Les consultants des services d’urgence relevant de la médecine générale : analyse de nouveaux comportements de santé S. Gentile (1), AC. Durand (1), I. Bongiovanni (1), S. Rofritsch (1) et le Collège des médecins urgentistes de la région PACA (2) (1) Laboratoire de Santé Publique, Faculté de Médecine, Marseille (2) Collège PACA de Médecine d’Urgence (COPACAMU) Contexte et problématique Depuis plus de dix ans, en France, l’activité des services d’urgence (SU) ne cesse de croître avec un nombre de plus en plus important de consultations relevant de la médecine ambulatoire. Pour autant, ces consultants dits "non appropriés" n’ont jamais fait l’objet d’investigations poussées qui permettraient d’envisager des propositions visant à maîtriser l’accroissement du recours dans les SU. Pourtant, deux causes sont fréquemment avancées depuis des années dans la littérature pour expliquer cette évolution du mode de recours au SU. Il s’agit de : L’évolution consumériste du mode de consommation de soins L’insuffisance de l’offre de soins dans le secteur libéral, notamment dans le cadre la permanence des soins. Ces affirmations s’appuient essentiellement sur le ressenti des professionnels et sont peu étayées sur des données objectives. Plusieurs éléments nous font penser que le problème est sans doute plus complexe : en effet, la plage horaire du recours dans les SU se trouve majoritairement pendant les heures d’ouverture des cabinets libéraux, ce qui minimise l’éventuel impact du problème des astreintes de nuit et d’autre part plusieurs études montrent que les consultants des SU sont des personnes bien insérées dans le système de soins (87% ont un médecin traitant)1 qui fréquentent rarement les SU (en moyenne, le recours au SU est 1,02 fois/an). Dans le cadre d’un projet de recherche intégrant 23 SU de la région PACA, nous avons souhaité analyser les comportements de santé des consultants des services d’urgence et évaluer de manière objective la proportion des recours inappropriés. Cette analyse a été menée au travers l’étude des représentations sociales sur le recours aux urgences et du système de soins, et de celle de la trajectoire de soins avant le recours au SU. La proportion des recours inappropriés a été mesurée à travers l’évaluation a priori et a posteriori des professionnels des SU. Cette présentation vise à mettre en exergue les résultats de la première étape de ce travail. Population et méthode Une première analyse qualitative a été menée de façon conjointe auprès des consultants et des professionnels de santé des SU au travers d’une enquête basée sur des entretiens semi-directifs menés jusqu’à saturation de l’information. Cette approche qualitative a été effectuée auprès de 10 SU tirés au sort2 sur les 23 participant au projet.3 1 Données issues de l’enquête nationale de la DREES : Baubeau D, Carrasco V. Motifs et trajectoires de recours aux urgences hospitalières. DREES, n°215, janvier 2003. 2 Tirage au sort suivant la stratification suivante : taille de l’établissement, type de service, sa localisation (rural/urbain) et son statut. 3 Hôpital de La Conception, Hôpital Nord, Hôpital Ste Marguerite, CH du Pays d’Aix, Hôpital St Joseph, CH St Joseph Imbert (Arles), CH de Martigues, Hôpital Ambroise Paré, CH de La Ciotat, CH Aubagne, Clinique Marignane, CH de Draguignan, CH Intercommunal de Toulon – La Seyne, CH de Hyères, CH de Gap, CH de 1 Les entretiens ont été réalisés auprès des patients CCMU I ou II et visaient à explorer leurs représentations concernant l’urgence et la gestion globale de leur santé. Le but étant de comprendre leur parcours de soins précédant le recours, les motifs du recours au SU et de connaître leur mode de soins habituel. Les entretiens auprès des professionnels de santé des SU visaient à appréhender leurs représentations sur la notion de recours inapproprié, de faire émerger les critères permettant de définir une consultation inappropriée et de recueillir les solutions qu’ils préconiseraient. Cette phase qualitative a fait l’objet d’une analyse de contenu manuelle et informatisée à l’aide du logiciel Alceste. Une analyse statistique à partir de mots-clés a permis de rapporter des fréquences au contenu rapporté. Résultats globaux Nous présenterons d’abord les résultats issus des entretiens auprès des patients, puis ceux issus des entretiens menés auprès des professionnels. Enfin, nous