UNIVERSITE PARIS VI – PIERRE ET MARIE CURIE U.F.R. DE SAINT-ANTOINE THESE Pour obtenir le grade de DOCTEUR EN MEDECINE en CHIRURGIE PLASTIQUE RECONSTRUCTRICE ET ESTHETIQUE Présentée et soutenue publiquement le 29 novembre 2004 Par Eric BOUHANNA Né le 06 avril 1974 à PARIS ALLOTRANSPLANTATION FACIALE : ANALYSE DE TECHNIQUES CHIRURGICALES Président de thèse : Professeur D. HOUSSIN Directeur de thèse : Docteur F. PETIT Membres du jury : Pr L. LANTIERI, Pr F. DISANT, Dr C. VACHER, Pr D. CHERQUI ALLOTRANSPLANTATION FACIALE : ANALYSE DE TECHNIQUES CHIRURGICALES SOMMAIRE 1 I) Introduction……………………………………………………………4 II) Historique………………………………………………………………5 A) Historique des transplantations d’organes et de tissus composites…………5… B) Les premières applications d’allotransplantations 7 de tissus composites chez l’homme……………………………………… III) Reconstruction faciale - Origine et évolution………………………….….13 IV) Projet d’une allogreffe de face…………………………………………..18 V) VI) A) Indications et objectifs………………………………………………… 18 B) 23 Les difficultés techniques……………………………………………… C) Notre approche………………………………………………………… 28 31 Matériels et méthodes……………………………………………………… A) Matériels………………………………………………………….…31 … B) 31 Méthodes………………………………………………………………. Techniques chirurgicales de l’allotransplantation faciale……………………. 32 A) 32 Allotransplantation du système palpébral………………………………… I. Rappel anatomique………………………………………………… 32 39 II. Technique de prélèvement du système palpébral …………………… III. Technique de transplantation du système palpébral…………………… 46 B) 48 Allotransplantation de la partie médiane de la face : complexe nasolabial…… I. Rappel anatomique………………………………………………… 48 II. Technique de prélèvement du complexe nasolabial…………………53 III. Technique de transplantation du complexe nasolabial………………… 63 C) Allotransplantation du masque facial……………………………………… 65 I. Rappel anatomique………………………………………………… 65 II. Technique de prélèvement du masque facial………………………… 67 III. Technique de transplantation du masque facial……………………… 73 D) Allotransplantation du scalp……………………………………………… 76 I. Rappel anatomique………………………………………………… 76 78 II. Technique de prélèvement du scalp………………………………… III. Technique de transplantation du scalp……………………………… 79 2 E) VII) 80 Technique de réparation du donneur ……………………………………… Discussion………………………………………………………………… 82 A) 82 Aspect chirurgical………………………………………………………… I. Réflexions à propos de la technique chirurgicale sur sujets anatomiques………………………………………………….. 82 89 II. Les difficultés prévisibles sur le vivant………………………………… III. Complications vasculaires……………………………………………. 90 90 IV. La récupération nerveuse …………………………………………… B) Aspects immunologiques……………………………………………… 93…… I. Protocole d’immunosuppression……………………………………… 93 II. Complications des immunosuppresseurs……………………………… 93 .. III. Le rejet …………………………………………………………… 96 C) Aspect éthique……………………………………………………………. 99 I. Ethique et transplantation - généralités………………………………… 99 II. Considérations éthiques vis à vis du receveur………………………….. 100 III. Considérations éthiques vis à vis du donneur et de sa famille…………. 103 IV. Considérations éthiques dans la société……………………………… 105 VIII) Conclusion…………………………………………………………………… 106 3 I) Introduction La chirurgie plastique actuelle dispose de nombreuses techniques de reconstruction qui permettent de traiter les pertes de substance de la face, après traumatismes, cancers ou malformations. Cependant la complexité des structures superficielles de la face laisse certains délabrements inaccessibles à tout procédé de reconstruction. Les progrès récents dans les domaines de la microchirurgie et des traitements immunosuppresseurs ont fait naître un nouveau concept chirurgical : l’allotransplantation de tissus composites vascularisés. La première allogreffe de main réalisée en 1998 par l’équipe du Pr Dubernard ouvre véritablement la voie de cette pratique chirurgicale. Les résultats des premières allotransplantations de tissus composites chez l’homme ces six dernières années sont encourageants et incitent à proposer d’autres applications cliniques. L’allotransplantation de face, qui jusqu’à ce jour était considérée comme une fiction, pourrait être la prochaine étape. Les objectifs de ce travail sont de proposer une technique chirurgicale appliquée à la transplantation totale ou partielle de la face, d’évaluer la faisabilité, d’envisager les contraintes de la vascularisation et de la réinnervation des greffons et d’établir une méthode de réparation du donneur. En vue d’une application clinique, nous avons évoqué les objectifs de la transplantation de face avec ses principales indications, les complications chirurgicales et immunologiques et l’aspect éthique. Notre étude est fondée sur des dissections de sujets anatomiques réalisées à partir des connaissances anatomiques, des règles de chirurgie reconstructrice et de l’expérience dans la littérature. 4 II) Historique A) Historique des transplantations d’organes et de tissus composites Si le XIXème siècle est parsemé d'expériences de greffes tissulaires, l'histoire de la greffe d'organes se concentre sur le XXème siècle. L'évolution est marquée par plusieurs acquisitions fondamentales. Les avancées concernant la chirurgie vasculaire ont servi de moteur aux premières transplantations. Les écoles de Vienne et de Lyon avec Ulman et Carrel sont pionnières des greffes chez l'animal. En 1906, Jaboulay greffe un rein de chèvre au coude d'une femme urémique. En 1908, Carrel [12] décrit une transplantation de patte de chien avec succès. En 1912, Guthrie [23] réalise une allotransplantation de tête de chien sur le cou d’un chien receveur. Il a été rapporté une salivation et un clignement des yeux en post opératoire. En 1933, le Russe Voronoy publie la première greffe rénale à partir d'un rein de cadavre. L'échec est immédiat [24]. Au début des années 1950, le travail de Gibson, Medawar, Billingham et Brent en Angleterre, démontre que le processus de rejet est lié à une réaction immune, déclenchée par l’organisme du receveur. Leur travail sera récompensé en 1960 par le prix Nobel. En 1952, Dausset publie ses travaux sur le système HLA. En 1954, Murray [33] décrit le premier succès d’une transplantation d’organe après avoir réalisé une transplantation de rein sur des vrais jumeaux, démontrant que la compatibilité est obligatoire. En 1956 à Boston puis à Paris, sont effectuées des greffes entre faux jumeaux avec irradiation et corticoïdes. On perçoit bien que l'on ne peut en rester à la greffe entre jumeaux et que l'obstacle de l'incompatibilité biologique doit être franchi. L'immunosuppression apparaît, elle est induite par irradiation totale, 6-MP, corticoïdes, azathioprine, méthotrexate... et à Richmond, Hume réalise la première greffe avec immunosuppression à partir d'un rein de cadavre. A la même période en 1959, l'école neurologique parisienne de Mollaret [34] décrit l'état de mort cérébrale ouvrant ainsi le champ immense du prélèvement à cœur battant. L'idée du don d'organes apparaît. 5 Outre le froid, les travaux de Collins puis de Belzer apportent des solutés de protection des organes prélevés. La greffe rénale est maîtrisée, la greffe hépatique peut se développer et Starzl [45], à Denver, réalise la première en 1963. La greffe pulmonaire tentée pour la première fois par Hardy en 1963 est un échec. On note cependant le succès très isolé de Derom qui, en 1968, obtient une survie de 10 mois chez un jeune mineur silicotique. Bénéficiant des travaux de Shumway [43] à San Francisco, le 3 décembre 1967, Barnard étonne le monde par la première greffe de l'organe le plus symbolique : le cœur. Après l'engouement, la déception se prolongera jusqu'en 1980 où, presque seuls, Shumway et Cabrol persévèrent. En1976, une nouvelle ère de la transplantation commence, avec la découverte des vertus immunosuppressives de la ciclosporine A par Borel et al. [7]. En 1979, Morris [37] met en application l’utilisation de la ciclosporine A après transplantation de cœur et de rein sur l’animal. La même année Calne et al. [11] décrivent pour la première fois l’utilisation clinique de la ciclosporine A pour des transplantations de rein, foie et pancréas. Dans cet élan, Reitz et Shumway mettent au point la greffe cœur-poumons, l'équipe de Patterson à Toronto s'illustre dans la greffe pulmonaire. En Angleterre, Yacoub et Wallwork révèlent d'impressionnantes séries de greffes cardio-pulmonaires et pulmonaires. Parallèlement à la transplantation d’organes, quelques essais d’allotransplantations de tissus composites sont entrepris. En 1964 un chirurgien équatorien tente la première allotransplantation de main prélevée sur cadavre. Celle-ci est un échec lié à l’insuffisance du traitement immunosuppresseur. En 1974 Burke réalise la première allogreffe de peau. En 1982 une série de cas décrits par Furnas, Black et Hewitt [6] a montré la tolérance des allogreffes de pattes de rats avec l’utilisation de la ciclosporine. En 1987 Mackinnon [31] effectue la première allogreffe de nerf chez l’homme. En 1989 et 1991 Kniha, Randizio et Gold [21] [41] réussissent une allotransplantation d’hémi-mandibule chez le lapin et le singe. En 1991 Guimberteau [22] réalise avec succès une allogreffe de tendon vascularisé. En 1994 Hoffman [25] décrit plusieurs allogreffes de tissus osseux vascularisés. 6 En 1998 Dubernard [15], [16] ouvre véritablement le champ de l’allotransplanstation de tissus composites en réalisant avec succès la première allogreffe de main. Ainsi se succèdent allogreffes de mains, larynx, langue, parois abdominales [29] .… B) Les premières applications d’allotransplantations de tissus composites chez l’homme 1) Allotransplantation de tendon [22] En 1991, une équipe française dirigée par J-C GUIMBERTEAU a réalisé 2 allotransplantations d'appareils fléchisseurs digitaux prélevés chez un donneur vivant non apparenté (dont l'auriculaire devait être amputé) et chez un donneur en état de mort cérébrale. Les greffons ont été revascularisés sur les vaisseaux ulnaires des receveurs pour qui toute autre solution de reconstruction avait échoué. Par le passé, des allogreffes non vascularisées de tendon frais ou congelé avaient déjà été réalisées mais les résultats fonctionnels de ces allogreffes étaient restés décevants en raison de la faible viabilité des greffons et de la désorganisation du système fléchisseur. L'objectif des auteurs était d'améliorer ces résultats par le transfert d'un appareil fléchisseur complet (le tendon avec ses poulies et ses gaines) dont la viabilité devait être préservée par la revascularisation immédiate d'un pédicule anatomique. Il s'agissait ainsi d'un véritable greffon de tissus composites vascularisés dont le rejet devait être prévenu par un traitement immunosuppresseur, malgré la faible antigénicité du tissu tendineux. Un traitement par ciclosporine a été prescrit à une dose non toxique de 7 mg/j, pour une durée limitée à 6 mois. Les greffons ont été acceptés sans rejet par les 2 receveurs, les anastomoses sont restées perméables et la mobilité active de ces 2 doigts, nulle avant l'intervention, a retrouvé une amplitude satisfaisante. 2) Allotransplantation de tissu osseux [25] [26] En 1994, une équipe allemande dirigée par G. HOFMANN et M. KIRSCHNER a débuté un programme d'allotransplantations de tissu osseux vascularisé pour des séquelles de 7 chondrosarcome ou d'ostéomyélite du membre inférieur. Sur le modèle de la première allogreffe de diaphyse fémorale vascularisée réalisée par P. CHIRON en 1990, 3 patients ont reçu une diaphyse fémorale et 5 patients ont reçu une articulation complète de genou avec l'appareil extenseur. Les greffons ont été prélevés sur des patients en état de mort cérébrale, adaptés à la taille de la perte de substance osseuse et transférés aux patients receveurs. Les greffons ont été immédiatement revascularisés par l'anastomose de leur pédicule sur les vaisseaux fémoraux, puis ostéosynthésés au fémur et au tibia par un enclouage centromédullaire. Le traitement immunosuppresseur a débuté par l'association ciclosporine + azathioprine + globulines anti-thymocytes + méthylprednisolone pour les 3 premiers jours, il a ensuite été réduit à une bithérapie associant ciclosporine + azathioprine. Après 6 mois, l'azathioprine a été arrêté et seule la ciclosporine a été maintenue jusqu'à la consolidation osseuse complète des deux ostéotomies. Le dernier bilan clinique publié, après un recul de 2 à 5 ans, rapporte que 5 patients ont obtenu une bonne intégration de leur greffon osseux et ont récupéré une mobilité satisfaisante de leur membre avec une articulation du genou fonctionnelle. Cependant, une des 3 allogreffes de fémur et 3 allogreffes de genou (sur 5) ont été compliquées d'infection, ôtées et remplacées par une autogreffe osseuse ou par une prothèse totale de genou. Ces complications ont été attribuées à une association immunosuppressive non optimale et à une mauvaise adaptation du traitement immunosuppresseur, rendue difficile par l'absence d'indice fiable du rejet immunologique. 3) Allotransplantation de main [14] [15] [16] Depuis septembre 1998, 24 allotransplantations de mains ont été réalisées dans le monde, parmi lesquelles 6 greffes bilatérales. Les observations et les résultats des 4 premières greffes unilatérales - pour lesquelles un recul minimal de 8 à 20 mois était disponible - ont été rassemblés et évalués au cours du 2ème Symposium International sur l'allotransplantation de tissus composites (Louisville, USA, mai 2000). Les résultats fonctionnels pour les 4 premiers patients ont été évalués. La comparaison de 8 ces 4 cas précise les conditions de réalisation de ces interventions par 3 équipes différentes apporte une première réponse aux interrogations sur le résultat fonctionnel de ces greffes. Les greffons ont été prélevés assez haut (au-dessus du coude) sur les 4 sujets donneurs et préservés à 4°C pendant 6 à 12 heures (durée d'ischémie froide) après la perfusion de l'artère brachiale avec le liquide de conservation habituel des greffes d'organes (solution de l'Université du Wisconsin, UW). Les extrémités distales des moignons des patients receveurs ont été réséquées jusqu'à l'identification des structures anatomiques en zone saine. Les 2 os des greffons ont été raccourcis et ostéosynthésés avant les anastomoses vasculaires, tendineuses puis nerveuses. Les 4 patients ont reçu un traitement immunosuppresseur d'induction pendant les 7 à 10 premiers jours, suivi d'un traitement d'entretien avec une association immunosuppressive identique: tacrolimus + mycophénolate mofétil + prednisone. Les patients, opérés à Lyon et à Louisville, ont subi plusieurs épisodes de rejet modéré plusieurs mois après l'intervention, diagnostiqués par l'observation d'un érythème sur la main greffée et confirmé par des biopsies cutanées. Le rejet a été maîtrisé dans tous les cas par des doses élevées de prednisone par voie orale et par des applications locales de tacrolimus (pommade). La récupération fonctionnelle des 4 premières mains greffées a été évaluée en mai 2000. Elle a été jugée "moyenne" (Louisville, Guangzhou 1) et "bonne" (Guangzhou 2) par le test de Carroll, qui apprécie les capacités fonctionnelles globales de la main dans les gestes de la vie quotidienne. Le patient greffé à Lyon ne s'est pas soumis au test de Carroll mais à l'évidence il présentait une faible récupération fonctionnelle. La régénération nerveuse, facteur-clé de la récupération fonctionnelle, a été évaluée par le test de Tinel et jugée extrêmement rapide dans les premiers mois pour les 4 patients. Cette observation a été attribuée à l'effet favorable du tacrolimus sur la régénération axonale, un phénomène qui avait déjà été observé chez l'animal et chez l'homme. Cette régénération nerveuse n'a cependant pas été associée à une réinnervation des muscles intrinsèques ni à une sensibilité distale satisfaisante. Alors que le patient greffé à Lyon a abandonné la kinésithérapie, les équipes chirurgicales de Louisville et de Guangzhou espèrent encore améliorer le résultat fonctionnel de leurs allogreffes avec un programme de rééducation fonctionnelle prolongé plus de 2 ans après l'intervention. Quoique trop précoces et trop restreints pour porter un jugement définitif ou global, ces 9 résultats fonctionnels des premières greffes de mains sont encourageants. Ils ne doivent cependant pas faire oublier les conséquences du traitement immunosuppresseur. Parmi les 4 premiers patients greffés, pendant les 8 à 15 premiers mois postopératoires, sont apparues les complications suivantes: diabète insulino-dépendant (Lyon), syndrome de Cushing (Guangzhou 1), colite à CMV (Louisville), infection cutanée herpétique (Lyon) et mycoses cutanées récidivantes (Louisville, Guangzhou 1). Toutes ces complications ont été traitées ou supprimées par la diminution du traitement immunosuppresseur, mais leur récurrence et leurs conséquences propres ont pu dégrader la qualité de vie postopératoire. Le 2 février 2001, la première main greffée à Lyon a été amputée. Le patient n'avait jamais suivi rigoureusement son traitement ni la rééducation. Il avait mal supporté son diabète et la faible récupération fonctionnelle le décourageait. Deux ans après l'intervention, le patient avait définitivement arrêté son traitement immunosupresseur; la greffe avait finalement été rejetée en quelques semaines. Il a retrouvé aujourd'hui son état antérieur et ne suit plus aucun traitement. 