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éclairages ❙ 19
sur notre futur commun
octobre-décembre 2014
des modifications testées s’exprime essentiellement en été, et le biais chaud/sec
du modèle de l’IPSL est réduit. En ce
qui concerne les précipitations, qui
sont sous-estimées en été en Europe de
l’Ouest dans la simulation de référence,
elles sont augmentées, mais de manière
excessive quand on force une nappe
dans la colonne de sol, car on rajoute
alors « artificiellement » de l’eau dans
le système climatique pour maintenir
la nappe à la profondeur choisie.
Conclusions
Les résultats obtenus suggèrent que les
biais chaud et sec exhibés par la plupart
des modèles climatiques aux moyennes
latitudes en été, avec des conséquences
importantes sur la simulation des événements extrêmes de type canicule et
sécheresse, pourraient être atténués en
tenant compte de l’alimentation de
l’humidité des sols par les nappes. Les
eaux souterraines constituent aussi 30 %
des ressources en eau douce exploitables
actuellement, et leur effet tampon, quand
elles sont présentes, permet de soutenir
les bas débits dans les cours d’eau. Leur
bonne représentation quantitative et
géographique est donc importante
pour fournir des réponses utiles quant
à l’impact des changements globaux
sur l’évolution future du climat et des
ressources en eau.
Cependant, les tests que nous avons
réalisés sont loin d’être l’équivalent
d’une vraie nappe, dont le niveau varie
dans le temps, contrairement à nos
tests, mais aussi dans l’espace, avec des
profondeurs plus faibles à proximité
des cours d’eau.
Nos travaux se poursuivent donc pour
développer une description dynamique
des nappes dans le modèle Orchidée,
dans le cadre de deux projets récemment financés par le programme LEFE
de l’INSU et par l’ANR. À la résolution typique d’un modèle climatique
(mailles de 100 km de côté ou plus),
on vise notamment une description
réaliste de la profondeur de la nappe
(à l’échelle sous-maille), ainsi que du
temps de résidence des eaux souterraines (dont dépend l’effet tampon sur
l’humidité des sols et les débits), en
profitant des nombreuses données disponibles avec une couverture globale
(caractéristiques hydrogéologiques,
topographie, zones humides, etc.). ❙ ❙
Pour en savoir plus
❙ ❙ Metis (Milieux environnementaux,
transferts et interactions dans les
hydrosystèmes et les sols) est une unité
mixte de recherche (UMR 7619) du CNRS,
de l’UPMC et de l’EPHE. Elle s’intéresse
principalement aux « Surfaces continentales »,
à la circulation de l’eau, des éléments et des
polluants dans des milieux qui peuvent être
très impactés par l’homme mais qui sont
aussi une ressource sensible et indispensable
au développement de la société.
http://www.metis.upmc.fr/
❙ ❙ Le LMD (Laboratoire de météorologie
dynamique) est une unité mixte de
recherche implantée sur trois sites
universitaires : à l’École polytechnique à
Palaiseau, à l’École normale supérieure
et à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris.
Le LMD étudie le climat, la pollution et
les atmosphères planétaires en associant
approches théoriques, développements
instrumentaux pour l’observation et
modélisations numériques.
http://www.lmd.jussieu.fr/
❙ ❙ METIS et le LMD sont membres de
l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL),
fédération de neuf laboratoires publics de
recherche en sciences de l’environnement
en Ile-de-France.
http://www.ipsl.fr
Campoy A., 2013, « Influence de l’hydrologie souterraine sur la modélisation du
climat à l’échelle régionale et globale », Thèse de doctorat, Université Pierre et
Marie Curie, PDF.
Campoy A., Ducharne A., Cheruy F., Hourdin F., Polcher J., Dupont J.-C., 2013,
« Response of land surface fluxes and precipitation to different soil bottom
hydrological conditions in a general circulation model », JGR-Atmospheres,
118, 10,725-10,739, doi:10.1002/jgrd.50627
Cheruy F., Campoy A., Dupont J.-C., Ducharne A., Hourdin F., Haeffelin M.,
Chiriaco M., Idelkadi A., 2013, « Combined influence of atmospheric physics and
soil hydrology on the simulated meteorology at the SIRTA atmospheric observatory », Climate Dynamics, 40, 2 251-2 269, doi:10.1007/s00382-012-1469-y
SIRTA : http://sirta.ipsl.fr
éclairages ❙ 19
❙ ❙ R2DS Ile-de-France est un réseau
de recherche sur le développement
soutenable. Il a été créé en 2006 comme GIS
CNRS à l’initiative du Conseil régional de
l’Ile-de-France dans le but de favoriser
la recherche sur le développement soutenable.
