Léopold Ier (1640-1705), fondateur de la puissance autrichienne
Trois chapitres sont ensuite consacrés aux principes politiques de Léopold dans le domaine de la politique intérieure, de la
culture et de l'économie.
Comme ses prédécesseurs, Léopold mène une politique continue de « recatholicisation » dans les terres reprises sur les
protestants ou les Turcs ; la description édifiante de la désolation du catholicisme en Hongrie montre l'ampleur du relèvement à
accomplir ; mais le projet d'unification religieuse de Léopold a tendu jusqu'à la rupture ses relations avec les Hongrois. Jean
Bérenger réunit ici en bouquet les différents articles qu'il a déjà publiés dans la Revue d'histoire diplomatique sur les Malcontents
et le soutien intéressé que leur porta Louis XIV. Il montre là un échec important de l'empereur, dont la politique répressive
n'aboutit qu'à des conversions de circonstance et au développement d'un profond mouvement de résistance : Léopold dut
admettre que « la Hongrie ne serait jamais une seconde Bohême » ; pour l'auteur, l'échec final de l'unification religieuse et la
confirmation de la division politique furent incontestablement l'échec majeur du règne.
L'étude du fonctionnement d'une cour, cosmopolite par tradition, montre la primauté des fonctions auliques sur les alliances
claniques, l'importance de l'itinérance, mais aussi la difficulté pour l'empereur d'en faire un instrument de gouvernement efficace
; d'une part, reprenant les conclusions de son étude de 1975 sur Finances et absolutisme autrichien..., l'auteur met en évidence un
souci d'économie en rapport avec la modestie des ressources, d'autre part, le conseil privé institué par Ferdinand Ier en 1527 est
surpeuplé : à partir de 1665, Léopold décide de se passer de premier ministre et de s'appuyer sur une conférence secrète de 12
conseillers, sorte de junte dans la tradition hispano-bourguignone. Composée de plusieurs partis, la cour étale ses divisions dans
les moments difficiles, comme au début des années 1680 : un parti allemand inquiet de la puissance française et partisan d'un
accord de paix avec Louis XIV, un parti espagnol déterminé à la guerre contre les Français, sans compter un éphémère parti
français entre 1665 et 1672.
Sur le plan culturel, la cour rayonne sur toute l'Europe centrale, notamment par la musique, le théâtre, et l'opéra, cette nouvelle
sensation de l'époque : Il Pomo d'Oro d'Antonio Cesti en 1666 marque l'entrée de Vienne dans le cercle des capitales de l'opéra.
Revenant sur cette passion coûteuse de l'empereur pour la musique et ses compétences remarquables de compositeur, l'auteur
considère que le théâtre et les opéras étaient alors les meilleurs instruments de la glorification impériale.
En revanche, l'étude de la reconstruction économique offre quelques surprises, comme cet espoir d'union douanière de la part des
Caméralistes, ces conseillers allemands qui ont entraîné Léopold dans la voie du développement industriel et du grand
commerce, sur le modèle du colbertisme. En modérant la pression fiscale et en encourageant les innovations, Léopold a favorisé
une relance de l'économie, achevée dans les Pays héréditaires dès les années 1680.
En bon connaisseur des rapports de force dans les relations internationales et des conditions intérieures, Jean Bérenger montre
dans les derniers chapitres à quel point le chemin parcouru par Léopold fut difficile. Au début de son règne, il n'était guère
préparé à assumer une telle fonction : une élection en butte à la diplomatie allemande de Mazarin, un pouvoir confié à son ancien
gouverneur, Portia (1657-1665), devenu Premier ministre et la déception d'un mariage espagnol accordé à la France en 1659 (la
primauté des liens familiaux lui fit attendre jusqu'en 1666 un mariage avec l'infante).
Il faut attendre le ministère Lobkowitz (1665-1679) pour que l'empereur témoigne de sa volonté de suivre l'exemple de son
cousin Louis XIV en ne prenant pas de premier ministre. S'appuyant sur les archives diplomatiques, Jean Bérenger nous fait
entrer dans ce jeu tout en en coulisses où se joue déjà la grande affaire de la seconde moitié du XVIIe siècle : la succession
espagnole, un temps réglée par le traité secret de Grémonville en 1668. Mais Charles II survécut jusqu'en 1700 et les agressions
répétées de Louis XIV ne cessent de dégrader les relations entre la France et l'Empire. Mais sur le long terme, elles confortent
l'image d'un empereur déterminé à protéger les droits de ses vassaux allemands.
Un élément essentiel de la puissance autrichienne fut le développement de l'armée impériale. Jean Bérenger livre à ce sujet
quelques développements qui raviront les passionnés d'histoire militaire. Permanente depuis la guerre de Trente ans et placée
sous l'autorité directe de l'empereur, celle-ci comptait plus de 100 000 hommes. Mais ce dernier était suffisamment sage pour en
laisser la conduite à de remarquables généraux comme Montecuccoli, Charles de Lorraine ou Eugène de Savoie.
C'est au reste cet outil qui lui permit d'accepter en 1688 la guerre sur deux fronts, sur le Rhin contre la France, sur le Danube
contre les Turcs. Les derniers chapitres témoignent de ce retournement spectaculaire de la situation, lorsque les traités de
Ryswick en 1697 et de Karlowitz en 1699 placent la monarchie autrichienne au rang des grandes puissances. L'auteur insiste sur
la qualité des collaborateurs, l'ampleur du relèvement économique, et le rôle des banquiers comme Samuel Oppenheimer, l'un
des meilleurs soutiens de la politique impériale.
Seules ombres au tableau, évoquées dans les deux derniers chapitres : la coûteuse guerre de Succession d'Espagne et la montée
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