4) Allotransplantation de nerfs [30] [31] Dans un domaine où les résultats ont toujours été décevants, de nouvelles allogreffes de nerfs sont venues récemment donner un espoir aux patients porteurs de pertes de substance étendues des nerfs périphériques. L'équipe dirigée par S. MACKINNON (St-Louis, Etats-Unis) a présenté les résultats d'allotransplantations de nerfs périphériques sur une série de 7 patients âgés de 3 à 24 ans, opérés entre 1988 et 1998 à la suite d'accidents délabrants du membre supérieur (4 patients) ou inférieur (3 patients). Les greffons ont été prélevés sur les membres des sujets en état de mort cérébrale et préservés en ischémie froide à 5°C pendant 7 jours avant l'implantation. Les allogreffons, d'une longueur moyenne de 190 cm (extrêmes: 72 et 350 cm) ont parfois été complétés par des autogreffons de nerf crural. Les 5 premiers patients ont reçu un traitement par ciclosporine, azathioprine et prednisone ; le tacrolimus a remplacé la ciclosporine pour les 2 derniers patients. Le traitement immunosuppresseur a été maintenu jusqu'à la mise en évidence d'une régénération nerveuse en aval du greffon en moyenne pendant 18 mois (extrêmes: 12 et 26 10 mois). L'un des patients a développé un rejet immunologique complet des greffons à 4 mois postopératoires, qui a été attribué à un sous-dosage en ciclosporine. Tous les autres patients ont retrouvé une sensibilité et certains ont retrouvé une motricité (greffes au membre supérieur uniquement) que l'arrêt du traitement immunosuppresseur n'a pas altéré. Aucune complication directement liée au traitement immunosuppresseur n'a été observée. Ces résultats cliniques ont été rendus possibles par une meilleure connaissance du phénomène de régénération des allogreffes nerveuses chez l'animal, notamment l'observation du remplacement des cellules nerveuses du greffon par les propres cellules de Schwann du receveur, et par l'effet pro-régénératif du tacrolimus. L'arrêt du traitement immunosuppresseur après la période "d'induction" initiale a permis d'éviter toute complication iatrogène. Ces allogreffes nerveuses représentent un progrès dans le domaine de la régénération nerveuse qui profitera directement aux greffons de tissus composites comme la main. 5) Allotransplantation de larynx [49] L'une des plus intéressantes applications de l'allotransplantation de tissus vascularisés en chirurgie réparatrice fonctionnelle est celle de la première allogreffe de larynx, réalisée en janvier 1998 par M. STROME à la Cleveland Clinic (Cleveland, OH, Etats-Unis). Un homme de 40 ans, aphone depuis l'âge de 20 ans après l'avulsion traumatique du larynx au cours d'un accident de moto, a reçu une allogreffe de tout le carrefour pharyngo-Iaryngé. Le greffon constitué du larynx, du pharynx, de 6 anneaux trachéaux, des 2 nerfs laryngés supérieurs et des récurrents, des artères thyroïdiennes supérieures, de la veine jugulaire interne droite et de la veine thyroïdienne moyenne gauche, de la glande thyroïde et des parathyroïdes a été prélevé sur un sujet de 40 ans en état de mort cérébrale. Après une période d'ischémie froide de 10 heures, le greffon a été revascularisé chez le receveur par les vaisseaux droits. Il a été suspendu à l'os hyoïde du receveur en haut, suturé au 5è anneau trachéal en bas et à l' œsophage en arrière, puis les vaisseaux gauches ont été anastomosés, avant les 2 nerfs laryngés et le nerf récurrent droit. Le nerf récurrent gauche du receveur n'a pas été identifié. La peau du receveur a été refermée sur le greffon et l'orifice de trachéostomie a été recréé. 11 L'intubation trachéale a duré 24h et le patient a été alimenté par une gastrostomie pendant 3 mois. Le patient a reçu un traitement initial par anticorps antimonoclonaux OKT3, ciclosporine, mycophénolate mofétil et méthylprednisolone, puis un traitement d'entretien par tacrolimus, mycophénolate mofétil et prednisone. Un épisode de rejet à 15 mois postopératoires, diagnostiqué par une aphonie, un œdème laryngé et des biopsies trachéales, a été traité en quelques jours par une augmentation transitoire des doses de corticostéroïdes. Le patient a subi un épisode d'hypertension artérielle pendant 6 mois traité par des antihypertenseurs, et 3 épisodes de trachéobronchite traitée par des antibiotiques. Une infection pulmonaire à Pneumoçystis carinii, qui s'est développée après l'arrêt inopiné du traitement préventif par le malade, a été traitée par des antibiotiques. Toutes ces complications ont été imputées au traitement immunosuppresseur. Les dosages hormonaux de l'activité thyroïdienne et parathyroïdienne sont restés normaux après la transplantation. Trois ans et demi après l'intervention, les résultats fonctionnels ont été jugés sur la récupération de la voix, de la déglutition et du goût des aliments, et sur la qualité de la respiration. Ils ont été publiés récemment sous la forme d'un bilan clinique. Trois mois après l'intervention, la vibration des cordes vocales produite par la respiration donnait une voix laryngée au patient. A 16 mois postopératoires, les différents paramètres de la voix (tonalité, qualité, intensité, durée de phonation, débit vocal et coordination respiratoire) étaient normalisés. Le patient s'exprime actuellement avec une voix de qualité normale, parfaitement intelligible et d'aspect naturel. Le patient a recouvré une déglutition efficace après 3 mois. Il s'alimente oralement sans inhalation. La sensation des odeurs et du goût s’est améliorée. 12 III) Reconstruction faciale, origine et évolution Même si au cours des siècles antérieurs les médecins, dans toutes sortes de cultures et de civilisations, chez les Égyptiens notamment, ont tenté de reconstituer des visages ou des parties du corps mutilés, c'est au cours de la première guerre mondiale que la chirurgie plastique s'est révélée. Pendant cette guerre des tranchées, de nombreux soldats ont été victimes de mutilations notamment au niveau du visage. Les chirurgiens avaient la lourde tâche de recomposer un visage auquel manquaient nez, joues, menton et parfois, yeux et arcades sourcilières. Dans certains cas graves où le chirurgien s'avérait impuissant, on recourait à un artiste qui modelait, à partir d'une photo du blessé, un masque que le soldat portait en permanence sur son visage. Figure 1 [58] : procédé de la " greffe italienne " décrite à la fin du XVIe siècle par le chirurgien italien Tagliacozzi. Le bras était immobilisé contre la face mutilée par un système de contention métallique. Au bout de trois semaines, une fois l’autonomisation vasculaire du lambeau obtenue, il était possible de détacher le bras après section du pédicule. 13 Figure 2 [58]: Méthode de lambeau de Dufourmentel (1918). Celle-ci consistait à mobiliser un lambeau uni ou bipédiculé de cuir chevelu pour reconstruire les pertes de substances de la lèvre inférieure et du menton. Figure 3 [58]: Greffes ostéopériostiques de Delagenière. Ce procédé consistait à prélever un greffon osseux à la face interne du tibia pour l’appliquer sur la partie osseuse manquante de la face. Celui-ci était ensuite recouvert d’un lambeau cutané (génien) 14 La reconstruction faciale connaît un essor considérable au cours du XXème siècle, notamment la deuxième moitié avec la maîtrise de la cicatrisation et l’utilisation des greffes et des lambeaux. Dans les années 60 les travaux de Jacobson [27] et Buncke [8] ouvrent une nouvelle porte sur la chirurgie plastique avec la mise au point des microanastomoses vasculaires. L’amélioration de la microscopie et des instruments microchirurgicaux permet d’effectuer des anastomoses de vaisseaux dont les calibres sont de l’ordre de 1,5 à 2,5 mm. Ainsi se développe le transfert de structures tissulaires libres qui permet des reconstructions de meilleure qualité sur le plan fonctionnel et esthétique. Actuellement les principales techniques utilisées pour la reconstruction faciale sont : - Les greffes de peau : Elles permettent de couvrir des pertes de substance étendues mais superficielles. On privilégie les greffes de peau totales qui donnent un meilleur aspect. Les inconvénients sont la morbidité, les limites du site donneur et les rétractions secondaires. - Les lambeaux locaux : Ce procédé est utilisé pour les petites ou moyennes pertes de substance. Il donne de bons résultats esthétiques et fonctionnels. - Les lambeaux libres (autotransplantations) : Ils permettent l’apport de tissus (peau, muscle, os) en grande quantité. En particulier, le lambeau de péroné est aujourd’hui le standard pour la reconstruction mandibulaire. - Autres procédés : o Les lambeaux préfabriqués : Ils permettent de combler des défects osseux et tégumentaires. Les inconvénients sont la différence de coloration et de texture des tissus apportés et la nécessité de renouveler les interventions. 15 o L’expansion cutanée : Cette technique est une alternative à la greffe de peau totale. Elle permet la couverture d’une perte de substance par un tissu cutané de bonne qualité. Dans des traumatismes complexes, c’est l’association de plusieurs procédés qui, dans une logique combinatoire, permet de reconstruire tout ou partie de la face (fig.4). A D B C E Figure 4 : Mr B. 50 ans. Tentative de suicide par traumatisme balistique : A : Perte de substance osseuse et tégumentaire centro-faciale après parage et pose de plaques d’ostéosynthèses ; B : Reconstruction des lèvres par un lambeau pédiculé de cuir chevelu ; C : Reconstruction mandibulaire par un lambeau libre de péroné ; D : Résultat post opératoire immédiat ; E : résultat à 1 an. E 16 Cependant les techniques de lambeaux libres, poussées à leur maximum, ne peuvent pas reconstruire la complexité des structures anatomiques superficielles comme l’ont montré les travaux d’Angrigiani [3] (Fig 5). Cet auteur pensait qu’il était possible de traiter les graves séquelles de brûlure de la face par un lambeau libre unique, prélevé dans le dos et vascularisé par les 2 pédicules scapulaires circonflexes. Cependant il a constaté une perte de l’expression du visage et des difficultés à l’ouverture buccale du fait de la faible élasticité de la peau du dos. A B C D D Figure 5 : Mr X 34 ans. Reconstruction faciale par un double lambeau scapulaire : A : séquelles de brûlures de la face, aspect préopératoire ; B : dessin de la palette cutanée dorsale ; C : exérèse des tissus cicatriciels ; D : Résultat à 18 mois 17 IV) Projet d’une allogreffe de face A) Indications et objectifs 1) Les défigurés : généralités Parler de défiguration, c'est parler d'un face-à-face, vécu comme redoutable et souvent comme insupportable. Il y a un travail de deuil à faire, deuil de l'apparence physique antérieure (identité), deuil des relations à autrui qui seront irrémédiablement modifiées. Quand le visage est atteint, blessé, détruit, le sujet ressent une menace vitale et cela même si le pronostic dit "vital" n'est pas en jeu. Deux images viennent s'affronter: l'image mentale passée et l'image actuelle. L'idéalisation de la première vient renforcer le sentiment de dépréciation et de honte. Il y a alors un risque, de s'isoler du monde, de se replier dans un milieu sécurisant (service hospitalier, le lieu d'habitation) et également un risque suicidaire. Le sujet défiguré est exposé aux curiosités et aux regards d'autrui. Il ne peut paradoxalement se réfugier dans l'anonymat. Il est perpétuellement en vue et constamment séparé des autres par une distance qui reste souvent infranchissable du fait du rejet exprimé ou ressenti [1]. Face à un visage défiguré, nous ressentons à la fois une fascination morbide et un sentiment de rejet, d'horreur. Partridge [39] a décrit à partir de sa propre expérience de sujets défigurés dans les suites de brûlures le "SCARED syndrome" pour essayer de définir les réactions d'autrui: - Starring : peur - Curiosity : curiosité - Anguish : angoisse - Recoil : dégoût - Embarrasment : embarras, gêne - Dread : crainte 18 Dans le cadre des défigurations traumatiques, le premier temps après l'accident ou la tentative de suicide, est marqué par une souffrance psychique et physique intense. Les auteurs ne notent pas, en règle générale, de corrélation entre les réactions dépressives et la gravité de la défiguration [46]. Secondairement, les patients vont réagir de différentes façons: On peut voir des cas, que nous qualifierons d'extrêmes, où existe un déni de la lésion ou du moins de son retentissement sur la vie du sujet. D'autres patients vont se lancer dans une course effrénée à la réparation "à tout prix". Ces patients n'entendent souvent pas les limites des actes chirurgicaux et n'entendent pas que la restitution d'un visage identique à celui d'avant l'accident est impossible. Le chirurgien se voit investi d'une image de toute puissance qui va souvent lui rendre difficile l'annonce de la limite de ses capacités. Le patient risque de vivre cela comme un effondrement avec peut-être le sentiment d'avoir été leurré. Quant au chirurgien, il aura alors aussi l'impression d'avoir failli [19]. Entre ces deux attitudes extrêmes, l'attitude la plus fréquente est celle où le patient souhaite retrouver une apparence "humaine". Il souhaite retrouver la place d'anonyme dans la foule de ses semblables, ne plus se situer en marge, différent, étranger ou inférieur, ne plus attirer le regard semble être la base de leur motivation; ainsi que retrouver une image de soi acceptable pour soi et pour autrui [1]. Le patient s'engage alors dans un lourd processus d’interventions chirurgicales qui, au prix de multiples prélèvements cutanés ou osseux, est à l'origine de nouvelles cicatrices dans des zones jusque là préservées. Il y a donc un "modelage" du visage qui va se faire au gré des différentes interventions avec à chaque fois des modifications que le patient devra intégrer. L'amélioration de l'apparence physique permet une diminution des angoisses de vulnérabilité liées à la blessure physique, à l'effraction de l'enveloppe corporelle [1]. Il est à noter que, pour certains auteurs, il n'existe pas "d'habituation" à la défiguration [19]. Le sujet l'a constamment en mémoire et parle souvent de "préoccupation" concernant la lésion. Il traduit ainsi le sentiment de malaise, d'anxiété diffuse, de dévalorisation qui est toujours présent malgré le temps qui passe et ce même si l'insertion sociale est bonne. Le service hospitalier est souvent investi par le patient comme un milieu protecteur: il s'y sent 19 protégé, à l'abri des regards rejetant. Il tisse des liens étroits avec les équipes médicales et paramédicales. Celles-ci voient l'évolution de son physique, l'amélioration de son apparence et valorisent cette amélioration. 2) Les situations pratiques Elles sont aujourd’hui peu nombreuses. L’indication d’une allogreffe de face pourrait théoriquement concerner les traumatismes balistiques, les grandes brûlures, certains cancers de la face et certaines anomalies congénitales. a) Les traumatismes balistiques En France, en 1997, le suicide par arme à feu représentait 24% des suicides soit la 2ème place [5]. On note une prépondérante masculine avec deux pics de fréquence de 18 à 30 ans et de 40 à 55 ans. L'arme la plus fréquemment utilisée est le fusil de chasse appartenant en général au suicidant. Les zones visées sont, par ordre de fréquence décroissante, la tête (70 % des hommes visent la tête contre 48 % des femmes), puis le thorax et l'abdomen. Concernant les lésions de la face, quand un fusil de chasse est utilisé, l'orifice d'entrée est en général sous-mental ou intra-buccal, la tête étant en hyperextension: de ce fait, les lésions du système nerveux central sont rares. Il en résulte des dégâts considérables liés au projectile et à l’effet de blaste. Les destructions tissulaires sont étendues et profondes, localisées généralement à la partie médiane de la face. Elles concernent à la fois les structures osseuses et tégumentaires. Cette région est difficile à reconstruire car elle se situe au carrefour des différentes unités esthétiques et fonctionnelles de la face. En particulier la perte complète des lèvres ne permet pas aujourd’hui une reconstruction fonctionnelle. 