SciencesHumaines.com Le Cercle Psy Editions Sciences Humaines Changer le travail Rechercher Accueil Psychologie Sociologie­Anthropologie Éducation Philosophie Histoire­Géographie Bonjour, THIERRY CURTY ( Se déconnecter ) OK Newsletter Gratuite Politiques­Économie >> Mon compte Communication­Organisations JE M'ABONNE | LA BOUTIQUE | Mon panier | Newsletter | Dossiers web | Agenda | Ressources Lycée & Prépa | Formation Accueil > La mondialisation en questions > La mondialisation en questions La tentation du repli Christophe Bouillaud (Profil auteur) Publié le 02/02/2017 Partager Tweeter Article issu du numéro >> Consulter le sommaire Mensuel N° 290 ­ mars 2017 0 commentaire « Brexit » en Grande­Bretagne, élection de Donald Trump à la présidence des États­ Unis… : l’année 2016 aura­t­elle marqué un grand tournant de la mondialisation, comme le fut l’année 1929 ? Le récit d’un avenir libéral et démocratique du monde, formulé au sortir de la « guerre froide » (1947­1991), semble rencontrer un obstacle politique inattendu : avec le Brexit en Grande­ Bretagne et l’élection de Donald Trump à la Maison­Blanche, nous assistons à la révolte électorale d’une bonne part des classes moyennes et populaires. La « mondialisation » des échanges, ouverte dans les années 1970­1980, va­t­elle s’achever dans un choc en retour nationaliste et protectionniste ? Pour répondre à cette question, il est tentant d’en référer à l’histoire. En effet, les similitudes sont frappantes entre les événements des dernières Je commande décennies, et les deux crises majeures du le magazine ­ 5€50 capitalisme mondial : la « Grande Dépression » (1873­1896) et la « crise de 1929 » (1929­1939). Je télécharge Ces grandes crises économiques ont favorisé le le magazine (PDF) ­ 5 € retour au protectionnisme d’une part, la montée idéologique puis électorale des nationalismes d’autre part. Les tentatives de refermer les nations sur elles­mêmes en faisant la chasse aux étrangers et aux importations semblent se répéter à chaque crise. La mondialisation en questions ­ 5€50 Vague néonationaliste De même, l’année 2016 semble marquée par l’irruption subite d’un mécontentement populaire contre la mondialisation et son versant européen, l’Union européenne. En réalité, comme le font remarquer des spécialistes du sujet, comme Cas Mudde (1) ou Hanspeter Kriesi (2), ce mouvement de rejet est moins soudain qu’il y paraît. Il y a plus d’un quart de siècle que se développe à la droite de l’échiquier politique des pays occidentaux une droite radicale, nationaliste, xénophobe, autoritaire. Les partis et courants d’idées qui profitent aujourd’hui à plein de leur critique de la mondialisation économique ou culturelle le font depuis des décennies. Ils bénéficient aussi de l’épuisement des formes traditionnelles d’encadrement politique et social des classes populaires occidentales : la religion (3) et le syndicalisme. Il ne faut pas en conséquence les confondre avec l’homme ou la femme politique qui utilise ces idées pour gagner une élection ou accéder au pouvoir : une Theresa May ou un Viktor Orban n’ont pas plus inventé le nationalisme britannique ou hongrois que jadis Mussolini le nationalisme italien. La progression de ces forces néonationalistes met en cause un aspect fondamental de la mondialisation : la libre circulation des personnes. Dès le milieu des années 1960, c’est un conservateur britannique, Enoch Powell, qui met à l’agenda le refus de l’immigration. Grands Dossiers n°46 (mars­ avril­mai 2017) Mensuel n°291 (avril 2017) Dans un discours célèbre, il prédit des « fleuves de sang » si le Royaume­Uni continue à accueillir les ressortissants de son ancien Empire. La victoire des « Brexiteers », largement acquise sur le terrain du refus de l’immigration de travail des autres Européens, n’est que la mise au goût du jour de ce discours fondamental de l’extrême droite depuis la fin du 19e siècle. Par ailleurs, la plupart des partis d’extrême droite se rejoignent désormais sur l’idée qu’il