Savoir_faire_ses_propres_semences_Kaizen

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« Savoir faire ses propres semences, c’est le cœur du
métier de paysan. »
le 7 décembre 2015
Martina Widmer est l’une des trois réalisatrices du documentaire Semences buissonnières,
sorti en DVD en septembre 2015. Dans ce film, elle promeut l’utilisation de semences
naturelles, libres, reproductibles et transmissibles. Une source de lien social et de retour aux
traditions paysannes.
Qu’est-ce qui vous a poussée à réaliser un documentaire pédagogique sur les semences
naturelles ?
Dans notre ferme de Longo Maï (Limans, 04), avec l’aide de l’association Kokopelli, nous avons
appris à faire nos propres semences. Nous nous sommes rendu compte que nous récoltions bien plus
de graines que ce dont nous avions besoin. Mais nous ne pouvions pas les vendre. Alors, nous les
avons distribuées gratuitement sur les marchés. En plus de ces dons, nous nous sommes dit qu’il
serait préférable que les gens réapprennent à faire leurs propres semences, que cela redevienne une
pratique courante.
Nous avons organisé des stages pour former les personnes à cette technique. Mais, le problème,
avec ces formations, c’est que nous ne pouvons pas montrer toute l’étendue de l’évolution des
plantes, c’est-à-dire comment elles passent de graine à graine.
Cela nous a poussés à développer un support vidéo qui explique les gestes paysans, toutes les étapes
de la vie d’une plante et qui transmette des astuces. Ce travail a été effectué pour 32 espèces de
fruits et légumes.
Nous avons mis trois ans pour réaliser ce film. Il a été essentiellement tourné à la ferme de Longo
Maï. Mais, dans le but de montrer d’autres climats et d’autres sols, notre équipe s’est rendue près de
Nice et en Bourgogne, chez des producteurs professionnels de semences ; ainsi que dans le Jura et
en Ardèche, à plus de 1 000 mètres d’attitude, et près d’Arles aussi.
Quelles sont les différences entre une graine « naturelle » et une graine « industrialisée » ?
Une semence naturelle est appelée graine à pollinisation ouverte. Avec elle, la variété d’une espèce
reste la même d’une génération à l’autre. Bien sûr, elle va se transformer petit à petit afin de
s’adapter aux influences du sol et du climat. Mais ses propriétés resteront stables. Avec le temps et
en l’observant attentivement, le paysan peut valoriser certaines caractéristiques de la plante. Ce qui
est gage de diversité, de qualité et de goût.
Avec les semences hybrides, on ne sait pas ce que l’on va récolter. Elles sont issues d’un croisement
et, du coup, elles ne sont pas stables d’une génération à l’autre. Les graines hybrides sont
essentiellement sélectionnées afin de favoriser une agriculture mécanisée, mais aussi d’être stockées
et de résister lors des transports.
http://www.kaizen-magazine.com/savoir-faire-ses-propres-semences-cest-le-coeur-du-metier-depaysan/
Comment fonctionne aujourd’hui le marché des semences ?
Dans les pays industrialisés, la diffusion et donc la sélection des plantes a complètement changé.
Elles sont mises sur le marché par des semenciers en situation de monopole. Et ce, depuis le siècle
dernier. Surtout, il y a eu un basculement avec la vente, de plus en plus fréquente, de semences
hybrides. J’estime qu’elles représentent 80 % des semences commercialisées. Il existe un droit de
propriété sur ces semences, c’est-à-dire qu’il faut payer pour les utiliser. Et, comme je l’ai dit, elles
ne peuvent pas être multipliées. Ce marché est donc très rentable pour les semenciers industriels,
car les agriculteurs doivent acheter tous les ans de nouvelles semences.
Il y a encore quelques décennies, dans le Catalogue officiel des espèces et variétés végétales, bon
nombre de semences n’étaient pas hybrides. Vous pouviez à l’époque prendre une variété et la
multiplier vous-même dans votre jardin. Aujourd’hui, ce n’est pratiquement plus possible. Le prix
pour inscrire une semence à ce Catalogue, donc dans le cadre légal, est très élevé. Cela exclut un
nombre conséquent de personnes morales ou physiques. Tout cela nuit à l’accès à une grande
diversité de graines.
Bien entendu, il existe des associations, même au niveau européen, qui continuent de vendre des
semences à pollinisation ouverte, sur lesquelles il n’existe pas de droit de propriété. Elles essayent
de faire comprendre aux autorités européennes l’importance, pour la biodiversité, de maintenir de
nombreuses variétés de semences qu’on peut multiplier. C’est par exemple le cas de la coalition No
patents on seeds.
Sur qui pouvez-vous vous appuyer afin de réussir dans cette démarche de promotion de
l’agriculture citoyenne ?
L’association Kokopelli est emblématique. Il existe aussi le réseau Semences paysannes.
Lorsque je suis allée en Grèce, j’ai découvert un festival annuel de libre partage de semences.
C’était une initiative de l’association Peliti, très active dans le maintien des semences naturelles.
Cette action est essentielle dans ce pays touché par la crise économique. Cela permet aux habitants
de se nourrir et de retrouver une autonomie alimentaire.
Pourquoi promouvez-vous l’usage de semences libres, reproductibles et transmissibles ?
Cela encourage l’agriculture paysanne, basée sur un équilibre, une harmonie, une biodiversité et le
respect d’un sol vivant. Par ailleurs, cela contribue à préserver le savoir énorme des agriculteurs
sur l’équilibre des sols, l’influence des insectes et des plantes, etc.
Aussi, quand vous utilisez des semences à pollinisation ouverte, vous récoltez beaucoup de graines.
Pour exemples : une seule salade fait des milliers de graines ; une tomate en produit cinquante ; un
plant de haricots vous en donnera une centaine. Cela vous donne l’occasion d’en donner à vos
voisins, de faire des échanges. C’est vraiment à la portée de tous.
Savoir faire ses propres semences est le cœur du métier de paysan et ce savoir doit de nouveau être
partagé. Cela peut consister tout simplement à aller sur le marché près de chez soi, et à discuter avec
les agriculteurs présents ; à visiter leur exploitation pour comprendre comment ils travaillent… Cela
est déjà un premier pas pour renouer avec ce monde paysan.
Propos recueillis par Thomas Masson
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