20 b) Les brûlures de la face Les brûlures étendues et profondes de la face sont sources de graves séquelles qui se traduisent par des alopécies étendues au niveau du cuir chevelu, des troubles de la fonction des paupières par rétraction (ectropion), des mutilations nasales (pointe, cartilages alaires), une rétraction des lèvres (microstomie) entravant la fonction normale de l’orbiculaire (fig.6). La rétraction cutanée donne au visage un aspect figé avec une mobilité faciale diminuée. La qualité fonctionnelle des muscles peauciers assurant la mobilité de la face dépend du degré de rétraction cutanée et du degré de profondeur de la brûlure (carbonisation). Le traitement classique repose essentiellement sur la greffe de peau, qui améliore plus ou moins la laxité de la face. Cependant les résultats ne sont pas toujours satisfaisants sur le plan fonctionnel et esthétique [36]. Les inconvénients des greffes de peau sont la morbidité du site donneur, l’ectropion et la microstomie liés à une rétraction secondaire de la greffe, et la faible récupération fonctionnelle. Lorsqu’il s’agit d’une véritable carbonisation, le tissu cutané et les muscles peauciers sont détruits. Il n’est pas possible de reconstruire par des autogreffes ou par d’autres procédés une structure anatomique comprenant l’ensemble de la peau et des muscles peauciers. En particulier les lèvres et les paupières qui sont des structures très mobiles. Exemple : Brûlure étendue de la face A B Figure 6 : Mlle S. 23 ans. Brûlure étendue (70% surface corporelle) suite à un accident de voiture. A : avant l’accident ; B : résultat après 30 interventions de chirurgie réparatrice 21 c) Les cancers de la face Les plus fréquentes tumeurs malignes tégumentaires de la face sont les carcinomes basocellulaires, les carcinomes spinocellulaires et les mélanomes. Celles-ci nécessitent dans certains cas une exérèse mutilante de la face pour obtenir un espoir de guérison. Nous pensons que, pour ces types de tumeurs, il n’est pas raisonnable de proposer une reconstruction nécessitant une immunosuppression. En effet, ces tumeurs ont soit un potentiel important de récidive avec une progression rapide, soit un risque important de dissémination métastatique. En revanche, certaines tumeurs, d’évolution lente et purement locale, nécessitant une exérèse étendue des téguments (peau + muscles peauciers) de la face, semblent plus accessibles à l’utilisation d’immunosuppresseurs bien qu’aucune étude ne l’ait démontrée. Exemples : Dermatofibrosarcome de Darier Ferrand : C’est une tumeur fibreuse d’évolution très lente. Afin de supprimer tout risque de récidive locale, il est clairement établi que l’exérèse chirurgicale doit passer en surface à 5 centimètres au moins des bords de la tumeur, et qu’elle doit emporter en profondeur une barrière anatomique saine, non envahie. d) Autres Certaines malformations comme les neurofibromatoses de Von Recklinghausen (fig.7) peuvent être à l’origine de difformités faciales. Figure 7 : Neurofibromatose de la face chez un patient de 35 ans 22 3) Objectifs d’une allogreffe de face L’objectif principal d’une allogreffe de face est d’offrir une solution chirurgicale pour des délabrements dont la reconstruction est inaccessible par des techniques classiques. Notre enquête, réalisée auprès de 20 services hospitaliers français (chirurgie plastique et de chirurgie maxillo-faciale confondues), a montré que le nombre de patients susceptibles de bénéficier d’une allogreffe de face était en moyenne de 2 cas par an et par service, soit un total de 40 cas par an. Les autres objectifs sont : - Rétablir les fonctions fondamentales de la face • la fonction du muscle orbiculaire des lèvres afin d’assurer la continence salivaire, l’alimentation et la phonation. • la fonction du muscle orbiculaire des paupières afin d’assurer la protection du globe oculaire. - Redonner une dynamique au visage. - Améliorer l’aspect esthétique. B) Les difficultés techniques 1) Nature du greffon La nature du greffon est théoriquement fonction des tissus manquants chez le patient receveur. a) Nature des structures prélevées [36] Le prélèvement peut concerner : • la peau dont la vascularisation est assurée par un ou plusieurs pédicules artérioveineux. L’intérêt d’un tel prélèvement serait d’apporter un tissu de bonne qualité (épaisseur, élasticité) s’appliquant parfaitement aux structures sous-jacentes. La nature de la peau varie suivant sa localisation. Elle est fine au niveau des paupières et des lèvres et épaisse au niveau des joues du front et du nez. Le respect de cette organisation cutanée est essentiel pour obtenir une mobilité harmonieuse et un 23 résultat esthétique. Ce type de prélèvement serait particulièrement indiqué chez les grands brûlés de la face lorsque le principal problème est d’ordre cutané. • La peau et les muscles : Ce prélèvement est beaucoup plus complexe car les nerfs assurant la motricité et la sensibilité de la face doivent être préservés. • La peau, les muscles et l’os : Ce type de greffon semble techniquement beaucoup plus difficile. En effet pour assurer la vascularisation du massif facial il est nécessaire d’emporter l’artère maxillaire interne branche de la carotide externe et la veine maxillaire. Ces pédicules sont profonds et difficiles d’accès. b) Localisation des structures prélevées Le greffon peut comprendre : • L’ensemble de la face • L’appareil palpébral • Le complexe nasolabial • Le cuir chevelu 2) Description d’une technique inédite. Contrairement à l’allogreffe de main dont la technique est proche de celle utilisée pour les réimplantations du membre supérieur, l’allogreffe de face est une approche chirurgicale nouvelle. Deux cas de réimplantation faciale post traumatique ont été décrits dans le monde [50] (fig.8), [52]. 24 B A B C D Figure 8 : Réimplantation de la face et du scalp : A. aspect de la face avant réimplantation ; B. Lambeau de face et scalp avulsé ; C. et D. résultat à 6 mois ( récupération motrice partielle) Ces 2 cas récents de la littérature ont montré qu’il était possible de revasculariser l’enveloppe cutanée faciale à partir d’un pédicule (artère faciale ou artère temporale). Le fondement de la technique d’allogreffe de face repose sur les connaissances anatomiques, les notions de chirurgie plastique concernant la vascularisation des tissus et l’expérience dans la littérature. 25 3) Les modèles animaux L’allotransplantation de face a été testée sur l’animal. Deux auteurs, Siemionow et Eduardo Bermu Dez, ont rapporté leurs conclusions à ce sujet. L’étude réalisée par Siemionow [51] (fig.9) a tenté d’éclaircir la technique chirurgicale et la tolérance immunologique d’une allotransplantation de la face et du scalp chez le rat. L’expérience a été réalisée sur 64 rats. Celle ci a prouvé, qu’il était possible d’isoler et de transplanter un lambeau vascularisé de tissus composites de la face et du scalp, en une seule unité, et que la réaction de rejet a été maîtrisée pendant plus de 6 mois grâce à l’utilisation de faibles doses de ciclosporine A. A B C A D Figure 9 : Allotransplantation de face chez le rat : A. rat noir donneur, dessin du lambeau ; B. rat blanc receveur ; C. greffon facial ; D. résultat à 3 mois. 26 L’étude réalisée par Eduardo Bermu Dez [17] a mis en évidence la viabilité vasculaire après transplantation d’une hémiface de chien sur un chien receveur. Cette expérience a montré qu’il était possible de revasculariser une hémiface de chien, comprenant la peau et les muscles, à partir du pédicule facial (artère et veine faciales). Celle-ci ne tenant volontairement pas compte des problèmes fonctionnels et immunologiques. A B C D E F Figure 10 : Transplantation d’une hémiface chez le chien : A: chien donneur ; B: lambeau d’hémiface vascularisé par le pédicule facial ; C: chien receveur ; D: transplantation de l’hémiface sur le receveur ; E: résultat à 5 jours ; F: rejet aigu 27 C) Notre approche La technique chirurgicale ne peut être décrite de manière stéréotypée en raison des variabilités propres à chaque cas de reconstruction. Pour chaque cas, les destructions faciales et les méthodes de reconstruction employées antérieurement sont différentes. Notre approche consiste à décrire pas à pas une technique chirurgicale sur des sujets anatomiques afin d’évaluer la faisabilité en vue d’une éventuelle application pratique. Nous n’exposerons donc que les principes chirurgicaux qui nous semblent essentiels. Nous avons choisi de décrire quatre systèmes anatomiques qui nous semblent techniquement réalisables et qui apporteraient une véritable solution en terme de reconstruction. 1) L’appareil palpébral La conservation de l’œil impose la présence d’une paupière supérieure souple et mobile pour la protection et l’usage. En cas d’amputation, celle-ci peut être reconstruite par tout ou partie de la paupière inférieure. En revanche les procédés de reconstruction des pertes de substance bi-palpébrales ne permettent pas de rétablir les fonctions fondamentales des paupières. En pratique, les amputations bipalpébrales sont incompatibles avec la conservation oculaire. 2) Le complexe nasolabial La région médiane de la face est complexe. Elle se situe au carrefour des différentes unités esthétiques. Celle-ci se divise en 2 régions : La région nasale qui est peu mobile et peu fonctionnelle. Les techniques de reconstruction de cette région sont bien définies et donnent d’excellents résultats. En revanche la région labiale est une zone de mobilité importante faisant intervenir de nombreuses unités musculaires. Les lèvres jouent un rôle essentiel dans la relation à l’autre. Elles permettent d’exprimer des émotions comme la joie, la tristesse, la colère, de communiquer par son rôle phonatoire, de s’alimenter par la rétention du bol alimentaire et d’assurer la continence salivaire par le muscle orbiculaire, véritable sphincter de l’orifice buccal [48]. 28 Lors des pertes de substance labiale, le chirurgien s’efforce toujours de restaurer la continuité de ce sphincter. Or les particularités anatomiques des lèvres impliquent de reconstruire de la lèvre par de la lèvre [48]. Qu’en est-il pour une destruction totale des lèvres ? 3) Le scalp Les principales causes responsables d’une atteinte de l’ensemble du cuir chevelu sont • les avulsions du scalp post traumatiques • les brûlures • les exérèses tumorales étendues A ce jour, aucune technique chirurgicale ne permet de reconstituer l’ensemble du cuir chevelu (fig.11 et 12) [2] [10]. Le seul moyen de palier à ce handicap est l’utilisation de prothèses capillaires qui pour certaines personnes, notamment les femmes, est difficile à accepter [35]. Seule l’allotransplantation de scalp serait la solution pour reconstruire la totalité du cuir chevelu. En 1982 Buncke [9] avait déjà évoqué cette possibilité de traitement après avoir réalisé avec succès une isotransplantation de cuir chevelu expansé entre deux jumeaux homozygotes. A B A C D Figure 11 : Succès de réimplantation après avulsion complète du scalp : A. scalp avulsé ; B. aspect pré-opératoire ; C et D. Résultats à 18 mois C D 29 A B Figure 12 : Echec de réimplantation après avulsion complète du scalp et d’une oreille : A. aspect pré-opératoire ; B. Résultat à 1 an après échec de la réimplantation. 4) Le masque facial C’est l’intervention ultime porteuse de tous les fantasmes. La transplantation de l’ensemble du masque n’aurait pour indication que les carbonisations faciales avec atteinte des structures profondes. 30 V) Matériels et méthodes A) Matériels L’étude à été réalisée à partir de 25 sujets frais (15 sujets pour des descriptions anatomiques et 10 autres sujets pour l’étude de transplantation). B) Méthodes Les 15 premiers sujets ont été disséqués afin d’étudier la vascularisation artérielle et veineuse de la face et du scalp, l’innervation sensitive et motrice de la face, et l’organisation des muscles peauciers de la face. Les réseaux vasculaires ont été préalablement injectés par une substance auto-polymérisable radio-opaque. Les 10 autres sujets ont permis d’élaborer une technique chirurgicale appliquée à la transplantation de tissus composites de la face. 1) Prélèvement de l’ensemble du masque facial ( peau + muscle ) (3 sujets) 2) Prélèvement de l’enveloppe cutanée faciale (2 sujets) 3) Prélèvement du scalp (1 sujet) 4) Prélèvement de l’appareil palpébral (2 sujets) 5) Prélèvement du complexe nasolabial (2 sujets) Un masque facial prélevé sur un sujet a été transféré sur un autre sujet afin d’établir une comparaison donneur - receveur. Des photographies ont été prises tout au long des dissections. 31 VI) Techniques chirurgicales de l’allotransplantation faciale A) Allotransplantation du système palpébral I. Rappel anatomique 1) Structures palpébrales (fig.13) Les paupières, supérieure et inférieure, sont deux voiles musculo-membraneux mobiles qui recouvrent et protègent la partie antérieure de l'œil. On peut leur décrire 3 couches de la superficie à la profondeur: peau, muscle orbiculaire et plan tarso-conjonctival. a) Plan cutané On reconnaît deux parties à la face antérieure de chaque paupière: - La portion tarsale, en rapport avec le globe. - La portion orbitaire, comprise entre la précédente et le rebord orbitaire. Ces deux portions sont séparées l'une de l'autre par le sillon palpébral. Le bord libre de chaque paupière mesure de 25 à 30 mm de long et 2 mm d'épaisseur. La saillie du tubercule lacrymal divise ce bord en deux portions, interne ou lacrymale et externe ou ciliaire. La portion lacrymale contient dans son épaisseur le canalicule lacrymal et limite avec son homologue, le lac lacrymal, occupé par la caroncule lacrymale et par le repli semi-lunaire. La portion ciliaire présente deux lèvres divisées par la ligne grise qui sépare le plan cutanéo-musculaire en avant du plan tarso-conjonctival en arrière. b) Muscle orbiculaire Le muscle orbiculaire des paupières est formé de fibres concentriques disposées autour de la fente palpébrale en deux parties: • Palpébrale • Orbitaire 32 La partie palpébrale comprend elle-même 3 parties: - marginale, au ras des cils. - prétarsale, adhérente au tarse. - préseptale, facilement clivable du septum. Ces trois parties convergent vers les tendons (ou ligaments) palpébraux, interne et externe. Le tendon palpébral interne s'attache à la crête lacrymale antérieure par le tendon direct, et à la crête lacrymale postérieure par le tendon réfléchi (accessoire). Le tendon palpébral externe présente aussi deux éléments: antérieur, négligeable (raphé étalé sur le rebord orbitaire), et postérieur, important (bandelette fibreuse insérée en arrière du rebord orbitaire). Ce tendon fusionne avec le solide aileron aponévrotique externe du muscle releveur de la paupière supérieure. La partie orbitaire de l'orbiculaire fait le tour de l'orbite en s'insérant sur le ligament palpébral interne. Elle est assez adhérente à sa peau de recouvrement et aux muscles peauciers du voisinage (frontal en haut, releveurs en bas). c) Plan tarso-conjonctival Le tarse des paupières est un tissu conjonctif fibro-élastique qui forme l'armature de la paupière. Le tarse supérieur mesure 10 mm de haut à sa partie moyenne, alors que le tarse inférieur mesure 5 mm de haut. Les deux extrémités de chaque tarse s'insèrent sur les ligaments palpébraux. Le bord supérieur du tarse supérieur a des insertions avec le septum orbitaire et le muscle de Müller. La face antérieure du tarse supérieur a une insertion avec le faisceau aponévrotique du releveur. Le bord inférieur du tarse inférieur a une insertion avec le septum orbitaire et le rétracteur de la paupière inférieure. Le septum orbitaire est une mince lame fibreuse et mobile qui relie la lèvre postérieure du rebord orbitaire au bord périphérique des tarses. Il s'unit donc aussi aux tendons palpébraux. A la paupière supérieure, il fusionne en bas avec l'aponévrose du releveur. La conjonctive est une mince membrane muqueuse qui tapisse la face profonde des paupières et se réfléchit à quelque distance de la cornée pour recouvrir la face antérieure du globe oculaire. 33 Figure 13 : Paupière supérieure : aspect structural ( d’après Zide, Jelks et Luce ) [55] 1. Peau et muscle orbiculaire 6. Conjonctive 2. Artère marginale 7. Septum orbitaire 3. Aponévrose du muscle releveur 8. Espace graisseux préaponévrotique 4. Tarse 9. Arcade artérielle périphérique 5. Muscle de Müller 10. Ligament de Whitnall d) Description de l’angle interne (fig.14) L’espace anatomique à ce niveau est complexe, l’angle interne comprend, d’avant en arrière : - la peau et le tissu sous-cutané - le paquet vasculaire angulaire qui se situe à environ 6-8 mm en dedans de l’angle médial et 5 mm en avant du sac lacrymal 34 - le tendon canthal interne qui mesure entre 3-4 mm de large et 10 mm de long - le muscle orbiculaire - l’appareil excréteur lacrymal (canalicules, canal d’union, sac) (fig.15) - muscle de Horner - septum orbitaire Figure 14 : Canthus interne ( d’après Zide, Jelks et Luce ) [55] 1. Orbiculaire (orbitaire, préseptal et prétarsal ) 2. Sac lacrymal 3. 4. Tendon canthal interne Crête lacrymale antérieure 35 Figure 15 : Appareil lacrymal (Vue antéro-latérale d’après l’atlas d’anatomie humaine Sobotta ) [54] a) Paupière supérieure e) Processus frontal maxillaire b) Canalicule lacrymal supérieur f) Canalicule lacrymal inférieur c) g) Papille lacrymale Sac lacrymal d) Ligament palpébral médial h) Muscle orbiculaire de l’œil 2) Vascularisation des paupières La vascularisation des paupières est assurée par des branches de la carotide externe et de l’artère ophtalmique. a) Vascularisation issue de la carotide externe • Artère faciale se continuant avec l’artère angulaire terminale de l’artère ophtalmique. • Artère temporale superficielle : branche terminale de la carotide externe donne des branches à la région palpébrale. 36 • Artère transverse de la face : se ramifie dans la portion externe de la paupière inférieure. • Artère zygomato-malaire : donne des rameaux aux portions externes des paupières inférieure et supérieure. • Artère sous-orbitaire : branche terminale de l’artère maxillaire interne qui contribue à la vascularisation de la paupière inférieure et du sac lacrymal. b) Vascularisation issue de l’artère ophtalmique • Branches terminales : - Artère frontale interne : elle traverse le septum et vascularise la région frontale et accessoirement la paupière supérieure. • Artère dorsale du nez : elle s’anastomose avec l’artère angulaire. Branches collatérales : - Artère frontale externe : elle vascularise la région frontale et la paupière supérieure. - Artère lacrymale. - Artères palpébrales internes supérieure et inférieure. 