La notion de famille à travers les âges et les sources du droit

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Introduction
La notion de famille
à travers les âges
et les sources du droit
Alors que le sociologue distingue trois types de famille : le clan , groupe de
personnes liées par des liens de consanguinité et dadoption (la tribu étant
l’union de plusieurs clans), la famille patriarcale fondée sur l’auto rité
du chef et non pas sur la communauté, la famille conju gale créée par
le mariage, dont l’existence est remise en cause par le divorce et où seul
compte lindividu, le mari, la femme et chacun des enfants, lhistorien et
l’historien du droit, conscients que la famille subit les tensions de la socté
et quelle ne peut être détachée ni de l’ensemble social, ni du contexte
éco nomique, religieux, politique, dis tinguent la famille romaine (I) de la
famille dancienne France (II) qui, elle, contraste avec la famille du Code
civil de 1804 (III). D’une époque à lautre, la structure familiale varie
parce que la famille est un carre four d’infl uences dordre écono mique,
social, religieux, philosophique.
I. La famille romaine
De 753 av. J.-C. jusquau IIe siècle avant Jésus-Christ, domine la famille
patriarcale, la gens, fondée sur lautori(patria potestas) du chef, le
pater familias , qui a droit de vie et de mort sur ses sujets inca pables
juridi quement. Tous les descendants lui sont soumis, leurs biens lui
appartien nent. Ils sont des alieni juris. Cette f amille agnatique (agnat,
ou parents collatéraux) qui repose sur la parenté masculine va perdre de
sa cohésion et son organisation autoritaire va faire place à une conception
plus indivi dua liste.
Par sa politique de conquête, Rome devient le centre dun immense empire
léconomie agraire et pastorale disparaît pour laisser place à une civili-
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sation de commerce et de consommation. D’autre part, les sources du
droit changent. Le droit familial nest plus gi par la cou tume des ancêtres
ni par le vieux droit civil issu de la loi des XII Tables. s le début du
Haut-Empire (27 av. J.-C.), les empereurs se mettent à légiférer en droit
public comme en droit privé, en particulier pour duire lautorité absolue
du pater familias afi n de protéger les personnes contre ses abus.
À partir du Bas-Empire (284 apr. J.-C.), les empereurs sensibles au
christianisme font évoluer le droit de la famille en ladaptant à certains
principes enseignés par la nouvelle religion devenue en 380 religion
o cielle de l’Empire romain, contribuant ainsi à faire disparaître la
famille romaine païenne. Le nouveau droit de la famille est ainsi ins piré
par les notions de tolérance, d’égalité entre lhomme et la femme, de
pietas ou devoir réciproque entre parents et enfants qui corrige le concept
ancien de potestas. Tous ces éléments nouveaux se conjuguent pour donner
à la famille un autre visage. On passe de la gens à la fami lia ou domus
qui repose sur la parencognatique ou parenté par le sang dans les deux
lignes paternelle et maternelle (cognat ).
Dans tout l’Empire romain, l’unique source du droit est lempereur, soit
qu’il permette lapplication de gles préexistantes, soit qu’il en crée direc-
tement des nouvelles. Ces lois par lesquelles l’empereur crée des normes
juridiques ont é codi ées au Bas-Empire. Le seul code o ciel qui ait été
connu dans la Gaule romaine est le Code théodosien promulgué en 438.
En e et, les compilations de l’empereur Justinien (527-565) qui nont é
publiées que dans l’Empire romain d’Orient aux environs de 530 à un
moment l’Empire romain d’Occident avait dis paru ne seront connues
et étudiées en Occident qu’à partir du XIIe siècle.
II. La famille dans l’ancienne France
En 476 s’e ondre l’Empire romain d’Occident et sur ses ruines s’édi-
ent des États nouveaux, notamment le royaume franc se mêlent
les usages germaniques et un droit romain très formé. La famille à
l’époque franque (476-888) est organisée à limage du clan germa nique
perçu comme une association d’intérêts soudée autour du souvenir dun
eul commun. Le mariage est un mariage par rapt ou par achat. Le chef
du clan exerce sur ses proches le mundium qu’il faut entendre comme
un droit de correction, de discipline qui cesse pour les garçons à l’âge
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ils prennent les armes. Pour les lles, quand elles se marient, le mundium
du mari se substitue au mundium du père.
