Guerre aux pucerons des alliés méconnus

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fondamentaux JARDIN
B. CHAUBET
Guerre aux
pucerons
des alliés méconnus
Adulte d’hémérobe (Micromus angulatus) consommant un puceron.
D
ans le jardin, les acteurs de la chaîne alimentaire sont légion
et maintiennent un certain équilibre, bien fragile au demeurant.
Leur tâche est considérable, surtout quand il s’agit de réguler des
populations d’organismes dotés d’une capacité de reproduction
hors normes, comme les pucerons, dont une seule femelle pourrait
potentiellement produire par parthénogénèse et viviparité (1) jusqu’à 600 tonnes d’individus par an ! Quand on pense antagonistes
de pucerons, nous viennent à l’esprit la coccinelle, voire la chrysope
ou le syrphe, champions, il est vrai, en termes de quantité de proies
ingérées. Ils ont aussi le sens de la publicité : noire et rouge pour la
bête à bon dieu, vert tendre et yeux mordorés pour la « mouche »
aux yeux d’or, jaune et noir façon guêpe pour l’adulte du lion des
pucerons…
Vous connaissez les larves
de coccinelles, de syrphes
ou de chrysopes et leur
rôle prépondérant dans
la régulation des
populations de pucerons.
Mais il existe bien d’autres
antagonistes des
pucerons, qui méritent
l’intérêt du jardinier.
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Pemphredon lethifer femelle introduisant un puceron dans son nid.
Larve de Pemphredon lethifer dans une cellule garnie de pucerons
paralysés.
Mais si leur rôle est prépondérant, ils ne doivent
pas faire oublier l’ensemble des prédateurs et
parasites, représenté par plusieurs dizaines d’espèces qui contribuent peu ou prou, de manière
discrète mais efficace, à cette limitation naturelle.
Parmi ces méconnus, ces sans-grades, quelquesuns méritent d’être évoqués.
rons se fait sur les plantes hôtes que la chasseuse
prospecte activement. Elle capture vivement
entre ses mandibules la proie choisie. Celle-ci est
paralysée d‘un coup d’aiguillon pendant son
transport en vol et prestement introduite dans la
cellule du nid. Ainsi successivement jusqu’au remplissage de la cellule (environ 60 pucerons). Un
œuf unique, de trois mm de long, en forme d’aubergine est alors pondu par le pemphredon, et
fixé sur le ventre d’une des premières proies
récoltées. La cellule est ensuite clôturée à l’aide
d’un bouchon de sciure produit par le creusement
de la cellule suivante. Une dizaine de cellules peuvent être aménagées dans une galerie. Un bon
millier de pucerons est ainsi prélevé par une
femelle au cours de sa vie. La larve âgée, ayant
achevé de consommer sa ration de pucerons
vivants mais inactivés, hivernera et attendra le
printemps pour se nymphoser et donner les
adultes d’une nouvelle génération (deux générations en moyenne par an). Avec une tendance à
exploiter, une fois découverte, la même colonie
de pucerons, les pemphredons ont un impact non
négligeable et mériteraient d’être encouragés au
jardin.
LE PEMPHREDON. Cet inconnu au bataillon
des aphidiphages (dévoreurs de pucerons) est
une petite guêpe (6-8 mm) à banale livrée noire
(Pemphredon lethifer). Sous ce physique austère
se cachent d’étonnantes capacités comportementales : la bestiole capture et stocke des proies
vivantes immobilisées par paralysie, constituant
ainsi un garde-manger pour ses larves dans un
« nid » préalablement élaboré dans une tige à
moelle sèche (jamais dans des tiges vivantes).
Fécondées dès le printemps, les femelles prospectent, afin d’établir leur nid, des tiges de plantes à
moelle sèches dont l’accès à la partie médullaire
(la partie centrale de la tige, qui renferme la
moelle) est rendu possible par la taille ou un accident naturel. On observe des nids dans la ronce,
le framboisier, le rosier, le sureau… Une galerie,
d’une vingtaine de centimètres, est creusée dans
la tige. La première « cellule », permettant le
stockage des proies, est créée au fond de cette
galerie ; les suivantes seront établies par la suite
en remontant. Cette première cellule achevée, la
femelle part en chasse. Le prélèvement des puce40
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L’HÉMÉROBE. Un comportement bien moins
sophistiqué que celui du pemphredon, un habit
sombre, une taille réduite, une vie cachée, une
activité crépusculaire et la capacité à faire le mort
à la moindre alerte ne rendent pas facile l’obser-
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Larve (photo de gauche) et adulte d’hémérobe (Micromus angulatus) en plein festin.