3) Innervation motrice et sensitive des paupières a) Innervation motrice L’innervation motrice est assurée par la branche supérieure du nerf oculo-moteur (III) pour le muscle releveur, par le sympathique pour le muscle palpébral supérieur et par le nerf facial (VII) pour le muscle orbiculaire. Le nerf facial se divise en avant du tragus en ses deux branches terminales : - supérieure ou temporo-faciale. - inférieure ou cervico-faciale. La branche temporo-faciale courte et volumineuse donne le rameau temporal (fig.16). Celui-ci émerge à 6-8 mm de profondeur, il se ramifie rapidement en plusieurs branches (3 à 6) destinées au muscle orbiculaire des paupières, au muscle sourcilier au muscle pyramidal et au muscle frontal qu'elles abordent par leurs faces profondes. Il est plaqué sur l'arcade zygomatique entre la continuité supérieure du SMAS en superficie et de la lame celluleuse sous-épicrânienne en profondeur. 37 Figure 16 : Rameau temporal et ses divisions b) Innervation sensitive L’innervation sensitive dépend de deux des trois branches terminales du nerf trijumeau (V) : les nerfs ophtalmique et maxillaire. Le nerf ophtalmique prend en charge le tiers latéral de la paupière supérieure par le nerf lacrymal, le reste de la paupière supérieure par les deux branches terminales du nerf frontal : nerfs supra-orbitaire et supra-trochléaire; la région de la commissure médiale par le nerf infratrochléaire, branche terminale du nerf naso-ciliaire. Le nerf maxillaire se termine par le nerf infra orbitaire qui innerve le tiers moyen de la paupière inférieure. Il donne le nerf zygomatique qui innerve la partie latérale de la paupière inférieure. Les branches du nerf facial sont à direction horizontale et abordent le muscle orbiculaire à sa partie latérale et sur sa face profonde. Les branches sensitives issues du nerf supra-orbitaire sont à direction verticale, situées en avant du septum dans le plan rétro-orbiculaire mais également dans et en avant du muscle orbiculaire. 38 II. Technique de prélèvement du système palpébral 1) Repérage et isolement du pédicule Le pédicule utilisé est constitué de l’artère angulaire, branche de l’artère faciale, et de la veine angulaire satellite de l’artère. L’incision débute 1 cm en bas et avant du canthus interne, elle se dirige en bas et légèrement en arrière pour rejoindre le sillon naso-génien, puis se termine en regard de la commissure labiale. Une deuxième incision est réalisée, celle-ci débute aussi 1 cm en bas et en avant du canthus interne et suit le bord inférieur du cadre orbitaire jusqu’au bord externe de celui-ci. Figure 16 : Dessin du lambeau 39 Une désépidermisation est ensuite réalisée jusqu’à la ligne allant du bord externe du cadre orbitaire à la commissure labiale. Sur cette ligne le derme est incisé, ainsi on obtient un triangle dermique à base sous palpébrale et à sommet inférieur qui servira de lame porte vaisseaux. Au sommet de ce triangle dermique est isolé l’artère et la veine faciale (fig.17), localisées en arrière du muscle grand zygomatique. A ce niveau le calibre de l’artère et de la veine sont respectivement de l’ordre de 1, 4 mm et 3 mm [56]. Figure 17 : Isolement du pédicule vasculaire (artère et veine faciale) 2) Délimitation et isolement de l’innervation motrice de l’orbiculaire L’innervation motrice de l’orbiculaire se fait exclusivement par la branche temporo-faciale. Pour que le transplant de paupières soit fonctionnel, il faut conserver cette branche depuis son origine. 40 Par une voie de parotidectomie, on libère le nerf facial de la glande parotide jusqu’à la première bifurcation nerveuse. A ce niveau la dissection concerne uniquement la branche temporo-faciale jusqu’à son émergence de la glande parotide. Dans un deuxième temps on effectue le repérage et l’isolement de l’artère et de la veine temporale superficielle. Ces deux vaisseaux sont ligaturés puis sectionnés. On poursuit la dissection jusqu’à la naissance de l’artère zygomato-malaire. L’artère et la veine temporale superficielle sont ligaturées et sectionnées au dessus de l’émergence de cette artère. Le pédicule zygomato-malaire est alors disséqué jusqu’à la même hauteur que celle de l’émergence du rameau temporo-facial. A ce niveau la dissection du nerf et du pédicule artério-veineux devient délicat compte tenu de l’importance et de la finesse des ramifications, c’est pourquoi nous pensons qu’il est plus sûr d’emporter un lambeau dermo-graisseux . Ce lambeau se dessine dans un triangle qui aurait pour base la queue du sourcil, le cadre orbitaire externe et le bord inférieur du malaire et pour sommet le pédicule artério-veineux et nerveux (fig.18). Le décollement profond de ce lambeau se fait de haut en bas à la rugine entre le fascia temporal superficialis et l’aponévrose temporale, en sous périosté au niveau de l’arcade zygomatique puis au ras du muscle masséter. Figure 18 : Isolement de la vascularisation et de l’innervation 41 3) Prélèvement de l’appareil palpébral On réalise dans un premier temps le repérage des voies lacrymales par un sondage bicanaliculonasal (sondes en silastic) L’incision est réalisée en dessous du sourcil, en regard du bord supérieur du cadre orbitaire, jusqu’au contact osseux. Les pédicules supra-trochléaire et sus-orbitaire sont isolés et ligaturés. Le décollement est débuté à la partie supérieure en sous-périosté à la rugine. Celui-ci permet de libérer le septum et latéralement le ligament canthal externe. La graisse rétroseptale est refoulée laissant apparaître l’aponévrose du muscle releveur de la paupière (fig.19). Figure 19 : Isolement de l’aponévrose du muscle releveur de la paupière Celle-ci est sectionnée à la jonction muscle et aponévrose. La paupière supérieure est totalement libérée en incisant la conjonctive en regard du cul de sac conjonctival. La dissection doit être prudente dans la région du canthus interne. En effet à ce niveau l’artère et la veine angulaire, pédicule du transplant, sont en rapport étroit avec le ligament canthal interne. 42 L’incision cutanée se situe 1 cm en avant du canthus interne pour ne pas léser l’artère angulaire. Une fois le contact osseux obtenu, on réalise un décollement sous-périosté vers le rebord du cadre orbitaire. Les structures rencontrées au cours de la libération de l’angle interne sont respectivement, le ligament canthal interne qu’on désinsère, la loge lacrymale qu’on incise sur toute sa hauteur et le septum orbitaire qu’on désinsère de la paroi interne de l’orbite. Après avoir franchi ces structures la graisse orbitaire est refoulée et l’incision concomitante de la conjonctive permet de libérer totalement l’angle interne. Le dernier temps consiste à libérer la paupière inférieure par une incision conjonctivale qui se poursuit en profondeur jusqu’au cadre orbitaire. Ainsi est prélevé l’ensemble des structures palpébrales avec les 2 lambeaux dermograisseux qui assurent l’innervation et la vascularisation (fig.20 et 21). A B Figure 20 : Greffon de l’appareil palpébral : A. vue externe ; B. vue interne 43 1 2 3 4 5 Figure 21 : Prélèvement de l’appareil palpébral 1. Veine temporale superficielle 2. Artère temporale superficielle 3. Rameau zygomatique 4. 5. Veine faciale Artère faciale 44 Figure 22 : Paupières supérieure et inférieure : aspect structural (d’après Zide, Jelks et Luce) [55] : Plan de dissection du prélèvement de paupières 1.1' : Peau et tissu sous-cutané. 2.2' : Muscle Orbiculaire. 3.3' : Tarse. 4.4' : Septum orbitaire. 5.5' : Graisse orbitaire. 6.6' : Aponévrose du releveur. Aponévrose palpébrale inférieure. 7.7' : Muscle de Müller. Muscle de Horner. 8.8' : Ligament de Whitnall. Ligament de Lockwood. 9 : Releveur de la paupière supérieure. 10 : Muscle droit supérieur. Il : Muscle petit oblique. 12 : Muscle droit inférieur. 45 III. Technique de transplantation du système palpébral Le premier temps chirurgical consiste à préparer chez le receveur les structures fondamentales qui assureront la vitalité, la fonction et dans le meilleur des cas l’esthétisme du greffon. Le deuxième temps chirurgical consiste à la mise en place du greffon. Ceci comprend la revascularisation, la réinnervation et la restitution des continuités entre les structures receveuses et les structures greffées. 1) Préparation chirurgicale du receveur a) Isolement des structures orbitaires Le plan conjonctival palpébral restant est isolé. Le moignon d’aponévrose du muscle releveur de la paupière est disséqué et repéré par un fil. Le plan cutanéo-musculaire péri-orbitaire est paré afin de préparer le lit du transplant. Le canal lacrymo-nasal est libéré puis sondé. b) Isolement du pédicule inférieur Le trajet de l’artère faciale est repéré à l’aide d’un doppler, de la mandibule jusqu’à l’aile narinaire. Une incision, allant de l’aile narinaire jusqu’à la commissure labiale, est réalisée dans le sillon nasogénien. Une discision sous-cutanée permet d’isoler le pédicule artério-veineux facial. Un décollement sous-cutané triangulaire est réalisé entre la berge inférieure péri-orbitaire et le pédicule facial. c) Isolement de la branche temporo-faciale du nerf facial La voie d’abord et la dissection sont identiques à celles réalisées lors du prélèvement. La parotidectomie est partielle, elle intéresse uniquement le pôle supérieur et superficiel de la glande qui abrite la branche temporo-faciale. d) Isolement du pédicule temporal L’artère et la veine temporales superficielles sont isolées dans leur portion extra parotidienne. 46 2) Mise en place du greffon a) Positionnement du greffon Le greffon doit s’adapter parfaitement à la zone receveuse. Il ne doit être ni comprimé ni étiré. Les lambeaux dermo-graisseux inférieur et externe sont placés dans les loges de décollement qui leurs sont réservés. b) Anastomoses vasculaire et nerveuse Les pédicules vasculaires et nerveux sont anastomosés à l’aide d’un microscope optique. Les anastomoses sont termino-terminales pour les artères, les veines et les nerfs. c) Mise en continuité greffon - zone receveuse La continuité est rétablie du plan profond vers le plan superficiel. • Paupière supérieure - Suture de la conjonctive. - Suture du muscle du releveur de la paupière du receveur avec l’aponévrose du releveur du greffon. - Suture cutanéo-musculaire entre le greffon et les berges cutanées du receveur. • Canthus externe On effectue une canthopéxie par un point d’amarrage solide fixé au rebord latéroorbitaire. • Canthus interne La continuité des voies lacrymales est rétablie par l’abouchement du sac lacrymal du greffon dans le canal lacrymo-nasal du receveur. Celle-ci est maintenue par la sonde bicanaliculaire, utilisée comme guide. Le ligament latéral interne est fixé par une canthopéxie nasale trans-osseuse. • Paupière inférieure Suture de la conjonctive. 47 B) Allotransplantation de la partie médiane de la face : complexe nasolabial I. Rappel anatomique 1) Les muscles labiaux (fig.23) L’architecture musculaire des lèvres s’organise autour de l’orbiculaire et du modiolus. Les muscles des lèvres sont tous des muscles peauciers innervés par le nerf facial. On en distingue deux groupes : les muscles constricteurs et les muscles dilatateurs. L’orbiculaire des lèvres occupe l’épaisseur des 2 lèvres, c’est un muscle constricteur puissant, elliptique qui circonscrit l’orifice buccal. Figure 23 : Organisation de la musculature labiale (vue endobuccale) D’après l’atlas d’anatomie humaine Sobotta [54] 48 a) Les muscles constricteurs L’orbiculaire des lèvres : Il est disposé concentriquement autour de l’orifice buccal. On lui distingue 2 parties : • Centrale, ou « orbiculaire interne », situé le long du bord libre. • Périphérique ou « orbiculaire externe », qui comprend des fibres extrinsèques, s’insérant à la face profonde de la peau, et des fibres intrinsèques qui s’insèrent sur l’os alvéolaire des maxillaires et de la mandibule. Le muscle orbiculaire est le plus important dans la chirurgie des lèvres puisqu’il forme une sangle dont la restauration de la continuité doit être une priorité. b) Les muscles dilatateurs Ils sont disposés en 2 plans : • Superficiel : - Le releveur superficiel de l’aile du nez et de la lèvre supérieure - Le releveur profond de l’aile du nez et de la lèvre supérieure - Le petit et le grand zygomatique. Ils naissent de la face latérale de l’os zygomatique, se dirigent obliquement pour se terminer à l’angle de la bouche - Le risorius : il naît du fascia massétérique et parfois du fascia parotidien. Il se termine à l’angle de la bouche. - Le triangulaire des lèvres - Le peaucier du cou • Profond - Le canin - Le buccinateur : il est aplati et situé dans la partie profonde de la joue. Il naît du corps de la mandibule au-dessus de la ligne oblique externe, de l’extrémité postérieure du processus alvéolaire du maxillaire, et du fascia bucco-pharyngien. Ses faisceaux convergent vers la bouche. Il est traversé de dehors en dedans par le conduit parotidien et se termine sur l’angle de la bouche. - Le carré du menton : il naît du jugum alvéolaire de l’incisive latérale inférieure, et diverge vers la peau de la région mentonnière. 49 - Les muscles de la houppe du menton. Inconstant, il se détache du tubercule mentonnier et s’entrecroise sur la ligne médiane avec son homologue. La majorité des muscles dilatateurs convergent vers la commissure labiale, où ils s’entrecroisent et constituent le modiolus, adhérent au derme commissural. c) Le modiolus Il est formé par la réunion vers le derme de la commissure labiale des muscles petit et grand zygomatique, canin, risorius et orbiculaire. Il a la forme d’un cône aplati d’environ 1 cm d’épaisseur dont la base repose sur la muqueuse et le sommet arrondi se trouve sous le panicule adipeux. 2) La muqueuse buccale Elle tapisse la face profonde du muscle buccinateur. Elle descend jusqu’au fond du vestibule pour se réfléchir sur la face externe des maxillaires qu’elle tapisse pour former la gencive. 3) Vascularisation du complexe nasolabial a) Le réseau artériel La vascularisation artérielle du complexe nasolabial est sous la dépendance du système carotidien externe par l’intermédiaire des artères faciales. L’artère faciale se détache de la partie antérieure de la carotide externe, un peu au dessus de l’artère linguale. On lui considère deux portions distinctes : - portion cervicale et sous mandibulaire profonde. L’artère se porte en avant contre la paroi latérale du pharynx. Elle répond latéralement au ventre postérieur du digastrique et au muscle stylo-hyoïdien. Puis elle contourne la glande sub-mandibulaire par ses faces postérieure et latérale. 50 - portion faciale (fig.24) où elle est superficielle, recouverte seulement par le peaucier et quelques lames musculaires. L’artère faciale s’infléchit sur le rebord de la mandibule à 3 cm en avant de l’angle et donne l’artère sous-mentale. Elle est ensuite ascendante oblique en direction du pied narinaire. A ce niveau l’artère est plus profonde, cachée par les parties molles de la joue. Elle est très flexueuse, on la trouve dans le plan des muscles peauciers. En regard de la commissure labiale, l’artère faciale donne les coronaires labiales inférieures et supérieures. Dans sa dernière portion, l’artère faciale est très profonde para maxillaire. Elle se situe au pied de la narine allant en direction de la racine du nez. Sur son trajet elle donne l’artère dorsale du nez et l’artère angulaire. Figure 24 : Artère faciale (en vert) ; rapport avec le nerf mentonnier 51 b) Les veines Le drainage veineux du complexe nasolabial se fait essentiellement par les veines faciales. Celles-ci sont satellites des artères faciales et se terminent dans les veines jugulaires internes. 4) Innervation du complexe nasolabial Les muscles des lèvres sont tous des muscles peauciers dont l’innervation motrice est assurée par le nerf facial, et en particulier par les rameaux : • Buccaux Immédiatement sous le canal de Sténon, ils sont destinés au buccinateur, aux zygomatiques et au triangulaire des lèvres. Ils sont richement anastomosés avec les rameaux mandibulaires et les rameaux zygomatiques. • Zygomatiques Le Rameau inférieur est de plus grands diamètres et est destiné au muscle grand zygomatique, au muscle petit zygomatique, au muscle buccinateur, au muscle releveur de la lèvre et de l'aile du nez, au muscle releveur propre de la lèvre, au muscle releveur de l'angle de la bouche et au muscle nasal. Seul le rameau supérieur passe à la face superficielle du muscle grand zygomatique pour se distribuer à la face profonde du muscle orbiculaire des paupières. • Marginal de la mandibule Il chemine entre l'aponévrose cervicale superficielle et le platysma, passe caudalement à 15 mm de l'angle de la mandibule se divise en deux branches supérieure et inférieure qui gagnent la face profonde des muscles triangulaire des lèvres, carré du menton et mentonnier. La branche supérieure croise précocement le bord inférieur de la mandibule, avant que le platysma ne contracte ses adhérences musculaires, et croise superficiellement l'artère faciale. La branche inférieure reste, dans la plupart des cas, au-dessous du rebord mandibulaire. 52 II. technique de prélèvement du complexe nasolabial Dessin du lambeau (fig.25) Le dessin débute dans la région glabellaire, se dirige vers le bas le long de la face latérale du nez et en dehors du pédicule facial (préalablement repéré au doppler). Le dessin se prolonge dans le sillon nasogénien puis descend en suivant une direction oblique en bas et en dedans jusqu'au menton. Figure 25 : Dessin du lambeau Dessin de la voie d’abord La voie d’abord est préauriculaire de type parotidectomie, prolongée au niveau cervical jusqu’à l’os hyoïde. 