À l’opposé du droit romain du Bas-Empire qui est un droit écrit, imposé
par voie dautorité, territorial dont les dispositions ne tiennent pas compte
de la nationalité des individus, le droit des barbares repose sur des
cou tumes orales, changeantes dans le temps et variables avec les races (au
sens de peuplade). Au contact des Romains, les Bar bares comprennent la
supé riorité de la règle écrite. Aussi rédigent-ils leurs coutumes auxquelles
ils donnent le nom romain de leges, mais ces règles juridiques n’émanent
pas dautorité législative et ne sont applicables qu’à un peuple. Ainsi la loi
nationale des Francs ou loi salique ne régit que les Francs (système de la
personnalité des lois) installés en Gaule. Les Gallo-Romains ont conservé
le droit romain comme loi personnelle. me modi é et très altéré, le
droit romain du Bas-Empire na jamais été complètement oublié pendant
le Haut Moyen Âge.
La famille à l’époque odale (IXe-XIe scle) : dans un monde sou mis
à l’insécurité permanente où lon pense quun homme ne peut vivre seul
et qu’il est avant tout défi ni par son appartenance à un groupe, l’individu
recherche la protection, non pas celle de l’État trop faible, mais celle de ses
parents et du groupe familial, ou lappui dun seigneur plus puissant que
le roi. Se créent ainsi des solidarités nou velles, soit par un resserre ment des
liens familiaux, soit par un déve loppement des communautés familiales ou
familles patriarcales. La liberté individuelle s’échange contre la sécurité.
Chez les nobles, se crée linstitution du lignage dont limpor tance est
fonc tion de la richesse foncière et du nombre de personnes qui le constitue.
Dissocier les terres et disperser les hommes, c’est condamner le lignage à
la déchéance, c’est faire disparaître la cohésion des parentèles. Pendant la
féodalité, il n’existe plus dordre juridique unitaire en raison du morcel le-
ment du royaume en seigneuries. Le droit sulte de pratiques coutu mières
variées à l’intérieur de chaque seigneurie. La coutume, usage non écrit,
répété (dladage « une fois n’est pas coutume »), reposant sur la mémoire
des anciens, consacrée par le temps, gle le droit privé, notamment le
statut des personnes, la condition des biens, la dévolution successorale.
La famille médiévale (XIIe-XVe siècle) : à p a r t i r d e 115 0 , l ’ É g l i s e , e n
imposant sa conception de la famille reposant sur le mariage, créateur
d’une cellule sociale, fait appartre une notion nouvelle, la famille
conjugale ou nucléaire, qui peut se velopper grâce à des conditions
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économiques et techniques favorables (défrichement de terres, morcel-
le ment des exploita tions rurales). Du coup, les familles larges éclatent
en unités autonomes. Le ménage réduit lemprise du lignage sauf dans
l’aris tocratie où l’ancienne organisation familiale (le lignage) persiste dans
le but de maintenir son prestige et son rang. Cest pourquoi, le droit
familial aristocratique, inégali taire, repose sur deux règles essen tielles, le
droit d’aînesse et le privilège de masculini, qui vont être adoptées plus
tard par les roturiers paysans et bourgeois. À la n du XVe scle, comme
lors de la période romaine, la famille, de patriar cale, se mue en cellule
conju gale. C’est la marche vers l’individua lisme, cest le début du rejet
des contraintes familiales imposées par la famille élargie.
