Perspectives
2016
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CHINE
Des craintes excessives?
Si de nouveaux soubresauts sont probables, les réformes et le rééquilibrage de la croissance vont se
poursuivre.
La baisse de plus de 30% cet été de la Bourse de Shanghai jointe à la dépréciation, modeste (-3%) mais
inattendue, du yuan ont ébranlé les convictions de ceux qui croyaient au miracle économique chinois. Plusieurs
mois après, les investisseurs continuent de s'interroger sur les perspectives de croissance de l'économie chinoise
et certains redoutent même désormais un ralentissement brutal hard landing »). Ces craintes nous semblent
excessives, mais elles rappellent qu’il ne faut pas sous-estimer les difficultés auxquelles les autorités sont et vont
être confrontées.
Un virage difficile?
Il va leur falloir d’abord poursuivre leurs efforts pour réorienter l’économie vers une économie de services, tirée
d'avantage par la consommation et moins par l'investissement. Il leur faudra aussi corriger les déséquilibres
financiers qui se sont formés au cours des dernières années.
Depuis 2009 en effet, l'endettement a augmenté de façon spectaculaire : faute d’une croissance suffisamment
dynamique dans le reste du monde pour permettre à leur économie de continuer à croître rapidement, les autorités
ont favorisé l’expansion du crédit pour soutenir la demande intérieure. La dette des collectivités locales est ainsi
passée de 10 % du PIB en 2003 à 40 % mi-2015 et celle des agents privés pour l'essentiel celle des entreprises
de 120% du PIB en 2007 à 190 % mi-2015.
Une dette élevée n’est pas, en soi, un problème surtout lorsque le revenu des agents endettés progresse
rapidement. Mais elle peut le devenir si le rythme de croissance baisse brutalement comme cela vient de se
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produire en Chine : avec une croissance nominale de 7% (contre 15% quelques années plus tôt), enrayer la dérive
continue du poids de la dette dans le PIB implique une duction du flux d'emprunt du secteur privé de 25 % du
PIB... à "seulement" 15 %. Ce calcul, grossier, n’en donne pas moins une idée de la puissance des forces
déflationnistes auxquelles l’économie chinoise est aujourd’hui confrontée. Il montre également qu’atteindre
l’objectif de croissance de 6,5% en terme réel affiché par le gouvernement dans son dernier plan Quinquennal ne
sera pas aisé.
La réaction des autorités
Pour y parvenir, les autorités disposent toutefois de marges de manœuvre tant budgétaire que monétaire. Elles ont
d’ailleurs déjà pris un certain nombre de mesures pour éviter un ralentissement trop marqué de l’activité : la
politique monétaire a été assouplie, les penses des collectivités locales ont augmenté (financées en partie par
des émissions obligataires plutôt qu’en recourant seulement à des prêts bancaires) et certaines taxes ont été
abaissées. Les premiers effets de ces mesures sont visibles : la consommation est restée bien orientée, les ventes
de logements ont accéléré et les investissements en infrastructures ont repris. Lorsque la croissance menace de
faiblir dangereusement, les autorités chinoises n’hésitent pas à utiliser tous les leviers dont elles disposent.
Rééquilibrer la croissance
Cette politique de stimulation à court terme n’est toutefois pas suffisante pour assurer la pérennité de la
croissance : à moyen terme, les autorités doivent réorienter leur modèle économique vers une croissance tirée
davantage par les services et la consommation. Cette évolution est, notons-le, déjà engagée depuis plusieurs
années : mi-2015, la part du secteur tertiaire dans le PIB était de 50 %, contre seulement 40 % au début des
années 2000.
Le relatif dynamisme du secteur des services explique d’ailleurs pourquoi, malgré un secteur manufacturier
déprimé, la croissance a pu atteindre 6,9 % en glissement annuel au trimestre 2015 : sur ce trimestre, la valeur
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ajoutée du secteur des services a crû de plus de 8,4 % en rythme annuel.
Ces « bons » résultats doivent toutefois être relativisés. Le secteur financier a en effet largement contribué à
l’accélération de la croissance dans le secteur des services. Sans cette contribution, le PIB n’aurait augmenté que
de 6,3 % sur un an. De plus, les pressions déflationnistes sont loin d’avoir disparu comme en témoigne la baisse
du déflateur du PIB au 3è trimestre 2015, alors que les prix du PIB augmentaient encore à plus de 9 % en 2011.
Développer les services innovants
Encouragées par les premiers résultats obtenus en matière de réorientation de la croissance, en raison aussi du
ralentissement de l’activité, les autorités vont, sur les prochaines années, continuer à mettre l’accent sur le
développement du secteur des services. Annoncé en octobre, le 1Plan Quinquennal (dont les détails seront
publiés en mars 2016) vise notamment à réduire plus encore la part de l’industrie manufacturière à faible valeur
ajoutée au profit de produits et services à plus forte valeur ajoutée. Ce rééquilibrage de la croissance devrait aussi
permettre de faire sortir de la pauvreté plus de 70 millions de Chinois qui pourraient ainsi rejoindre les rangs des
consommateurs.