53 1) Repérage et isolement du pédicule vasculaire Les pédicules utilisés pour assurer la vascularisation du complexe naso-labial sont les deux pédicules faciaux (artère et veine faciales). Le pédicule est préalablement repéré à l’aide d’un doppler. Par la voie d’abord cervicale, on isole la veine et l’artère faciale (fig.26 et 27). Ces vaisseaux sont disséqués de leur origine jusqu’à leur croisement avec le rebord inférieur de la mandibule. figure 26 : Abord cervical : artère faciale (gauche) ; veine faciale (droite) 54 Figure 27 [54] : Rapports de la glande sous-mandibulaire avec les vaisseaux faciaux 2) Repérage et isolement du nerf facial L’incision cervicale se poursuit par une incision de type parotidectomie. Le nerf facial est disséqué dans sa portion parotidienne. Dans le greffon nasolabial les seuls rameaux qui vont contribuer à la mobilité des lèvres sont les rameaux zygomatique et buccal (provenant de la branche temporo-faciale) et le rameau marginal ou mentonnier (issu de la branche cervico-faciale). Ces 3 rameaux sont conservés au cours de la dissection alors que les autres sont sacrifiés. La dissection des rameaux nerveux est interrompue dès leur issue de la glande parotide. Le tronc du nerf facial est sectionné à sa sortie du trou stylo-mastoïdien puis libéré, avec ses divisions, du plan profond. 55 i. Prélèvement du complexe nasolabial L’incision cutanée est réalisée de façon symétrique. Elle débute au niveau de la glabelle, se dirige en bas et en dehors pour rejoindre le tracé d’une incision sous palpébrale jusqu’à la hauteur du canthus externe. L’incision se poursuit vers le bas en regard du bord antérieur du muscle masséter jusqu’au bord inférieur de la mandibule, puis en avant jusqu’à la symphyse mandibulaire (fig.28). Figure 28 [54]: Tracé d’incision du lambeau 1 2 3 Figure 29 [54]: Schématisation du complexe nasolabial 1 : Rameaux du nerf facial 2 : SMAS 3 : Artère faciale 56 a) Décollement de la partie supérieure du greffon L’incision cutanée en regard de la glabelle et de la région malaire est poursuivie jusqu’au plan osseux. Nous réalisons ensuite un décollement sous-périosté. La région malaire est libérée mettant en évidence le nerf sensitif sous orbitaire que l’on sectionne (fig.30). Figure 30 : Isolement du pédicule sous-orbitaire Le décollement est poursuivi dans la région nasale en libérant la glabelle et la racine du nez. Les cartilages triangulaires sont désinsérés des os propres du nez. Une incision transfixiante suit le contour des orifices piriformes. Le septum nasal est ensuite clivé dans le plan défini par les orifices piriformes (fig.31). 57 Figure 31 : Décollement de la partie supérieure du greffon Une incision du vestibule supérieur permet de rejoindre le plan de décollement et de libérer la lèvre supérieure (fig.32). Figure 32 : Libération de la lèvre supérieure par voie vestibulaire 58 b) Décollement de la partie inférieure du greffon L’incision cutanée longeant le bord inférieur de la mandibule est poursuivie jusqu’au plan osseux. Une incision est réalisée simultanément dans le vestibule inférieur. Le décollement entre ces deux incisions se fait en sous périosté. Ainsi sont libérés la lèvre inférieure et le menton, après avoir sectionné le nerf dentaire à sa sortie du trou mentonnier. c) Décollement de la partie latérale Une fois la portion intra-parotidienne du nerf facial totalement libérée de la glande (fig.33), le tronc du nerf facial et ses 3 rameaux sont réclinés vers le haut. L’aponévrose du muscle masséter est ensuite incisée sur toute sa hauteur. Figure 33 : Libération du nerf facial dans sa portion intra-parotidienne La dissection est poursuivie par un décollement à la rugine entre les fibres musculaires et l’aponévrose du masséter jusqu’à son bord antérieur. Cette dissection sous-aponévrotique permet de protéger les fines ramifications du nerf facial. Cette aponévrose est libérée de ses attaches en haut sur l’arcade zygomatique et en bas sur la mandibule en prenant soin de ne pas léser les vaisseaux faciaux. Le muscle buccinateur et la muqueuse jugale sont ensuite incisés. Cette incision rejoint les incisions vestibulaires. Ainsi le complexe nasolabial est totalement libéré (fig.34). 59 1 2 3 4 5 6 7 Figure 34 : Libération de l’hémi-greffon naso-labial 1 : cartilages du nez 5 : nerf facial 2 : muqueuse labiale 6 : veine faciale 3 : boule de Bichat 7 : artère faciale 4 : muscle masséter 60 1 2 3 4 5 Figure 35 : Prélèvement du complexe nasolabial (schéma réalisé à partir de l’atlas d’anatomie humaine Sobotta) [54] 1. Rameau zygomatique 4. Veine faciale 2. Rameau buccal 5. Artère faciale 3. Rameau mentonnier 61 A B C Figure 36 : A : Vue antérieure du greffon naso-labial ; B : Carotide externe et origine de l’artère faciale (gauche), veine jugulaire externe (droite) ; C : Tronc du nerf facial et sa division (branche cervico-faciale et branche temporofaciale) 62 III. Technique de transplantation du complexe nasolabial 1) Préparation chirurgicale du receveur a) Préparation de la zone receveuse Une excision est réalisée afin de préparer le lit du greffon. Celle-ci doit respecter si possible les unités esthétiques de la face. Elle consiste à retirer tous les tissus cicatriciels et non fonctionnels se trouvant dans la zone de transfert, le plan profond étant délimité par l’os. La taille du greffon doit s’adapter à la perte de substance et non l’inverse. b) Préparation du pédicule facial Les anastomoses vasculaires sont réalisées sur les vaisseaux faciaux. La dissection des pédicules receveurs est effectuée en premier afin de vérifier leur existence afin d’apprécier leur calibre et de juger du niveau de branchement, fonction de la longueur et du diamètre du pédicule du lambeau. Un examen doppler et artériographique préopératoire des principaux axes vasculaires cervico-faciaux semble fondamental. La voie d’abord passera de préférence par une ancienne cicatrice ou par la zone excisée. c) Préparation du nerf facial receveur Les anastomoses nerveuses nécessitent une dissection du nerf facial dans son trajet intraparotidien. Il faut réaliser une parotidectomie superficielle et disséquer les branches cervico-faciale et temporo-faciale destinée à une zone théoriquement non fonctionnelle. Il faut protéger les rameaux qui innerve le front et les paupières. Les autres branches peuvent être sectionnées et anastomosées aux rameaux nerveux correspondants du greffon. 2) Mise en place du greffon a) Mise en continuité greffon – zone receveuse Le greffon est fixé au niveau de la racine du nez par des points profonds prenant le périoste. Toutes les zones du greffon comprenant du périoste sont fixées par des points au 63 périoste receveur adjacent. Au niveau des portions latérales le SMAS receveur est suturé au SMAS du greffon. La muqueuse nasale est suturée sur le pourtour des deux orifices piriformes . La muqueuse labiale est suturée de façon circonférentielle. b) Anastomose vasculaire Les anastomoses artérielles sont réalisées en termino-terminales sur des branches collatérales de la carotide externe (artère thyroïdienne supérieure) en essayant de préserver les artères faciales du receveur. Les anastomoses veineuses sont réalisées en termino-terminales sur les branches du tronc veineux thyro-linguo-facial ou en termino-latérales sur la veine jugulaire interne. c) Anastomose nerveuse Une anastomose des rameaux entre eux est privilégiée plutôt qu’une anastomose plus proximale. Nous pensons ainsi diminuer la distance de repousse nerveuse. La réinnervation du complexe naso-labial nécessite le rétablissement de continuité entre les rameaux zygomatiques, buccaux et mentonniers. 64 C) Allotransplantation du masque facial I. Rappel anatomique 1) Vascularisation de la face : cf. A.I. et B.II. 2) Innervation de la face Le nerf facial extra-pétreux présente par rapport à la parotide quatre parties: préglandulaire, inter-glandulaire, intra-glandulaire et post-glandulaire (fig.37). • Rameaux inter-parotidiens C'est le segment de bifurcation du nerf facial en deux branches: temporo-faciale et cervico-faciale. • Rameaux intra-parotidiens Le nerf facial se divise en cinq rameaux: temporal, zygomatique, buccal, mandibulaire et cervical avec l'existence de quelques anastomoses. • Rameaux post-parotidiens A la sortie de la parotide, ils cheminent entre le muscle masséter et le SMAS dans un fascia cellulaire et se subdivisent en de nombreuses ramifications destinées aux muscles de la mimique. Il existe de nombreuses anastomoses, véritables plexus, qui permettent la suppléance nerveuse en cas de section de l'une de ces branches. Seuls les rameaux extrêmes (mandibulaire et temporal) sont particulièrement vulnérables. - Rameau cervical Il se divise en plusieurs branches. Celles-ci sont destinées au muscle platysma qu'elles abordent par sa face profonde. 65 - Rameau marginal de la mandibule Il chemine entre l'aponévrose cervicale superficielle et le platysma, passe caudalement à 15 mm de l'angle de la mandibule se divise en deux branches supérieure et inférieure qui gagnent la face profonde des muscles triangulaire des lèvres, carré du menton et mentonnier. La branche supérieure croise précocement le bord inférieur de la mandibule, avant que le platysma ne contracte ses adhérences musculaires, et croise superficiellement l'artère faciale. La branche inférieure reste, dans la plupart des cas, au-dessous du rebord mandibulaire. - Rameaux buccaux Immédiatement sous le canal de Sténon, ils sont destinés au buccinateur, aux zygomatiques et au triangulaire des lèvres. Ils sont richement anastomosés avec les rameaux mandibulaires et les rameaux zygomatiques. - Rameaux zygomatiques Le rameau inférieur est de plus grands diamètres et est destiné au muscle grand zygomatique, au muscle petit zygomatique, au muscle buccinateur, au muscle releveur de la lèvre et de l'aile du nez, au muscle releveur propre de la lèvre, au muscle releveur de l'angle de la bouche et au muscle nasal Seul le rameau supérieur passe à la face superficielle du muscle grand zygomatique pour se distribuer à la face profonde du muscle orbiculaire des paupières. - Rameau temporal Emergeant à 6-8 mm de profondeur, il se ramifie rapidement en plusieurs branches (3 à 6) destinées au muscle orbiculaire des paupières, à l'auriculaire antérieur, au muscle sourcilier au muscle pyramidal et au muscle frontal qu'elles abordent par leurs faces profondes. Il est plaqué sur l'arcade zygomatique entre la continuité supérieure du SMAS en superficie et de la lame celluleuse sous-épicrânienne en profondeur. 66 Figure 37 : Ramifications du nerf facial après dissection et section du tronc du nerf facial II. Technique de prélèvement du masque facial 1) Repérage des pédicules vasculaires Les pédicules utilisés pour assurer la vascularisation du masque facial sont les deux pédicules faciaux (artère et veine faciales) et les deux pédicules temporaux (artère et veine temporales). a) Pédicule facial Le pédicule est préalablement repéré à l’aide d’un doppler. Par une large voie d’abord cervicale, la veine et l’artère faciales sont libérées de leur origine jusqu’à leur croisement avec le rebord inférieur de la mandibule. 67 b) Pédicule temporal Une incision prétragienne permet d’isoler l’artère et la veine temporale. A leur sortie de la parotide ses vaisseaux sont superficiels et facilement repérables. 2) Repérage et isolement du nerf facial Par une voie de parotidectomie, le nerf facial est disséqué et totalement libéré dans sa portion parotidienne. Le tronc du nerf facial est sectionné à sa sortie du trou stylo-mastoïdien. 3) Prélèvement du masque facial a) Décollement de la partie supérieure de la face (fig.38) Les incisions réalisées précédemment sont complétées par une incision du cuir chevelu de type coronal. Le décollement se fait vers l’avant en sous-galéal jusqu’à un centimètre au-dessus du bord supérieur de l’orbite. A ce niveau le périoste frontal est incisé horizontalement. Le décollement devient sous-périosté faisant apparaître les pédicules sus-orbitaires qu’on ligature, puis qu’on sectionne. Dans la région temporale, la dissection se fait au contact du feuillet superficiel de l’aponévrose du muscle temporal. Ce décollement temporal est poursuivi jusqu’à deux centimètres au-dessus de l’arcade zygomatique. Ensuite, le feuillet superficiel de l’aponévrose du muscle temporal est incisé parallèlement à l’arcade zygomatique. Cette incision rejoint en haut et en dedans l’incision périostée frontale. La dissection vers le bas est poursuivie dans le dédoublement de l’aponévrose du muscle temporal jusqu’à l’arcade zygomatique. Le décollement des tissus au niveau de l’arcade zygomatique se fait à la rugine d’arrière en avant en sous-périosté jusqu’au bord externe du cadre orbitaire. Ainsi se rejoignent les décollements frontal et temporal. La région palpébrale est libérée comme il est décrit précédemment. 68 Figure 38 : Décollement de la région frontale (sus-périosté) b) Décollement de la partie moyenne et centrale de la face Une incision est réalisée dans le vestibule supérieur. A l’aide d’une rugine, en restant au contact osseux, on libère la face antérieure du maxillaire supérieur, la face antérieure du malaire et le bord inférieur du cadre orbitaire. Les pédicules sous orbitaires sont ligaturés puis sectionnés. Dans le prolongement du décollement frontal, la glabelle et la racine du nez sont libérés. Les cartilages triangulaires sont désinsérés des os propres du nez. Une incision transfixiante suit le contour des orifices piriformes. Le septum nasal est ensuite clivé dans le plan définit par les orifices piriformes. c) Décollement de la partie inférieure et centrale Par une voie vestibulaire inférieure, la région mentonnière est libérée par un décollement sous-périosté à la rugine, en bas jusqu’au rebord inférieur de la mandibule et latéralement jusqu’au bord antérieur du masséter. Le pédicule alvéolo-dentaire inférieur est sectionné au niveau de son émergence du trou mentonnier. La berge supérieure de la large incision cervicale est décollée jusqu’au rebord inférieur de la mandibule, dans le plan situé entre l’aponévrose cervicale superficielle et les muscles sushyoïdiens (ventre antérieur du digastrique et mylo-hyoïdien). 69 d) Décollement de la partie latérale Une fois la portion intra-parotidienne du nerf facial totalement libérée de la glande, le tronc du nerf facial et ses divisions sont réclinés vers le haut puis on incise sur toute sa hauteur l’aponévrose du muscle masséter. La dissection est poursuivie par un décollement à la rugine entre les fibres musculaires et l’aponévrose du masséter jusqu’à son bord antérieur. Cette dissection aponévrotique permet de protéger les fines ramifications du nerf facial et de joindre les différents décollements (fig.39) : - en haut le décollement temporo-malaire - en bas et en avant le décollement de la région mentonnière Le muscle buccinateur et la muqueuse jugale sont incisés de façon transfixiante. Cette incision rejoint les incisions vestibulaires. Ainsi l’ensemble du masque facial est totalement libéré (fig.40 et 41). Figure 39 : Décollement de l’hémiface 1. Muscle masséter 4. Sinus piriforme 2. Tendon du muscle temporal 5. Graisse rétro-orbitaire 3. Muqueuse jugale 6. Aponévrose du muscle masséter 70 1 2 Figure 40: Masque facial ( peau + muscle ) 1. Veine faciale 2. Artère faciale 71 1 2 3 4 Figure 41: Masque facial (vue postérieure) 1. Muscle corrugateur 2. cartilages du nez (septum + alaires) 3. aponévrose muscle masséter 4. muqueuse buccale 72 III. Technique de transplantation du masque facial 1) Préparation chirurgicale du receveur C’est le premier temps d’intervention effectué sur le patient receveur. Celui-ci consiste à faire un bilan précis de la perte de substance après un parage en tissu sain. Les différentes structures restantes sont ensuite identifiées de la profondeur vers la superficie. a) Isolement des structures faciales du receveur La perte de substance après parage s’étend sur l’ensemble de la face. Sur la partie médiane de la face le plan profond est représenté par le massif osseux facial recouvert ou non de périoste. • La région frontale : La région est délimitée en haut par la berge cutanée du cuir chevelu, en bas par le rebord supérieur du cadre orbitaire et latéralement par les crêtes temporales. Les deux structures vasculo-nerveuses (pédicules sus orbitaire et trochléaire) de la région frontale sont isolées au niveau du rebord supérieur du cadre orbitaire. • La région orbitaire : se reporter au chapitre A II) 1) a) • La région nasale : Cette région est définie par le relief des os propre du nez. La partie interne des orifices piriformes est tapissée par la muqueuse nasale. • La région malaire : Celle-ci est représentée par l’os malaire. Le pédicule vasculo-nerveux sous orbitaire est isolé au niveau de son émergence osseuse. • La région maxillaire supérieure : La partie inférieure du maxillaire supérieur est tapissée par la muqueuse gingivale. 