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Introduction
Depuis le Néolithique, et dans la plupart des civilisations agropastorales, le Soleil, source
nourricière et bienfaitrice, bénéficie de représentations cultuelles et sacrées. A l’Age du
Bronze, en Europe du Nord, il prend la forme d’un disque éblouissant, posé sur un char tiré
par des chevaux (cf. le char de Trundholm) et dans l’Egypte pharaonique, une forme
identique, coiffe la tête de nombreuses divinités (Rê, Hathor, Horus…)
Pour les Grecs, qui aiment les figures anthropomorphes, c’est le dieu Hélios qui guide son
quadrige étincelant dans une course quotidienne, inondant de ses rayons bienfaiteurs la terre.
A Rome, dès l'époque royale, une divinité primitive, Sol, est vénérée dans l’Urbs. Il bénéficie
même d’un temple au Circus Maximus, patronnant ainsi les courses de chars.
En bref, les Grecs comme les Romains, matérialisent artistiquement l’astre solaire comme un
aurige céleste, brillant de mille feux.
Au tout début du IIIe siècle avant J.-C., une nouvelle iconographie solaire s'impose dans le
monde antique. En effet, pour fêter la fin du siège de la ville par les Antigonides en 304, la
cité portuaire de Rhodes, décide de commander au sculpteur bronzier Chares une statue
colossale en pied du dieu Hélios. Plusieurs séries monétaires commémorent alors l'évènement
par la seule représentation de la tête radiée du Soleil, vu de profil, puis de face.
Au Ie siècle avant J.-C., les scalptores romains s’inspirent sans doute du modèle rhodien pour
traduire les manifestations « solaires » sur leurs monnaies . Mais la représentation en pied, ou
debout si l'on préfère, du dieu Soleil n'apparaît pas sur les monnaies avant le règne de Septime
Sévère. Elle illustre alors la grande campagne militaire menée par l'empereur au coeur de la
Mésopotamie en 197-198 et sa victoire sur les Parthes. Ce modèle iconographique est le plus
fréquent à l’époque constantinienne avant la conversion de l’empereur Constantin I le Grand
au christianisme.
Par l'étude des principales représentations et légendes "solaires" sur les monnaies romaines,
nous allons tenter de retracer l’évolution du culte du Soleil sous l'Empire romain tardif (IIIe et
début du IVe siècles) et l'importance de la divinité auprès des empereurs. En effet, vénéré
dans l'armée, Sol Invictus, le Soleil invincible, devient rapidement au IIIe siècle le compagnon
et le protecteur des empereurs auxquels - le croit-on - il transmet sa puissance et ses vertus.
L'importance croissante du monnayage "solaire" à partir des années 260/270 avec des
« pics » sous les règnes des empereurs Aurélien et Probus, dévôts de « Sol Invictus » -
démontre à lui seul l'héliolâtrie qui se développe dans l’Empire romain à une époque difficile
marquée par l'instabilité politique et économique.
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A / Les représentations monétaires « solaires »
1) Le visage radieux du Soleil
En 42 avant J.-C., inspiré probablement par le portrait d’Hélios qui ornait les monnaies en
argent de Rhodes à l’époque hellénistique (BMC. 18. 242. 128), le triumvir monétaire Lucius
Mussidius Longus fait frapper des deniers à Rome (RRC.494/43) présentant le buste radié de
Sol, vu de ¾ avant.
Selon certaines interprétations, la présence du Soleil sur cette monnaie pourrait rappeler d’une
part la déification de César, voulue par Marc Antoine cette même année 42, et d’autre part un
sacerdoce du triumvir consacré au culte du Soleil ? Sur le denier présenté ci-après (RRC 533/2),
Antoine vêtu de la toge, la tête voilée comme les prêtres, brandit le lituus, bâton sacrée des
augures. Sur l’autre face est associée la tête radiée du Soleil, vu de profil. La divinité fait écho
à la politique orientale d’Antoine son rapprochement avec la reine d’Egypte Cléopâtre VII
et son « assimilation » à la figure d’Alexandre le Grand en Hélios. Ses enfants porteront les
noms d’Alexandre-Hélios et Cléopâtre-Séléné, le Soleil et la Lune des Grecs d’Alexandrie.
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Mais la présence du buste du Soleil sur les monnaies évoque surtout les guerres orientales de
Rome contre les Parthes. Déjà, en 20 avant J.-C., Auguste efface le déshonneur de la défaite
de Carrhae, en récupérant les enseignes militaires de l’armée de Crassus, rendues
gracieusement par les Parthes. Les deniers de Lucius Aquillius Florus fêtent cet évènement en
associant le buste du Soleil à la prospérité du règne de « César Auguste » (RIC I. 303).
Sous les Antonins, la figuration du buste solaire sur les monnaies symbolise surtout les
guerres menées en Orient contre les Parthes, les « ennemis héréditaires » de Rome. Vers 116-
117, les deniers à la légende « Parthico » célèbrent les victoires de Trajan en Orient (RIC II
326).