La famille de l’Ancien gime (XVIe-XVIIIe scle) : la famille conju-
gale ou feu est fondée à l’image de l’État sur le principe d’autorité. Est
quali é de demi-feu le foyer dun célibataire ou celui dun veuf. Le chef
de famille impose son autorité car on pense quune forte constitu tion de la
famille ne peut que renforcer lautorité de l’État qui met à la disposition du
chef de famille des moyens répressifs (lettre de cachet ) pour mettre n aux
dés ordres des enfants (risque de mésalliance). Il existe encore des familles
patriarcales ou communautés taisibles ou fréches : il sagit d’un groupe
de ménages étroitement apparentés, commandé par un homme de la
génération précé dente, exploitant en commun les terres possédées en
commun, vivant sous le même toit. Chaque personne, chaque couple
peut quitter la communauté, mais en abandonnant tout.
Les sources du droit dans l’ancienne France : jusqu’en 1789, la loi nest
pas la même pour tous. Les ordonnances du roi ne concernent pas en
prin cipe le droit priqui est essentiellement régi par les coutumes des
di é rentes provinces. Cest pourquoi le droit familial refl ète cette diver-
sité juri dique extrême du royaume, même si des tendances géné rales se
dégagent. Par origine et par essence, la coutume se transmet par tradition
orale. Mais, comme rien ne vaut la sécurité de lécrit, des praticiens (essen-
tiellement des baillis ou juges royaux) digent au cours du XIIIe scle
le texte des cou tumes qui sont appliquées. Ces coutumiers réalisés sur
initiative privée n’ont pas valeur o cielle. Le pouvoir royal décide en 1454
la rédaction o cielle des coutumes du royaume auxquelles il conre
la force de ses propres lois. Cette pre mière rédaction fut suivie dune
seconde dite de réformation au XVIe siècle afi n dadapter au mieux le
droit coutumier aux mutations de la société. Cependant, le mariage,
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fondement de la famille, échappe aux coutumes. Il est régi par un droit
universel, le droit canonique (décisions des conciles ou canons et celles
des papes ou décrétales) qui va également réglementer les conséquences
personnelles de lunion matrimo niale. À partir du XVIe siècle, le pouvoir
royal faisant une entorse au prin cipe selon lequel le droit privé échappe
aux interven tions législatives, légi fère en matière de discipline familiale
(mariage, liation) et me dans le domaine patrimonial de la famille
notam ment en ce qui concerne la trans mission des patrimoines. En n, il
convient de signaler la division entre le Nord de la France plus soumis aux
usages germaniques après 476 et le Midi, plus romanisé dans lAntiquité
que les régions septentrionales de la Gaule, le souvenir du droit romain
est plus présent. La division entre ces deux catégories de région, selon une
ligne très sinueuse allant de La Rochelle à Genève en passant au nord de
l’Auvergne et de Lyon, sexplique par le deg général d’infl uence du droit
romain écrit. Lopposition entre ces deux zones, pays de droit écrit, pays
de coutumes, est fondamentale jusqu’à la fi n de lAncien Régime.
III. La famille du Code civil de 1804
Rejetant l’organisation de la famille dAncien Régime considérée comme
viciée par le despotisme religieux et patriarcal, la Révolution de 1789
transforme en profondeur le droit de la famille, lui appli quant les
prin cipes de laïcité, liber, égalité, nature. Par ailleurs, la Révolution
réalise lunité juridique de la France en posant comme principe « simple
et incontestable » que la loi « doit être la même pour tous soit qu’elle pro tège
soit qu’elle punisse » (a.6claration des droits de lhomme). Tout le droit
de la famille doit être réduit à lunité (les autres sources, les cou tumes et le
droit canonique s’e acent) et « il sera fait un Code de lois civiles communes
à tout le royaume ». Ce nest qu’après quatre projets de Code civil qu’est
promulgué le 21 mars 1804 (30 ventôse an XII) le Code civil des Français
devenu en 1807 Code Napoléon.
Les quatre dacteurs du Code civil ont voulu donner force et
cohé sion à la famille. Tronchet , Portalis , Bigot de Préameneu et
Malleville sont de grands bourgeois catholiques qui ont occupé des
fonctions judiciaires et politiques sous lAncien Régime et la Révolution.
Originaires de gions le droit avant 1789 était di érent, ils ont
confron les di érentes gles et fait un amalgame entre les nouvelles
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