73 • La région mentonnière : Elle est constituée de la symphyse et des 2/3 antérieurs des branches horizontales de la mandibule. Cette portion osseuse mandibulaire est tapissée à sa partie antérieure par la muqueuse gingivale. Les pédicules vasculo-nerveux sont isolés au niveau des trous mentonniers. b) Isolement des pédicules vasculaires Les pédicules utilisés pour assurer la vascularisation du masque facial sont les pédicules faciaux et temporaux, préalablement repérés à l’aide d’un doppler. • Pédicule facial Par une voie d’abord cervicale, l’origine de la veine et de l’artère faciale sont isolés. • Pédicule temporal Il peut être recherché soit à travers la perte de substance, soit par l’incision de parotidectomie. c) Isolement du nerf facial L’incision cervicale se poursuit par une incision de type parotidectomie. On isole le tronc du nerf facial. Le nerf facial et ses rameaux sont disséqués dans leur portion parotidienne. La dissection des rameaux nerveux est interrompue dès leur issue de la glande parotide. 2) Implantation du greffon a) Mise en continuité greffon zone receveuse Les principaux points de fixation sont : • Région frontale : La suture comprend à la fois la peau et la galéa. La zone du front doit s’adapter parfaitement sur le receveur afin que les sourcils soient positionnés en regard du bord supérieur du cadre orbitaire. • Région orbitaire : se reporter au chapitre VI) A. III. 2) c) • Région nasale : Les cartilages triangulaires et le septum sont fixés par des points aux structures osseuses du sinus piriforme, puis la muqueuse nasale est suturée. • Région buccale : La muqueuse buccale est suturée de façon circonférentielle. 74 • Région massétérine : Le SMAS est mis en tension puis fixé à la face antérieure du tragus et à l’aponévrose du sterno-cleïdo-mastoïdien. b) Anastomose vasculaire • Anastomose artérielle : Les 2 artères faciales du greffon sont anastomosées de chaque côté sur une artère collatérale de la carotide externe (artère thyroïdienne supérieure). Les artères faciales du receveur sont conservées afin de préserver la vascularisation des structures restantes de la face. Les 2 artères temporales sont anastomosées avec les artères temporales du receveur. • Anastomose veineuse : Les anastomoses des 2 veines faciales se font de chaque côté sur une branche veineuse du tronc thyro-lingo-facial. Les 2 veines temporales sont anastomosées avec les veines temporales du receveur. c) Anastomose nerveuse Le tronc du nerf facial du greffon est anastomosé en termino-terminal sur le tronc du nerf facial du receveur. 75 D) Allotransplantation du scalp I. Rappel anatomique 1) Anatomie du scalp De la superficie à la profondeur le scalp est constitué de plusieurs couches : a) La peau Celle-ci est la plus épaisse du corps humain, son épaisseur moyenne est de 2 à 3 mm. Dans sa plus grande surface à l’exception des régions frontales, elle est couverte de cheveux. b) Le tissu sous-cutané Il est constitué d’un tissu graisseux qui héberge les follicules pileux. Son épaisseur est de l’ordre de 2,5 mm. c) La galéa C’est une véritable lame tendineuse reliant le muscle occipital au muscle frontal. Elle est formée de plusieurs couches fibreuses dans lesquelles passent les artères et les veines qui irriguent le cuir chevelu. Entre la galéa et le périoste existe un plan de décollement avasculaire appelé espace de Merckel. Latéralement la galéa se poursuit par le fascia temporal. 2) Vascularisation du scalp L’apport artériel du scalp provient essentiellement de la carotide externe et accessoirement de la carotide interne. 1. Les branches de la carotide externe Elles sont au nombre de trois : • L’artère temporale superficielle C’est la plus importante du cuir chevelu. Elle peut à elle seule suffire à la vascularisation de l’ensemble du scalp. 76 Elle prend naissance lors de la bifurcation de la carotide externe en artère maxillaire interne et artère temporale superficielle. Son calibre est alors de 1,8 à 2 mm. Son trajet est d’abord intra-parotidien puis sous cutané profond située 4 à 5 mm en avant du tragus. Elle se termine en 2 branches pariétale et frontale. • L’artère auriculaire postérieure Celle-ci est relativement grêle et participe peu à la vascularisation du cuir chevelu. Elle se divise en 2 branches qui s’anastomosent avec les artères occipitale et temporale superficielle. • L’artère occipitale Elle prend naissance à la face postérieure de la carotide externe. Son trajet est oblique ascendant postérieur dans la région parotidienne puis horizontal sous les muscles de la nuque. Elle se termine après avoir perforé le muscle trapèze par deux branches externe et interne. 2. Les branches de la carotide interne Elles se limitent au territoire frontal et sont issues de l’artère ophtalmique. • artère frontale interne ou supra-trochléaire. • artère frontale externe ou sus-orbitaire. 3) Innervation du scalp Le cuir chevelu reçoit essentiellement des rameaux sensitifs : • en avant, le nerf frontal interne et sus orbitaire. • latéralement, le nerf auriculo-temporal. • en arrière de l’oreille, des branches du plexus cervical superficiel. • dans la région occipitale, des branches postérieures des 2ème et 3ème nerf cervical. 77 II. Technique de prélèvement du scalp 1) Repérage des pédicules vasculaires Les pédicules utilisés pour assurer la vascularisation du scalp sont les deux pédicules temporaux (artère et veine temporales superficielles). L’origine des artères se situe à la bifurcation de la carotide externe en artère temporale superficielle et artère maxillaire interne. A ce niveau le calibre de l’artère temporale superficielle est de 2 mm. Par une incision prétragienne, la veine et l’artère temporale superficielle sont isolées. La dissection se fait en amont des vaisseaux jusqu’à leur origine. 2) Délimitation et isolement de l’innervation sensitive du scalp Les nerfs, utilisés pour assurer l’innervation sensitive du scalp, sont les nerfs auriculotemporaux qui donnent la sensibilité de la région pariétale, et les nerfs occipitaux qui donnent la sensibilité de la région occipitale. Ces nerfs sont isolés lors de la dissection des pédicules vasculaires temporaux et au cours de la dissection de la région occipitale. 3) Prélèvement du scalp L’incision est réalisée le long de la ligne d’implantation des cheveux. La profondeur de l’incision varie en fonction de la région. - région frontale : jusqu’au périoste. - région temporale : jusqu’à l’aponévrose du muscle temporal. - région occipitale : jusqu’au niveau du muscle trapèze. L’incision dans la région préauriculaire autour de la patte chevelue est réalisée avec précaution afin de ne pas léser les pédicules vasculaires. Le scalp est ensuite totalement décollé du crâne dans le plan de l’espace de Merckel. La seule zone d’adhérence est l’insertion du muscle occipital sur la crête occipitale. A ce niveau la dissection se fait dans un plan plus superficiel, sous cutané. Les artères occipitales sont ligaturées et les nerfs grands occipitaux sont préservés. 78 Les artères et veines temporales superficielles sont ligaturées à leur origine. Ainsi le scalp est totalement libéré. III. Technique de transplantation 1) Préparation chirurgicale du receveur a) Préparation du lit receveur La perte de substance est variable. Elle peut concerner l’ensemble du scalp, le scalp et la région frontale, le scalp la région frontale et une ou deux oreilles. On réalise une exérèse des tissus utilisés pour la couverture de la perte de substance (lambeaux ou greffes cutanées). Le plan profond est délimité par le périoste. Les limites du cuir chevelu seront évaluées sur le patient à l’aide de photographies antérieures à l’accident, notamment pour la ligne frontale antérieure. b) Isolement des pédicules vasculaires Par une incision pré-auriculaire, on isole les 2 pédicules temporaux. Ils sont libérés jusqu’à leur origine. c) Isolement du nerf grand occipital Les nerfs grands occipitaux sont recherchés dans la région occipitale au niveau de leur sortie à travers les muscles trapèzes (6 cm en dehors de la ligne médiane nucale). 2) Implantation du greffon a) Mise en place du greffon Le greffon est retaillé à partir du dessin du patient receveur. Les régions temporale et occipitale seront suturées, une fois les anastomoses artérielles, veineuses et nerveuses réalisées. b) Anastomoses vasculaires Les vaisseaux temporaux du greffon sont anastomosés sur les vaisseaux temporaux du receveur. c) Anastomose nerveuse Les nerfs auriculo-temporaux et grands occipitaux sont anastomosés. 79 E) Technique de réparation du donneur 1) L’empreinte faciale a) Matériaux L’empreinte faciale est réalisée à partir d’un élastomère de silicone de moulage. Ce composé organo-métallique à base de polymère de silicone réticulée, se présente sous la forme d’une pâte qui, après vulcanisation sous l’action d’un catalyseur, se transforme en une masse caoutchouteuse souple et résistante au déchirement. Les caractéristiques de cet élastomère permettent une prise rapide de l’empreinte (quelques minutes) tout en reproduisant de façon très fidèle les reliefs du visage et le grain de la peau. Celui-ci sera ensuite placé dans une chape de plâtre afin d’éviter des déformations de l’empreinte. b) Réalisation Le choix de la teinte cutanée s’effectue à partir d’un panel de couleurs proches de celle de la peau. La pâte de silicone de moulage est appliquée sur l’ensemble de la face. Le temps de prise est en moyenne de 10 minutes en température ambiante, celui-ci peut être diminué (3 à 4 minutes) en augmentant la chaleur locale (sèche cheveux). Une chape de plâtre est réalisée en superposant des bandes de plâtre humides. L’ensemble est ensuite libéré de la face puis adressé au prothésiste pour la confection du masque facial 2) Réparation du donneur Le délai de fabrication du masque peut être réduit à 6 heures. Le masque facial formé à partir d’un élastomère de silicone reproduit de façon fidèle la forme de la face et la qualité de la peau (grains, rides, épaisseur…). Celui-ci est appliqué sur la zone donneuse. Il peut être retaillé afin qu’il s’adapte parfaitement à la perte de substance. Les zones de jonction entre le masque et la peau du donneur sont fixées avec de la colle biologique. Un maquillage de la face permet d’uniformiser la teinte du visage et de donner ainsi un aspect naturel. 80 A B C D E Figure 43: Confection d’une empreinte faciale : A: choix de la teinte ; B : préparation de la pâte ; C : application sur la face ; D : application de bandes plâtrées ; E : obtention de l’empreinte faciale 81 VII) Discussion A) Aspect chirurgical Le prélèvement de tissus chez un sujet donneur en état de mort cérébrale offre plusieurs avantages qui affranchissent le chirurgien des principales contraintes de la reconstruction traditionnelle. Avant tout, l’allotransplantation tissulaire satisfait l’objectif suprême de toute reconstruction tissulaire : la reconstruction « à l’identique » que l’on qualifie plus fréquemment de remplacement tissulaire. Les avantages majeurs de l’allotransplantation de tissus composites sur le plan chirurgical sont : • L’absence de morbidité liée au prélèvement tissulaire au site donneur qui libère le chirurgien du dilemme de la destruction de tissus sains, contrepartie de toute reconstruction par des tissus autologues. • Une reconstruction par des tissus sains, de bonne qualité, adaptés aux structures sous-jacentes, qui offre un meilleur résultat fonctionnel et esthétique. L’inconvénient majeur de l’allotransplantation de face est qu’il est nécessaire de préparer la zone receveuse par une exérèse des tissus préalablement utilisés pour reconstruire la perte de substance. I. Réflexions à propos de la technique chirurgicale 1) Allotransplantation du système palpébral Une perte de substance bi-palpébrale est rarement isolée. Les structures avoisinantes sont parfois modifiées à type de rétraction ou de fibrose rendant l’acte chirurgical plus difficile. Les structures palpébrales, par leur finesse, risquent d’être difficilement individualisable. La réinsertion du muscle releveur de la paupière est possible lorsqu’il reste un moignon aponévrotique chez le receveur. Dans le cas contraire on utilisera les techniques de suspension au muscle frontal. 82 Le remaniement cicatriciel rend peu probable le rétablissement de continuité des voies lacrymales. Par conséquent la fonction d’excrétion lacrymale reste très théorique. 2) Allotransplantation du complexe nasolabial b) Nature du greffon Il existe plusieurs possibilités de prélèvements du complexe naso-labial. Dans tous les cas le prélèvement des lèvres comportera la muqueuse labiale, le muscle orbiculaire, la peau et l’innervation. En revanche certaines modifications du greffon peuvent être suggérées dans sa partie nasale. Le prélèvement dans la région nasale peut concerner : • le derme et l’hypoderme en passant au-dessus du cartilage et des os propres du nez • le tissu cutané, le cartilage et la muqueuse nasale • l’ensemble de la région nasale avec les os propres du nez, leur vascularisation étant assurée par le périoste. b) Surface du greffon Le dessin du lambeau peut être modifié en fonction des besoins de reconstruction. Ainsi il peut être décidé de ne prendre que la pyramide nasale, que les lèvres ou que la pyramide nasale et la lèvre supérieure. La viabilité étant toujours assurée par les branches de l’artère faciale destinée au nez ou aux lèvres. La surface cutanée du lambeau peut être modifiée secondairement par une désépidermisation afin de l’adapter parfaitement à la perte de substance du receveur. Seule la réduction de la surface cutanée est possible, c’est pourquoi il est préférable de prélever un greffon de grande taille. c) Anastomoses vasculaires La vascularisation du complexe naso-labial est assurée par les 2 pédicules faciaux. Il est souhaitable de les disséquer jusqu’à leur origine (la carotide externe et le tronc thyro-lingofacial) afin d’avoir des calibres vasculaires satisfaisants. On peut évoquer différentes stratégies de branchement. Les artères faciales du greffon peuvent être anastomosées : 83 • sur les artères faciales receveuses. Ce branchement vasculaire a pour avantage d’effectuer une anastomose termino-terminale sur des artères ayant le même calibre, cependant il n’est pas souhaitable de sacrifier les 2 artères faciales qui assurent la vascularisation des tissus restants de la face. • Sur les artères thyroïdiennes supérieures. Celles-ci ont un calibre proche des artères faciales et leur sacrifice ne compromet pas la vascularisation de la thyroïde. Ce type de branchement réalisé en termino-terminale semble être la meilleure solution. • Sur les carotides externes en termino-latérale. Les veines faciales du greffon peuvent être anastomosées indifféremment sur les veines faciales, thyroïdiennes supérieures en termino-terminales ou sur la veine jugulaire interne en termino-latérales. d) Anastomoses nerveuses La stratégie de branchement peut être envisagée de plusieurs manières : une anastomose termino-terminale (greffon - receveur) des branches cervicofaciales et des branches temporofaciales (en préservant la branche temporale chez le receveur). une anastomose des principaux rameaux du nerf facial du donneur (zygomatique, buccaux, mentonnier) avec les rameaux homonymes du receveur. Cette dernière alternative est peut-être plus intéressante en ce qui concerne la régénération : distance de repousse nerveuse plus faible et meilleure systématisation des fibres nerveuses. 84 3) Allotransplantation du masque facial a) Nature du greffon - Le prélèvement cutané pur Celui-ci consiste à faire un décollement de type lifting au dessus du système musculoaponévrotique superficiel en préservant la vascularisation assurée par les perforantes issues des différents pédicules faciaux et temporaux. L’utilisation d’un tel greffon serait indiquée pour les atteintes cutanées pures qui limitent la fonction des muscles peauciers de la face, et pose un problème d’ordre esthétique. La difficulté du prélèvement est centrée sur les pédicules artério-veineux qui doivent être inclus dans le greffon. L’utilisation du doppler en per-opératoire est indispensable afin de bien délimiter leur trajet. La vascularisation du greffon comprend 4 pédicules artério-veineux qui offrent une importante sécurité de perfusion. L’expérience montre que l’ensemble du scalp et de la face peut être revascularisé à partir d’un pédicule. Dans le cas décrit par Wilhelmi [52], il s’agissait d’un jeune homme de 21 ans qui suite à un accident de travail (cheveux longs happés par une machine) a eu une avulsion complète du scalp et de la face. La prise en charge opératoire a débuté 12 heures après l’accident. Entre temps le scalp et la face amputés ont été conservés dans la glace. Le geste opératoire a consisté à repositionner le greffon et à le revasculariser par l’anastomose d’une artère et d’une veine temporales superficielles. La réimplantation a été un succès. Quatre mois plus tard le patient a retrouvé une mobilité faciale satisfaisante. De cette expérience nous pensons qu’un seul pédicule artério-veineux est suffisant pour vasculariser l’ensemble du tissu cutané facial, que la réapplication de celui-ci sur une structure musculaire faciale conservée n’entrave pas sa fonction, et qu’un tissu cutané conservé à une température basse peut tolérer une durée d’ischémie au moins inférieure ou égale à 17 heures (12 heures préopératoires + 5 heures d’intervention). 