Territoire en mouvement 14-15 (2012) Inégalités et iniquités face aux changements climatiques ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Myriam Traboulsi et Habib Ben Boubaker Fortes chaleurs et circulation atmosphérique associée autour de la Méditerranée orientale : cas du littoral tunisien et syro-libanais ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Myriam Traboulsi et Habib Ben Boubaker, « Fortes chaleurs et circulation atmosphérique associée autour de la Méditerranée orientale : cas du littoral tunisien et syro-libanais », Territoire en mouvement [En ligne], 14-15 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 23 janvier 2014. URL : http://tem.revues.org/1772 Éditeur : http://tem.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://tem.revues.org/1772 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © Tous droits réservés Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques Fortes chaleurs et circulation atmosphérique associée autour de la Méditerranée orientale : cas du littoral tunisien et syro-libanais Myriam TRABOULSI Université Libanaise Faculté des Lettres et Sciences Humaines – Section I Département Géographie Corniche Al Mazraa Beyrouth LIBAN Archéorient UMR 5133 Maison de l'Orient et de la Méditerranée CNRS-Université Lyon2 5/7 rue Raulin 69365 LYON Cedex 07 [email protected] Habib BEN BOUBAKER U.R. Biogéographie, Climatologie Appliquée et Dynamique Érosive Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités Université de La Manouba 2025 Manouba TUNISIE [email protected] Résumé La Méditerranée orientale se caractérise par des contrastes thermiques entre ses rives est et ouest. En particulier, l’analyse comparée des fortes chaleurs entre le littoral levantin et celui de la Tunisie orientale met en évidence une exposition plus élevée de ce dernier en termes de fréquence et d’intensité. La circulation atmosphérique régionale et les facteurs locaux, en particulier ceux du relief, justifient ces contrastes. Abstract The eastern Mediterranean is is characterized by temperature contrasts between the east and west shores. In particular, comparative analysis of high temperatures between the Tunisian east coast and the Levantine one shows a higher exposure of the latter in terms of frequency and intensity. The regional atmospheric circulation and local factors, especially those of relief, justify these contrasts. Mots-clés : méditerranée orientale, fortes chaleurs, réchauffement climatique, sirocco, khamsin Keywords: eastern mediterranean, high temperatures, global warming, sirocco, khamsin Introduction plus exposées au risque des chaleurs caniculaires. Il va sans dire qu’un tel réchauffement risque d’aggraver la situation dans des régions déjà vulnérables, souffrant à la fois d’un climat chaud et d’une rareté des ressources hydriques. Le moindre réchauffement supplémentaire ne pourrait donc survenir sans avoir des conséquences additionnelles. Ce travail propose une nouvelle approche de la perception des fortes chaleurs dans un contexte de climat chaud, différente de celle courante Dans le contexte actuel de réchauffement climatique planétaire, les fortes chaleurs représentent des calamités de plus en plus redoutées, en particulier dans le pourtour méditerranéen, menacé d’une augmentation des températures estimée à plus de 2°C d’ici la fin de ce siècle (IPCC, 2007). En particulier, les bordures du bassin oriental de la Méditerranée, par leur position en latitude et leur proximité des grands déserts du globe, celui de l’Arabie et de l’Afrique du Nord, semblent les 106 M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER dans les pays tempérés et froids. Il a pour objectif d’analyser la fréquence et l’intensité de ces fortes chaleurs observées de part et d’autre de la Méditerranée orientale, sur le littoral tunisien et syrolibanais. Il cherche également à appréhender les mécanismes de la circulation atmosphérique générant ces paroxysmes de chaleur, dans une perspective comparative entre les deux régions méditerranéennes. La question des fortes chaleurs a été l’objet de recherches abondantes au cours des dernières années, notamment depuis les énormes pertes humaines occasionnées par les canicules de l’été 2003 en Europe (Bessemoulin et al., 2004). Au sud de la Méditerranée, cette thématique a