Il réunit aujourd’hui 19 universités, grandes
écoles et établissements publics de recherche.
http://www.r2ds-ile-de-france.com
Coordination : Catherine Boemare
Conception graphique : Hélène Gay
Imprimé par XL-Print & mailing
sur notre futur commun
octobre-décembre 2014
Quel effet des nappes phréatiques
sur le climat européen ?
Agnès Ducharne, Aurélien Campoy, Frédérique Chéruy
❙❙
Metis (UMR 7619 du CNRS, de l’UPMC et de l’EPHE), Laboratoire de météorologie dynamique (LMD)
D
ans le cadre du projet de recherche
Hydrosol, qui a financé la thèse
d’Aurélien Campoy, notre objectif initial était d’améliorer le réalisme d’un
modèle climatique régional centré sur
la région Ile-de-France, en particulier
en ce qui concerne le cycle de l’eau et
les précipitations. Ces dernières sont en
effet notoirement mal quantifiées par
les modèles climatiques, ce qui est très
pénalisant pour fournir une quantification utile des impacts du changement
climatique sur l’hydrologie continentale et de ses manifestations les plus
sensibles pour la société, à savoir les
ressources en eau douce (débits des
cours d’eau et nappes phréatiques), et
les risques (inondations, sécheresses,
stabilité des terrains).
Nous avons choisi de nous intéresser aux interactions entre les surfaces
continentales et l’atmosphère, qui sont
encore mal comprises, et constituent
une source d’incertitude importante
dans les modèles de climat. Dans ce
cadre, une variable essentielle est l’évapotranspiration, qui influence tant les précipita-
Contacts auteurs
> Agnès Ducharne, UMR Metis : [email protected]
Action financée par la Région Ile-de-France
tions que les températures atmosphériques
(plus froides si l’évapotranspiration est
plus forte). Cette importante variable
de couplage surface/atmosphère est
dominée par la transpiration des végétaux, qui puisent l’eau nécessaire dans
le sol, mais elle comprend aussi l’évaporation directe de l’eau du sol, celle
des surfaces d’eau libre (flaques, lacs,
cours d’eau, et eau interceptée par le
feuillage), et la sublimation du manteau neigeux. L’évapotranspiration est
d’autant plus forte que l’humidité des
sols, le développement de la végétation,
et l’énergie disponible, sont importants, et l’humidité des sols influence
positivement ces trois facteurs, via
l’albédo pour le dernier.
Cependant, les sols sont souvent
connectés à des milieux plus profonds
qui contiennent de l’eau : on parle alors
de formations aquifères, et de nappes
phréatiques pour la fraction saturée de
ces milieux, là où tous les pores sont
remplis d’eau. Les travaux que nous
avons menés dans le projet Hydrosol, en
comparant la réponse du modèle >>>
éclairages ❙ 19
sur notre futur commun
octobre-décembre 2014
➋ Comparaison des différentes versions d’Orchidée identifiées en Figure 3
avec les observations du Sirta, en moyenne sur la période 2002-2009
de climat de l’IPSL aux observations
collectées sur le Site instrumental de
recherche par télédétection atmosphérique (Sirta) de l’IPSL (sur le plateau de
Saclay, Ile-de-France), nous ont permis
de démontrer l’impact des nappes non seulement sur l’humidité des sols, mais aussi
potentiellement sur le climat.
Démarche
Très classiquement, le principe de
notre étude était de comparer les résultats d’un modèle à des observations,
pour analyser les qualités et défauts du
modèle, et proposer des améliorations
aux derniers, afin de rendre les simulations plus proches des observations, i.e.
plus réalistes. Sur le site du Sirta, une
quarantaine de variables environnementales sont mesurées, dont les principales pour caractériser les échanges
surface/atmosphère sont la température et l’humidité dans l’air et dans le
sol, les précipitations, le rayonnement
incident, et les flux de chaleur sensible
et latente (ce dernier flux d’énergie
étant proportionnel au flux d’eau que
constitue l’évapotranspiration).
