Léopold Ier (1640-1705), fondateur de la puissance autrichienne
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Jean Bérenger
Léopold Ier (1640-1705),
fondateur de la puissance
autrichienne
- Service de presse - Histoire - Histoire moderne -
Publication date: jeudi 10 juin 2004
Description:
Première biographie en français de Léopold le Grand, principal rival de Louis XIV en Europe.
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Léopold Ier (1640-1705), fondateur de la puissance autrichienne
Stéphane Haffemayer, maître de conférences en histoire moderne à l'Université de Caen, membre
de l'UMR 6583 du CNRS. Auteur de « L'information dans la France du XVIIe siècle. La Gazette
de Renaudot de 1647 à 1663 », Champion, 2002.
Avec cet ouvrage consacré à l'un des principaux rivaux de Louis XIV, Jean Bérenger, professeur émérite à la Sorbonne,
spécialiste de l'histoire moderne de l'Europe centrale, comble un étonnant vide historiographique : peu d'ouvrages lui ont été
consacrés et en 1981 encore, un biographe, John Spielman, estimait que ce dernier n'était pas né pour le pouvoir. Au contraire,
Jean Bérenger s'emploie à établir que sous son long règne (1658-1705), la monarchie autrichienne prend place parmi les
principales puissances européennes, loin de sombrer dans la décadence ainsi que le laissaient entendre les contemporains après
les traités de Westphalie, puissamment relayés jusqu'à une période récente par les historiens du XIXe siècle.
Animé d'une sympathie avouée pour son personnage, Jean Bérenger met en oeuvre son excellente connaissance des rouages de
l'administration autrichienne et illustre ce qui est plus qu'une simple biographie en puisant dans la masse considérable de traces
écrites laissées par l'empereur pour montrer l'ampleur de son activité au service de la puissance autrichienne.
Il faut avouer que le règne est d'autant plus digne d'intérêt que l'empereur ne s'appuyait pas, comme son rival Louis XIV sur un
Etat national et centralisé, qu'il héritait, en 1657, d'une situation difficile et qu'il laissa, à sa mort, une monarchie autrichienne
revigorée, conquérante, victorieuse dans la reconquête de la plaine danubienne contre les Turcs.
L'ouvrage est divisé en 14 chapitres qui abordent tour à tour les territoires, la personnalité de l'empereur, ses principes de
gouvernement, les principaux ministères et les conflits internationaux.
Dès le début de l'ouvrage, l'auteur met en évidence le contraste entre le prestige intact d'une dignité impériale héritée de Rome et
la diversité d'un empire « multi-ethnique, multi-confessionnel, décentralisé et soumis au pouvoir des noblesses locales ».
Cependant, contre la vision anachronique d'une association d'Etats souverains, il rappelle qu'il s'agit bien d'une « structure
hiérarchisée, régie par le droit féodal ». Effectivement, contrairement à une idée désormais de moins en moins admise, les traités
de Westphalie ont consolidé la Constitution du Saint-Empire : avec le développement de la Diète, devenue perpétuelle en 1663,
est apparu un système original de « monarchie mixte » aux pouvoirs disputés entre l'empereur et les Etats de l'Empire (le fameux
« monstre » de Samuel Pufendorf). Pourtant, Léopold, remarquable polyglotte, n'a pas cherché à réformer profondément cette
polysynodie héritée de Ferdinand Ier, parfaitement adaptée aux structures sociales d'Europe centrale, associant « l'aristocratie et
le haut clergé, tout en donnant leur chance à quelques hommes nouveaux ».
Le seul rêve d'unification de Léopold fut de rétablir le catholicisme dans l'Empire, comme l'avaient tenté ses prédécesseurs de la
branche styrienne. L'auteur dresse un tableau complet de l'administration impériale et des Habsbourg depuis le début du siècle, et
rappelle la vigueur de cette tradition familiale d'un catholicisme de combat responsable du déclenchement puis de
l'internationalisation de la Guerre de Trente ans. Son grand-père Ferdinand II (1619-1637), dont la conception du pouvoir
s'inspirait de Juste Lipse, n'avait-il pas fait voeu de « régner sur un désert plutôt que sur des hérétiques » ? On connaît les travaux
plus nuancés de Günther Franz (1940) sur ce cataclysme démographique.