L’innovation est aussi une des priorités affichées du Plan Quinquennal. Plusieurs « plans d’action » lui sont
d’ailleurs consacrés. L’initiative “Made in China 2025” par exemple a été lancée début 2015 ; elle englobe tout ce
qui a trait à la technologie et à l’internet y compris les réseaux sociaux, l’internet des objets, le commerce
électronique, le commerce online-to-offline, les mégadonnées (Big Data) et la biotechnologie. A cet égard, la
puissance de la vague de ralliement de millions de consommateurs chinois aux technologies innovantes est
impressionnante, comme le montre le succès du « Singles Day ». Au cours de ce festival qui a lieu tous les ans en
Chine, les commerçants en ligne « sacrifient » leurs prix : les ventes en ligne d’Alibaba enregistrées le 11
novembre 2015, jour du « Singles Day », ont atteint RMB 91 milliards (EUR 13,4 milliards), soit plus du double de
celles de l’an dernier (RMB 45 milliards) et quatre fois plus que celles de 2013.
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L’un des autres axes de développement de l’innovation concerne les investissements liés à l’environnement,
notamment dans les sources d’énergie propres et alternatives.
Autres mesures décidées par les autorités
Parallèlement aux projets de l’innovation, le Plan Quinquennal prévoit d’autres initiatives, tournées cette fois vers
l’extérieur. Parmi elles, le projet “One Belt One Road” qui vise à redéployer les surcapacités domestiques pour
favoriser le développement d’infrastructures régionales, afin de d’intensifier les échanges commerciaux avec des
pays asiatiques voisins ou d’autres pays émergents et, dans le même temps, d’étendre l’influence opolitique de
la Chine. Par ailleurs, les entreprises d’Etat, généralement peu efficientes, seront réformées. Enfin, venant à
l’appui de son programme économique, plusieurs réformes sociales sont également annoncées : assouplissement
de la politique de l’enfant unique, augmentation des budgets consacrés à la sécurité sociale, mais aussi à la santé,
à l’éducation et aux retraites…
Si tous les détails ne sont pas encore connus, le Plan Quinquennal présenté récemment sera vraisemblablement
accompagné d’un ensemble de mesures de soutien à la croissance telles que des crédits d’impôt, des baisses
d’impôts et des politiques de prêt ciblées. Les autorités ont d’ores et déjà assoupli les conditions d’obtention des
prêts hypothécaires et réduit la TVA sur les ventes de petites et moyennes cylindrées. La mise en œuvre du plan
ne se fera pas sans heurts. Mais le système de parti unique en Chine permet d’introduire des mesures fortes sans
devoir subir la fronde de partis d’opposition.
Un vent favorable aux actions de la « nouvelle économie »
Comme souvent en Chine, les initiatives du gouvernement ont eu et auront très probablement encore des
conséquences non négligeables sur la Bourse. Sur les prochaines années, la priorité accordée à l’innovation et
aux services pourrait favoriser les entreprises liées aux secteurs de la technologie, des infrastructures et des biens
de consommation (tourisme, Smartphones, produits cosmétiques, sport et culture, commerce électronique,
éducation, services financiers, etc.).
A l’inverse, les actions des secteurs de la « vieille » économie comme les métaux de base, les minerais et
l’énergie – devraient sous-performer. Les investisseurs devront toutefois conserver une certaine « ouverture
d’esprit » : les titres laissés par les investisseurs pourraient offrir d’intéressantes opportunités d’achat alors que
les actions des secteurs les plus porteurs pourraient rapidement devenir surachetées. Il sera donc essentiel de
garder un œil sur les valorisations et de diversifier son portefeuille.
La Bourse chinoise devrait par ailleurs bénéficier des changements importants dans la constitution des indices, à
l’instar de l’introduction des ADR (American Depositary Receipts) chinois dans les indices MSCI China et Emerging
Markets en novembre 2015 et en mai 2016. La pondération de la Chine dans l’indice MSCI Emerging Markets
passera d’environ 23 % aujourd’hui à plus de 26 % probablement en mai 2016 ce qui pourrait faire grimper le
cours de certaines actions de sociétés de croissance cotées aux Etats-Unis, comme Baidu, Alibaba, VipShop,
NetEase et d’autres encore.
Un accès plus large des investisseurs étrangers aux immenses marchés locaux (actions A) serait aussi un élément
positif, si l’on s’en réfère aux attentes générées par le Shenzhen-Hong Kong Connect, projet auxiliaire au
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Shanghai-Hong Kong Connect, dont le lancement en 2014 avait provoqué l’envolée des actions à Shanghaï. Si
l’opération réussit, les actions A pourraient faire ultérieurement leur entrée dans les indices de référence.
Le risque d’un ralentissement brutal de la croissance écarté ?
Ces mesures permettront-elles d’éviter de nouveaux soubresauts sur les marchés chinois ? Probablement pas.
Mais les dirigeants ont sans doute tiré les leçons de leurs erreurs : le gouvernement devrait dès lors être plus
prudent et ne plus encourager le trading sur marges (i.e. l’achat d’actions à crédit), comme il l’a fait début 2015.
A court terme, sa priorité restera la stabilisation de la croissance. A cet égard, les tout derniers indicateurs
montrent que les mesures récemment prises commencent à porter leurs fruits. La politique monétaire est, on l’a
souligné, devenue plus accommodante et la politique budgétaire plus stimulante. Et si, pour l’heure, les
performances boursières restent encore décevantes, le marcdevrait être soutenu par les mesures de politique
économique à venir. Dans ce contexte, les actions des secteurs des services et des biens de consommation
devraient en particulier surperformer.
La détermination des autorités chinoises à éviter un ralentissement trop marqué de la croissance ne doit pas être
sous-estimée. Il ne faut pas non plus douter de leur volonté de mettre tout en œuvre pour préparer leur pays à
l’avenir, ne serait-ce que pour assurer la stabilité sociale… et la survie du Parti !
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