L’ACARIEN THROMBIDION. Tout jardinier
curieux de nature a dû remarquer cette petite
boule de velours rouge à la course rapide et zigzagante, se déplaçant sur les pierres ou les
écorces exposées au soleil. Ce petit bolide est un
adulte acarien de la famille des thrombiidae
(Allothrombium fuliginosum). Le cycle de l’animal n’est pas simple. Essayons tout de même d’en
dégager les principales phases.
La femelle, accouplée à l’automne ou au printemps, a passé la saison froide à l’abri dans le sol.
Dès les beaux jours, si elle est fécondée, elle pond
700 à 1 500 œufs sphériques dans une fissure
d’écorce ou du sol. De ces œufs vont éclore des
larves dont le principal objectif est de trouver un
hôte puceron pour s’y fixer en parasite externe.
Elles ont une semaine environ pour le faire. Si
elles échouent, elles sont condamnées. Une fois
l’hôte trouvé, elles se fixent indifféremment sur
n’importe quelle partie du corps du puceron, sur
lequel elles prélèvent, en 3 à 4 jours, suffisamment de nourriture pour assurer la suite de leur
développement. L’évolution du puceron est bloquée et sa mort survient rapidement. Les larves se
détachent alors pour aller dans le sol préparer
une première métamorphose. Au bout d’un mois
environ émerge un « pré-adulte », qui va se nourrir abondamment de proies diverses, dont des
pucerons. Puis, à l’automne, une seconde métamorphose a lieu. L’adulte prêt à s’accoupler
émerge généralement avant l’hiver.
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vation de l’hémérobe (Micromus angulatus).
Proche parent de la chrysope, à qui il ressemble,
cet insecte est encore peu étudié. Pourtant, 550
espèces peuplent le monde ! La larve, glabre, est
affublée d’agressives mandibules en crochet,
dont elle se sert pour vider le contenu des pucerons (entre autres). Elle est aussi polyphage que
vorace : plusieurs centaines de proies lui sont
nécessaires pour accomplir son cycle. L’adulte,
carnivore également, se distingue ainsi de sa cousine la verte chrysope, pacifiquement floricole.
Les œufs, de 1 500 à 2 000 par femelle, sont déposés à proximité des colonies des pucerons. La
nymphose s’effectue dans un cocon léger et sphérique. L’adulte, comme la chrysope, est hivernant.
Discret parmi les discrets, l’hémérobe réclamerait
davantage d’attention et d’études.
Thrombidion fixé sur son hôte.
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centimètre autour du puceron parasité. De
proche en proche, la maladie va ainsi se répandre
à toute la colonie. Parfois, ce sont des pucerons
ailés porteurs de spores qui vont être les vecteurs
de la maladie, en se déplaçant de plante à plante,
ou encore le vent. Si les conditions ne sont pas
favorables à la germination, le champignon gardera une capacité de conservation, jusqu’à ce
qu’une pluie associée à une température douce
permette la suite de son évolution. On l’aura
compris, les pucerons de la façade Atlantique et
de la région Bretagne en particulier sont très souvent limités par ces mycoses…
La forme adulte du thrombidion.
