De la philosophie divine à la philosophie chrétienne : l - E

De la philosophie divine à la philosophie
chrétienne : l'affrontement de l'hellénisme et du
christianisme
Autor(en): Thévenaz, Pierre
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie
Band (Jahr): 1 (1951)
Heft 1
Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-380543
PDF erstellt am: 25.05.2017
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DE LA PHILOSOPHIE DIVINE
ALA PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE
L'affrontement de l'hellénisme et du christianisme
Si nous nous demandons aujourd'hui quel aété l'enjeu de
la lutte entre christianisme et hellénisme aux premiers siècles
de notre ère, nous avons tendance àyprojeter notre optique
actuelle et àrépondre :c'est l'affrontement de la raison philoso¬
phique autonome et de la foi en une révélation. Et comme
cette raison philosophique grecque s'incarne ànos yeux dans
les synthèses grandioses de Platon ou d'Aristote, nous croyons
assister au dialogue d'un Platon ou d'un Aristote d'une part
avec Moïse, Esaïe ou saint Paul de l'autre.
En fait, la raison autonome, au sens nous l'entendons
aujourd'hui, la philosophie grecque ne l'a jamais connue et à
l'apparition du christianisme la philosophie n'est plus ce qu'elle
était cinq siècles auparavant :elle apris un tout autre visage.
Ce qui caractérise au contraire cet affrontement, c'est avant
tout la faiblesse de la philosophie que le christianisme rencontre
sur son chemin et dans laquelle il est question de tout sauf de
raison autonome. De d'ailleurs, dans ce milieu pourtant
grec, le triomphe relativement aisé du christianisme, triomphe
qui sans cela resterait inexplicable.
Essayons de comprendre pourquoi la philosophie s'est
affaiblie et comment ensuite, précisément grâce au christia¬
nisme, elle apu se ressaisir et découvrir peu àpeu ce qui, pour
nous aujourd'hui, fait son prix et sa vocation :la raison
autonome.
DE LA PHILOSOPHIE DIVINE ALA PHILOSOPHIE CHRETIENNE
I. LA DÉSAGRÉGATION DE LA SYNTHÈSE CLASSIQUE GRECQUE
Il nous faut d'abord chercher àsaisir pourquoi ce qui était
un pour une conscience du Ve ou du IVe siècle, àsavoir philo¬
sophie, science, religion et sagesse, apu apparaître comme
incompatible et exclusif au cours des premiers siècles de notre
ère, et comment la belle unité des synthèses platonicienne et
aristotélicienne en est venue àse désagréger en même temps
que se désagrégeait la structure de la cité grecque.
i. Chez Platon ou Aristote, la philosophie est vraiment
totale :elle embrasse la vie totale de l'homme, elle satisfait à
toutes ses aspirations et ne laisse rien en dehors d'elle. Dans
l'intelligence àla fois rationnelle et intuitive qu'est le voûç
s'expriment l'essence de l'homme et l'essence de l'univers. La
recherche de la vérité et la contemplation de la réalité dans les
mathématiques, les sciences et la philosophie en général per¬
mettent àl'homme de réaliser ou de retrouver cette essence
profonde, donc d'atteindre la sagesse, et de se hausser lui-même
jusqu'au divin puisque cette intelligence est d'origine divine et
que les essences intelligibles, Idées ou Formes, sont des réalités
divines. La vie intellectuelle est une vie divine puisque le
bcmblable connaît le semblable.
D'une part, science et sagesse sont indissociables :la vertu
est science. Mais d'autre part la science est connaissance de la
réalité divine et la sagesse est une ascension vers le divin,
«assimilation àDieu », comme affirme le Théétète de Platon, ou
une sorte d'immortalisation, comme dit Aristote. Ne disons pas
que la philosophie débouche dans une théologie. Elle est théo¬
logie (en tant que science et sagesse), puisque, comme le veut
Aristote, «la théologie est la plus haute des sciences théoré-
tiques »(Métaph. E, i, 1026 a23). La philosophie est théologie
de part en part et il n'y apas le moindre divorce entre philoso¬
phie et théologie. D'ailleurs, si la philosophie remplit ce rôle
religieux, c'est tout simplement qu'elle assure, pour une part,
la relève de la religion grecque déjà défaillante.
Précisément parce qu'elle est totale, la philosophie est par¬
faitement autarcique :seule parmi toutes les sciences elle est sa
propre fin de même que l'homme libre est l'homme autarcique
bPIERRE THEVENAZ
qui est àlui-même sa propre fin (Aristote, Métaph. A, 2). La
philosophie est donc science, sagesse et religion, d'une seule
coulée, et le ciment de cette unité, c'est la raison, non pas la
raison humaine autonome, mais la raison essence de l'univers.