suscité plus d’intérêt de la part des chercheurs du côté tunisien que du côté levantin. En particulier, des approches méthodologiques ont été proposées pour analyser l’effet des fortes chaleurs sur l’homme, dans un contexte de climat méditerranéen chaud (Henia, 1980 ; El Melki, 1996 ; Henia et al., 1997 ; Alouane, 2003, 2007 , Dahech, 2007 ; Dahech et al., 2007 ; Ben Boubaker, 2010). Du côté levantin, les recherches climatologiques focalisées sur la température sont beaucoup plus rares que celles orientées vers l’eau, jugée plus vitale. L’étude du Met-Office (1962), bien qu’assez ancienne, reste un document de synthèse toujours original. Ensuite, les travaux publiés de G. Blanchet (1965 et 1976) et de M. Traboulsi (1981 et 1999) restent quasiment les seuls à avoir frôlé la question des fortes chaleurs et/ou des mécanismes associés en Méditerranée orientale. Tableau 1 : Nomenclature des stations 1. Données et méthodes 1.1. Données Pour mener une étude comparée entre les deux façades opposées du bassin oriental de la Méditerranée, quatre stations ont été sélectionnées : Beyrouth et Lattaquié du littoral syro-libanais et Monastir et Gabès du littoral tunisien. Le choix délibéré de ces deux binômes de stations se justifie d’abord par leur site côtier et leur altitude très semblable (entre 2 et 20 mètres au-dessus du niveau de la mer). Ensuite, par leur appartenance à la même frange latitudinale, entre le 33ème et 35ème parallèle nord (tableau 1, figure 1). Ces choix permettent de neutraliser à la fois l’effet altitudinal, zonal et continental, de manière à simplifier la comparaison entre les stations. Ce choix se justifie également par la disponibilité des séries de données quotidiennes les plus complètes, en particulier des températures maximales diurnes (TX) et minimales nocturnes (TN), pour la période d’observation 1974-2006. Cependant, les données relatives à la station de Beyrouth sont à manipuler avec prudence, en raison de 3,6 % de données lacunaires sur l’ensemble de la période, correspondant essentiellement aux épisodes de guerre. Quant aux données relatives à la circulation atmosphérique et aux types de temps, elles sont essentiellement extraites de sites web (http:// www.meteosuisse.admin.ch, http://www.wetterzentrale.de, http://www.esrl.noaa.gov/psd/data/composites/day/). Il s’agit particulièrement du géopotentiel (gpm) observé au niveau de la surface 500 hPa, la pression atmosphérique au niveau de la mer, ainsi que la température observée au niveau de la surface 850 hPa. Figure 1 : Carte de localisation 107 Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques 1.2. Méthodes Pour identifier les jours de forte chaleur dans les différentes stations, nous appliquons une grille de seuils absolus de chaleur, convenant au contexte des pays chauds méditerranéens (Ben Boubaker, 2010). Elle tient compte à la fois des températures maximales diurnes (TX) et minimales nocturnes (TN). Elle repose sur le principe qu’un jour de forte chaleur se définit par référence à la température vécue essentiellement le jour, sans négliger celle de la nuit, supposée être un épisode de répit (Alouane, 2002, 2007). Il va sans dire qu’une baisse de quelques degrés le jour, peut être compensée par autant de degrés la nuit, ce qui empêche d’apaiser la chaleur subie par les organismes. La moyenne (TM) entre les températures quotidiennes maximales diurnes (TX) et les minimales nocturnes (TN) permet de distinguer trois catégories principales de chaleurs, se définissant ainsi (figure 2). Cette grille est fondée sur des TX et des TN qui s’échelonnent à des pas équivalents de 6°C ou des TM s’échelonnant de 3°C en 3°C (légende figure 2). Par exemple, une journée est jugée torride, si les TX du jour atteignent ou dépassent 46°C et les températures nocturnes ne descendent pas en deçà de 21°C. Figure 2 :Typologie des jours de forte chaleur en Tunisie, définis par référence aux températures quotidiennes maximales diurnes (TX) et minimales nocturnes (TN) observées à travers l’année Source : Ben Boubaker H., 2010 (modifié). - Les jours de forte chaleur : ils correspondent à des températures moyennes (TM) > 30°C, avec TX > 33°C et TN ≥ 20°C. Ces seuils représentent le point focal de la grille. Celui de 33°C pour les TX représente la température ordinaire de la peau, au-delà de