CHAMPIGNONS ENTOMOPHTHORA. Le
règne animal n’a pas le privilège de l’action, et
celui des champignons n’est pas en reste. En effet,
un certain nombre de ceux-ci ont la capacité de
parasiter des insectes et, pour quelques espèces
seulement, des pucerons. Le résultat ? De véritables épizooties qui, dans des conditions climatiques particulières, provoquent des hécatombes
dans les colonies d’aphidiens. Une cinquantaine
de champignons du genre Entomophthora s’attaquent à des insectes. Quatre ou cinq dans nos
régions sont spécifiques de pucerons, sans choix
particulier pour l’espèce. Le cycle (simplifié) est le
suivant : une conidie (équivalent d’une graine)
possédant une propriété adhérente au contact
d’un puceron, émet un filament germinatif qui
transperce la cuticule et pénètre dans le corps de
l’aphidé dans lequel il se développe. Ainsi, le
mycélium du champignon se fragmente et se multiplie dans le corps de l’hôte jusqu’à la mort de
celui-ci. Dans des conditions de forte hygrométrie
associée à une température élevée, les nouvelles
conidies formées par le champignon (jusqu’à 100
000 dans un puceron) sont projetées sur près d’un
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Nous sommes bien loin des ravages provoqués par
un prédateur de choc comme la coccinelle, mais il
n’est pas rare d’observer ces petites excroissances
rouge vif fixées sur les pucerons du rosier par
exemple. Le rôle de ces acariens, même minime,
participe à l’entreprise générale de régulation.
Colonie de pucerons du rosier mycosés par un champignon du genre
Enthomophtora.
AIDONS CES AUXILIAIRES. Concernant les
pemphredons, l’apport de tiges de ronce coupées
et séchées d’un diamètre de 10 mm, fichées dans
le sol ou ligotées en fagot, placées dans un
endroit dégagé et bien exposé, assure le gîte.
Autre solution : lors de la taille hivernale des
rosiers, laissez un tronçon de coupe d’une dizaine
de millimètres. En séchant, celui-ci fournira un
site idéal pour notre guêpe.
Les hémérobes fréquentent volontiers la végétation dense et basse du type massif d’orties ou
D. KLECKA
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roncier. Un tas d’herbes ou de branches sèches
permet l’hivernation des adultes.
Les acariens thrombidions apprécient quant à
eux les zones fortement ensoleillées qui les attirent en automne et leur permettent de passer
l’hiver. Un talus bien exposé fait l’affaire.
Pour les champignons entomo-pathogènes, évitez bien entendu les fongicides (même naturels).
Si vous constatez un début de mycose, celle-ci
peut être favorisée par des pulvérisations d’eau.
Ainsi, pour contenir la profusion aphidienne, les
antagonistes doivent être nombreux et divers.
Dans l’optique d’une régulation naturelle ou provoquée pour limiter les pullulations de pucerons,
il est nécessaire de tenir compte de tous les auxiliaires sans en privilégier un a priori, tant il est
vrai qu’en écologie le tout est supérieur à la
somme des parties. L’aménagement du jardin et
de son pourtour pour favoriser les auxiliaires est
donc la condition nécessaire (mais pas forcément
suffisante dans tous les cas) pour limiter l’essor
des ravageurs. Pour le maintien d’une diversité
régulatrice, variez les milieux, les expositions, les
végétaux… et les pucerons n’auront qu’à bien se
tenir !
Quand les pucerons se rebiffent
Malgré leur apparente placidité, les pucerons se
défendent. Certains comportements les sauvent du
carnage. Ils peuvent émettre des substances alertant
leurs congénères, engluer leurs attaquants à l’aide
d’une goutte émise au bout des cornicules (tubes
sécrétoires portés par l’abdomen), cette même goutte
ayant aussi un effet répulsif. Ils se recouvrent parfois
de filaments protecteurs ou se laissent enfermer dans
une galle (excroissance végétale provoquée par l’insecte). Un comportement de danse, parfois coordonnée, peut impressionner l’adversaire. Et en dernier ressort, la fuite par la chute ! Mais ils peuvent aussi s’adjoindre la collaboration des fourmis qui, intéressées
par la production de miellat, vont être d’actives protectrices. On a même observé chez certaines espèces
des « pucerons soldats » qui attaquent les prédateurs
et se servent de leur stylet, habituellement pacifique
suçoir, comme d’une dague meurtrière.
1. La parthénogénèse est une reproduction sans
fécondation. Les vivipares peuvent dès leur naissance
mener une vie autonome et se reproduire.
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Bernard Chaubet, entomologiste, technicien INRA
Protection d’un puceron par production d’une couverture laineuse.
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