85 I II III Figure 44 : Plans de dissection pour le prélèvement du masque facial 1 : Plan entre I et II pour le prélèvement du masque facial peau + muscle 2 : Plan entre II et III pour le prélèvement du masque facial cutané pur - Le prélèvement cutanéo-musculaire La difficulté du prélèvement cutanéo musculaire réside au cours de la dissection du nerf facial. Trois possibilités de dissection se discutent : • 1ère possibilité : Le tronc du nerf facial est isolé puis sectionné dés sa sortie du trou stylo-mastoïdien. La face postérieure de la parotide est libérée du plan profond. La dissection se poursuit sous l’aponévrose du muscle masséter. Ainsi l’ensemble du 86 nerf facial extra-crânien est libéré sans aucune dissection de ses branches. Cette technique est plus sûre, plus rapide et moins traumatisante pour les rameaux nerveux. En revanche elle nécessite d’inclure dans le greffon les deux glandes parotides avec leur canal excréteur (Sténon). Les inconvénients : - Les artères (artère carotide externe et artère auriculaire postérieure) et les nerfs (nerf auriculo-temporal et plexus cervical superficiel) qui assurent respectivement la vascularisation et l’innervation de cette glande, ne sont pas inclus dans le greffon . Ceci compromet la vitalité et le devenir fonctionnel des glandes parotides. - Les glandes parotides possèdent un système lymphoïde très développé qui renforce l’antigénicité du greffon. - Ce prélèvement impliquerait une seule possibilité d’anastomose nerveuse (anastomose termino-terminale du tronc du nerf facial) Figure 45 [53] :Coupe transversale de l’espace maxillo-pharyngien et de la région massétérine 1 : Voie de dissection du prélèvement facial avec préservation des glandes parotides 87 • 2ème possibilité : La dissection se fait entre la face externe de la parotide et le système musculo-aponévrotique superficiel (SMAS) jusqu’au bord antérieur de la glande. A ce niveau les différents rameaux du nerf facial issus de la parotide sont isolés puis sectionnés. La dissection se poursuit ensuite sous l’aponévrose du muscle masséter. Cette technique est rapide puisqu’elle court-circuite la dissection intraparotidienne du nerf facial. En revanche elle implique chez le receveur une seule possibilité d’anastomose (anastomose des rameaux nerveux). Figure 46 [53] : Glande parotide, face externe : Zone de section des rameaux nerveux • 3ème possibilité : la technique, décrite auparavant (p. 68), est plus longue. La dissection du nerf facial est plus traumatisante. En revanche elle permet d’adapter le type d’anastomose nerveuse par rapport au nerf facial receveur 88 II. Les difficultés prévisibles sur le vivant Certaines difficultés, non rencontrées sur les sujets anatomiques, sont prévisibles sur le vivant. Contrairement aux membres, sur lesquels un contrôle parfait du saignement par l’utilisation d’un garrot pneumatique peut être assuré, la face est une région très vascularisée dont l’hémostase est réalisée pas à pas. Le chirurgien sera confronté au facteur temps. Les prélèvements d’organes font intervenir plusieurs équipes qui tour à tour vont prélever l’organe qui les concerne. Le problème de l’interférence avec d’autres équipes préleveuses ne doit pas être négligé. Pour cela idéalement la trachéotomie et la préparation du masque facial mortuaire doivent être achevées avant d’entamer la phase de prélèvement. Le repérage des vaisseaux s’effectue à cœur battant. C’est au cours de cette période que le prélèvement de face doit être le plus avancé afin de diminuer au maximum le temps d’ischémie. Le premier temps de l’intervention consiste à faire une trachéotomie afin de libérer les voies aériennes supérieures et de permettre une bonne mobilité de la tête. Pour optimiser le temps d’intervention les chirurgiens doivent travailler en double équipes (un opérateur de chaque côté voire un 3ème à la tête pour libérer la partie supérieure de la face). La conservation du greffon au cours du transfert donneur – receveur est fondamentale. Elle doit être entreprise dès que celui-ci est en état d’ischémie, soit après section des pédicules, soit en cas d’arrêt cardiorespiratoire. Le délai d’ischémie autorisé est de 6 heures, au-delà de cette limite, apparaissent des lésions irréversibles, les structures les plus vulnérables étant les muscles. Le greffon sera lavé avec un soluté de Wisconsin à 4° afin de chasser le sang du donneur et d’améliorer sa conservation. 89 III. Complications vasculaires Le risque de thromboses vasculaires après micro-anastomose d’un lambeau libre est inférieur à 5 % [36]. Dans la majorité des cas la vascularisation des lambeaux libres se fait à partir d’un seul pédicule vasculaire. Les conséquences sont qu’en cas de thrombose, l’ischémie est brutale et évolue rapidement vers la nécrose en l’absence de reprise chirurgicale. En revanche le masque facial est vascularisé par l’intermédiaire de 4 pédicules. Cette richesse vasculaire assure une plus grande sûreté vis-à-vis du risque de nécrose totale du greffon. Dans le cas d’une souffrance vasculaire clinique, le traitement est une urgence chirurgicale. Celui- ci consiste à explorer les différents pédicules et à réanastomoser les pédicules thrombosés. En cas d’échec, le greffon évolue inéluctablement vers la nécrose. Les conséquences sont la perte de l’allogreffe de face et des reconstructions antérieures (greffes ou lambeaux). Ceci implique la réalisation d’une nouvelle couverture faciale par des tissus autologues (greffes ou lambeaux). IV. La récupération nerveuse Pour que les différentes fonctions de la face soient rétablies, il faut restaurer l’innervation motrice et sensitive. 1) Récupération motrice La récupération nerveuse est essentielle lorsque le greffon comprend une structure musculaire. Les muscles peauciers de la face assurent la mimique du visage, la mobilité buccale et palpébrale. Pour qu’ils soient fonctionnels, il faut une innervation appropriée et un tissu musculaire sain. Dans le cas d’une réparation nerveuse classique, la régénération nerveuse exige plusieurs conditions [4]: - L’anastomose nerveuse doit être de bonne qualité. Pour progresser les bourgeons axonaux doivent trouver en face d’eux une extrémité nerveuse 90 perméabilisable, sinon apparaissent un névrome proximal et une dégénérescence distale - Les noyaux cellulaires localisés dans la protubérance et dans le bulbe du tronc cérébral ainsi que les axones proximaux doivent être conservés. Parfois ces structures nerveuses ne tolèrent pas le traumatisme nerveux. - Si les neurones survivent, les cellules nerveuses doivent s’adapter en augmentant la production de substances régénératives, telles que le GAP 43, l’actine, les tubulines et les neurotrophines. - Le segment distal du nerf doit subir une dégénérescence wallérienne qui se traduit par une infiltration de macrophages, une prolifération des cellules de Schwann et une production de neurotrophines. Toutes ces conditions doivent être réunies afin d’obtenir une régénération des axones. La régénération à travers un allogreffon nerveux est similaire, cependant le greffon doit être rapidement revascularisé afin d’assurer la survie des cellules de schwann et de minimiser la production de tissu fibreux. La régénération nerveuse n’est pas suffisante pour que la fonction motrice soit rétablie. En effet, une dénervation prolongée peut compromettre la fonction musculaire. Celle-ci est rarement récupérée après 3 à 6 mois de dénervation. Pour que la récupération fonctionnelle soit optimale, il faut que la régénération soit précoce (repousse axonale rapide et distance de régénération courte). 2) Récupération sensitive La sensibilité de la face est assurée par les nerfs trijumeaux (V) qui chacun se divisent en 3 branches nerveuses : • nerf sus orbitaire (V1) • nerf sous orbitaire (V2) • nerf dentaire (V3) Pour que la sensibilité de la face soit restaurée il faut anastomoser ces différentes branches à leur issue du massif osseux de la face. Toutefois le problème de la sensibilité nous semble accessoire au niveau de la face contrairement à la main. 91 3) Action du FK506 (Tacrolimus) sur la régénération nerveuse Les études réalisées chez l’animal et les constatations faites chez l’homme ont montré que le FK 506 augmentait le taux de régénération nerveuse. Le FK 506 agirait à plusieurs niveaux [38]: - Il bloquerait l’apoptose neuronale - Il favoriserait la dégénérescence wallérienne - Il augmenterait la repousse initiale de l’axone à travers l’allogreffe nerveuse 4) Troubles fonctionnels prévisibles Ces troubles ont été constatés chez des personnes ayant subi une réparation nerveuse après section traumatique du nerf facial. • Déficit moteur résiduel Il est mal toléré, notamment au niveau de l’œil et du front. Il est autant le fruit d'un nombre insuffisant d'unités motrices actives que d'un déséquilibre fonctionnel entre muscles agonistes et antagonistes. Le cas le plus représentatif est celui du muscle frontal dont les antagonistes plus puissants inhibent l'expression clinique agoniste, bien que la réinnervation électrophysiologique soit acquise. • Syncinésies ou mouvements associés Ils apparaissent de façon retardée quand la repousse axonale est installée et efficace. Ils sont la traduction de fausses-routes, véritables courts-circuits axonaux dans lesquels l'influx se transmet d'un axone à l'autre en dehors de toute synapse organisée. Les mouvements de fermeture de l’œil associent ainsi des mouvements buccaux parasites, plus souvent que l'inverse. Leur aggravation peut se faire sur plusieurs années. Ils peuvent même apparaître de façon très retardée, alors qu'une récupération harmonieuse semblait acquise. 92 B) Aspects immunologiques I. Protocole d’immunosuppression Le protocole proposé est celui qui est actuellement utilisé pour les allotransplantations de tissus composites en général et plus particulièrement pour la main [15] [16]. 1) Traitement immunosuppresseur post opératoire • Thymoglobuline : injections intraveineuses lentes (75 milligrammes par jour pendant 10 jours. • Mycophénolate Mofetil : 2 grammes par jour dès la reprise de l’alimentation. • Tacrolimus (F.K.506) : 0,2 milligrammes par kilogramme et par jour en deux prises puis adapté en fonction des taux sériques (taux recommandé = 10-15 ng/ml pour le premier mois). • Prednisolone bolus : 250 milligrammes le premier jour puis diminution rapidement progressive à 20 milligrammes par jour. 2) Traitement immunosuppresseur d’entretien • Tacrolimus : poursuivi avec un taux sérique de 5 à 10 ng/ml. • Mycophénolate Mofetil : 2 grammes par jour. • Prednisone : poursuivi à 20 milligrammes par jour pendant 3 mois puis 15 milligrammes par jour pendant 6 mois. II. Complications des immunosuppresseurs L'un des principaux problèmes posé par les molécules immunosuppressives est qu'elles induisent toutes, en administration prolongée, un déficit immunitaire iatrogène ayant pour conséquences l’augmentation du risque infectieux et néoplasique. Les risques liés à l’immunosuppression seraient identiques à ceux qui sont observés dans les transplantations d’organes solides ou de tissus composites comme la main. 93 Les incidences de ces complications sont plus particulièrement étudiées dans le cas du protocole tacrolimus / mycophénolate mofetil / prednisone qui serait le protocole le plus approprié à la réalisation d’une transplantation de la face. Ce traitement est à poursuivre au long cours afin d’éviter le rejet inéluctable du greffon. 1) Principales complications des immunosuppresseurs a) Les infections L’incidence des maladies opportunistes (infections bactériennes, fungiques et virales) a été rapportée par les études de Daoud et al. en 1998 et Stratta en 1997 [13] [47]. Elle variait de 8,4 à 31% chez les transplantés rénaux traités par le protocole tacrolimus / mycophénolate mofetil / prednisone. Dans la majorité des cas, ces complications disparaissaient après traitement adapté (antibiotique, antifungique, antiviral). Dans de rares cas, il était nécessaire de diminuer le traitement immunosuppresseur. b) Les néoplasies Les principales tumeurs observées au cours de l’immunosuppression sur une période de 3 ans sont les lymphomes et les tumeurs cutanées de type carcinome dont les incidences sont respectivement de 1,2% et 11 ,1% [32] [20]. L’apparition de ces processus tumoraux doit faire discuter l’arrêt du traitement immunosuppresseur qui aurait pour conséquences le rejet inéluctable du transplant. Si les carcinomes cutanés [18] sont, de traitement chirurgical ou radiothérapique, relativement contrôlables, il n’en est pas de même pour les lymphomes, dont l’évolution est fatale en l’absence d’arrêt des traitements immunosuppressifs. Se pose alors le problème d’une éventuelle détransplantation concevable uniquement en cas de transplantation partielle de la face. 2) Risques spécifiques des immunosuppresseurs Ces molécules sont plus ou moins toxiques pour l'organisme, et sont à l'origine de nombreux effets secondaires. D'autre part, il existe de nombreuses interactions médicamenteuses des immunosuppresseurs entre eux et avec d'autres médicaments. 94 a) Risques spécifiques au Tacrolimus Le Tacrolimus ou FK-5O6, macrolide d'origine fongique isolé de Streptomyces Tsukubaenis a été découvert au Japon en 1983 par la compagnie Fujisawa. C’est un puissant immunosuppresseur de plus en plus utilisé. Il constitue une alternative à la ciclosporine particulièrement dans les cas de rejet réfractaire. Son autorisation de mise sur le marché français a été obtenue en 1996. Lors de son utilisation, les effets secondaires constatés étaient : - Toxicité rénale : La néphrotoxicité du tacrolimus est similaire à celle de la ciclosporine. Des études multicentriques ont montré que la néphrotoxicité survenait chez la moitié des patients traités par tacrolimus ou ciclosporine sans différence entre les deux. Une étude réalisée chez 1000 patients transplantés hépatiques a révélé que le taux d’insuffisance rénale à 5 ans s’élevait à 5% [32]. - Toxicité neurologique : Il a un effet toxique direct sur la gaine de myéline, les effets secondaires les plus fréquents sont le tremblement, les céphalées, l'insomnie et les paresthésies, mais des complications neurologiques plus sévères existent. - Toxicité endocrine : Le tacrolimus est diabétogène chez 17 à 20% des patients traités aux doses requises immédiatement après la greffe [47]. Cette incidence est plus élevée que celle observée avec la ciclosporine (7% des cas). Des facteurs de risque de développer un diabète ont été identifiés: concentration sanguine de tacrolimus élevé, doses importantes de corticoïdes. On observe parfois une réversibilité du diabète lors d’une diminution des posologies. - Toxicité générale : L'hypertension artérielle est moins marquée qu'avec la ciclosporine. Il s’agit de l’effet secondaire le plus fréquent. 95 b) Risques spécifiques au Mycophénolate Mofétil Le mycophénolate mofétil (Cell-Cept) est l'ester 2-morpholinoéthylique de l'acide mycophénolique (MPA). Cette molécule joue un rôle dans la prévention du rejet chronique par son action inhibitrice sur les lymphocytes B (baisse des anticorps) et dans la prévention et le traitement du rejet aigu par son action limitant le recrutement des lymphocytes et des macrophages. Ses effets indésirables sont doses dépendantes. Les effets secondaires les plus souvent rencontrés sont les troubles digestifs (diarrhées, vomissements), hématologiques (leucopénie, anémie) et infectieux (infections opportunistes également à CMV). De nombreux facteurs tel que le degré d'immunosuppression, la préexistence d'une infection latente (tuberculose, CMV, zona, herpès), la colonisation du patient par des organismes nosocomiaux (candida, staphylocoques, bactéries à gram négatif) ou l'état général augmentent le taux d’apparition des infections opportunistes. III. Le rejet En l’absence de traitement immunosuppresseur, le destin d’une greffe de tissu entre individus différents, non génétiquement identiques et d’une même espèce, est inexorablement le rejet. La réaction de rejet d’allogreffe est de nature immunologique et intéresse de manière conjointe des réponses à médiation cellulaire et humorale. Néanmoins, les modalités et l’intensité du rejet vont dépendre dans une large mesure : - de la compatibilité existant entre le donneur et le receveur - du type de greffon - de la présence ou non d’une présensibilisation du receveur (transfusions, grossesses ….) - et du niveau d’immuno-compétence du receveur directement lié aux traitements immunosuppresseurs administrés Les différentes études qui tentent d’évaluer la survie d’une allotransplantation de tissus composites n’ont pas assez de recul. Sur les 24 mains transplantées dans le monde, une seule a été rejetée. Ce rejet a été attribué à une mauvaise observance du traitement immunosuppresseur par le patient en raison de troubles psychologiques [14]. 96 Les protocoles de transplantation d’organe sont bien définis. Les études montrent que la durée de survie d’un greffon est en moyenne de 95,55% pour le rein et 87,0% pour le foie à 6 mois, 89,6% et 75,6% à 3 ans et 2/3 à 10 ans [44]. Il est classique de distinguer les rejets hyperaigus, aigus, et chroniques. 