laquelle commence la sensation de la chaleur, abstraction faite des autres facteurs d’ambiance. Quant au seuil de 20°C pour les TN, il est admis comme témoin d’une chaleur à partir de laquelle une nuit est jugée « tropicale » (http://www.meteosuisse.admin.ch). - Les jours de très forte chaleur correspondent à des TM comprises entre 30°C et 33°C. - Enfin, les jours de chaleur torrides correspondant à une température moyenne (TM) supérieure ou égale à 33,5°C. C’est le cas 108 par exemple d’un jour à TX ≥ 47°C et TN = 20°C. La journée est toujours qualifiée de torride si la baisse de 1°C sur les TX diurnes est compensée par +1°C sur les TN nocturnes. évidemment, les bornes supérieures de chaleur torride ne peuvent être closes, puisque les records de température ne peuvent être anticipés. L’analyse de l’intensité des jours de forte chaleur consiste à calculer l’écart entre la température observée et le seuil de forte chaleur prédéfini d’un jour « J » (33°C pour les TX et 20°C pour les TN). Ce seuil appelé le surplus journalier au seuil de chaleur (SJS) doit être supérieur ou égal à 26,5°C. Il se calcule ainsi : [(TX observé ¯33°) + (TN observé ¯20)]/2. Cet indice nous renseigne sur l’intensité de la chaleur au jour « j ». M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER Pour un épisode continu de forte chaleur, on calcule le « STS », c'est-à-dire le cumul des SJS d’un ensemble de jours consécutifs. Le surplus total au seuil de chaleur « STS », représente l’intensité cumulée de l’épisode de chaleur dont les jours peuvent être fortement chauds, très fortement chauds, ou torrides. Partant des seuils communs de forte chaleur de part et d’autre de la Méditerranée orientale, nous avons calculé l’intensité, la fréquence et la variabilité interannuelle et saisonnière des jours chauds. L’estimation de la signification de ces résultats statistiques est effectuée par le test de Mann-Kendall. Quant à l’estimation de la signification des corrélations et des tendances (pente de régression), elle est effectuée par le coefficient de détermination de Bravais-Pearson (R²). 2. Fréquence des fortes chaleurs 2.1. Fréquence annuelle L’analyse de la fréquence moyenne annuelle des fortes chaleurs dans les différentes stations étudiées (figure 3) met en évidence une opposition nette entre les deux rives de la Méditerranée orientale : Figure 3 : Nombre moyen de jours de chaleur forte, très forte et torride (moyenne 1974-2006) - La rive orientale, représentée par les stations de Beyrouth et de Lattaquié, enregistre une fréquence moyenne annuelle de fortes chaleurs très faible, respectivement de 4 et de 3 jours. Notons également que les jours torrides sont quasiment absents à Beyrouth et Lattaquié. - Quant à la rive occidentale du même bassin (Monastir et Gabès), elle enregistre une fréquence moyenne 4 à 5 fois plus importante. Quelques jours torrides (1 à 2 jours en moyenne) sont également possibles à Monastir et à Gabès. En raison de sa proximité du Sahara et de l’absence d’écran orographique, il est normal que le rivage de la Tunisie soit beaucoup plus exposé aux flux d’air chaud d’origine saharienne, abordant plus fréquemment et plus aisément le territoire tunisien. Les effectifs absolus de jours fortement chauds accusent une variabilité interannuelle importante. Figure 4 : Fréquence annuelle du nombre de jours de forte chaleur (1974-2006) 109 Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques La figure 4 permet de déduire que : - une nette opposition figure entre les deux rives de la Méditerranée orientale : le nombre de jours fortement chauds (toutes chaleurs confondues) est beaucoup plus grand sur le littoral tunisien où on en inventorie 810 et 649 jours, respectivement à Monastir et à Gabès sur l'ensemble de la période. Alors que le littoral syro-libanais n'enregistre que 108 jours à Beyrouth et 78 jours à Lattaquié. - L'opposition apparaît également d’après le synchronisme marquant chaque binôme de stations appartenant aux deux rives opposées : celles de Monastir et Gabès sont presque confondues. Il en est de même pour Lattaquié et Beyrouth. L’écart apparaît plus ample lors des pics de fréquence comme celui des années 1982, 1994, 1999 ou 2003. D’autre part, sur les deux rives de la Méditerranée, s’affiche une tendance nette à l’augmentation de la fréquence