
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 25/05/2017
- 5 -
Les minorités musulmanes, exposées à la discrimination et à la persécution que leur réservaient les adeptes
d'autres religions ou leurs co-religionnaires d'autres obédiences, ont, de tout temps et comme toutes
les minorités de toutes les religions, distingué allégeance politique et fidélité spirituelle. Bon nombre de
musulmans ne s'en rendent pas compte, parce qu'ils sont englués dans les conceptions et les réalités
entretenues depuis des siècles par des pouvoirs qui ont usé et abusé de l'instrumentalisation politique
du religieux. Mais bon nombre de spécialistes des questions religieuses ne s'en rendent pas davantage
compte.
1 Ce qui ne peut être fait en détail ici.
2 L'hégire désigne le moment où Mohamed a quitté La Mecque pour Médine. C'est le début de l'ère des
musulmans, qui correspond à l'année 622 de l'ère commune.
Photo du haut : ULg, Bibliothèque générale de Philosophie et Lettres, ms 5003, Livre de Prières, Turquie,
1826,ff. 32v°-33, La Mecque et Médine
C'est d'autant plus étonnant que l'interprétation du verset des princes, dans un sens favorable à la séparation
du politique et du religieux, se trouve corroborée par des traditions célèbres, rappelées par les penseurs
musulmans qui ont prôné ce genre de lecture. Parmi ces traditions, les plus célèbres sont les hadîths3
distinguant ce qui relève de la religion et ce qui relève des questions mondaines ou séculières : « Pour ce qui
est des affaires de votre religion, cela me revient ; pour ce qui est des affaires de votre monde ici-bas, vous
êtes mieux à même de le savoir » et « Je ne suis qu'un homme, si je vous ordonne quelque chose de votre
religion, suivez-le. Si je vous ordonne quelque chose relevant de l'opinion, je ne suis qu'un homme ».
Même s'il est difficile d'affirmer, sur la base des versets coraniques et des faits fondateurs de l'islam, que
le statut du politique a été, clairement et sans équivoque, tranché dans le sens de la séparation de l'État et
de la religion, il est important de noter que le lien établi entre « les affaires du monde » et l'obligation de
« consultation » accorde une place importante à l'avis de ceux qu'on doit consulter. Or, ce ne sont ni des
Dieux, ni des Prophètes, ni des dépositaires d'un quelconque pouvoir religieux. Si l'on se réclame de l'idée
selon laquelle il n'y a pas en islam de place pour des intermédiaires entre le croyant et son dieu, il ne saurait
y avoir, en conséquence, de dépositaires de l'autorité divine.
La sharî`a : une « loi édictée par Dieu » ?
Prenons l'exemple de la sharî`a. L'étymologie du mot renvoie à l'idée de source d'eau et de voie menant à
la source. Par extension, les différents exégètes musulmans l'ont interprétée comme voie de salut proposée
aux humains, tout autant que comme source de sens et de valeurs. Le champ sémantique de loi et de droit ne
s'est imposé que très tardivement, avec l'apparition des codifications juridiques inspirées par les conceptions
de l'État-nation moderne et avec l'avènement d'une volonté d'unifier les juridictions séculières, coutumières
et religieuses. Une telle évolution est liée à la volonté des pouvoirs politiques de légitimer par la religion
des codes présentés comme étant « la loi édictée par Dieu ». C'est en fait l'occultation ou l'ignorance des