Le modèle évalué dans ce cadre est le
modèle de climat de l’IPSL, qui couple
un modèle de l’atmosphère, appelé
LMDZ, et un modèle des surfaces
continentales, appelé Orchidée, dont
le rôle est de décrire les flux d’eau et
d’énergie entre les surfaces continentales et l’atmosphère. Cela implique de
décrire les transferts et la rétention d’eau
au sein du système constitué par les
sols et la végétation qui y est enracinée,
en tenant compte de leurs propriétés
physiques et biologiques. Le modèle
Orchidée bénéficie d’une description à
bases physiques de l’hydrologie du sol,
qui repose sur un sol de 2 mètres de profondeur, où les mouvements d’eau verticaux sont décrits selon l’équation dite
de Richards, résolue numériquement
sur 11 couches. Cette paramétrisation,
notée Orchidée-Richards, fut précédemment testée dans des contextes climatiques variés, mais toujours en mode
forcé par des données météorologiques
observées, et les travaux synthétisés ici
constituent la première évaluation du
modèle Orchidée-Richards en mode
couplé avec un modèle atmosphérique.
Comme illustré en Figure 1, le modèle
atmosphérique LMDZ est utilisé dans
une version zoomée, avec des mailles
plus petites dans la zone d’intérêt, ici
de 120 km de côté en Ile-de-France,
où se situe le Sirta. Il est aussi guidé
régionalement par des réanalyses d’observations météorologiques (produites
par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme),
c’est-à-dire contraint de suivre les températures et le vent des réanalyses, et
ce d’autant plus fortement que l’on
s’éloigne du centre du zoom. Cette
approche permet de bien reproduire la
variabilité synoptique du climat au centre
du zoom, mais celui-ci reste sensible
aux conditions de surface, puisque le
guidage y est localement négligeable.
Elle permet donc une comparaison
pertinente avec les données pour
identifier les versions du modèle de
climat les plus réalistes en termes de
couplage surface/atmosphère (Cheruy
et al., 2013).
Résultats principaux
En utilisant l’approche ci-dessus, nous
nous sommes d’abord focalisés sur
l’évaluation approfondie du modèle
Orchidée-Richards, en profitant notamment des données d’humidité du sol
collectées au Sirta à cinq profondeurs
depuis 2007. Ces données ont révélé
la présence d’une nappe à faible profondeur,
qui est épisodiquement affleurante en hiver
et qui s’abaisse en été au-delà des 50 cm
investigués au Sirta. Elle est probablement associée à une lentille d’argile à
meulière, formation imperméable présente à environ 4 mètres de profondeur
de manière discontinue sur le plateau
de Saclay (source BRGM ; détails dans
Campoy, 2013).
Dans le modèle Orchidée-Richards, la
diffusion de l’eau dans le sol suppose
un drainage libre au fond du sol, ce
➊ Le modèle climatique de l’IPSL en configuration zoomée-guidée
autour du site instrumental Sirta (situé en Ile-de-France, sur le plateau de Saclay,
à l’École Polytechnique).
qui est très classique dans les modèles
de surface continentale, mais n’est pas
cohérent avec la présence d’une nappe
à faible profondeur, constituant un
frein au drainage vertical. En conséquence, notre simulation de référence
(REF, en noir sur la Figure 2) montre
des humidités plus faibles que les
observations sur les 50 centimètres
instrumentés.
Comme illustré en Figure 3, nous avons
donc testé deux nouvelles conditions à
la base du sol : (i) un drainage réduit
par un facteur F, allant de F=1 pour
le drainage gravitaire original à F=0
pour un fond imperméable ; (ii) une
saturation forcée sous une certaine
profondeur dans la colonne de sol, ce
qui revient à imposer une nappe fixe à
une certaine profondeur. Pour préserver
cette nappe face à l’évapotranspiration
qui fait baisser la nappe en été, il faut
un apport « artificiel » d’eau vers la
colonne de sol, qu’on peut voir comme
un drainage ascendant, et qui s’avère
d’autant plus fort que la saturation
imposée est proche de la surface.
