La « Belle juive », d’Ivanohé à la Shoah
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Éric Fournier
Éric Fournier
La « Belle juive », d’Ivanohé à la Shoah
La « Belle juive », d’Ivanohé à la Shoah
Éditeur : CHAMP VALLON 20 janvier 2012 Collection époques, 373 pages. 26 €
par Jean-Michel Abbes
Mise en ligne : samedi 3 mars 2012
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La « Belle juive », d’Ivanohé à la Shoah
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La « Belle juive » est une figure née avec le siècle (le XIXème) qui se diffuse avec force dans les
imaginaires européens , plus particulièrement en France.
Ce livre se propose d’étudier la naissance et les mutations de la « Belle juive » en France du
XIXème siècle à la Shoah.
La « Belle juive » est un objet culturel d’une extraordinaire complexité et son étude nous introduit
dans le domaine passionnant de l’histoire des culturelle des représentations.
Figure ambigüe de l’altérité, la « Belle juive » éclaire l’histoire des regards portés sur la judéité et la
judaicité (du philosémitisme à l’antisémitisme le plus frénétique).
L’archétype de la « Belle juive » interroge aussi l’histoire des femmes ou plus précisément des
rapports de genre.
Enfin, les usages sociaux de ces représentations, les modalités de l’incarnation du motif constituent
le deuxième axe majeur de cette étude.
Cristallisation
Cristallisation
L’avènement de la figure de la « Belle juive » s’opère au début du XIXème siècle : on peut le situer
entre un événement culturel, la publication du livre de W. Scott « Ivanohé » en 1820 et un
événement à caractère politique, la prise d’Alger par les français en 1830.
La figure de la « Belle juive » prend son essor à la confluence du courant romantique, de
l’orientalisme, de la représentation du féminin et de l’intérêt nouveau porté aux juifs en cette
période d’émancipation.
C’est entre 1830 et 1867 que la figure de la « Belle juive » connait son apothéose et les références
musicales ou littéraires sont multiples ( L’opéra « La juive » d’E. Scribe ou les différents ouvrages
de « La comédie humaine » de Balzac.
En 1867, la publication du roman antisémite « Manette Salomon » des frères Goncourt marque une
rupture, cet ouvrage clôt le moment romantique et inaugure la période fin de siècle durant laquelle
la « Belle juive » tend à devenir le symbole de la femme fatale.
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La « Belle juive » ne se limite pas à une simple beauté plastique, son charme singulier réside dans
sa puissante capacité d’évocation. Elle est triplement marquée par l’altérité en tant qu’orientale,
juive et femme.
Si on se penche sur ses origines, on peut constater qu’elle résulte d’une fusion de la grâce biblique
(le Cantique des cantiques) et des charmes brulants de l’orient auxquels il faut adjoindre cet espace
de relégation qu’est le ghetto.
La « Belle juive » est un paroxysme de la femme rêvée par les hommes du 1er XIXème siècle.
Plusieurs déclinaisons de la figure peuvent être différenciées : l’orientale sensuelle, la réprouvée,
la juive et son père, la courtisane et enfin la révolutionnaire.
La « Belle juive » est un assemblage allégorique tendant vers l’universel mais incarné dans une
figure de l’altérité.
Le début du XIXème siècle regarde les juifs comme il se dévisage lui-même prenant conscience
d’être à la croisée des chemins en des temps incertains.
L’épreuve du réel
L’épreuve du réel
La réalité des femmes juives est largement méconnue des romantiques ( Balzac, Hugo, Vigny,
Chateaubriand ), seuls deux auteurs s’extraient des clichés pour évaluer la beauté des femmes
juives : Beaudelaire et Lamartine.
Existe-t-il réellement une beauté spécifiquement juive ? Existe-t-il un type juif ?
Ces questions particulièrement sensibles suscitent un débat s’ordonnant autour de deux pôles
antagonistes : l’historiographie sioniste et sa réfutation.
