Claude Émon Cannizzo Dojo de Mulhouse – 14 juin 2014 Veillez

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Claude Émon Cannizzo
Dojo de Mulhouse – 14 juin 2014
Veillez bien à ce que votre posture soit la plus stable possible. Aidez-vous
pour cela de la bascule du bassin, comme si vous tombiez vers l’avant. En
partant de cette bascule vers l’avant, ne redressez que la colonne vertébrale.
A ce moment, on sent bien l’encrage des genoux dans le sol. Ensuite, effacez
la courbure de la nuque en ramenant les oreilles au-dessus des épaules.
Autrement dit, rentrez le menton mais sans forcer et relâchez bien les
épaules. En fait, lorsque la colonne vertébrale est étirée, lorsque l’on pousse
le ciel avec le sommet de la tête, le corps se grandit et ceci permet aux
épaules de tomber, entrainées par le poids des bras. Ne restez pas dans la
volonté de garder cette posture. La volonté est nécessaire au départ, ensuite
ne subsiste plus que l’effort, l’effort juste. Mais de temps à autre, lorsque vous
sentez que vous êtes pris dans les pensées, que vous avez perdu l’attention
à Zazen, revenez à la posture et à la respiration. Ne prenez jamais rien pour
acquis, tout est impermanent… Tout. C’est une grande illusion que de croire
que les choses sont permanentes. C’est d’ailleurs cette croyance qui est à
l’origine de ce qui est appelé Dukkha, c’est-à-dire la souffrance : la souffrance
ordinaire tel qu’on la reconnaît, c’est-à-dire la douleur du corps, mais
également toutes les frustrations, les vexations, tout ce qui est à l’origine de
l’insatisfaction. Tout cela et bien d’autres choses sont à l’origine de Dukkha.
Pour comprendre l’enseignement du Bouddha, le bouddhisme, il n’est pas
nécessaire de devenir bouddhiste. Le zen est bouddhiste par son origine mais
il n’est absolument pas nécessaire de devenir bouddhiste pour pratiquer le
zen. Simplement, le zen n’est que la pratique qui a permis à celui qui est
devenu Bouddha d’atteindre cet état d’éveil, la pratique qui a fait de Siddhârta
le Bouddha. Donc simplement en pratiquant Zazen, on suit la pratique du
Bouddha. Mais parallèlement, pour comprendre ce qui se produit lorsqu’on
pratique Zazen, il est important de comprendre l’enseignement que Bouddha
a exprimé après son éveil. Pratiquer sans enseignement risque de créer une
illusion, une illusion spirituelle. C’est en cela qu’il est important pour chaque
pratiquant d’avoir la possibilité de venir pratiquer dans un dojo, pour être
confronté à ses erreurs, confronté à ses illusions. Traditionnellement, il existe
des joutes du Dharma que l’on voit souvent dans les reportages sur le
bouddhisme tibétain. Ils posent une question, frappent les mains et invitent à
une réponse. En faisant cela, ils se confrontent à leur connaissance des
enseignements. Dans le zen, cela est pratiqué durant la cérémonie de
Hossenshiki. Les gens sont alors invités à poser des questions à celui qui doit
devenir Shusso et recevoir la transmission, le Shiho. Mais fondamentalement,
tout cela fait plutôt parti du folklore. Comme je le disais mercredi, ce qui est
important lorsqu’on prétend suivre la voie du Bouddha, de surcroit lorsqu’on
prétend être bouddhiste, c’est simplement d’être en accord avec les quatre
piliers, les quatre sceaux, qui sont :
« Toute création est impermanente, tout ce qui apparaît disparaît, tout ce qui
nait meurt, tout ce qui est se transforme »… même la poussière.
Le deuxième pilier est :
« Toutes les émotions sont souffrance », pour nous occidentaux cela est
parfois difficile à comprendre. Comment la joie, le bonheur peuvent-ils être
assimilés à de la souffrance ? Les émotions font simplement partie de la
construction humaine, nées des « agrégats » éléments qui sont appréhendés
par nos organes sensoriels : ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on
sent, ce que l’on goûte, ce que l’on touche, mais aussi ce que l’on pense.