des jours chauds, particulièrement nette depuis 1993. Cette tendance est illustrée par les figures 5 et 6 représentant l’indice de variabilité dans les différentes stations analysées. Elle est significative au seuil de 1 % dans les stations du littoral tunisien (test Mann-Kendall égal à 4,028 à Monastir et 3,59 à Gabès). La tendance à la hausse s'affiche aussi pour les stations du littoral syro-libanais ; elle est significative au seuil de 5 % à Beyrouth pour l'ensemble de la période (ktest est égal à 2,07), alors qu'elle n'est pas significative pour la station de Lattaquié (figure 7). Figure 5 : Indice de variabilité interannuelle des jours de forte chaleur sur le littoral syro-libanais Figure 6 : Indice de variabilité interannuelle des jours de forte chaleur sur le littoral tunisien 2.2. Fréquence mensuelle des fortes chaleurs La fréquence moyenne annuelle des fortes chaleurs dissimule un régime thermique saisonnier typiquement méditerranéen. D’après la répartition de la fréquence moyenne mensuelle des 110 fortes chaleurs (figure 8), on peut déduire que : - Les jours de forte chaleur se répartissent sur l’ensemble de la saison chaude au sens large. - Le maximum se situe en juillet et surtout en août sur le littoral tunisien alors qu'il se situe au prin- M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER Figure 7 : Courbes des tests de Mann-Kendall sur les indices thermiques Figure 8 :Fréquence moyenne mensuelle des jours de forte chaleur (littoral syro-libanais à gauche et littoral tunisien à droite). Moyennes 1974-2006 temps (avril) et surtout en automne (octobre), sur le littoral syro-libanais. Ce régime mensuel est attribué essentiellement aux mécanismes de la circulation atmosphérique régionale. Sur le territoire tunisien, l’advection des masses d’air chaud d’origine saharienne atteint son maximum d’action au milieu de l’été en juillet et août (El Melki, 1996). En revanche, c’est au cours des saisons intermédiaires que le khamsin, générateur des flux chauds, est le plus actif (Meteorolgical Office, 1962). 3. Intensité des fortes chaleurs Les figures suivantes (figures 9 à 12) répertorient tous les épisodes de fortes chaleurs dont la durée est supérieure ou égale à trois jours. L’axe des ordonnées représente la durée de l’épisode, et la taille des cercles indique l’intensité cumulée de l’épisode correspondant (STS). Ces figures permettent d’approfondir l’appréhension des oppositions mises en évidence plus haut entre les deux rives de la Méditerranée 111 Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques Figure 9 : Intensité des épisodes de fortes chaleurs (durée ≥ 3jours) observées à Beyrouth (période d’observation du 1/1/1974 au 31/12/2006) Figure 10 : Intensité des épisodes de fortes chaleurs (durée ≥ 3jours) observées à Lattaquié (période d’observation du 1/1/1974 au 31/12/2006) Figure 11 : Intensité des épisodes de fortes chaleurs (durée ≥ 3jours) observées à Gabès (période d’observation du 1/1/1974 au 31/12/2006) Figure 12 : Intensité des épisodes de fortes chaleurs (durée ≥3 jours) observées à Monastir (période d’observation du 1/1/1974 au 31/12/2006) orientale. Sur le littoral syro-libanais, la durée des fortes chaleurs n’excède pas les 6 jours. Quant à leur intensité cumulée, elle est toujours inférieure à 43°C. Notons également que ces épisodes de forte chaleur n’apparaissent qu’à partir de 1987 (figures 9 et 10). Quant aux figures représentatives des stations du rivage tunisien (figures 11 et 12), elles reflètent à la fois : - une fréquence de loin plus grande d’épisodes de forte chaleur (> 3 jours). Quasiment toutes les années connaissent au moins un épisode fortement chaud. - une intensité plus forte des épisodes fortement chauds, avec des STS dépassant souvent 100°C; - mais également des épisodes de forte chaleur plus persistants, pouvant dépasser même les 20 jours consécutifs. En l’occurrence, en été 112 1994 et surtout en 2003, des épisodes de forte chaleur ont persisté pendant plus de deux, voire de trois semaines consécutives. En somme, les fortes chaleurs représentent un risque plus fréquent, plus récurrent et plus intense sur la rive ouest du bassin oriental de la Méditerranée. 