ESPON - ORATE 2013 CLIMATE - Climate Change and Territorial Effects on Regions and Local Economies Fiche de synthèse du rapport final1 Claude Kergomard, ENS Paris21 Objectifs et questions clés Le projet a pour objectif de fournir les bases de stratégies et de politiques territorialement différenciées d’adaptation aux effets du changement climatique en Europe ; il s’insère en cela dans les objectifs de l’Agenda Territorial de l’UE en abordant les effets potentiels des impacts du changement climatique d’une part, et d’autre part des politiques de réduction des émissions et d’adaptation, sur la compétitivité et la cohésion territoriale des régions européennes. Dans une perspective plus générale, le projet s’insère dans l’effort initié par le groupe de travail 2 du GIEC3 qui recommande une approche territorialisée de la vulnérabilité au changement climatique comme un des moyens de « contourner » les incertitudes inhérentes à l’approche des impacts du changement climatique fondée sur les modèles déterministes. Le projet reprend, pour l’essentiel, les concepts définis par le GIEC (IPCC, 2007) et par Füssel & Klein (2006), qui distinguent exposition, sensibilité et capacité d’adaptation comme composantes de la vulnérabilité face au changement climatique (voir fig 1). Recommandations, intérêt opérationnel Le projet comporte une part importante consacrée à l’analyse comparative des politiques de réduction des émissions des gaz à effet de serre et d’adaptation au changement climatique menées dans les différents pays européens à l’échelle nationale et à celle des régions (figure 5) et aux implications pour une gouvernance européenne de l’adaptation. Un intérêt particulier est porté à deux aspects : - la complémentarité/subsidiarité entre les politiques menées aux échelles européenne, nationale, régionale ou locale, - les poids respectifs attribués d’une part aux politiques de réduction des émissions et d’autre part à l’adaptation et à la réduction de la vulnérabilité, et les éventuelles synergies entre les deux. Cette partie du projet repose sur un inventaire détaillé des mesures proposées aux différents niveaux scalaires et sur l’analyse plus détaillée d’un certain nombre de ces mesures. Un intérêt particulier est porté à l’intégration de l’adaptation au changement climatique dans la politique européenne de cohésion territoriale et dans les programmes de coopération transnationale (INTERREG). En mettant l’accent sur la dualité entre adaptation au changement climatique, d’une part, et réduction des émissions de gaz à effet de serre (mitigation), d’autre part, ce projet européen souligne un certain décalage les politiques nationale, régionales et locales menées en France, et la conception de l’adaptation au changement climatique telle qu’elle est définie au niveau européen. L’analyse comparative des politiques publiques place les politiques nationale et régionales françaises de réduction des émissions (mitigation) au niveau des plus avancées en Europe, mais considère que les politiques d’adaptation proprement dite en sont encore au stade de la sensibilisation (concerns), et parfois des recommendations, plutôt qu’à celui des « mesures » à proprement parler. Les politiques publiques françaises menées à la suite du Plan Climat (2004) et du Grenelle de l’Environnement, les politiques régionales et locales définies dans le cadre des Plans Climat-Energie Territoriaux, mettent en effet l’accent sur l’ « adaptation » à la transition énergétique imposée par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sur les politiques du transport et de l’habitat en particulier, beaucoup plus que sur l’évaluation de la vulnérabilité et sa réduction, qui constituent l’adaptation au sens de ce projet européen et des rapports du GIEC (Adaptation vs. Mitigation). Cette ambiguïté se retrouve y compris dans le Plan National d’Adaptation préparé par l’ONERC, qui a pour mission l’évaluation des effets du changement climatique. Les analyses de vulnérabilité aux impacts du changement climatique disponibles en France restent souvent sectorielles et limitées à des impacts précis : hausse du niveau marin et érosion côtière, ressources en eau, etc… Les résultats du projet européen ESPON-CLIMATE devraient donc constituer une incitation à considérer l’intérêt d’une évaluation intégrée et territorialisée de la vulnérabilité face aux impacts du changement climatique. 1. ESPON CLIMATE Climate change and territorial effects on regions and local economies. Draft final report, 25/02/2011, 256 p. + Executive summary (10 p.) + Summary report ( 55 p.). 