Pourtant, cette paix de Westphalie, obtenue dans des conditions désastreuses serait, d'après Jean Bérenger, un « succès relatif »,
grâce au remarquable travail de Trautmannsdorf. Léopold n'a d'ailleurs pas cherché à rompre ses engagements, préservant ainsi
une assez bonne entente avec les princes allemands.
Evoquant sa jeunesse et sa personnalité, Jean Bérenger dresse le portrait atypique d'un souverain de l'époque baroque. Le jeune
archiduc, qui ne fut précipité vers le pouvoir qu'après le décès inattendu de son frère aîné Ferdinand IV en 1654, a développé une
culture érudite ainsi qu'un réel talent de compositeur de musique « à laquelle il consacra beaucoup de temps et d'argent ». A
l'inverse de Louis XIV, Léopold était chaste, n'aimait pas le changement, détestait le luxe, et affectait une simplicité, très
éloignée du cérémonial de Versailles ou de Madrid, qui surprenait toujours les étrangers. Sa piété exemplaire et sincère le menait
même chaque année à passer une journée entière dans l'un des couvents de Vienne. En revanche, son manque de confiance en lui
était un sérieux handicap et le laissait souvent sous l'influence de son entourage religieux.
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Léopold Ier (1640-1705), fondateur de la puissance autrichienne
Trois chapitres sont ensuite consacrés aux principes politiques de Léopold dans le domaine de la politique intérieure, de la
culture et de l'économie.
Comme ses prédécesseurs, Léopold mène une politique continue de « recatholicisation » dans les terres reprises sur les
protestants ou les Turcs ; la description édifiante de la désolation du catholicisme en Hongrie montre l'ampleur du relèvement à
accomplir ; mais le projet d'unification religieuse de Léopold a tendu jusqu'à la rupture ses relations avec les Hongrois. Jean
Bérenger réunit ici en bouquet les différents articles qu'il a déjà publiés dans la Revue d'histoire diplomatique sur les Malcontents
et le soutien intéressé que leur porta Louis XIV. Il montre là un échec important de l'empereur, dont la politique répressive
n'aboutit qu'à des conversions de circonstance et au développement d'un profond mouvement de résistance : Léopold dut
admettre que « la Hongrie ne serait jamais une seconde Bohême » ; pour l'auteur, l'échec final de l'unification religieuse et la
confirmation de la division politique furent incontestablement l'échec majeur du règne.
L'étude du fonctionnement d'une cour, cosmopolite par tradition, montre la primauté des fonctions auliques sur les alliances
claniques, l'importance de l'itinérance, mais aussi la difficulté pour l'empereur d'en faire un instrument de gouvernement efficace
; d'une part, reprenant les conclusions de son étude de 1975 sur Finances et absolutisme autrichien..., l'auteur met en évidence un
souci d'économie en rapport avec la modestie des ressources, d'autre part, le conseil privé institué par Ferdinand Ier en 1527 est
surpeuplé : à partir de 1665, Léopold décide de se passer de premier ministre et de s'appuyer sur une conférence secrète de 12
conseillers, sorte de junte dans la tradition hispano-bourguignone. Composée de plusieurs partis, la cour étale ses divisions dans
les moments difficiles, comme au début des années 1680 : un parti allemand inquiet de la puissance française et partisan d'un
accord de paix avec Louis XIV, un parti espagnol déterminé à la guerre contre les Français, sans compter un éphémère parti
français entre 1665 et 1672.
Sur le plan culturel, la cour rayonne sur toute l'Europe centrale, notamment par la musique, le théâtre, et l'opéra, cette nouvelle
sensation de l'époque : Il Pomo d'Oro d'Antonio Cesti en 1666 marque l'entrée de Vienne dans le cercle des capitales de l'opéra.
Revenant sur cette passion coûteuse de l'empereur pour la musique et ses compétences remarquables de compositeur, l'auteur
considère que le théâtre et les opéras étaient alors les meilleurs instruments de la glorification impériale.