4. Les mécanismes responsables des fortes chaleurs Dans la Méditerranée orientale, les épisodes de forte chaleur révèlent que les phénomènes météorologiques extrêmes sont généralement liés à une rupture de l’écoulement atmosphérique zonal au profit d’une circulation méridienne (Rajhi, 1994). Toutefois, les mécanismes régissant la circulation atmosphérique de part et d’autre de la Méditerranée ne sont pas toujours analogues. Ils se manifestent par des anomalies M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER tantôt positives tantôt négatives (Rajhi, 1994). En effet, les principaux centres d’action régissant le climat dans cette région se caractérisent par un mouvement d’oscillations entre les surfaces maritimes et continentales. Bien que les quatre stations appartiennent au même bassin méditerranéen et que les effets zonal et altitudinal soient quasiment neutralisés, des contrastes importants s’affichent entre les différentes stations, en termes de fréquence et d’intensité. Au cours de notre période d’observation, les fortes chaleurs n’ont été synchrones que dans 3 cas seulement : entre le 22 et le 24/8/1985, le 25/9/1986 et les 20-21/8/1988 (figure 13). Figure 13 : Géopotentiel moyen observé du 22 au 24/8/1985 L’anachronisme prédominant met en évidence la prépondérance de facteurs aérologiques et géographiques différents de part et d’autre de la Méditerranée orientale. Le plus souvent, les centres d’action atmosphérique ne sont pas les mêmes aux deux extrémités de la mer (Blanchet, 1976, Traboulsi, 2004). En été, par exemple, pendant que le Proche-Orient baigne dans une zone dépressionnaire thermique en surface, la Méditerranée occidentale se trouve sous l'influence d'une dorsale anticyclonique (anticyclone des Açores) qui affecte le littoral tunisien. La circulation d’altitude (500 hPa) régnant audessus de la Méditerranée est méridienne, alors quand le Jet Stream subtropical dessine une vallée planétaire sur la Méditerranée occidentale (la Tunisie se trouve sur le flanc oriental), qui est très large, la Méditerranée orientale est sous l’influence d’une crête chaude (figure 14). Dans une telle situation, l’air chaud d’origine tropicale gagne les régions orientales de la Méditerranée, à la merci de la crête, tandis que le bassin occidental se trouve plutôt protégé des flux méridionaux. 113 Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques Figure 14 :Anomalies du géopotentiel 500 hPa observées le 14/5/1988 par rapport à la moyenne 1968-1996. Anomalies positives sur la rive est de la Méditerranée orientale, anomalies négatives sur la rive ouest de la saison chaude (Henia et Mougou, 1997 ; Dahech 2007 ; Dahech et al., 2007). Ce type de flux est généralement associé à une circulation méridienne marquée par la présence d’une crête chaude en altitude sur la Tunisie, contre un talweg sur la rive droite de la Méditerranée orientale (figure 15), d’où les écarts importants de température observés le même jour entre les deux rives (tableau 2). Au sol, l'afflux d’air chaud saharien vers les côtes de la Méditerranée est favorisé par la présence de champs de basse pression relative (Henia et Mougou, 1997). Il va sans dire que les marges littorales orientales de la Tunisie, en l’absence d’obstacles orographiques majeurs à l’hinterland, se trouvent directement exposées à ces advections de sirocco, parvenant du sud. Trois cas de figures se présentent alors : 4.1. Situations au cours desquelles de fortes chaleurs intéressent la rive ouest du bassin oriental de la Méditerranée Les fortes chaleurs concentrées sur les trois mois d'été sur le littoral tunisien sont liées surtout au mouvement apparent du soleil et aux mécanismes de subsidence atmosphérique (avancée des hautes pressions subtropicales). D’autre part, le nord du Sahara et ses bordures côtières, notamment au cours de la saison chaude, se trouvent sous l’emprise de flux chauds et secs sahariens de type « sirocco ». Il s’agit d’un vent souvent de vitesse très faible, charriant des masses d’air stables. Pénible à supporter par les êtres vivants, il est le plus fréquent et le plus persistant au cours Tableau 2 : Températures observées du 20 au 23 août 2003 Station 114 20/08/2003 21/08/2003 22/08/2003 23/08/2003 TX TX TX TN TX TN TN TN 24/08/2003 TX TN Beyrouth 31,5 25,1 31,8 24,2 31,4 23,7 31 24,4 31,1 25,5 Lattaquié 30,6 25,4 30,2 26,6 30,1 27,0 31,2 25,6 30,8 26,6 Monastir 35,3 25,1 34,7 25,5 34,5 25,6 35,8 24,6 