Les humidités simulées au Sirta sont
plus fortes, et nettement plus réalistes,
en considérant un fond imperméable,
et plus encore en imposant une nappe,
ce qui est déterminant en été (août).
À cette période, le profil observé est
encadré par les profils simulés en imposant une nappe à 1,3 et à 0,5 m de
profondeur, ce qui suggère que le toit
de la nappe se situe entre ces deux profondeurs en été au Sirta (Figure 2, en
haut). L’augmentation de l’humidité
du sol dans les nouvelles versions du
modèle Orchidée permet de mieux
soutenir la demande évaporative, d’où
une augmentation du flux de chaleur
latente (Figure 2, en bas). Comme pour
l’humidité du sol, ce sont les deux simulations imposant une nappe à 1,3 et à
0,5 m de profondeur qui encadrent
En haut : profils d’humidité moyens (en m3/m3) à différentes saisons ; les points noirs donnent la
moyenne des mesures Sirta, et montrent une nappes à faible profondeur quand ils sont accolés au
bord droit des graphiques, correspondant à la saturation du sol (0,43 m3/m3) ; les croix colorées les
moyennes des simulations en excluant les lacunes de mesure. En bas : différence entre le flux de
chaleur latente simulée dans la maille du Sirta et les observations, qui apparaissent donc comme
une ligne horizontale positionnée en 0.
➌ Les différentes versions d’Orchidée testées en configuration zoomée-guidée
par comparaison aux observations du Sirta. Les couleurs correspondent à celles
des courbes de la Figure 3.
les observations (matérialisées par la
droite horizontale en pointillés), ce qui
conforte l’hypothèse d’un lien fort entre
nappe et évapotranspiration au Sirta.
En parallèle, les différentes simulations
montrent une baisse de la température
de surface et du flux de chaleur sen-
sible, également plus conforme aux
observations du Sirta.
Dans une deuxième étape, nous avons
examiné la réponse du climat simulé
aux différentes versions du modèle
Orchidée. À l’échelle européenne,
comme à celle du Sirta, l’impact >>>
éclairages ❙ 19
sur notre futur commun
octobre-décembre 2014
➋ Comparaison des différentes versions d’Orchidée identifiées en Figure 3
avec les observations du Sirta, en moyenne sur la période 2002-2009
de climat de l’IPSL aux observations
collectées sur le Site instrumental de
recherche par télédétection atmosphérique (Sirta) de l’IPSL (sur le plateau de
Saclay, Ile-de-France), nous ont permis
de démontrer l’impact des nappes non seulement sur l’humidité des sols, mais aussi
potentiellement sur le climat.
Démarche
Très classiquement, le principe de
notre étude était de comparer les résultats d’un modèle à des observations,
pour analyser les qualités et défauts du
modèle, et proposer des améliorations
aux derniers, afin de rendre les simulations plus proches des observations, i.e.
plus réalistes. Sur le site du Sirta, une
quarantaine de variables environnementales sont mesurées, dont les principales pour caractériser les échanges
surface/atmosphère sont la température et l’humidité dans l’air et dans le
sol, les précipitations, le rayonnement
incident, et les flux de chaleur sensible
et latente (ce dernier flux d’énergie
étant proportionnel au flux d’eau que
constitue l’évapotranspiration).
Le modèle évalué dans ce cadre est le
modèle de climat de l’IPSL, qui couple
un modèle de l’atmosphère, appelé
LMDZ, et un modèle des surfaces
continentales, appelé Orchidée, dont
le rôle est de décrire les flux d’eau et
d’énergie entre les surfaces continentales et l’atmosphère. Cela implique de
décrire les transferts et la rétention d’eau
au sein du système constitué par les
sols et la végétation qui y est enracinée,
en tenant compte de leurs propriétés
physiques et biologiques. Le modèle
Orchidée bénéficie d’une description à
bases physiques de l’hydrologie du sol,
qui repose sur un sol de 2 mètres de profondeur, où les mouvements d’eau verticaux sont décrits selon l’équation dite
de Richards, résolue numériquement
sur 11 couches. Cette paramétrisation,
notée Orchidée-Richards, fut précédemment testée dans des contextes climatiques variés, mais toujours en mode
forcé par des données météorologiques
observées, et les travaux synthétisés ici
constituent la première évaluation du
modèle Orchidée-Richards en mode
couplé avec un modèle atmosphérique.