2. Professeur de géographie à l’ENS Paris. http://www.geographie.ens.fr/Claude-Kergomard.html. 3. Climate Change 2007: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, M.L. Parry, O.F. Canziani, J.P. Palutikof, P.J. van der Linden and C.E. Hanson, Eds., Cambridge University Press, Cambridge, UK, 976 p. 1 Approche méthodologique L’approche employée par les auteurs du projet est une approche d’évaluation intégrée (integrated assessment) et de cartographie, fondée sur l’identification et la combinaison d’indicateurs quantifiés susceptibles d’être cartographiés à l’échelle des NUTS 2 ou NUTS 3 de l’UE. La difficulté réside dans la diversité des indicateurs, et donc des compétences à mobiliser en vue du projet, et dans la combinaison (pondération, analyse des interactions) de données climatiques, physiques, économiques ou géographiques. La pondération des indicateurs résulte des opinions d’un panel d’experts (méthode Delphi), en vue de la mise en place du traitement combinatoire et cartographique dans le cadre d’un S.I.G (voir figure 2). Un ensemble de 9 études de cas régionales a permis de préciser et valider la méthodologie, et en particulier la sélection et la pondération des indicateurs retenus. La sélection des études de cas régionales reflète autant la composition du consortium d’équipes de recherches que la nécessité d’échantillonner au mieux les divers aspects de la vulnérabilité au changement climatique. La méthodologie proposée rappelle donc celle d’un précédent projet (ESPON 2006) consacré aux risques naturels et technologiques, élaboré par un consortium d’équipes parmi lesquelles figurent encore beaucoup de celles qui figurent dans le présent projet4. Le consortium et le domaine d’étude Le groupe des 13 équipes partenaires réunies autour du projet comprend des équipes allemandes, dont le coordinateur (l’Université Technologiques de Dortmund) et le Postdam Institute for Climate Impact Research, finlandaise, norvégienne, britannique, néerlandaise, hongroises, roumaine, slovaque, espagnole (Université Autonome de Barcelone) et helvétique. Les disciplines représentées sont variées, incluant la géologie et l’hydrogéologie, l’économie et le droit, l’aménagement territorial et urbain et les études environnementales intégrées. Le domaine couvert par l’étude est celui de l’Europe à 27+3 états ; Norvège, Suisse et Lichtenstein, inclus dans l’analyse des impacts du changement climatique, sont cependant exclus de celle de la capacité d’adaptation. Pour des raisons de cohérence du domaine climatique à étudier, l’Islande, les départements de l’Outre-Mer français, Madère et les Canaries sont exclus de l’étude5. Méthodologie, principaux résultats Le travail d’évaluation et de cartographie s’organise donc en 5 étapes qui correspondent aux 5 concepts-clés dont la combinaison détermine la vulnérabilité au changement climatique : exposition, sensibilité, impacts, capacité d’adaptation et vulnérabilité (voir figure 2). 1.1 L’exposition au changement climatique : 8 variables simulées par un modèle climatique « régional »6 pour le XXIe siècle représentent les indicateurs de l’exposition au changement climatique. Les variables sélectionnées concernent à la fois l’évolution des traits moyens du climat entre la période 2071-2100 et la période de référence 1961-1990 (température moyenne anuelle, précipitations reçues pendant les mois d’hiver et les mois d’ été, évaporation moyenne annuelle) et celle de la fréquence des phénomènes à seuil (jours de gel, jours de chaleur estivale –T>25°C, jours de neige au sol et jours de pluies intenses -P>20 mm/j). Les champs de variables climatiques simulées par le modèle CCLM dans la grille à résolution de 18 km sont transcrits dans le cadre des NUTS 3 (figure 3), et combinés par une classification hiérarchique pour produire une typologie des régions européennes selon leur exposition au changement climatique (figure 4). Le territoire européen est au final divisé en 5 régions, dont la cohérence et l’organisation spatiale apparaissent satisfaisantes aux yeux du climatologue, sans pour autant coïncider avec une banale carte des types de climat actuels en Europe. Aux 8 variables proprement climatiques s’ajoutent deux autres « aléas » climatiques indirects, dont la cartographie nécessite l’emploi de modèles spécialisés : l’exposition aux submersions côtières simulée dans l’hypothèse d’une hausse de 1 m du niveau marin, et l’exposition aux inondations liées aux crues fluviales. 1.2 La sensibilité au changement climatique correspond à l’analyse des enjeux, c’est-à-dire les équipements, écosystèmes, populations, éléments du patrimoine ou activités économiques, susceptibles d’être affectés, directement ou indirectement, par l’une des variables qui mesurent l’exposition. Elle est analysée à travers 27 in- 4. Projet ESPON 1.3.1 sur les impacts spatiaux et la gestion des risques naturels et technologiques en Europe http://www. ums-riate.fr/131.php. 5. Il est à noter qu’un inventaire des sources et des données socio-économiques disponibles et susceptibles de permettre d’élargir le projet aux pays balkaniques (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro et Serbie) et à la Turquie, qui entrent totalement ou partiellement dans le domaine du modèle climatique utilisé, est présenté dans les annexes. 