38,5 25,9 Gabes 34,6 21,2 34,7 25,2 34,3 26,2 33,9 26,4 39,5 23,9 M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER Figure 15 : Exemple de 22/8/2003 Niveaux 500 hPa (à gauche) et 850 hPa (à droite) 4.2. Situations où les fortes chaleurs sont réservées à la rive Est du bassin méditerranéen En Méditerranée orientale, les conditions météorologiques diffèrent assez sensiblement de celles qui règnent en Méditerranée occidentale (Blanchet, 1965 ; Meteorological Office, 1962). En effet, si le sirocco intéresse essentiellement les bordures ouest du bassin oriental de la Méditerranée, en revanche, celles de l’est du bassin sont plutôt soumises à un type différent de flux : le Khamsin. Il se produit quand la crête chaude se décale vers l’est de la Méditerranée, favorisant l’advection vers le nord d’air chaud tropical, provenant essentiellement du désert d’Arabie ou de l’Egypte. Le Khamsin correspond à un temps très chaud caractérisé par une température anormalement élevée (on a enregistré 41,3°C le 09/06/2002 à Beyrouth), une humidité relative très faible (généralement inférieure à 20 % et même à 10 %) et une atmosphère chargée de sable ou de poussière masquant le ciel, d’où une visibilité parfois réduite à moins d'une centaine de mètres. Il traduit une advection d’air tropical continental se déclenchant souvent brusquement. Sa durée est comprise entre quelques heures et quelques jours. Sa fin correspond généralement à l’arrivée d'un front froid venu de Méditerranée. Des pluies plus ou moins fortes se produisent alors, souvent chargées de boue (Blanchet et Traboulsi, 1999). Même si l’été est admis comme la saison la plus chaude dans les régions méditerranéennes en général, la fréquence et l’intensité des fortes chaleurs sont plutôt plus élevées pendant les saisons intermédiaires (avril - mai et octobre) sur la côte syro-libanaise qui sont surtout liées au type de temps de Khamsin, qui « n’est pas rare en automne et en hiver, mais c'est le printemps qui est sa saison de prédilection » (Blanchet, 1976 ; Traboulsi, 1981). Ce type de temps associé au Khamsin est provoqué, en général, par des dépressions sahariennes ou des dépressions venues d'Afrique du Nord : à la suite des coulées d’air polaire qui arrivent sur le Sahara déjà chaud au printemps, une dépression se creuse sous le vent (effet d'obstacle) derrière l’Atlas du Maroc ou sur la Cyrénaïque et se déplace vers l’est ou le nord-est, le long de la côte africaine quand un flux d’ouest ou de sud-ouest circule en altitude. En arrivant sur le Levant, elle induit une convergence des vents chauds. Le khamsin n'atteint pas avec la même vigueur toutes les régions levantines. Il est beaucoup plus intense sur la côte sud-est de la Méditerranée orientale (vue la trajectoire méridionale des dépressions sahariennes) (Traboulsi, 1981). L’épisode de mars 1998 est révélateur à cet égard (figures 16 et 17) qui s’est transformé en une tempête de neige. D’autres situations météorologiques sont génératrices de ce type de temps : la présence, en surface, d’un talweg plus ou moins méridien axé sur l'Egypte (le talweg Soudano-Egyptien), véhicule un air chaud provenant d’Arabie. Ces situations sont surtout fréquentes en automne, comme il a été mentionné plus haut. La plupart des journées de forte chaleur du mois d’octobre sont liées à ce type de configuration (figure 18). 115 Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques Figure 16 : Situations météorologiques en surface de l'épisode de mars 1998 (du 13 au 18) En altitude, l’avancée d'air chaud en provenance d'Arabie est facilitée par l’existence de dépressions sahariennes, particulièrement fréquentes aux intersaisons. 