2. Cependant cette unité ne tarde pas àêtre battue en
brèche. Cette essence divine de la raison, il est vrai, restera le
bien commun de toute la philosophie grecque ultérieure, mais le
contenu et la signification de la raison se modifieront fondamen¬
talement. La sagesse continue às'enraciner dans la raison et le
divin. Mais la raison philosophique ne s'exprimera plus essen¬
tiellement dans la connaissance scientifique ni dans l'intuition
intellectuelle des réalités divines :elle se manifestera comme
l'élan d'une volonté, d'une volonté pénétrée de raison, visant à
vaincre les passions. Et si cette raison retrouve le contact avec
le divin, redevient une «droite raison », ce n'est plus désormais
que par la conversion morale intérieure. La science, précisément
parce qu'elle est une entreprise de patience laborieuse qui
présuppose des dons de l'esprit qui ne sont pas départis àchacun,
apparaît comme l'apanage d'une aristocratie intellectuelle, et
par là-même comme un obstacle àla sagesse véritable ou une
parure inutile qui flatte l'orgueil humain et éloigne de Dieu.
Les Stoïciens et les Epicuriens réduiront la science au strict
minimum, àun bref propédeutique propre seulement àconsoli¬
der l'assise intérieure de la volonté rationnelle et àfaciliter la
conversion morale. Cette science qui était naguère le cœur de
la philosophie et le fondement de la sagesse, est dorénavant
subordonnée, utilisée ;elle passe au rang de servante de la phi¬
losophie, à'ancilla sapientiae, pourrait-on dire. Autant recon¬
naître qu'elle est expulsée de la philosophie proprement dite.
Sagesse et science se dissocient. La sagesse est droite raison,
certes, mais cette raison n'est pas la connaissance objective et
contemplative, c'est l'attitude intérieure, morale, pratique. Et
la philosophie, qui était contemplative et réservée àceux qui
avaient passé par une initiation intellectuelle, devient éthique
et universaliste ;elle devient une philosophie universaliste du
salut.
Tout en ayant rompu avec l'effort créateur de la science,
cette sagesse morale reste religieuse dans son fond, comme
on peut le voir chez tous les Stoïciens. Une forte empreinte
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naturaliste ne tarde d'ailleurs pas àinfléchir cette philosophie
religieuse vers l'astrologie et les spéculations cosmologiques ou
théosophiques. Cette pente ne fera que s'accentuer dans l'évo¬
lution de la «philosophie »hellénistique qui, au contact des
mystères, de l'occultisme et des cultes orientaux, dégénère peu
àpeu en systèmes syncrétistes et en gnoses de types divers.
Tous prétendent assurer àl'homme la science du religieux, la
connaissance parfaite du divin. Et, chose paradoxale, plus la
transcendance de ce divin s'accroît, plus on se fait fort de
l'atteindre, plus l'aspiration àla sagesse divinisante soulève les
foules «philosophiques ». En délaissant la science, la philosophie
devient toujours plus morale et religieuse ;elle est poussée du
côté d'une sorte de croyance, elle s'ancre dans un mouvement
de la volonté et gravite autour de la préoccupation du salut
personnel. Comme chez Kant, on critique le savoir pour faire
place àla croyance, àune attitude intérieure de la conscience
qui est le nouveau cœur de la sagesse.
Dans cette opposition entre la raison divine scientifique et la
raison divine religieuse au sein même de l'hellénisme, et mieux
que cela au sein même de la philosophie, c'est l'équilibre de la
philosophie classique qui se rompt :le centre de la philosophie
se déplace vers la conscience morale et religieuse. N'y voyons
pourtant pas l'amorce d'un conflit entre la raison et la foi, car
ce n'est pas de cela qu'il s'agit :il n'y ajamais eu de conflit
réel entre la religion antique et la philosophie, ni dans le cas
des religions helléniques ni dans le cas des religions hellénis¬
tiques. En revanche, nous voyons que l'opposition entre raison
scientifique et raison religieuse est déjà d'origine grecque,
qu'elle est même proprement grecque et qu'elle est intérieure à
la philosophie puisqu'elle surgit de l'affrontement de deux types
de philosophie :une philosophie scientifique et intellectualiste
et une philosophie morale du salut, toutes deux philosophies
divines. La rupture entre l'aspiration scientifique et l'aspiration
religieuse, rupture dans laquelle trop volontiers nous croyons
reconnaître la signification même de l'affrontement entre la
philosophie et le christianisme, est déjà entièrement faite au
sein du paganisme et àl'intérieur de la philosophie :elle est
caractéristique du passage de l'hellénisme classique àl'antiquité
hellénistique ou alexandrine.
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