faut protéger l’économie nationale, alors qu’ils ont naguère beaucoup varié dans leurs choix économiques (le Front national des années 1980 était ainsi libéral et proeuropéen par anticommunisme et antiétatisme). Il s’agit à la fois de promouvoir le protectionnisme, de diminuer le poids des capitalistes étrangers dans l’économie nationale et d’affirmer que la défense des emplois des nationaux doit être la priorité de l’État. Les premières actions de Donald Trump comme président élu faisant pression pour que les firmes automobiles américaines ne délocalisent plus leurs sites de production en dehors des États­Unis sont symboliques de ce point de vue. Anti contre alter Parallèlement à ce discours droitier, on a aussi vu se développer une critique de gauche de la mondialisation dès la fin des années 1990. Le mouvement altermondialiste s’est illustré par des réunions mondiales ou européennes cherchant à définir un nouvel agenda pour la planète. Il tenta d’empêcher la tenue des réunions internationales visant à approfondir la libéralisation des échanges (comme à Seattle en 2001 lors d’une réunion de l’Organisation mondiale du commerce). Il s’est ensuite développé au niveau local ou national avec les divers mouvements des Indignés et autres Occupy Wall Street de 2011­ 2012, sans oublier les nombreuses manifestations partout où, depuis 2007­2008, l’austérité a été imposée aux populations pour contrer la crise économique. Cependant, en dehors de l’Espagne, de la Grèce ou de l’Islande (4), cette critique de gauche n’a débouché sur aucun succès électoral. Au contraire, une recherche de trois économistes allemands (5) confirme un biais « droitier » de la protestation électorale. Lors de chaque crise financière depuis 1870, le discours nationaliste qui lie la menace des étrangers de l’extérieur – puissances financières plus ou moins occultes – et celle des étrangers de l’intérieur – l’immigré du coin de la rue – semble séduire une partie de la classe moyenne épargnante. Déstabilisée par la crise économique, elle est plus sensible au discours de ceux qui accusent des déviants, si possibles étrangers, dénaturant l’ordre capitaliste. Cette situation n’est peut­être que temporaire. Selon ces mêmes trois économistes, ce biais droitier s’atténuerait au bout de cinq années. Une vie politique plus équilibrée reprendrait alors son cours. La fragmentation électorale accrue et la difficulté à former des majorités de gouvernement stables diminueraient aussi au fil du temps : il faut en quelque sorte que le système politique absorbe le choc de la crise financière. Cette idée est certes rassurante. Elle suppose cependant que les forces politiques modérées sachent ramener la situation à la normale, qu’elles concilient ouverture internationale, développement de l’économie et protection des populations. Force est de constater qu’en ce qui concerne la présente crise, les partis de gouvernement ont encore un immense travail à mener. Nous sommes en effet à mille lieues du précédent compromis sociopolitique que constitua le « capitalisme encastré (6) » des Trente Glorieuses (1945­1975), où la libéralisation progressive des échanges et la croissance économique s’harmonisèrent avec le développement des États providence. Est­il encore temps de trouver un tel compromis au sein du monde actuel, ou devra­t­on en passer par des événements encore inimaginables à ce jour comme le furent les deux guerres mondiales pour les contemporains ? L’histoire reste à ce jour complètement ouverte. Christophe Bouillaud Professeur agrégé de science politique à l’IEP­Grenoble. Mots­clés : mondialisation populisme nationalisme contestation science politique xénophobie Bouillaud NOTES 1. Voir Cas Mudde, « Europe’s populist surge. A Long time in the making », Foreign Affairs, novembre­décembre 2016. 2. Hanspeter Kriesi, « Les populistes ne veulent pas que leur société change », entretien avec Yann Mens, Alternatives économiques, hors­série n° 110, janvier 2017. 224 pages 12,7 € 12,70 €