4.3. fortes chaleurs synchrones Quant aux fortes chaleurs synchrones, si rares soient-elles, elles sont observées quand de l’air 116 saharien chaud, dominant quasiment toute la troposphère, gagne nos régions, comme le cas du 24/8/1985 (figures 19 et 20). En Afrique du nord, c’est le sirocco qui souffle alors (Henia, 1980). En revanche, les côtes du Levant subissent le Khamsin. L’origine saharienne, la forte chaleur et la sécheresse sont les dénominateurs communs des deux flux. M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER Figure 17 : Situations météorologiques à 500 hPa de l’épisode de mars 1998 (13, 15, 16 et 18) Figure 18 :Situation météorologique lors d’une journée de forte chaleur liée au talweg soudano-égyptien (le 20 octobre 1993) 117 Territoire en mouvement n°14 et 15. Inégalités et iniquités face aux changements climatiques Figure 19 : Pression au sol et géopotentiel 500 hPa du 24/8/1985 à 00h TU Figure 20 : Températures observées au niveau du géopotentiel 850 hPa Source : www.wetterzentrale.de. Les types de situations à forte chaleur simultanée ont été observés au cours des dates suivantes (tableau 3), déduites de la confrontation des séries de jours de forte chaleur observés respectivement dans les quatre stations étudiées, sur l’ensemble de la période d’observation. Ces situations correspondent généralement à des advections généralisées, d’air chaud tropical vers le nord, survolant l’ensemble du bassin oriental de la Méditerranée. En l’occurrence, il s’agit, le 24/8/1985, d’une coïncidence de deux crêtes simultanées d’air chaud, de part et d’autre des bordures du bassin oriental de la Méditerranée (figures 19 et 20). C’est le type de configuration qui se reproduit pour l’ensemble des cas de fortes chaleurs synchrones observées. Tableau 3 :Date de début et de fin des épisodes de forte chaleur observés simultanément dans les stations de la Méditerranée orientale Beyrouth Lattaquié Gabès Fin Fin Début 23/8/85 23/8/85 23/8/85 24/8/85 22/8/85 22/8/85 21/8/85 22/8/85 23/9/86 25/9/86 25/9/86 25/9/86 25/9/86 25/9/86 25/9/86 25/9/86 21/8/88 21/8/88 20/8/88 20/8/88 21/8/88 22/8/88 21/8/88 21/8/88 Enfin, les facteurs locaux, la topographie jouent un rôle capital dans la protection du littoral syrolibanais des flux chauffants en provenance des terres intérieures. En effet, la chaîne des monts du Liban, culminant à plus de 2 000 m, joue le rôle d’écran, empêchant les vents chauds et secs du désert syrien d’atteindre les stations littorales. Par contre, cette chaîne renforce l’exposition du littoral à l’effet adoucissant de la mer, qui apaise les fortes chaleurs. En revanche, la rive ouest de la Méditerranée orientale, privée d’un abri orographique tel, est directement exposée aux flux sahariens, en particulier au sirocco, qui peut souffler en toute saison. Son effet est particulièrement chauffant quand il emprunte une trajectoire continentale, d’origine méridionale. 118 Début Monastir Début Fin Début Fin Conclusion La Méditerranée orientale n’est pas une région climatique homogène. Le comportement thermique est contrasté entre ses rives est et ouest. Il dépend de la dynamique de centres d’action différents, expliquant la douceur estivale du littoral syro-libanais comparé à celui de la Tunisie orientale. La fréquence de jours de forte chaleur connaît une tendance à la hausse significative au seuil de 1 % dans la rive ouest et 5 % sur le littoral libanais (la tendance n’est pas significative dans le littoral syrien). Le littoral tunisien, par sa proximité du Sahara, est donc plus chaud que le littoral syro-libanais. Nous jugeons utile d’élargir la présente étude pour incorporer d’autres espaces circumméditerranéens, essentiellement de la rive nord et sud M. TRABOULSI, H. BEN BOUBAKER du même bassin. Il serait également utile d’élargir l’espace d’étude vers des stations continentales de part et d’autre de l’arrière pays. D’autre part, la combinaison des observations thermiques avec celles de l’humidité de l’air et de la dynamique des vents permettrait d’appréhender la nature des ambiances biothermiques régnant sur les deux rives opposées. Bibliographie ALOUANE T., 2002, Les ambiances climatiques dans les principales régions touristiques de la Tunisie. Thèse de Doctorat (en arabe), Université de Tunis, FSHS, 470 p. ALOUANE T., 2007, Le répit thermique nocturne de la saison chaude en Tunisie, Actes du XXème colloque de l’AIC, Carthage, pp. 75-80 BEN BOUBAKER H., 2010, Les paroxysmes climato-thermiques en Tunisie: approche méthodologique et étude de cas, Climatologie, vol. 7, pp. 56-87 BESSEMOULIN P., BOURDETTE N., COURTIER P., MANACH J., 2004, La canicule d’août 2003 en France et en Europe, La Météorologie, n°46, pp. 25-33 BLANCHET G., 1965, Le climat de Beyrouth, Revue de Géographie de Lyon, pp. 151-165 BLANCHET G., 1976, Le temps au Liban, approche d’une climatologie synoptique, Thèse de 3e cycle, Lyon, T. 1 : 477 p. 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