fondamentaux JARDIN B. CHAUBET Guerre aux pucerons des alliés méconnus Adulte d’hémérobe (Micromus angulatus) consommant un puceron. D ans le jardin, les acteurs de la chaîne alimentaire sont légion et maintiennent un certain équilibre, bien fragile au demeurant. Leur tâche est considérable, surtout quand il s’agit de réguler des populations d’organismes dotés d’une capacité de reproduction hors normes, comme les pucerons, dont une seule femelle pourrait potentiellement produire par parthénogénèse et viviparité (1) jusqu’à 600 tonnes d’individus par an ! Quand on pense antagonistes de pucerons, nous viennent à l’esprit la coccinelle, voire la chrysope ou le syrphe, champions, il est vrai, en termes de quantité de proies ingérées. Ils ont aussi le sens de la publicité : noire et rouge pour la bête à bon dieu, vert tendre et yeux mordorés pour la « mouche » aux yeux d’or, jaune et noir façon guêpe pour l’adulte du lion des pucerons… Vous connaissez les larves de coccinelles, de syrphes ou de chrysopes et leur rôle prépondérant dans la régulation des populations de pucerons. Mais il existe bien d’autres antagonistes des pucerons, qui méritent l’intérêt du jardinier. N0 160 SEPT./OCT. 2006 LES QUATRE SAISONS DU JARDINAGE 39 fondamentaux B. CHAUBET JARDIN Pemphredon lethifer femelle introduisant un puceron dans son nid. Larve de Pemphredon lethifer dans une cellule garnie de pucerons paralysés. Mais si leur rôle est prépondérant, ils ne doivent pas faire oublier l’ensemble des prédateurs et parasites, représenté par plusieurs dizaines d’espèces qui contribuent peu ou prou, de manière discrète mais efficace, à cette limitation naturelle. Parmi ces méconnus, ces sans-grades, quelquesuns méritent d’être évoqués. rons se fait sur les plantes hôtes que la chasseuse prospecte activement. Elle capture vivement entre ses mandibules la proie choisie. Celle-ci est paralysée d‘un coup d’aiguillon pendant son transport en vol et prestement introduite dans la cellule du nid. Ainsi successivement jusqu’au remplissage de la cellule (environ 60 pucerons). Un œuf unique, de trois mm de long, en forme d’aubergine est alors pondu par le pemphredon, et fixé sur le ventre d’une des premières proies récoltées. La cellule est ensuite clôturée à l’aide d’un bouchon de sciure produit par le creusement de la cellule suivante. Une dizaine de cellules peuvent être aménagées dans une galerie. Un bon millier de pucerons est ainsi prélevé par une femelle au cours de sa vie. La larve âgée, ayant achevé de consommer sa ration de pucerons vivants mais inactivés, hivernera et attendra le printemps pour se nymphoser et donner les adultes d’une nouvelle génération (deux générations en moyenne par an). Avec une tendance à exploiter, une fois découverte, la même colonie de pucerons, les pemphredons ont un impact non négligeable et mériteraient d’être encouragés au jardin. LE PEMPHREDON. Cet inconnu au bataillon des aphidiphages (dévoreurs de pucerons) est une petite guêpe (6-8 mm) à banale livrée noire (Pemphredon lethifer). Sous ce physique austère se cachent d’étonnantes capacités comportementales : la bestiole capture et stocke des proies vivantes immobilisées par paralysie, constituant ainsi un garde-manger pour ses larves dans un « nid » préalablement élaboré dans une tige à moelle sèche (jamais dans des tiges vivantes). Fécondées dès le printemps, les femelles prospectent, afin d’établir leur nid, des tiges de plantes à moelle sèches dont l’accès à la partie médullaire (la partie centrale de la tige, qui renferme la moelle) est rendu possible par la taille ou un accident naturel. On observe des nids dans la ronce, le framboisier, le rosier, le sureau… Une galerie, d’une vingtaine de centimètres, est creusée dans la tige. La première « cellule », permettant le stockage des proies, est créée au fond de cette galerie ; les suivantes seront établies par la suite en remontant. Cette première cellule achevée, la femelle part en chasse. Le prélèvement des puce40 