CRÉATIO MRS 207
EREVOR,
UN SPECTALE
CRÉATIO MRS 207
EREVOR,
UN SPECTALE
MISE EN SCÈNE : JEAN-BENOÎT MOLLET
DRAMATURGIE : DELPHINE LANSON
DÉCOR : GOURY
CRÉATION SONORE : THOMAS TURINE
CRÉATION LUMIÈRE : ROMAIN DE LAGARDE
AVEC JÖRG MÜLLER, SARAH COSSET, CHIHARU
MAMIYA, FABRICE SCOTT, LAURENT PARETI,
DELPHINE LANSON
CONSTRUCTION, RÉGIE ET JEUX:
OLIVIER GAUDUCHEAU
« J’AI TOUJOURS EU
L’IMPRESSION QUE
C’ÉTAIT UNE ÉNIGME
MON CORPS. MAIS
C’EST PAS GRAVE. »
LAURENT
INTRODUCTION
Cela fait maintenant plus de 10 ans que Delphine
Lanson et Jean-Benoît Mollet creusent l’idée que
l’on puisse entrer à l’intérieur de soi et y découvrir
un espace nouveau dans lequel vivent les « êtres »
qui nous composent. Dans ce sillon ouvert comme
une boîte de Pandore, se révèle la figuration d’une
intériorité : un univers fantastique et acrobatique
évoquant les fonctionnements physiologiques,
symboliques et existentiels d’un être humain.
Aujourd’hui, le projet Entrevoir, se compose de
2 volets : une pièce de cirque contemporain, mise
en scène par Jean-Benoît Mollet, et un film long
métrage de fiction en 3D, réalisé par Delphine
Lanson. Dans ce dossier, nous parlons du spectacle.
L’HISTOIRE EN
PEU DEMOTS
Sur le plateau du théâtre, un groupe d’artistes
témoigne de l’histoire de leurs corps. Ils sont
artistes de cirque, danseurs ou comédiens. En
utilisant ce qui leur tombe sous la main dans
ce théâtre nu, ils racontent et nous montrent la
façon dont leurs corps ont évolué au cours de
leurs vies et de leurs parcours professionnels. Au
gré de ces témoignages factuels puis subjectifs,
les personnalités de ces artistes se révèlent, des
relations s’esquissent et l’espace se transforme.
Une femme dans le public réagit fortement.
Elle est invitée à venir sur scène et à se raconter.
Elle est aveugle. Elle explique que, depuis
qu’elle est enfant, elle voit son corps comme une
maison habitée. Elle raconte sa mémoire.
Peu à peu, les acteurs jouent cette mémoire. Le
théâtre devient la maison-corps de cette femme.
Les personnalités s’exacerbent, les relations
se théâtralisent, les éléments qui constituent
le théâtre deviennent des agrès de cirque et la
scène se révèle être l’espace fantasmagorique du
voyage de cette femme à l’intérieur d’elle même.
individu, c’est embrasser l’idée que l’homme
possède une faculté intime à la transformation
et, malgré ses fondations solides, sa construction
est permanente. Nous sommes des êtres en
devenir.
Concrètement, nous jouons avec un théâtre et
c’est d’abord avec les éléments constitutifs de
celui-ci que nous élaborons le décor et la forme
des personnages.
Note sur la cécité
Pour l’avoir vécu, nous savons que l’expérience
d’être plongé totalement dans l’obscurité est
révélatrice de la subjectivité de notre « regard ».
Ainsi, à travers le handicap qu’est la cécité,
nous percevons l’extraordinaire déploiement
compensatoire des autres sens et la façon dont
nous utilisons nos cinq sens interroge notre
perception du monde.
Le fait que le personnage principal soit aveugle
n’est pas triste ou pathétique. Bien qu’elle puisse
susciter de la compassion quand elle débute son
témoignage, très vite on comprend qu’elle est une
comédienne, que tout cela est un jeu. Aveugle, le
personnage n’est pas témoin de ce qui lui arrive
(comme l’est le public), il est au centre de son
expérience et son aventure est immersive.
