’immuno-
logie et faculté
de médecine de Nancy.
C
e dossier thématique aborde plusieurs facettes des réactions du système immunitaire face aux cellules
leucémiques ou préleucémiques, et décrit la manière dont il peut être manipulé en thérapeutique. Même
si chaque chapitre reprend les fondements des mécanismes abordés, il serait peut-être utile de rappeler
brièvement à Juliette comment fonctionne le système immunitaire dans ce contexte particulier.
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
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L’immunité antitumorale racontée à Juliette
L’immunité innée fait par ailleurs
également intervenir les macro-
phages, capables d’avoir une activité
anti tumorale efcace, en particulier
par la sécrétion de cytokines et par
phagocytose. Les éosinophiles jouent
aussi probablement un rôle, de par leur
contenu basique fortement cytotoxique,
car ils sont fquemment présents dans
les inltrats péritumoraux des tumeurs
solides, de même que les mastocytes,
complémentaires des éosinophiles par
leur contenu acide.
Les mécanismes les plus efcaces sont
cependant liés à la cytotoxicité anti-
tumorale, qui fait intervenir de concert
2 types cellulaires complémentaires :
les lymphocytes T cytotoxiques (souvent
appelés “CTL [
Cytotoxic T Lymphocytes
])
et les cellules NK.
Les lymphocytes T cytotoxiques expri-
ment un TCR dans le contexte du
complexe CD3 et la molécule CD8 qui
restreint leur fonctionnement à la
reconnaissance par ce TCR de peptides
nichés dans une mocule de classe I
du complexe majeur d’histocompatibi-
lité (CMH).
Ces cellules sont les principaux effec-
teurs des réponses cytotoxiques anti-
tumorales et antivirales, et leur TCR est
spécique des complexes peptide anor-
mal/CMH I. Leur activation dépend de
l’activation en amont de lymphocytes
CD4 à fonction
helper
. Ces derniers
reconnaissent les peptides nichés dans
des molécules du CMH de classe II, ce
qui suggère que les macrophages et les
cellules dendritiques sont capables de
phagocyter des cellules ou des molé-
cules d’origine tumorale et de les pré-
senter aux lymphocytes CD4. En tout
état de cause, les lymphocytes cyto-
toxiques CD8, lorsqu’ils réalisent une
synapse immunologique spécique avec
une cellule cible tumorale, activent la
production de perforine et de granzyme.
La perforine, comme son nom l’indique,
crée à la surface de la cellule cible des
pores qui contribuent déjà à sa fragi-
lisation. La perforine présente en effet
une grande homologie avec le complexe
d’attaque de la membrane du complé-
ment. Surtout, elle permet le passage
polarisé et rapide, dans cette cellule
cible, des granzymes A et B qui activent
la cascade apoptotique. La cellule tumo-
rale ainsi visée meurt par apoptose. Elle
peut alors être phago cytée, et le cycle
d’activation des lymphocytes T est ainsi
amplié autant que nécessaire.
Le facteur limitant de cette élimina-
tion efcace des cellules tumorales, qui
fonctionne à coup sûr en permanence
à bas bruit chez chacun d’entre nous,
est l’expression de ces molécules de
classe I par les cellules tumorales. Ces
molécules sont présentes sur toutes les
cellules nucléées, permettant ainsi à
tout type cellulaire engagé dans un
processus tumoral ou infecté par un
virus d’alerter le système immunitaire
de la présence de peptides endogènes
anormaux.
Un des mécanismes d’échappement des
cellules tumorales au système immuni-
taire est ainsi précisément de diminuer,
voire de supprimer totalement l’expres-
sion de ces molécules de classe I sur
les cellules malades. Cette stratégie
est également utilisée par beaucoup de
virus. C’est à ce stade qu’intervient la
complémentarité entre lymphocytes T
cytotoxiques et cellules NK.
Les cellules NK ont une morphologie
proche de celle des lymphocytes mais
s’en distinguent par l’absence de récep-
teurs spéciques de l’antigène. Ils sont
cependant pourvus de très nombreux
récepteurs possédant une action anta-
goniste : des récepteurs activateurs qui
initient la séction des mêmes per-
forine et granzymes que celles des
lymphocytes T cytotoxiques, et des
récepteurs inhibiteurs qui bloquent
ce mécanisme s’ils reconnaissent une
molécule de classe I à la surface de la
cellule cible. Ainsi, s’ils sont incapables
de discerner si le peptide présenté dans
la molécule de classe I est normal ou
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VII - n° 2 - avril-mai-juin 2012
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Immunologie
et onco-hématologie
dossier thématique
raconté à Juliette
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Sous 2 colonnes
largeur 140 mm
Sous justif totale
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non (c’est le rôle des lymphocytes T
cytotoxiques), ils prennent le relais
des lymphocytes T cytotoxiques pour
truire les cellules qui n’expriment
plus ces mocules d’histocompatibi-
lité. Le rôle des cellules NK est accru
par le ciblage que réalisent pour elles
les anticorps antitumoraux. Ces anti-
corps se xent par leur Fab sur les
cellules cibles, ce qui rend accessible
leur fragment Fc aux récepteurs spé-
ciques (FcγR) portés par les cellules
NK. C’est la base de l’ADCC mentionnée
plus haut. Les cellules NK se subdivisent
par ailleurs en 2 sous-populations, exer-
çant préférentiellement soit l’activité
cytotoxique décrite ci-dessus, soit une
activité de production de cytokines.
Les cellules NK sont ainsi capables de
produire de grandes quantités d’in-
terféron γ qui, à son tour, active les
cellules de l’immunité, notamment
l’expression des molécules du CMH de
classe II nécessaires à l’activation des
lymphocytes CD4.
Deux autres types cellulaires peuvent
avoir une action immunitaire anti-
tumorale :
les lymphocytes Tγδ, dont le TCR
associe ces 2 chaînes et non pas les
chaînes α et β utilisées par 95 % des
lymphocytes T circulants ;
les lymphocytes NKT, qui expriment
un TCR invariant et la molécule CD56,
également présente sur les cellules NK.
Si les réponses antitumorales mettent
ainsi en jeu les acteurs habituels du
système immunitaire, il en découle que
les mécanismes de régulation habituels
de ces réponses sont également impli-
qués. Ainsi, des lymphocytes T régu-
lateurs ou l’implication du système
proapoptotique Fas/Fas-ligand limitent
les réponses immunitaires antitumo-
rales, voire favorisent la croissance de
la tumeur si celle-ci trouve le moyen
de les favoriser.
Au total, le développement des cancers,
y compris en oncohématologie, résulte
entre autres de la rupture du rapport
de force permanent qui permet à notre
système immunitaire de contrôler la
prolifération des cellules potentielle-
ment tumorales. Ces cancers se déve-
loppent logiquement préférentiellement
à partir de tissus à fort potentiel pro-
lifératif. En effet, les divisions cellu-
laires prédisposent à des anomalies de
la production de l’ADN. De plus, dans
un tissu en prolifération, l’apparition
d’un avantage sélectif pour la survie
peut jouer un rôle majeur.
La meilleure connaissance de ces
paramètres a déjà permis de déve-
lopper des stratégies thérapeutiques
fondées sur une meilleure compré-
hension de ces interactions multiples,
mais le champ reste vaste pour de tels
progrès.
RÉSUMÉ
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