Comme illustré en Figure 1, le modèle
atmosphérique LMDZ est utilisé dans
une version zoomée, avec des mailles
plus petites dans la zone d’intérêt, ici
de 120 km de côté en Ile-de-France,
où se situe le Sirta. Il est aussi guidé
régionalement par des réanalyses d’observations météorologiques (produites
par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme),
c’est-à-dire contraint de suivre les températures et le vent des réanalyses, et
ce d’autant plus fortement que l’on
s’éloigne du centre du zoom. Cette
approche permet de bien reproduire la
variabilité synoptique du climat au centre
du zoom, mais celui-ci reste sensible
aux conditions de surface, puisque le
guidage y est localement négligeable.
Elle permet donc une comparaison
pertinente avec les données pour
identifier les versions du modèle de
climat les plus réalistes en termes de
couplage surface/atmosphère (Cheruy
et al., 2013).
Résultats principaux
En utilisant l’approche ci-dessus, nous
nous sommes d’abord focalisés sur
l’évaluation approfondie du modèle
Orchidée-Richards, en profitant notamment des données d’humidité du sol
collectées au Sirta à cinq profondeurs
depuis 2007. Ces données ont révélé
la présence d’une nappe à faible profondeur,
qui est épisodiquement affleurante en hiver
et qui s’abaisse en été au-delà des 50 cm
investigués au Sirta. Elle est probablement associée à une lentille d’argile à
meulière, formation imperméable présente à environ 4 mètres de profondeur
de manière discontinue sur le plateau
de Saclay (source BRGM ; détails dans
Campoy, 2013).
Dans le modèle Orchidée-Richards, la
diffusion de l’eau dans le sol suppose
un drainage libre au fond du sol, ce
➊ Le modèle climatique de l’IPSL en configuration zoomée-guidée
autour du site instrumental Sirta (situé en Ile-de-France, sur le plateau de Saclay,
à l’École Polytechnique).
qui est très classique dans les modèles
de surface continentale, mais n’est pas
cohérent avec la présence d’une nappe
à faible profondeur, constituant un
frein au drainage vertical. En conséquence, notre simulation de référence
(REF, en noir sur la Figure 2) montre
des humidités plus faibles que les
observations sur les 50 centimètres
instrumentés.
Comme illustré en Figure 3, nous avons
donc testé deux nouvelles conditions à
la base du sol : (i) un drainage réduit
par un facteur F, allant de F=1 pour
le drainage gravitaire original à F=0
pour un fond imperméable ; (ii) une
saturation forcée sous une certaine
profondeur dans la colonne de sol, ce
qui revient à imposer une nappe fixe à
une certaine profondeur. Pour préserver
cette nappe face à l’évapotranspiration
qui fait baisser la nappe en été, il faut
un apport « artificiel » d’eau vers la
colonne de sol, qu’on peut voir comme
un drainage ascendant, et qui s’avère
d’autant plus fort que la saturation
imposée est proche de la surface.
Les humidités simulées au Sirta sont
plus fortes, et nettement plus réalistes,
en considérant un fond imperméable,
et plus encore en imposant une nappe,
ce qui est déterminant en été (août).
À cette période, le profil observé est
encadré par les profils simulés en imposant une nappe à 1,3 et à 0,5 m de
profondeur, ce qui suggère que le toit
de la nappe se situe entre ces deux profondeurs en été au Sirta (Figure 2, en
haut). L’augmentation de l’humidité
du sol dans les nouvelles versions du
modèle Orchidée permet de mieux
soutenir la demande évaporative, d’où
une augmentation du flux de chaleur
latente (Figure 2, en bas). Comme pour
l’humidité du sol, ce sont les deux simulations imposant une nappe à 1,3 et à
0,5 m de profondeur qui encadrent
En haut : profils d’humidité moyens (en m3/m3) à différentes saisons ; les points noirs donnent la
moyenne des mesures Sirta, et montrent une nappes à faible profondeur quand ils sont accolés au
bord droit des graphiques, correspondant à la saturation du sol (0,43 m3/m3) ; les croix colorées les
moyennes des simulations en excluant les lacunes de mesure. En bas : différence entre le flux de
chaleur latente simulée dans la maille du Sirta et les observations, qui apparaissent donc comme
une ligne horizontale positionnée en 0.