« QUAND JE SUIS ARRIVÉ EN
FRANCE, J’AI REMARQUÉ QUE MON
CORPS ÉTAIT ALLEMAND. JE NE LE
SAVAIS PAS AVANT. »
JORG
NOTE D’INTENTION
Le corps au centre
Dès les premiers jours de répétitions, l’attention
est portée sur les corps intrinsèquement
chargés d’histoires de chacun des interprètes.
On demande à chaque artiste de se raconter
à travers son corps : la mémoire de celui-ci, le
regard sur soi, l’idéal d’un corps, le désir de le
modeler, etc. Les histoires qui émergent sont
belles, directes et sensibles. Elles contiennent
une dimension universelle, propice à l’empathie
du public, puisque chaque individu possède un
corps, dont il peut parfois se sentir prisonnier.
Chaque cicatrice répond à un souvenir. Les corps
sont pleins d’histoires qui remontent à l’enfance
et nous rappellent l’éducation, le rapport à la
douleur, la transformation dans le travail, la
puissance de l’hérédité, les plaisirs charnels,
l’image sociale, la vieillesse et l’usure.
De la façon dont on vient au monde jusqu’à
notre perception du déclin qui s’annonce le corps
représente l’Identité.
À travers chacune de nos marques physiques
se dévoile un aspect de notre existentialité car
chacun de ces détails est l’expression de notre
être. Nos peurs, par exemple, qu’on croirait
cachées au fond de l’inconscient sculptent
subrepticement des postures difficiles à
maîtriser. La maîtrise de ce corps fait pourtant
intrinsèquement partie de notre travail à nous
artistes de cirque, danseurs ou comédiens. Nous
partons de nos réalités physiques personnelles,
de nos corps tels qu’ils sont, pour les transformer
peu à peu, créer à vue des personnages et tendre
vers la fiction. Alors les corps deviennent des
métaphores, des objets, des lieux d’invention et
des entités en devenir.
Le corps est une maison
« Nous avons à découvrir un bâtiment et à
l’expliquer : son étage supérieur a été construit
au XIXe siècle, le rez-de-chaussée date du XVIe
et l’examen plus minutieux de la construction
montre qu’elle a été faite sur une tour du IIe
siècle. Dans la cave nous trouvons des fondations
romaines, et sous la cave se trouve une grotte
comblée sur le sol de laquelle on découvre dans
la couche supérieure des outils de silex, et, dans
les couches plus profondes, des restes de faunes
glaciaires. Tel serait à peu près la structure de
notre âme. » C.G. Jung
C’est le postulat de notre travail de création :
à chaque individu, nous associons un espace « en
construction » à l’instar d’un être humain qui n’a
de cesse de grandir.
À cet égard, la métaphore de la maison pour
figurer le corps, avec son unité, ses façades, ses
fondations, ses nombreux espaces, ses recoins
secrets, ses développements et, bien sûr, ses
habitants plus ou moins reclus, est un objet
poétique de recherche.
On y trouve tout un tas de symboles qui
racontent un être « vu de l’intérieur ». L’image est
simple et nous nous rendons compte, notamment
à travers les ateliers de jeu que nous avons mené
ces dernières années, combien la métaphore
est féconde pour le public quand nous posons la
question : « Si ton corps était une maison, à quoi
ressemblerait-elle ? ». Dans la réponse, chacun
perçoit un intérieur imaginaire truffé d’indications
propres à sa perception du monde, à son histoire
et même à sa préhistoire.
« Examinée dans les horizons théoriques les
plus divers, il semble que l’image de la maison
devienne la topographie de notre être intime ».
Dans La poétique de l’espace, Gaston Bachelard
désigne ainsi une topoanalyse qui serait l’étude
de l’individu en fonction des lieux qui l’habitent,
qu’il habite. Du grenier où trottent les rats jusqu’à
la cave rampent les serpents, notre maison/
corps regorge de détails qui nous dessinent.
