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épistémologique claire. S’il est essentiel de souligner que nous ne proposons en aucun cas de
traiter ce problème d’un point de vue philosophique, la philosophie est du moins l’horizon de
cette thèse. De fait, et nos auteurs le reconnaissent de façon polémique, la pensée est bien
souvent l’apanage de la philosophie
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. Aussi la littérature qui entend se fonder sur une
dimension anthropologique a-t-elle à définir son propre espace de pensée, qu’elle arrache à la
marge de la philosophie. Dans le prolongement des travaux de Pierre Macherey et de Philippe
Sabot
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, nous nous demandons, à partir de ce sujet-limite, comment cette pensée littéraire
parvient à se distinguer de la pensée philosophique et finalement en quoi consiste sa
spécificité irréductible.
Afin de formuler plus précisément notre problématique, nous faisons appel à la notion
d’« expérience » qui complète le titre de notre thèse. Il s’agit pour nous de montrer comment
la littérature met à l’épreuve la pensée philosophique mais aussi comment elle se constitue
elle-même comme expérience. Cette pensée que produit la littérature s’apparente à une
exploration, à une recherche infiniment ouverte. La majuscule que nous utilisons pour le
terme de Néant entend justement recouvrir tout un réseau de termes voisins avec lesquels joue
la littérature (non-être, vide, rien, absurde…). Tout se passe comme si le Néant était une idée
qu’on ne peut, au mieux, qu’approcher. C’est donc autour de cette définition de l’expérience
romanesque du Néant que s’organise notre travail.
Le plan articule trois niveaux d’analyse de l’expérience, qui répondent au
cheminement des œuvres. Nous commençons par envisager la constitution de cette expérience
à partir des motifs prégnants inscrits dans les romans. Un deuxième temps est consacré plus
spécifiquement à la « mise en œuvre » romanesque de cette expérience. Et nous finissons par
envisager la question de la lecture qui, par l’actualisation du texte qu’elle suppose, est
nécessaire à l’accomplissement de cette expérience du Néant.
La première partie intitulée ironiquement « Fondations du Néant » cherche donc à
dévoiler, à partir des œuvres elles-mêmes, les soubassements minés de cette problématique
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Ce travail interroge le partage moderne qui, à partir de la fin du XVIII
e
siècle, a pu s’instaurer entre la
philosophie et la littérature. Dans ce cadre, cette dernière présente une vocation essentiellement esthétique et
laisse à la philosophie le soin de se consacrer au « vrai ».
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Du premier auteur, on retiendra en particulier :
-
À quoi pense la littérature ? Exercices de philosophie littéraire, Paris : Presses Universitaires de
France, 1990, Pratiques théoriques.
-
Études de philosophie littéraire, Grenoble : De l’Incidence, 2014.
Et pour le second :
-
Pratiques d’écriture, pratiques de pensée : figures du sujet chez Breton, Éluard, Bataille et Leiris,
Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2001.
-
Philosophie et littérature : approches et enjeux d’une question, Paris : PUF, 2002.