A . La place de la ville dans le mythe fondateur américain
Dès son origine, la démocratie idéalisée par les Pères Fondateurs des États-Unis
est enracinée dans une société rurale : le pays y puise ses motivations politiques et
idéologiques dans sa lutte pour l'indépendance envers la métropole britannique. La
genèse de l'urbanisme américain est entièrement lié à son passé colon et agricole. Ainsi,
seul 5% de la population de la jeune nation est urbaine en 1790 ; les villes sont petites et
situées pour la plupart sur la côte Atlantique. De ce fait, la moitié de la population
urbaine est installée dans les cinq ports d'origine : New York, Philadelphie, Baltimore,
Boston et Charleston. Ce sont à cette période les seules villes concentrant plus de dix
mille habitants.
A la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe, la société américaine se
caractérisera par une grande méfiance envers le monde urbain et envers toute
concentration de population en général. Cet univers est associé à la vision péjorative des
villes ouvrières d'Angleterre, lesquelles sont perçues comme des vecteurs de pauvreté,
de débauche, de corruption et de chaos social. Le puritanisme et les valeurs de la
religion protestante sont très influents, c'est pourquoi les villes ont représenté dès l'aube
de l'histoire des États-Unis un élément contraires aux bonnes mœurs.
Le rêve démocratique américain, qui se voulait opposé à la féodalité et à l'oppression du
vieux continent européen, a ainsi conditionné dès le départ la morphologie de la ville.
A partir du premier tiers du XIXe siècle se développe le transcendantalisme, un
courant littéraire et philosophique animé en particulier par deux romans majeurs de
l'époque : « Nature » de Ralph W. Emerson (1836) et « Walden ou la Vie dans les bois »
de Henri David Thoreau. Celui-ci revendique la nature et la culture comme les deux
facettes de la civilisation et comme garant des valeurs morales. La nature est source de
vérité spirituelle et universelle et permet une vie en harmonie avec Dieu : elle serait seule
capable d'élever l'homme au delà de sa condition matérielle. Le transcendantalisme,
inscrit dans la continuité du puritanisme protestant, se montrera très influent dans la
quête d'identité de la nation américaine.
On assiste alors à la formation d'un compromis entre cet idéal pastoral et
l'urbanisation de la société, rendue incontournable par le développement de l'industrie
et la mutation profonde de l'économie nationale. Dans ce contexte, la maison avec
jardin, éloignée des nuisances de la vie urbaine, serait le cadre de vie idéal de la famille
américaine ; tandis que la ville serait reléguée aux fonctions économiques ainsi qu'à
l'accueil et à l'acculturation des immigrés.