mettrons en perspective l’ensemble des résultats. Résultats des entretiens patient Le profil des 87 consultants interrogés dans notre étude se révèle assez similaire à celui décrit dans l’étude nationale de la DREES. Il s’agit d’une population relativement jeune (38,3 ans ± 16,2), plutôt masculine (sex ratio = 1,2), assez instruite (54% ont au moins le niveau bac) et bien insérée socialement (67,8% déclarent avoir un emploi). La grande majorité des consultants semble bien insérée dans le système de santé : 82,8% déclarent avoir un médecin traitant et 80,4% bénéficient d’une couverture maladie complète. Les quatre principaux motifs avancés par les patients justifiant leur recours au SU, sont avancés par ordre décroissant : 1. Les prestations offertes par le SU (43,1%) : Plateau technique, compétence médicale et accessibilité répondent au besoin d’une prise en charge rapide et efficace. a. L’efficacité : la confiance vouée aux urgentistes est assez importante, la pertinence du diagnostic suggérant ainsi dans l'esprit des usagers une certaine efficacité liée à un soin complet ; b. La technicité : l'offre du plateau technique est un facteur important. Il permet à l'usager de ne pas se disperser chez divers spécialistes et permet la réalisation d’un bilan complet sur place assurant à l’usager une certitude quant au diagnostic et la thérapeutique. c. L’accessibilité des SU est mise en avant au regard des difficultés des patients à obtenir un rendez-vous chez leur médecin traitant. 2. La douleur (35,6%) et l’angoisse (29,9%) : la symptomatologie douloureuse semble être un des principaux éléments déclenchant le besoin d’une prise en charge rapide et efficace. L’angoisse semble être le deuxième élément expliquant la recherche d’un lieu sécurisé offrant un panel de prestations complet. 3. Les difficultés d’accessibilité du recours aux soins dans le secteur ambulatoire (24,1%) : la médecine ambulatoire n’apparaît pas pour les patients comme capable de répondre à une prise en charge rapide et efficace, en raison d’une Digne-Les-Bains, CH Avignon, Centre Hospitalier d’Apt, CH de Cavaillon, CH de Pertuis, CHU de Nice- Hôpital St Roch, CHU de Nice- Hôpital St Roch, CH de la Palmosa Menton. 2 part, de l’indisponibilité des médecins de ville et d’autre part des délais important pour l’obtention de rendez-vous. 4. Échec des solutions antérieures (19%) : pour un certain nombre de patients, la recherche de solutions avant le recours au SU s’est avérée inefficace. Le patient n’a pas d’autre choix que le recours aux urgences. Parmi les patients interrogés, seuls 17,2% pensaient que leur recours avait un caractère urgent au sens médical du terme. Résultats des entretiens réalisés auprès des professionnels de santé Trente-quatre professionnels de santé ont été interrogés : 73,5% étaient des médecins (Chefs de services/médecins seniors) et 26,5% des infirmiers (IDE/IAO et cadres). Caractère inapproprié ou non urgent d’une consultation La plupart des professionnels des urgences s’accordent à dire qu’il demeure complexe de déterminer les critères permettant de définir un recours inapproprié. Tous s’entendent sur la notion de recours approprié, basée essentiellement sur le niveau de gravité de l’état de santé du consultant. En revanche, la notion inappropriée du recours est moins consensuelle même si la grande majorité des professionnels l’associe aux pathologies relevant de la médecine ambulatoire. Pour autant, le caractère approprié ou pas dépend de la variabilité de l’offre de soins (semaine/WE, jour/nuit), le contexte social, le profil des patients etc. De même, la notion de « non-urgence » n’est pas nécessairement synonyme de celle d’inappropriée. Cette notion s’applique assez bien aux recours relevant de la traumatologie qui semble, pour la plupart des professionnels des SU, tout à fait approprié bien que leur prise en charge ne présente pas de caractère urgent au sens vital du terme. Les professionnels interrogés évaluent qu’en moyenne 33% (min = 2%, max. = 75%) des passages aux urgences relèvent de la médecine ambulatoire. Les causes des recours « inappropriés » Les raisons à l’origine des recours inappropriés peuvent se distinguer en deux grandes catégories : celles inhérentes aux consultants et à l’évolution de leur comportement de santé et d’autres liées à l’organisation des soins (au sein du SU et en médecine