➌ Les différentes versions d’Orchidée testées en configuration zoomée-guidée
par comparaison aux observations du Sirta. Les couleurs correspondent à celles
des courbes de la Figure 3.
les observations (matérialisées par la
droite horizontale en pointillés), ce qui
conforte l’hypothèse d’un lien fort entre
nappe et évapotranspiration au Sirta.
En parallèle, les différentes simulations
montrent une baisse de la température
de surface et du flux de chaleur sen-
sible, également plus conforme aux
observations du Sirta.
Dans une deuxième étape, nous avons
examiné la réponse du climat simulé
aux différentes versions du modèle
Orchidée. À l’échelle européenne,
comme à celle du Sirta, l’impact >>>
éclairages ❙ 19
sur notre futur commun
octobre-décembre 2014
des modifications testées s’exprime essentiellement en été, et le biais chaud/sec
du modèle de l’IPSL est réduit. En ce
qui concerne les précipitations, qui
sont sous-estimées en été en Europe de
l’Ouest dans la simulation de référence,
elles sont augmentées, mais de manière
excessive quand on force une nappe
dans la colonne de sol, car on rajoute
alors « artificiellement » de l’eau dans
le système climatique pour maintenir
la nappe à la profondeur choisie.
Conclusions
Les résultats obtenus suggèrent que les
biais chaud et sec exhibés par la plupart
des modèles climatiques aux moyennes
latitudes en été, avec des conséquences
importantes sur la simulation des événements extrêmes de type canicule et
sécheresse, pourraient être atténués en
tenant compte de l’alimentation de
l’humidité des sols par les nappes. Les
eaux souterraines constituent aussi 30 %
des ressources en eau douce exploitables
actuellement, et leur effet tampon, quand
elles sont présentes, permet de soutenir
les bas débits dans les cours d’eau. Leur
bonne représentation quantitative et
géographique est donc importante
pour fournir des réponses utiles quant
à l’impact des changements globaux
sur l’évolution future du climat et des
ressources en eau.
Cependant, les tests que nous avons
réalisés sont loin d’être l’équivalent
d’une vraie nappe, dont le niveau varie
dans le temps, contrairement à nos
tests, mais aussi dans l’espace, avec des
profondeurs plus faibles à proximité
des cours d’eau.
Nos travaux se poursuivent donc pour
développer une description dynamique
des nappes dans le modèle Orchidée,
dans le cadre de deux projets récemment financés par le programme LEFE
de l’INSU et par l’ANR. À la résolution typique d’un modèle climatique
(mailles de 100 km de côté ou plus),
on vise notamment une description
réaliste de la profondeur de la nappe
(à l’échelle sous-maille), ainsi que du
temps de résidence des eaux souterraines (dont dépend l’effet tampon sur
l’humidité des sols et les débits), en
profitant des nombreuses données disponibles avec une couverture globale
(caractéristiques hydrogéologiques,
topographie, zones humides, etc.). ❙ ❙
Pour en savoir plus
❙ ❙ Metis (Milieux environnementaux,
transferts et interactions dans les
hydrosystèmes et les sols) est une unité
mixte de recherche (UMR 7619) du CNRS,
de l’UPMC et de l’EPHE. Elle s’intéresse
principalement aux « Surfaces continentales »,
à la circulation de l’eau, des éléments et des
polluants dans des milieux qui peuvent être
très impactés par l’homme mais qui sont
aussi une ressource sensible et indispensable
au développement de la société.
http://www.metis.upmc.fr/
❙ ❙ Le LMD (Laboratoire de météorologie
dynamique) est une unité mixte de
recherche implantée sur trois sites
universitaires : à l’École polytechnique à
Palaiseau, à l’École normale supérieure
et à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris.