Notre travail s’appuie sur ce jeu de psychologie
des profondeurs. Le but est de peindre le portrait
vivant d’un individu qui est une maison peuplée
par une société d’hommes et de femmes et dans
laquelle se trouve… un théâtre.
« Qui n’a pas au fond de son cœur
Un sombre château d’Elseneur ?
À l’instar des gens du passé
On construit en soi-même pierre
Par pierre un grand château hanté. »
Vincent Monteiro
Le théâtre est dans la maison
Nous situons un théâtre à l’intérieur de la
« maison personnelle » de notre personnage
principal, la femme aveugle. Ce théâtre est aussi
celui dans lequel le public est venu et dont il
fait partie. Partie assise mais partie vivante, le
public comprendra qu’il est une fraction du corps
de notre personnage. Nous créons ici un jeu de
mise en abyme qui consiste à entendre dans un
premier temps que tout un chacun est habité puis
que nous sommes également des habitants d’un
corps qui est beaucoup plus grand que nous
Le théâtre est un espace de l’invention. Le
situer au centre de l’identité métaphorique d’un
de décors de théâtre vernaculaire, un espace de
théâtre qui se crée avec le théâtre.
L’histoire est une question de point de vue,
reste à nous de la raconter. Bien sûr, pour que
ce soit spectaculaire, il faudra tricher et le
théâtre sera un faux qui sera renforcé, doublé,
prédécoupé, plein d’astuces propices à un jeu
de transformation permanente et sur lequel on
puisse évoluer. Le décor est un agrès.
Dans la deuxième partie de la pièce, l’espace
devient l’intérieur du corps. Il est fantastique et
l’on est dans un espace en trois dimensions, très
aérien, devant exprimer la dimension organique
et les liens avec les autres parties du corps (en
l’air, à droite, à gauche et sous le sol). Pour ce
faire et toujours dans l’idée d’un détournement
du théâtre, nous inventons des agrès induits par
celui-ci. Ainsi, nous créons :
un mobile géant confectionné avec
plusieurs échelles sur lequel nous évoluons
un pendrillon armé qui nous permet
de monter dans les cintres du théâtre en
quelques secondes puis d’en descendre
comme sur un toboggan
des projecteurs suspendus (mais qui
fonctionnent) sur lesquels nous pouvons nous
accrocher
des projecteurs allégés qui permettent un
jeu de passing (jonglage à plusieurs)
des câbles électriques renforcés qui nous
permettent des jeux de cordes volantes
des perches mises à la verticale qui
deviennent des mâts chinois…
« MES PIEDS EN CANARD ET PUIS
CETTE OUVERTURE PARTICULIÈRE
QUI FONT QU’ON CROIT TOUJOURS
QUE J’AI FAIT DE LA DANSE
CLASSIQUE. EN FAIT, PAS DU TOUT. »
JEAN-BENOÎT
DU DOCUMENTAIRE
ÀLA FICTION
Le projet de cette création est d’étirer une réalité
jusqu’à son paroxysme fantasmagorique.
La réalité. Nous partons de ce qu’il y a de plus
évident, ce qu’il y a sous nos yeux. Quand le public
entre dans la salle, il voit un théâtre sans décor
et sur la scène un groupe de gens qui sont des
artistes. Ils se présentent avec ce qui semblerait
être leur réalité primordiale : leurs corps.
Le paroxysme fantasmagorique. Le théâtre
est devenu l’intérieur d’un corps humain et les
artistes font partie de ce corps. Ils sont une
partie de la société qui anime ce corps et les
personnages qu’ils jouent sont construits sur la
base des témoignages qu’ils ont donnés au début
de la pièce.
Transformation du genre
La pièce commence donc par les témoignages
des interprètes sur les histoires de leurs corps.
Dans une adresse très directe au public, chacun
réagit en fonction du témoignage de l’autre
car cela lui rappelle à lui aussi quelque chose.