En revanche, l'étude de la reconstruction économique offre quelques surprises, comme cet espoir d'union douanière de la part des
Caméralistes, ces conseillers allemands qui ont entraîné Léopold dans la voie du développement industriel et du grand
commerce, sur le modèle du colbertisme. En modérant la pression fiscale et en encourageant les innovations, Léopold a favorisé
une relance de l'économie, achevée dans les Pays héréditaires dès les années 1680.
En bon connaisseur des rapports de force dans les relations internationales et des conditions intérieures, Jean Bérenger montre
dans les derniers chapitres à quel point le chemin parcouru par Léopold fut difficile. Au début de son règne, il n'était guère
préparé à assumer une telle fonction : une élection en butte à la diplomatie allemande de Mazarin, un pouvoir confié à son ancien
gouverneur, Portia (1657-1665), devenu Premier ministre et la déception d'un mariage espagnol accordé à la France en 1659 (la
primauté des liens familiaux lui fit attendre jusqu'en 1666 un mariage avec l'infante).
Il faut attendre le ministère Lobkowitz (1665-1679) pour que l'empereur témoigne de sa volonté de suivre l'exemple de son
cousin Louis XIV en ne prenant pas de premier ministre. S'appuyant sur les archives diplomatiques, Jean Bérenger nous fait
entrer dans ce jeu tout en en coulisses où se joue déjà la grande affaire de la seconde moitié du XVIIe siècle : la succession
espagnole, un temps réglée par le traité secret de Grémonville en 1668. Mais Charles II survécut jusqu'en 1700 et les agressions
répétées de Louis XIV ne cessent de dégrader les relations entre la France et l'Empire. Mais sur le long terme, elles confortent
l'image d'un empereur déterminé à protéger les droits de ses vassaux allemands.
Un élément essentiel de la puissance autrichienne fut le développement de l'armée impériale. Jean Bérenger livre à ce sujet
quelques développements qui raviront les passionnés d'histoire militaire. Permanente depuis la guerre de Trente ans et placée
sous l'autorité directe de l'empereur, celle-ci comptait plus de 100 000 hommes. Mais ce dernier était suffisamment sage pour en
laisser la conduite à de remarquables généraux comme Montecuccoli, Charles de Lorraine ou Eugène de Savoie.
C'est au reste cet outil qui lui permit d'accepter en 1688 la guerre sur deux fronts, sur le Rhin contre la France, sur le Danube
contre les Turcs. Les derniers chapitres témoignent de ce retournement spectaculaire de la situation, lorsque les traités de
Ryswick en 1697 et de Karlowitz en 1699 placent la monarchie autrichienne au rang des grandes puissances. L'auteur insiste sur
la qualité des collaborateurs, l'ampleur du relèvement économique, et le rôle des banquiers comme Samuel Oppenheimer, l'un
des meilleurs soutiens de la politique impériale.
Seules ombres au tableau, évoquées dans les deux derniers chapitres : la coûteuse guerre de Succession d'Espagne et la montée
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Léopold Ier (1640-1705), fondateur de la puissance autrichienne
d'une vigoureuse opposition à l'empereur dans les dernières années de sa vie. D'un côté, le traité de Rastatt de 1714 sanctionnait
une sévère défaite pour la politique patrimoniale de Léopold, de l'autre, il entraînait une réorientation méditerranéenne de la
géopolitique autrichienne. Surtout, l'attachement de Léopold à un entourage médiocre provoqua l'impatience de la « jeune cour »
autour de l'archiduc Joseph, roi des Romains depuis 1689 et l'arrivée aux affaires du remarquable Prince Eugène de Savoie.
Au final, même si l'ouvrage n'apporte guère d'éléments nouveaux sur l'histoire des relations internationales, il a le mérite de
réunir les principaux travaux de l'auteur en un seul volume et de réhabiliter la figure d'un empereur qui mériterait le qualificatif
de Léopold le Grand. Fondé sur des sources de première main, il offre un éclairage tout à fait remarquable sur la réalité du
pouvoir d'une monarchie autrichienne en plein redressement mais très éloignée du modèle absolutiste français. On ne regrettera
que l'imperfection formelle de l'ouvrage, qui contient quelques répétitions dues au « collage » de différents textes et le manque
d'illustrations : deux cartes seulement et pas même une généalogie de la famille impériale.
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