Le LMD étudie le climat, la pollution et
les atmosphères planétaires en associant
approches théoriques, développements
instrumentaux pour l’observation et
modélisations numériques.
http://www.lmd.jussieu.fr/
❙ ❙ METIS et le LMD sont membres de
l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL),
fédération de neuf laboratoires publics de
recherche en sciences de l’environnement
en Ile-de-France.
http://www.ipsl.fr
Campoy A., 2013, « Influence de l’hydrologie souterraine sur la modélisation du
climat à l’échelle régionale et globale », Thèse de doctorat, Université Pierre et
Marie Curie, PDF.
Campoy A., Ducharne A., Cheruy F., Hourdin F., Polcher J., Dupont J.-C., 2013,
« Response of land surface fluxes and precipitation to different soil bottom
hydrological conditions in a general circulation model », JGR-Atmospheres,
118, 10,725-10,739, doi:10.1002/jgrd.50627
Cheruy F., Campoy A., Dupont J.-C., Ducharne A., Hourdin F., Haeffelin M.,
Chiriaco M., Idelkadi A., 2013, « Combined influence of atmospheric physics and
soil hydrology on the simulated meteorology at the SIRTA atmospheric observatory », Climate Dynamics, 40, 2 251-2 269, doi:10.1007/s00382-012-1469-y
SIRTA : http://sirta.ipsl.fr
éclairages ❙ 19
❙ ❙ R2DS Ile-de-France est un réseau
de recherche sur le développement
soutenable. Il a été créé en 2006 comme GIS
CNRS à l’initiative du Conseil régional de
l’Ile-de-France dans le but de favoriser
la recherche sur le développement soutenable.
Il réunit aujourd’hui 19 universités, grandes
écoles et établissements publics de recherche.
http://www.r2ds-ile-de-france.com
Coordination : Catherine Boemare
Conception graphique : Hélène Gay
Imprimé par XL-Print & mailing
sur notre futur commun
octobre-décembre 2014
Quel effet des nappes phréatiques
sur le climat européen ?
Agnès Ducharne, Aurélien Campoy, Frédérique Chéruy
❙❙
Metis (UMR 7619 du CNRS, de l’UPMC et de l’EPHE), Laboratoire de météorologie dynamique (LMD)
D
ans le cadre du projet de recherche
Hydrosol, qui a financé la thèse
d’Aurélien Campoy, notre objectif initial était d’améliorer le réalisme d’un
modèle climatique régional centré sur
la région Ile-de-France, en particulier
en ce qui concerne le cycle de l’eau et
les précipitations. Ces dernières sont en
effet notoirement mal quantifiées par
les modèles climatiques, ce qui est très
pénalisant pour fournir une quantification utile des impacts du changement
climatique sur l’hydrologie continentale et de ses manifestations les plus
sensibles pour la société, à savoir les
ressources en eau douce (débits des
cours d’eau et nappes phréatiques), et
les risques (inondations, sécheresses,
stabilité des terrains).
Nous avons choisi de nous intéresser aux interactions entre les surfaces
continentales et l’atmosphère, qui sont
encore mal comprises, et constituent
une source d’incertitude importante
dans les modèles de climat. Dans ce
cadre, une variable essentielle est l’évapotranspiration, qui influence tant les précipita-
Contacts auteurs
> Agnès Ducharne, UMR Metis : [email protected]
Action financée par la Région Ile-de-France
tions que les températures atmosphériques
(plus froides si l’évapotranspiration est
plus forte). Cette importante variable
de couplage surface/atmosphère est
dominée par la transpiration des végétaux, qui puisent l’eau nécessaire dans
le sol, mais elle comprend aussi l’évaporation directe de l’eau du sol, celle
des surfaces d’eau libre (flaques, lacs,
cours d’eau, et eau interceptée par le
feuillage), et la sublimation du manteau neigeux. L’évapotranspiration est
d’autant plus forte que l’humidité des
sols, le développement de la végétation,
et l’énergie disponible, sont importants, et l’humidité des sols influence
positivement ces trois facteurs, via
l’albédo pour le dernier.
Cependant, les sols sont souvent
connectés à des milieux plus profonds
qui contiennent de l’eau : on parle alors
de formations aquifères, et de nappes
phréatiques pour la fraction saturée de
ces milieux, là où tous les pores sont
remplis d’eau. Les travaux que nous
avons menés dans le projet Hydrosol, en
comparant la réponse du modèle >>>
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