Ces témoignages sont sincères, touchants ou
drôles. Au départ, très factuels, les témoignages
suggèrent des interprétations subjectives, des
réactions chez les autres et deviennent des
prétextes à jouer des situations. Une distanciation
se crée.
Le moment de l’arrivée du personnage aveugle
est le point de bascule de la pièce. Nous jouons
le réalisme de sa présence et le public croit
qu’elle fait assurément partie du public. Alors les
artistes se mettent à interpréter les éléments de
son témoignage. Puis, ils la devancent, l’incluent,
l’immergent. Le public comprend qu’elle est
une baronne. La fiction est devenue totale, la
deuxième partie de la pièce commence.
Transformation des personnages
Dans la première partie, chacun des artistes se
présente tel qu’il est, sous son propre nom. Les
témoignages qu’ils font sont principalement
inspirés de leurs véritables parcours
professionnels et privés. Ainsi, on découvre des
artistes matures, pleins d’expériences diverses à
partir de certains détails de leur corps. C’est très
intime souvent et le public doit avoir le sentiment
de « faire connaissance ».
Pour la deuxième partie de la pièce, le travail
de création et d’improvisation consiste à élaborer
des personnages à partir des témoignages de
la première partie et tous les éléments réels
racontés par les artistes sont poussés à leur
paroxysme. Les personnages ne se transforment
pas en autres, ils se transforment en eux-mêmes,
c’est de la métamorphose. Un handicap devient
un super pouvoir, un complexe détermine une
place dans la hiérarchie sociale et le souvenir
douloureux d’une séance chez le dentiste donne
naissance à un petit monstre aux dents pointues.
Cette exacerbation des réalités chez chacun est
la base de l’univers inventé. La continuité des
caractères de chacun dans la trajectoire de la
pièce est le ciment qui lie les deux parties entre
elles.
Transformation du bruit
À l’occasion du travail sur le son que nous avons
fait sur le film Un matin d’Alouha, nous avons eu le
plaisir de travailler avec un bruiteur de cinéma. En
le regardant faire, dans la salle d’enregistrement
face au grand écran passait notre film en
silence, nous avons eu un joli choc. Outre la force
narrative quun son peut conférer à une image, on
a perçu toute la dimension chorégraphique du
geste de bruiter. Le bruiteur, avec à la main ses
quelques objets hétéroclites qui produisaient les
sons, entouré de ses nombreux micros, dansait.
Il y a deux choses que nous souhaitons mettre
en scène dans cette création : la sonorisation
des bruits qui peu à peu vont participer à la
déformation du réel et la représentation en live
de la création de ces sons par les interprètes.
Ainsi, en fouillant dans le théâtre à la recherche
d’accessoires pour illustrer son témoignage, lun
des artistes trouve un ensemble de microphones.
Il les branche et commence à produire des sons
(repris par le musicien compositeur Thomas
Turine), cela devient un jeu, une convention
s’établit qui perdurera jusqu’à la fin de la pièce.
Transformation du théâtre
en agrès Le cirque dans
lethéâtre
D’abord, le décor est un théâtre nu. Il se
compose de tous les éléments caractéristiques
qu’on trouve dans un théâtre (des rideaux, des
perches, des tapis, des projecteurs, des micros,
des chaises…) et le public pense d’abord qu’il
n’y a pas de décor. Puis, peu à peu et au gré de
leurs besoins, les personnages détournent ces
éléments et commencent à « démonter » le
théâtre. L’idée est d’inventer l’espace à partir de
ce qu’il y a sous la main, sous les yeux, une sorte
QUELQUES DESSINS
ET RECHERCHES
SUR LA SCÉNOGRAPHIE
ETLESPERSONNAGES PAR GOURY
« ALORS, LA PREMIÈRE CHOSE QUI
M’EST VENUE À L’ESPRIT QUAND
ON NOUS A DEMANDÉ DE PARLER
DE NOTRE CORPS, C’EST UNE
BRÛLURE AU MOLLET QUE JE ME
SUIS FAITE QUAND J’AVAIS QUATRE-
CINQ ANS. »
FABRICE
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