6. Le modèle utilisé est le CCLM (COSMO Climate Limited-area Model), un modèle régional non-hydrostatique, avec une résolution spatiale de 18km, développé à l’origine par le Potsdam Institute for Climate Impacts Research Institute. http://www. pik-potsdam.de/research/research-domains/climate-impacts-and-vulnerabilities/models/cclm. Le scénario des émissions futures à la base de la simulation est le scénario SRES A1B classiquement utlisé par le GIEC. 2 dicateurs correspondant à 5 dimensions de la sensibilité, citées ici dans l’ordre décroissant du poids qui leur est accordé par les experts dans la méthode Delphi : les dimensios physique, environnementale, économique, physique, sociale et culturelle, sociale. La combinaison de l’exposition et de la sensibilité détermine l’ampleur des impacts potentiels du changement climatique dans les territoires européens. Vingt combinaisons possibles de l’exposition et de la sensibilité régionales sont présentées et analysées, pour finir par une cartographie agrégée de l’impact potentiel du changement climatique sur les régions européennes (figure 5). tée à la capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre qui fait l’objet d’une évaluation parallèle à celle de la capacité d’adaptation, selon une méthodologie proche. Certains des indicateurs de la capacité d’adaptation et de la capacité de réduction peuvent être communs, d’autres sont sensiblement différents. Les deux évaluations combinées mesurent la capacité régionale à répondre au changement climatique, qui est envisagée dans une perspective dynamique, prenant en compte les évolutions possibles au cours du XXIème siècle, en fonction de l’évolution du climat et de ses impacts sur les régions. 1.3 La capacité d’adaptation face au changement climatique est considérée comme le complément indispensable à la capacité à lutter contre le changement climatique par la réduction des gaz à effet de serre. Elle dépend de facteurs multiples, que les recherches récentes, soigneusement compilées dans le cadre du projet, tendent à regrouper en 5 grandes dimensions : la connaissance et la sensibilisation au changement climatique (1), les ressources technologiques (2), les ressources économiques (3), l’équipement et les infrastructures dans les domaines du transport, de l’eau et de la santé (4), la gouvernance et les institutions (5). Chacune de ces dimensions fait l’objet d’une évaluation à l’aide d’un petit nombre d’indicateurs sélectionnés en fonction de leur degré de signification et de leur disponibilité au niveau des NUTS 2 ou 3. La capacité d’adaptation est confron- 1.4 Sept études de cas ont été réalisées en vue de tester les concepts et la méthodologie mise en œuvre au niveau pan-européen. Elles couvrent des régions homogènes du point de vue de l’exposition au changement climatique (fig 4), en même temps que des types d’impact très variés. Aucune de ces études de cas ne concerne spécifiquement le territoire français, mais l’étude concernant la capacité d’adaptation des activités touristiques dans l’espace alpin inclut bien évidemment les Alpes françaises, et les enseignements de l’étude consacrée aux côtes méditerranéennes de l’Espagne apporte des résultats transférables aux côtes françaises. D’une façon générale, les études de cas ont, selon les auteurs du rapport, montré l’intérêt d’une approche multiscalaire de la sensibilité au changement climatique. Figures Figure 1 : Concepts pour l’approche territorialisée de la vulnérabilité au changement climatique ; GIEC (IPCC, 2007) ; Füssel et Klein (2006)7. 7. Füssel H.-M., Klein, R. J. T (2006), Climate Change Vulnerability Assessments: An Evolution of Conceptual Thinking, Climatic Change, n°75(3), pp. 301-329. 3 Figure 2 : Méthodologie générale du projet Figure 3 : Spatialisation d’un paramètre de l’exposition au changement climatique (précipitations moyennes des mois d’été) 4 Figure 4 : Les régions du changement climatique en Europe et localisation des études de cas. Figure 5 : Impact potentiel agrégé de l’impact du changement climatique à l’échelle régionale. 5 Figure 6 : Vulnérabilité potentielle des régions au changement climatique La vulnérabilité potentielle est légèrement différente de la carte d’impact global. Le gradient sud-nord est renforcé, dû à la forte capacité d’adaptation de la Scandinavie et des pays d’Europe occidentale qui réduisent l’impact potentiel prévu pour ces régions. Il est assez remarquable de constater que les régions devant s’attendre à une forte augmentation de l’impact, comme les régions méditerranéennes et du Sud-Est, soient celles qui semblent le moins capables de s’adapter... allant à l’encontre de la cohésion territoriale. 6