L’année suivante, les aurei du nouvel empereur, Hadrien, qui a participé aussi à l’expédition
parthique de Trajan, commémorent encore l’événement en introduisant la légende « Oriens »,
soulignant ainsi que le Soleil est bien le symbole de l’Orient (RIC II 43(b)).
Quelques années plus tard, en 207, sur le revers des deniers frappés au nom de Septime
Sévère, la gravure du buste du Soleil est accompagnée de la légende «Pacator Orbis » , le
Soleil « pacificateur du monde » (RIC IV(1) 282).
On retrouve beaucoup plus tard encore ce type monétaire sur des antoniniani de l’usurpateur
Postume, chef de l’éphémère « Empire des Gaules », émis dans l’atelier de Cologne ou de
Trèves vers 265-268 (RIC V(2) 317)
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Le message politique est clair : l’empereur a ramené l’équilibre au sein du monde romain en
le sécurisant. Il gère son Empire comme le Soleil dans l’univers.
Le rapprochement entre le Prince et le Soleil, voire l’assimilation des deux, est bien indiqué
sur le monnayage par la représentation étroite de leurs bustes. Ainsi, « l’empereur gaulois »
Victorinus se fait représenter à côté du dieu sur l’avers de ses monnaies d'or RIC V(2) 12) . A
une époque la dignité impériale vacille, les empereurs cherchent une « garantie sacrée »
qui solidifiera leur autorité sur le monde romain. Le Soleil est la référence religieuse du IIIe
siècle, divinité guerrière invincible dont les empereurs tentent d’accaparer la puissance.
Quelques rares monnaies composent un langage « solaire » plus complexe : les aurei de
Postume à la légende « Claritas Aug(usti) », frappés dans l'atelier de Cologne ou de Trèves en
266 mettent en scène les couples Postume/Hercule et Sol/Luna, taphore d’un empereur et
de sa divinité particulière, guidés et protégés par des astres aux propriétés lumineuses et
salvatrices (RIC V(2) 260) .
Dans cette époque tourmentée, le Soleil, guerrier invincible aux qualités innombrables, est
une référence obligée pour les empereurs légitimes, et plus encore pour les usurpateurs, qui
cherchent non plus seulement sa protection (d’autres dieux comme Apollon ou Jupiter en sont
largement capables) mais, en quelque sorte, sa transcendance divine. En Bretagne, dans
l’atelier de Camulodunum (Colchester ?), les graveurs dessinent sur les avers des antoniniani
les bustes accolés du Soleil et de l’usurpateur Carausius, soulignant par la légende « Virtus
Carausii », la transmission virtuelle des qualités intrinsèques du dieu solaire à l’empereur
breton (RIC V(2) 233). A terme, purifié par le Soleil, l’empereur du IIIe siècle franchit un
nouveau palier qui le rapproche du monde divin comme le souligne bien l’auteur latin
Macrobe : « De même, les diverses propriétés du Soleil ont donné naissance à des dieux ».
Dans sa biographie consacrée à l’empereur Aurélien, l'historien E. Cizek titre « le Soleil,
maître de l'Empire romain ». C'est la traduction de la légende monétaire « Sol Dominus
Imperi Romani » qui entoure le buste du Soleil sur l’avers des as de l’atelier de Serdica (Sofia
en Bulgarie) ; l’empereur Aurélien figurant au revers, offrant un sacrifice au dieu (RIC V(1)
319)
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Adorateur du Soleil, l’empereur Aurélien frappe en abondance des monnaies de billon ornées
de la divinité justifiant largement l’affirmation de E. Cizek : « son Empire était un Empire du
Soleil ». Peut-on parler d’une dyarchie dans laquelle l’empereur aurait la charge de diriger le
monde romain sous l’œil bienveillant du Soleil ? L’association des bustes du Soleil et de
l’empereur sur les monnaies semble confirmer la nouvelle charge qui est déléguée à
l’empereur romain, celle de diriger le monde en tant que représentant du Soleil sur terre. En
tout cas, l’empereur s’imprègne des vertus solaires qui le rapprochent de son vivant de la
divinisation. Sur les double auréliani de Siscia frappées en 282 au nom de Carus, les bustes
confrontés de l’empereur et du Soleil, sont entourés de la légende significative « Deo et
Domino Caro Avg(usto) » (« Au Dieu et Maître Carus » RIC V(2) 99).
Dès le règne de Néron, les empereurs osent se faire représenter sur les monnaies coiffés de la
couronne radiée, l'emblème solaire par excellence, le symbole de la souveraineté universelle
et éternelle. Dans "la vie de Gallien", l'auteur de "l'Histoire Auguste" nous relate le fait
suivant (XVI, 4): "Il (Gallien) parsema sa chevelure de poussière d'or et porta souvent dans
ses déplacements une couronne radiée".
Le célèbre multiple d’or de Ticinum (Pavie), émis vers 313, célèbre la relation intime et
sacrée entre le Prince des romains (Constantin I) et le Roi céleste [RIC VI.111].
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