La question des symboles en Islam Ahmed MAHFOUD, professeur de religion islamique Introduction La question posée ici concerne la visibilité de l’Islam ou le culturel émanant du spirituel. Elle touche aux rapports que l’Islam entretient avec la séduction devenue religion, l’image envahissante métamorphosée en effigie et l’idole transformée en serrure. On ne peut saisir le sens des arts d’une civilisation sans s’atteler à comprendre d’abord ses objectifs culturels. Pour l’Islam, la nouvelle évaluation de l’homme, du temps et de l’espace implique une nouvelle vision du monde et un nouveau rapport à la sagesse qui est centrée sur les fins et aux techniques et aux arts qui sont une réflexion sur les moyens. L'Islam ? L'Islam se présente comme étant essentiellement la conscience de l'Absolu ou une élaboration avancée de concentration amoureuse et dynamique sur l’Absolu. Il veut éviter à l'homme et l'erreur et le péché : l'erreur de confondre le relatif avec l’Absolu, et le péché de situer cette erreur au niveau de la volonté et de l’acte. L’art sacré L'art est essentiellement forme ; pour qu'un art puisse être appelé “sacré”, il ne suffit pas que ses sujets dérivent d'une vérité spirituelle, il faut aussi que son langage formel témoigne de la même source. Si ce langage fait défaut, en sorte que l'art soi-disant sacré emprunte ses formes à l’art profane, c'est qu'il n'y a pas de vision spirituelle des choses. Or selon la vision spirituelle du monde, la beauté d'une chose n'est rien d'autre que la transparence de ses enveloppes existentielles; le véritable art est beau parce qu'il est vrai. 18 Reliures 27 Automne-Hiver 2011 L’ “image” divine Ce que la vision chrétienne des choses saisit par une sorte de concentration amoureuse sur le Verbe incarné dans Jésus-Christ, la vision islamique le transpose dans l'universel et dans l'impersonnel: pour l'Islam, l’art divin est avant tout la manifestation de l'Unité divine dans la beauté et la régularité du cosmos. L'Unité se reflète dans l'harmonie du multiple, dans l'ordre et dans l'équilibre; la beauté comporte en elle-même tous ces aspects. Conclure de la beauté du monde à l'Unité, c'est la sagesse. Pour cette raison, la pensée musulmane relie nécessairement l'art à la sagesse; pour le musulman, l’art est essentiellement fondé sur la sagesse, ou sur la science, qui n'est autre que le dépôt formulé de la sagesse. Le but de l'art, c'est de faire participer l'ambiance humaine, le monde en tant qu'il est façonné par l'homme, à l'ordre qui manifeste le plus directement l'Unité divine. L'art clarifie le monde, il aide l'esprit à se détacher de la multitude troublante des choses afin de remonter vers l'Unité infinie. “Dieu est beau, et Il aime la beauté” (parole du prophète). L'Islam est centré sur l'Unité ; or celle-ci, aucune image ne saurait l'exprimer L'absence d'images dans les mosquées a, d'abord, le but négatif d'éliminer une “présence” qui risque de s'opposer à celle, invisible, de Dieu et d'être, au surplus une source d'erreurs en raison de l'imperfection de tout symbole, et ensuite le but positif d'affirmer la transcendance de Dieu, en ce sens que l'Essence divine ne saurait être comparée à quoi que ce soit. L'erreur foncière c'est de projeter la nature de l'absolu dans le relatif, en accordant à ce dernier une autonomie qu'il n'a pas; la cause de cette projection c'est avant tout l'imagination, ou plus exactement l'illusion (al wahm). Or, le musulman voit dans l'art figuratif une manifestation flagrante de cette erreur ; selon lui, l'image projette un ordre de réalité dans un autre. L'antidote de cette projection est la sagesse (hikmah) qui situe chaque chose à sa place; appliqué à l'art, cela signifie que toute création d'art doit être traitée selon les lois de son domaine d'existence et rendre celles-ci intelligibles : I'architecture, par exemple, doit manifester l'équilibre statique et l'état parfait des corps immobiles, qui s'exprime dans la forme régulière du cristal. Or certains reprochent à l'architecture musulmane de ne point accuser les fonctions statiques, comme le fait l'architecture de la Renaissance, qui renforce les points de décharge et les lignes de tension, en prêtant aux éléments constructifs une sorte de conscience organique; or ceci, dans la perspective de l'Islam, serait précisément une confusion entre deux ordres de réalité et un manque de sincérité intellectuelle : si des piliers graciles peuvent effectivement porter la charge d'une voûte, à quoi bon leur attribuer artificiellement un état de tension, qui n'est d'ailleurs pas dans la nature du minéral ? D'un autre côté, l'architecture musulmane ne cherche pas à vaincre la pesanteur de la pierre en lui prêtant un mouvement ascendant, comme le fait l'art gothique; l'équilibre statique exige l'immobilité; mais la matière brute est en quelque sorte allégée et rendue transparente par les ciselures des arabesques et par les sculptures en forme de stalactites et d'alvéoles, comme les cellules d'une ruche, qui offrent à la lumière mille facettes et transforment la