1) Le rejet hyperaigu Le rejet hyperaigu survient brutalement dès l’implantation d’un greffon, et traduit un état de présensibilisation du receveur caractérisé par la présence d’anticorps spécifiques des antigènes d’histocompatibilité exprimés par l’allogreffe. Il se manifeste dans les heures qui suivent le rétablissement de la continuité vasculaire par un infarctus du transplant. Le mécanisme lésionnel est la fixation d'Ac anti-HLA préexistants du receveur sur l'endothélium des vaisseaux du transplant (antigènes du donneur). Ce type de rejet est évité par le cross-match lymphocytaire qui consiste à mettre en présence des lymphocytes T et B du donneur avec du sérum du receveur. Celui-ci est réalisé systématiquement avant toute transplantation et sa positivité contre indique la transplantation. 2) Le rejet aigu Le rejet aigu implique essentiellement l’immunité cellulaire. Il est observé à partir du dixième jour post-greffe. L’intensité et le pronostic du rejet aigu vont dépendre étroitement des différences d’histocompatibilité et de l’immunosuppression utilisée. Il peut survenir au 4ème jour de l'intervention. Le traitement anti-rejet utilisé chez l'homme a été efficace dans les allogreffes de main dans la prévention et le traitement des rejets aigus. 3) Le rejet chronique Le rejet chronique, évolution quasi inéluctable de l’allogreffe, à plus ou moins long terme, est la conséquence d’une réaction immunologique qui se développe à bas bruit. Le rejet chronique, d'étiologie multiple mais avant tout immunologique, est responsable d'une altération lente et progressive du greffon. 97 Les lésions sont irréversibles. La symptomatologie du rejet chronique varie selon l'organe greffé. Il n'a pas été encore décrit dans les allogreffes de la main. Dans les autres transplantations d'organes, l'étude histologique met en évidence une fibrose périvasculaire et interstitielle et des lésions vasculaires: adhérence des plaquettes à l'endothélium, prolifération endothéliale, altération de la média avec nécrose fibrinoïde, rupture de la limitante élastique interne, prolifération des cellules musculaires lisses. Le meilleur traitement serait avant tout préventif par le diagnostic et le traitement précoces des épisodes de rejet aigus. Aucun rejet chronique n’a été constaté à ce jour dans le cadre des allogreffes de main. Il se traduirait probablement par une altération du résultat fonctionnel dans un délai inconnu. Le rejet chronique responsable d'un échec fonctionnel est présent dans 50% des cas à 5 ans, après transplantation cardiaque et hépatique (étude multicentrique United Network for Organ Sharing et Eurotransplant) et dans plus de 52% des cas entre 7 et 8 ans après transplantation rénale. C'est probablement le plus grand danger dans les allotransplantations de tissus composites. Il n’y a cependant aucun moyen de prévoir le risque et les conséquences du rejet chronique sur une éventuelle allotransplantation de tissus composites au niveau de la face. Seule l’évaluation clinique à distance peut répondre à cette question. 4) La réaction du greffon contre l'hôte (GVHD) Une face transplantée contient des éléments immunocompétents (ganglions lymphatiques) potentiellement acteurs de la réaction immunitaire. Les mécanismes immunologiques sont incomplètement connus, mais la GVHD est liée à l'activation des lymphocytes T matures du greffon (donneur) qui reconnaissent les antigènes majeurs et mineurs du système HLA du receveur. La réaction du greffon contre l'hôte (GVHD) est donc le mécanisme inverse du rejet d'allogreffe : les antigènes du receveur deviennent la cible des cellules du donneur. On distingue deux formes de réaction du greffon contre l'hôte: - La forme aiguë a pour cible trois organes qui sont la peau, le foie et le tube digestif, elle est classée en 4 grades de gravité croissante, dont le stade IV est presque toujours mortel. - La forme chronique apparaît plus de 100 jours après la greffe, mais ses manifestations peuvent être plus précoces. La GVHD est généralement précédée par une GVHD aiguë. Elle atteint, à des degrés variables, la peau, les muqueuses et le foie. 98 C) Aspect éthique La transplantation de face n’est pas uniquement une affaire de technique chirurgicale ou d’immunosuppression. La question du caractère éthique d’une telle intervention se pose. Ces dernières années, différents comités d’éthique nationaux ou locaux ont débattu de ce sujet afin de répondre à des questions fondamentales. I. Ethique et transplantation – généralités 1) Les droits du patient Le patient doit être pleinement informé de la nature et des conséquences de l’expérimentation. Il doit être capable de faire un choix libre sans contrainte ou pression. Il peut exercer le choix de participation, ou de retrait de l’expérimentation à tout moment. Il doit être pleinement informé des risques, des inconvénients de la procédure, incluant les drogues spéciales et les traitements pouvant lui faire prendre un risque. L’expérimentation doit être premièrement désignée pour le bénéfice du patient, et non pour les résultats qui peuvent être d’importance pour la médecine. 2) Les devoirs de l’investigateur L’investigateur doit être capable d’optimiser l’expérimentation avec le plus de sécurité et être qualifié par ses connaissances pour mener à bien l’expérimentation. Il ne doit pas réaliser sur un patient une expérimentation pour lequel il ne se substituerait pas lui-même. 3) Conditions d’expérimentation L’expérimentation doit se fonder sur des faits scientifiques acceptés, être bien pensée et ne pas être un essai au hasard. Le devenir du patient à la fin de l’essai ne doit pas inclure la mort, des dommages sévères, ou une invalidité permanente chez le patient. Les risques ne doivent pas être supérieurs aux bénéfices qu’en retirent le patient. 99 II. Considérations éthiques vis à vis du receveur 1) Psychologies des sujets candidats à une allotransplantation de la face Les sujets susceptibles de bénéficier d’une allotransplantation de face sont fragiles. Leur souffrance est à la fois physique et émotionnelle. Ils sont condamnés à vivre avec leur handicap. Réaliser une allotransplantation de face serait un remède à leur souffrance. Mais voyant une lueur d’espoir, seront-ils en mesure de juger les risques d’une telle intervention et pourrontils affronter les contraintes que cela génère ? Pour le receveur, la situation peut sembler relativement simple puisque son choix est d’accéder à des conditions de vie décentes. Cependant, on s’aperçoit qu’après avoir reçu un élément étranger transplanté, certains traumatismes psychologiques apparaissent [42]. Ils sont liés à des craintes comme la viabilité de l’organe ou du membre implanté, le rejet possible à court, moyen ou long terme, la contrainte du traitement immunosuppresseur avec ses conséquences, la part de responsabilité personnelle du succès ou de l’échec de la greffe, la peur de ne pas pouvoir intégrer la greffe comme partie de soi, la crainte de se sentir coupable et redevable vis à vis de la famille du donneur [36]. Toutes ces craintes sont bien connues des sujets transplantés. En revanche il est difficile de prévoir la réaction du patient face à son nouveau visage. C’est un visage qui ne lui appartient pas et qu’il ne connaît pas. L’expression du visage, orchestrée par la contraction des muscles peauciers du donneur, n’est pas la sienne. Son identité sera modifiée. Il devra apprendre à vivre avec sa nouvelle image et faire face à la curiosité et aux interrogations de son entourage. 2) Information du patient receveur a) Résultat prévisible Une information claire est indispensable à la réalisation d’une telle intervention. Le patient doit prendre conscience qu’il ne retrouvera jamais son visage. Son image ne sera ni celle du donneur ni la sienne. Les reliefs du massif facial respecteront la forme globale de son visage, en revanche les caractéristiques des téguments (la couleur, l’épaisseur, la pilosité de la peau, la présence de rides …) et l’expression du visage seront différentes. 100 Donneur Receveur Face du donneur sur receveur 101 b) Risques Pour les médecins et chirurgiens transplanteurs, la priorité est d’assurer la santé et le bien être du patient. Le rapport bénéfice / risque doit être clairement défini et explicitement rapporté au patient receveur. Trois conditions doivent être réunies pour proposer un traitement chirurgical au stade expérimental : • Le fondement des recherches et des études sur le sujet doit être suffisant pour évaluer raisonnablement le bénéfice apporté • Il n’existe pas d’alternative thérapeutique dont le bénéfice serait comparable • Le patient doit exprimer un consentement libre et éclairé après avoir été informé Le patient doit prendre conscience des risques tels que : • Le rejet vasculaire ou immunologique aigu qui est estimé à 10% des cas de transplantation [36]. Les conséquences sont le retrait de la face transplantée et la réparation par des techniques classiques de chirurgie plastique. Cet échec est un retour à l’état initial de la défiguration. • Le rejet chronique s’observe chez 30 à 50% des sujets transplantés sur les cinq premières années post-greffe [36]. Son mécanisme est mal connu. Il se traduirait par le remplacement des tissus greffés par de la fibrose. Ce phénomène entraînerait une diminution progressive de la mobilité du visage. • Les complications des immunosuppresseurs. 3) Le choix du candidat potentiel à une allotransplantation de face La sélection des sujets potentiellement candidats à une allotransplantation de face est délicate. Elle doit se fonder à partir de longues réflexions multidisciplinaires. Ce choix tient compte du type de défiguration et de la faisabilité du geste technique, en sachant, que l’étendue du dommage psychologique, à la suite d’un accident de la face, n’est pas forcément en proportion directe avec l’étendue ou de la sévérité de l’atteinte du visage [36]. Les patients doivent être déterminés à subir une lourde intervention et doivent s’engager à suivre consciencieusement la rééducation prolongée, le traitement immunosuppresseur à vie et le soutien psychologique. Ces patients devront intégrer parfaitement l’information concernant les risques et les contraintes que cela engendre. 102 III. Considérations éthiques vis à vis du donneur et de sa famille 1) don d’organes – généralités a) Le respect du corps et de la volonté du donneur Les prélèvements d’organes sont encadrés en France par la loi de bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain [57]. Cette loi est la source juridique la plus élaborée en vue d’assurer le respect du corps humain et la sécurité des patients et de garantir la bonne organisation de ces activités. La loi énonce quatre principes éthiques : le consentement, la gratuité du don, l’anonymat donneur - receveur, l’interdiction de publicité en faveur d’une personne ou d’un organisme déterminé. L’article L 671-7 précise que : « Le prélèvement peut être effectué dès lors que la personne n’a pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par l’indication de sa volonté sur un registre national automatisé prévu à cet effet. » [57]. Depuis le 15 septembre 1998, une interrogation préalable du registre national des refus est obligatoire, et doit être assurée par le directeur de l’établissement dans lequel on souhaite prélever un élément du corps humain sur une personne décédée. Si le sujet est inscrit sur le registre des refus de prélèvement à but thérapeutique, aucun acte de ce type n’est autorisé. La loi précise que : « Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage de la famille. » [57]. b) La condition clinique : la mort encéphalique Tout prélèvement doit être précédé du diagnostic clinique de mort encéphalique. Elle se définit par la destruction du tronc cérébral associée à celle des hémisphères cérébraux impliquant à très court terme la destruction de l’ensemble de l’organisme. La mort encéphalique est rare (2000 décès sur 500 000 chaque année en France). Une fois le diagnostic confirmé par deux médecins qualifiés, les prélèvements sont autorisés. 103 2) La famille du donneur a) L’autorisation du prélèvement de face D’une manière générale, les familles des donneurs potentiels doivent donner leur autorisation de prélèvement alors qu’ils subissent dans le même temps un choc émotionnel lié au décès d’un proche. Cette capacité à prendre une telle décision au cours d’une telle situation est liée au degré d’information sur la transplantation. Qu’en est-il de la transplantation de face ? Ces familles pourront-elles prendre aussi rapidement une telle décision? L’information à ce sujet est difficilement réalisable à grande échelle puisque nous sommes au stade expérimental. En effet qui aurait accepté de donner son rein pour la première greffe de rein ? Qui pourra approcher la famille du défunt pour lui demander l’autorisation de prélever la face ? Sera-t-il en mesure de lui expliquer la finalité de cet acte ? Une sensibilisation de l’opinion publique au problème des personnes défigurées et à la mise en pratique de ce genre d’intervention, faciliterait une telle demande, et inciterait probablement certaines personnes à autoriser ce type de prélèvement. Le donneur idéal serait, soit une personne qui de son vivant, aurait clairement exprimé une absence de limitation dans le prélèvement, soit une personne sans famille non inscrite au registre national des refus, soit un patient ayant donné son corps à la science exprimant par la même une absence de limitation dans l’utilisation de son corps. A ces difficultés s’ajoutent les critères requis au respect des compatibilités immunologiques et esthétiques. Toutes ces conditions diminuent le nombre de donneurs potentiels. b) Réparation du donneur Quel que soit le donneur, l’équipe préleveuse se devra de restaurer l’aspect corporel. Ceci est fondamental pour le respect du défunt, pour le travail de deuil des familles, pour le respect du travail des équipes de coordination des prélèvements et pour le respect des lois. 104 IV. Considérations éthiques dans la société 1) Les médias Le succès d’une telle intervention serait un sujet d’actualité mis au premier plan sur la scène médiatique. Le receveur, sa famille et son entourage deviendraient la cible des journalistes. L’article L 1211-5 stipule que « La famille du donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Il ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’en cas de nécessité thérapeutique » [57]. Cette règle pourra t’elle être respectée si la face du donneur est diffusée par les chaînes de télévision et par les journaux ? L’information divulguée par les journalistes risque de mettre au premier plan le succès chirurgical en minimisant les conséquences d’un tel acte. 2) Répercussion sur le don d’organe L’information a permis une prise de conscience de la nécessité du don d’organes. La notion de donner un élément de son corps pour assurer la vie d’une autre personne est bien perçue. En revanche la notion de prélèvement de face risque de semer un doute quand au désir de donner ses organes. Ceci pourrait avoir pour conséquence une augmentation du refus du don d’organes [40]. L’allotransplantation de tissus composites au niveau de la face peut être l’objet de tous les fantasmes si elle est présentée par les médias, les comités d’éthiques ou les équipes sous l’aspect de « greffe de visage ». Une information du public sur l’intérêt potentiel de telles transplantations permettrait de préparer la population, et par conséquent les donneurs et leurs familles potentielles, à d’éventuels prélèvements. 105 VIII) CONCLUSION Les résultats encourageants des allogreffes de tissus composites (mains, larynx, paroi abdominale, langue…) donnent un espoir pour certains handicaps physiques majeurs qui semblaient jusqu’à ce jour sans solution de reconstruction. Notre étude, réalisée sur sujets anatomiques, a montré qu’il était possible de prélever : - L’ensemble du masque facial en emportant la peau, les muscles, 4 pédicules artérioveineux (faciaux et temporaux) et le nerf facial. - L’appareil palpébral en emportant l’ensemble des structures des paupières, 2 pédicules artério-veineux (facial et zygomatique) et la branche temporo-faciale du nerf facial. - Le complexe naso-labial en emportant l’ensemble des structures des lèvres et du nez, 2 pédicules artério-veineux faciaux et les rameaux zygomatiques, buccaux et mentonniers du nerf facial. - Le scalp avec 2 pédicules artério-veineux temporaux superficiels. La technique de transplantation utilise les règles de revascularisation et de réinnervation des lambeaux libres par anastomoses microchirurgicales. Nous avons également montré qu’il était possible de restituer l’intégrité faciale du donneur en confectionnant, à partir d’une empreinte, un masque facial en silicone. L’allogreffe de face est techniquement réalisable. La mise en œuvre d’une telle intervention est source de difficultés liées au manque d’expérience et au risque d’échec non négligeable. Cependant la transplantation faciale est une solution certaine, pour des indications bien précises comme la perte totale des lèvres ou des paupières. L’allogreffe de face sera probablement réalisée un jour. Celle-ci ne pourra s’envisager que dans le cadre d’un protocole précis multi-disciplinaire afin qu’elle soit entreprise dans les meilleures conditions avec le respect des règles éthiques. 106 107 BIBLIOGRAPHIE 1) Alliez J, Robion M. Psychopathologic aspects of disfiguration; their relation to dysmorphophobia Ann Med Psychol (Paris). 1969 Nov;2(4):479-94. 2) Alpert BS, Buncke HJ Jr, Mathes SJ. Surgical treatment of the totally avulsed scalp. Clin Plast Surg. 1982 Apr;9(2):145-59. 3) Angrigiani C, Grilli D. Total face reconstruction with one free flap. 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