Après les travaux de M. Bloch et de S. Sand, il apparaît aujourd’hui que l’existence d’un type juif
est une chimère , il n’y a pas de type juif car il n’y a pas de races humaines. Pourtant au XIXème
siècle, sous le poids conjoint des traditions chrétiennes puis des sciences racistes, s’est renforcée
l’idée que les juifs étaient dotés de caractères somatiques propres.
La figure de la « Belle juive » peut être observée dans l’univers des courtisanes parisiennes avec la
Païva mais elle s’incarne avec une certaine efficacité dans le monde des arts, là ou elle a été forgée
et c’est l’actrice Rachel qui en est le meilleur exemple. Sa réussite repose essentiellement sur son
immense et singulier talent, seul son regard correspond aux clichés habituels et son génie repose
incontestablement sur sa voix.
Rachel est un exemple d’intégration sinon d’assimilation, elles est une femme moderne, elle est la
première des « stars » : excentrique,fascinante,capricieuse, adorée par son immense talent. Elle n’a
pas d’héritière avant Sarah Bernardt sous la Troisième république.
Fin de siècle, fin de rêve
Fin de siècle, fin de rêve
Entre 1870 et 1914, les représentations de la « Belle juive » se métamorphose considérablement.
Dans l’atmosphère fin de siècle, l’offensive antisémite et les nouveaux paradigmes (racialisme,
figure de la femme fatale) mettent durement à l’épreuve la « Belle juive ».
D’emblée, le renouvellement du thème se place sous le signe de la femme fatale d’inspiration
biblique avec le personnage de Salomé qui va inspirer les peintres H. Regnault et G. Moreau ou les
écrivains (G. Flaubert et O. Wilde).
Cette inflexion brutale vers la femme fatale n’est pas spécifique aux figures juives en effet la
littérature de la seconde moitiè du XIXème siècle dit clairement que la femme fait peur, qu’elle est
cruelle, qu’elle peut tuer.
Moins universelle et plus juive, moins complexe et plus triviale, la « Belle juive » continue de
symboliser une autre altérité, celle d’un univers féminin de séductions et de dangers mêlés.
Salomé est la forme la plus aboutie de la femme fatale pour qui le champ des possibles n’existe
pas, c’est toute la différence avec le personnage de Judith, en proie à de puissants dilemmes.
Le fait marquant du second XIXème siècle est le succès de l’antisémitisme en tant que mouvement
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politique et en tant que code culturel influent. Avec « Manette Salomon » des frères Goncourt
publié dès 1867 et « Les Monachs » de Robert des Bonnieres publié en 1885, l’archétype antisémite
de la « Belle juive » est solidement fixé.
C’est cependant l’ouvrage d’Édouard Drumont, « La France juive » publié en 1886 qui marque
l’irruption de l’antisémitisme en France et en Europe. Cet ouvrage offre une grille de lecture
simpliste d’un siècle mouvant et on peut avec Éric Fournier affirmer que l’antisémitisme s’impose
comme « l’arme polyvalente capable de s’attaquer à tous les aspects de la vie moderne et de
fournir une explication à tous les maux et toutes les tensions de l’âge industriel ».
Quels sont les liens de la figure avec le réel en cette fin de siècle ?
En matière d’inspiration, la continuité entre le 1er et le 2d XIXème siècle est patente : tous les
écrivains qui ont écrit sur la « Belle juive » ne connaissent pas de juifs (ves).
Une actrice exceptionnelle marque la période qui nous intéresse, c’est Sarah Bernardt. Si elle n’est
jamais implicitement assimilée à une « Belle juive », l’interaction avec la figire est certaine. Elle est
capable de s’approprier l’ensemble des codes de la « Belle juive » mêlant le tragique de la figure
romantique aux sombres évolutions fin de siècle.
Sarah Bernardt incarne au plus haut point cette modernité honnie par Drumont. La violence des
attaques antisémites qui la visent, échoue cependant à surpasser l’adulation dont elle est l’objet.