ambulatoire). Les professionnels des SU interrogés stigmatisent les consultants et les perçoivent comme des personnes consuméristes de soins. Les reproches portent notamment sur leur impatience et leur incapacité à gérer leur stress. L’existence des prestations offertes par les SU : accessibilité 24/24h et le plateau technique sont les principaux éléments attractifs pour le consultant. L’aspect consumériste de la société revient souvent dans le discours des professionnels. Selon les professionnels, les raisons liées à l’offre de soins portent : - Sur le paiement différé lors d’un recours dans un SU. En effet, en médecine ambulatoire, le patient paye directement son recours aux soins. Le paiement différé du SU donne l’impression que les soins sont gratuits. - Sur l’organisation du secteur ambulatoire. La gestion programmée sur rendez-vous des patients ne permet pas la prise en charge des demandes de soins urgentes (en terme de délai). De même, l’absence de plateau technique en cabinet multiplie les démarches pour le patient rendant le 3 parcours complexe et long. Enfin, les problèmes liés à l’organisation de la permanence des soins, ont peu à peu rendu le SU comme le lieu unique assurant la continuité des soins. Les conséquences des recours inappropriés Elles portent essentiellement, selon les professionnels, sur la discordance entre compétence attendue de la spécialité de médecine d’urgence et la pratique quotidienne qui se rapproche plus de la médecine générale. Les urgentistes se plaignent de jouer, trop souvent, un rôle qui ne leur appartient pas : pratiquer la médecine générale de ville, alors que leur formation est adaptée à d’autres prises en charge. L’afflux important de patients « non graves » posent des problèmes organisationnels importants en termes d’encombrement et de gestion des flux. De plus, cet encombrement peut générer des situations à risque (perte de chance pour les cas graves). Les solutions envisagées : Les professionnels articulent leurs solutions autours de trois axes : 1. Le développement d’action d’éducation et d’information vis-à-vis du mode de consommation des soins ; 2. L’application d’une sanction financière pour les abus ; 3. Le développement de solutions ambulatoires alternatives comme le déploiement des Maisons Médicales de Garde (MMG) et les consultations de médecine générale au sein des établissements de santé. Conclusion : Les consultants des SU semblent bien identifier les filières de soins et il ne semble par y avoir une méconnaissance du système de santé. Cela se vérifie tant en zone rurale qu’urbaine. Ils ont conscience de ne pas présenter un caractère urgent au sens vital du terme mais sont dans une recherche de soins la plus efficiente, et toutefois justifiée : le recours au SU – sans pour autant en exprimer le caractère récurrent, donc abusif – serait essentiellement motivé par la douleur, l’angoisse et/ou la nécessité d’examens complémentaires. Le SU présente toutes les caractéristiques attendues. Les professionnels ont globalement des représentations négatives concernant le comportement des consultants ; l’aspect consumériste avancé depuis des années se retrouve de façon très nette dans leur discours. Il existe une réelle divergence entre le discours des patients et celui des professionnelles sur les perceptions des comportements de santé. Autant pour les patients que les professionnels interrogés l’organisation des soins en médecine ambulatoire est perçue comme inadaptée aux soins non programmés, mais l’aspect spécifique de la permanence des soins n’est pas évoqué par le patient et reste propre au discours des professionnels. Il résulte de ces entretiens, une réelle difficulté à cerner la notion de consultation inappropriée. L’estimation de la proportion de ce type de consultations (33%), selon les professionnels de santé, est conforme aux différentes études publiées au niveau internationales4, mais bien en deçà des chiffres habituellement donnés. 4 Lang T, Davido A, Diakite B, Aguay E, Viel JF, Flicoteaux B. Non Urgent care in the hospital medical emergency department in France : how much and which health need judge it reflect ? J.Epidemiol Communality Health 1996,50(4):456-462. 4 Ce projet doit se poursuivre par la phase quantitative sous forme de questionnaire (élaboré sur la base des entretiens) auprès d’un échantillon de consultants (3000) des 23 SU. 5