MORPHOLOGIE EN SOCIOLOGIE - Fait spatial et fait visuel en sociologie urbaine
21
l’extériorité du fait social, mais elles n’en sont pas exclusives. Dans une note publiée
dans L’Année sociologique (1896-1897), Durkheim proposera de considérer la
morphologie sociale comme une science à part, dont l’intérêt sera d’être un point de
convergence pluridisciplinaire (géographie, histoire, démographie) et dont la
méthodologie sera, en plus de l’observation des formes, l’explication du processus de
leur formation (17). Ce projet, c’est Halbwachs qui l’assumera.
B/ De la morphologie sociale à la morphologie urbaine : Halbwachs
Pour la plupart des chercheurs, la morphologie sociale est surtout associée au nom
d’Halbwachs qui en a fait le titre d’un de ses ouvrages, Morphologie sociale (1938).
Empruntée à Durkheim, l'expression "morphologie sociale" désigne les formes et la
manière dont les hommes sont disposés sur le sol, la façon dont les maisons et les villes
sont construites, les voies de communication aménagées, etc. C’est à lui que reviennent
les développements pratiques de cette notion, que l’on peut trouver dans ses autres
études, telles que La mémoire collective (1950). Halbwachs approfondit la distinction
durkheimienne entre les formes cachées et intérieures, d’une part et les formes visibles
("formes sensibles"), apparentes, spatiales et extérieures, d’autre part.
« Distinction relative, qui en revient à opposer simplement ce qui se voit et qui se
touche, et ce qui, bien que nous en reconnaissions l'existence, échappe à nos sens. Le
pouvoir et les droits du père, la parenté, la filiation masculine, utérine, comment s'en
faire une idée si l'on n'imagine pas des êtres qui existent dans l'espace, les membres de
la famille ? Inversement, si nous avons sous les yeux le groupe lui-même, il n'est pas
question seulement d'êtres visibles, et, entre eux, de liaisons dans l'espace. […] Ainsi,
ce qu'il y a d'apparent et de sensible dans le groupe nous découvre sa vie
psychologique et morale. […]. » (18)
Cette distinction, en effet, ne clôt pas la démarche. Comme Durkheim, Halbwachs
reconnaît celle-ci comme étant insuffisante pour comprendre toute la réalité sociale
qu’elle exprime. Le principe est que cette connaissance du dehors doit être complétée
par une connaissance de l’intérieur de la réalité sociale étudiée. L’une doit aller de pair
avec l’autre. Exemple :
« Soit une réalité sociale telle que la famille. On peut distinguer l'idée de
l'institution familiale, des lois et coutumes qui s'y rapportent, des sentiments de famille
et de la morale domestique ; d'autre part, les familles elles-mêmes, telles qu'elles
apparaissent dans l'espace, telles que nous pouvons les décrire extérieurement et les
dénombrer. Dirons-nous que la morphologie sociale s'en tient aux familles dans
l'espace, et que le reste relève d'autres parties de la sociologie ? Mais aucun de ces
deux aspects ne se suffit, n'a de réalité, s'il n'est lié à l'autre. Que serait l'idée d'une
famille qui ne prendrait forme sensible nulle part et en aucun temps ? Mais, d'autre part,
quelle vie proprement sociale attribuer à un groupe, si, derrière les unités rassemblées,
telles qu'elles tombent sous les sens, nous n'atteignons pas [...] l'idée de l'organisation
qui les unit ? » (19).
A l’instar de Durkheim, Halbwachs reprend l’analogie faite avec la biologie par
Auguste Comte pour définir la sociologie. Pour lui aussi, la morphologie est