Telle Rachel, elle s’impose comme une incarnation de l’esprit français.
A la veille de la 1ère Guerre mondiale, le « siècle tranquille du judaïsme français » s’achève en
même temps que disparaît la sublime Belle juive » romantique.
Disparitions
Disparitions
Entre prégnance et effacement , tel est le statut de la « Belle juive » dans les romans dans l’entre-
deux-guerres.
Globalement, la figure de la « Belle juive » est en net déclin. Les œuvres littéraires mettent souvent
en scène des personnages tournés vers l’avenir, des figures de la modernité comme les
révolutionnaires et surtout les héroïnes sionistes ( ex : Joseph Kessel, Terre d’amour publié en
1927).
Rappelons qu’avec la 1ère Guerre mondiale, les normes de la beauté féminine ont connu une
profonde transformation : l’idée que la beauté est essentiellement affaire de volonté individuelle
s’impose et le modèle de la « Belle juive » vole en éclat.
Si le XIXème siècle considérait la « Belle juive » comme une donnée objective, un fait établi, au
Xxème siècle elle tend à devenir une opinion, un regard subjectif sur quelques femmes par ceux
qui y croient encore (des bourgeois conservateurs la plupart du temps).
Face au fascisme français, qu’en est-il de la « Belle juive » ?
Les anciens stéréotypes se maintiennent chez les frères Tharaud, chez Paul Morand mais c’est avec
Pierre Drieu la Rochelle, figure centrale du paysage littéraire et intellectuel que réapparait avec
une fureur inouïe la figure de la « Belle juive ».
Pour l’auteur de Gilles, roman publié en 1938 au moment de la montée des périls, le viol de la
« Belle juive » s’impose comme une arme dans la guerre des races.
Hors des milieux antisémites,les représentations des belles femmes juives prennent leur distance
avec des stéréotypes qui s’affaiblissent considérablement.
La chanteuse , Marie Dubas ou l’actrice de cinéma, Véra korène en sont une bonne illustration, les
regards portés sur ces artistes qui montrent une volonté manifeste d’assimilation, ne s’intéressent
qu’à leur beauté et leur talent, pas à leur origine.
Avec la Shoah à partir de 1941, triomphe le paradigme qui assimile le juif à un organisme
microbien et dans ce contexte de déshumanisation totale qui tend à délaisser les questions de
genre, la « Belle juive » n’est pas nécessaire aux antisémites pour justifier l’extermination des
juives.
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En conclusion, on peut retenir que :
La « Belle juive » est une figure porteuse d’altérités multiples ( la femme, l’orient, la judéité
oscillant entre religion, peuple et race).
Elle est également une figure de son temps : procédant du XIXème siècle, elle aide à mieux le
définir en précisant la distinction entre le 1er et le 2d XIXème siècle. Encore présente après
la Grande Guerre, elle aide aussi à saisir les liens unissant les deux siècles.
Elle est aussi une figure de la modernité, cette modernité qui apparaît comme un espoir pour
de nombreux juifs.
Elle est une figure antisémite, en effet elle participe à faire du 1er XIXème siècle une période
qui renouvelle les représentations du monde juif. Le développement plus tard à la fin du
XIXème siècle de l’antisémitisme constitue une autre rupture à partir de laquelle se déploie
celui des années 30 qui mène à la Shoah, ce produit du Xxème siècle.
Enfin, la « Belle juive » est aussi une figure marquée par l’indifférence : les femmes juives
sont indifférrentes à cette figure et ne se l’approprient pas. Elle demeure un fantasme
d’homme non-juif.
La « Belle juive » n’a pas vraiment disparu après 1945 de nos imaginaires, ce qui renforce l’intérêt
que nous avons pour cette figure, mais nous appelle aussi à une certaine vigilance. Car,
décidément, imaginer des femmes belles et juives n’est pas anodin.
Jean-Michel Abbes
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