Tout cela crée des émotions. Ensuite, le mental s’en accapare et en fait des
sentiments : j’aime, je n’aime pas, je trouve beau, je trouve laid, tous les
contraires qui sont à l’origine de la dualité. Ce qui un jour était bonheur, un
jour peut devenir malheur, donner naissance à la tristesse, à l’angoisse, à la
crainte, à la peur etc. Pourquoi ? Parce que le bonheur comme toutes choses,
est impermanent. Il disparaît. Tout le monde fait cette expérience tous les
jours. Aujourd’hui j’aime, demain je n’aime plus. C’est dans la nature de
l’Homme : par exemple, l’attachement que l’on porte à « je t’aime ». Je t’aime
aujourd’hui donc tu m’aimes tout le temps… Oui mais… Et on revient au
premier pilier : l’impermanence. C’est impermanent, changeant. Je me suis
attaché, c’était le bonheur et maintenant je souffre. Donc toute émotion est
souffrance si on s’y attache.
Le troisième pilier est :
« Rien n’a de substance propre », c’est-à-dire que rien n’existe par soi-même,
par lui-même, en lui-même. Tout est composition, tout est combinaison, tout
est assemblage. L’existence n’est qu’un assemblage de différents éléments.
Cet élément est unifié par un nom, un mot : par exemple dans le dojo, on
nomme l’autel. Mais qu’est qu’un autel ? C’est quelques planches de bois,
recouvertes d’un tissu sur lequel différentes choses sont posées : Manjusri,
Bouddha, bougie, encensoir, photo, plante. C’est la combinaison de toutes
ces choses qui est appelée autel. On comprend bien que l’autel est juste un
mot, et que derrière, il y a une combinaison, une multitude de choses qui est
à l’origine du mot. Donc l’autel est autel mais c’est le résultat d’une
combinaison qui n’a pas de substance propre, qu’on nomme la vacuité. Pour
le corps humain, c’est pareil. On a un corps. Ce corps est constitué de ce qui
est visible mais aussi de ce qui ne l’est pas : les organes, les viscères, les
cellules etc. Et lorsqu’on regarde plus profondément dans la cellule, on voit
que la cellule elle-même est une multitude de petits détails, de petits espaces
qui ne tiennent ensemble que par quelque chose : l’énergie. Donc rien n’a de
substance propre, tout change, se transforme. Rien ne cesse de vivre mais
tout se transforme : par exemple, le thé, c’est le thé. On peut l’avoir dans une
tasse, dans un bol, dans un seau. Le bol se casse mais le thé reste le thé,
simplement il est par terre. Ensuite on prend une éponge, le thé reste le thé,
seulement il est dans l’éponge.
Le dernier sceau est :
« Rien n’est au-delà de la réalisation de l’éveil ». Pour un chrétien, on pourrait
dire que rien n’est au-delà de Dieu. Dieu, Bouddha, Satori, Eveil sont la
compréhension de tous ces phénomènes, de toutes ces réalités, de tous ces
piliers : être complètement un avec la réalité des trois autres sceaux. A ce
moment-là, on ne s’attache pas à l’illusion d’une permanence, puisqu’on sait
que tout est impermanent. On ne s’attache pas à ses émotions, à ses
sentiments, car on en comprend l’origine, c’est-à-dire l’attachement. On
comprend que tout ce qui est à nous n’est rien qu’une combinaison de
choses, de phénomènes, d’éléments. Ce qui nous amène naturellement au
quatrième pilier, c’est-à-dire :
« La vision juste, la compréhension juste », la réalité telle qu’elle est,
simplement. On est ni optimiste, ni pessimiste, simplement réaliste. Vivre
dans cette connaissance, c’est être éveillé, éveillé et le réaliser à chaque
instant. Pratiquer Zazen nous permet d’entrer en communion avec cette
réalité, c’est-à-dire en communion spirituelle ; juste s’asseoir, faire
l’expérience à travers sa pratique ; ne pas « croire » ce qui vient d’être dit car
même si cela vient de l’enseignement du Bouddha, il faut l’expérimenter soimême par le corps.
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