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des Mu’tazilites avec le sunnisme. L’autre grande référence
théologique que veut ranimer l’imam d’al-Azhar, c’est
Al-Ghazâlî qui, au e siècle, par son adhésion à l’Ash’arisme, a
donné une interprétation de morale théorique et pratique
demeurée de présence vive dans le sunnisme jusqu’à il y a une
trentaine d’années, avant que le sens commun islamique ne fût
contaminé par le message islamiste. Les limites des proposi-
tions de Ghazali se révèlent à travers sa critique des philo-
sophes dans son traité La destruction des philosophes, auquel
Averroès avait répondu par sa Destruction de la destruction.
C’était l’époque où l’islam avait les moyens d’assumer la
controverse. Cette polémique est passée chez les Latins et a agi
sur la théologie catholique qui y trouvait un argumentaire
contre la philosophie. Aujourd’hui, face à l’amnésie, face à la
simplication, comme remède à l’assèchement de l’islam, il
faut retourner à ces références théologiques, non pas pour
revenir à leur contenu mais pour rouvrir le domaine coranique
à la complexité, au désaccord, à la dispute, à la controverse, an
d’aménager une place dans la cité pour l’intellectuel critique.
La barbarie qui vient. – L’islam, dans ses manquements
actuels, dans son schématisme, dans son refus de la com-
plexité, dans son incapacité à assumer la contradiction
interne, dans sa volonté de prôner la pureté ou la purica-
tion, dans son exclusivisme, est en rupture avec la sainteté de
l’esprit. Pourquoi cet islam-là prospère-t-il ? Il prospère parce
qu’il est en correspondance avec ce que la culture mondiale
propose. L’islam de nos pères avait un aspect bonhomme qui
s’est perdu. Dans cette religion de clôture qui empêche de
penser et de vivre, nos pères avaient réussi à bricoler une
manière d’être en puisant dans leurs diverses coutumes pour
se ré-articuler et s’adapter au principe vital. Les musulmans
d’aujourd’hui vivent dans un grand assèchement de l’esprit,
contre l’islam de leurs pères. Je me réfère au livre d’un jeune
chercheur marocain, Omar Saghi1 : il a suivi les trajectoires
de 23 musulmans de France à La Mecque. On voit apparaître
une nouvelle catégorie de musulmans : des individus du sec-
teur tertiaire, maîtrisant la culture digitale, immergés dans la
sous-culture fastfood, qui méprisent l’islam de leurs pères et
n’ont plus de nostalgie pour le bled au Maroc ou en Tunisie.
Dans leur utopie, rien ne vaut une Mecque transformée en
Manhattan, en parc d’attraction, en Disney Land. Ce ne sont
pas de dangereux militants, mais ils ont besoin de combler le
vide spirituel de leur sous-culture actuelle par une religion
1. Omar Saghi, Paris-La
Mecque : sociologie d’un
pèlerinage, PUF.
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