LES QUATRE SAISONS DU JARDINAGE SEPT./OCT. 2006 N0 160 L’HÉMÉROBE. Un comportement bien moins sophistiqué que celui du pemphredon, un habit sombre, une taille réduite, une vie cachée, une activité crépusculaire et la capacité à faire le mort à la moindre alerte ne rendent pas facile l’obser- B. CHAUBET fondamentaux JARDIN Larve (photo de gauche) et adulte d’hémérobe (Micromus angulatus) en plein festin. L’ACARIEN THROMBIDION. Tout jardinier curieux de nature a dû remarquer cette petite boule de velours rouge à la course rapide et zigzagante, se déplaçant sur les pierres ou les écorces exposées au soleil. Ce petit bolide est un adulte acarien de la famille des thrombiidae (Allothrombium fuliginosum). Le cycle de l’animal n’est pas simple. Essayons tout de même d’en dégager les principales phases. La femelle, accouplée à l’automne ou au printemps, a passé la saison froide à l’abri dans le sol. Dès les beaux jours, si elle est fécondée, elle pond 700 à 1 500 œufs sphériques dans une fissure d’écorce ou du sol. De ces œufs vont éclore des larves dont le principal objectif est de trouver un hôte puceron pour s’y fixer en parasite externe. Elles ont une semaine environ pour le faire. Si elles échouent, elles sont condamnées. Une fois l’hôte trouvé, elles se fixent indifféremment sur n’importe quelle partie du corps du puceron, sur lequel elles prélèvent, en 3 à 4 jours, suffisamment de nourriture pour assurer la suite de leur développement. L’évolution du puceron est bloquée et sa mort survient rapidement. Les larves se détachent alors pour aller dans le sol préparer une première métamorphose. Au bout d’un mois environ émerge un « pré-adulte », qui va se nourrir abondamment de proies diverses, dont des pucerons. Puis, à l’automne, une seconde métamorphose a lieu. L’adulte prêt à s’accoupler émerge généralement avant l’hiver. B. CHAUBET vation de l’hémérobe (Micromus angulatus). Proche parent de la chrysope, à qui il ressemble, cet insecte est encore peu étudié. Pourtant, 550 espèces peuplent le monde ! La larve, glabre, est affublée d’agressives mandibules en crochet, dont elle se sert pour vider le contenu des pucerons (entre autres). Elle est aussi polyphage que vorace : plusieurs centaines de proies lui sont nécessaires pour accomplir son cycle. L’adulte, carnivore également, se distingue ainsi de sa cousine la verte chrysope, pacifiquement floricole. Les œufs, de 1 500 à 2 000 par femelle, sont déposés à proximité des colonies des pucerons. La nymphose s’effectue dans un cocon léger et sphérique. L’adulte, comme la chrysope, est hivernant. Discret parmi les discrets, l’hémérobe réclamerait davantage d’attention et d’études. Thrombidion fixé sur son hôte. N0 160 SEPT./OCT. 2006 LES QUATRE SAISONS DU JARDINAGE 41 fondamentaux B. CHAUBET JARDIN centimètre autour du puceron parasité. De proche en proche, la maladie va ainsi se répandre à toute la colonie. Parfois, ce sont des pucerons ailés porteurs de spores qui vont être les vecteurs de la maladie, en se déplaçant de plante à plante, ou encore le vent. Si les conditions ne sont pas favorables à la germination, le champignon gardera une capacité de conservation, jusqu’à ce qu’une pluie associée à une température douce permette la suite de son évolution. On l’aura compris, les pucerons de la façade Atlantique et de la région Bretagne en particulier sont très souvent limités par ces mycoses… La forme adulte du thrombidion. CHAMPIGNONS ENTOMOPHTHORA. Le règne animal n’a pas le privilège de l’action, et celui des champignons n’est pas en reste. En effet, un certain nombre de ceux-ci ont la capacité de parasiter des insectes et, pour quelques espèces seulement, des pucerons. Le résultat ? De véritables épizooties qui, dans des conditions climatiques particulières, provoquent des hécatombes dans les colonies d’aphidiens. Une cinquantaine de champignons du genre Entomophthora s’attaquent à des insectes. Quatre ou cinq dans nos régions sont spécifiques de pucerons, sans choix particulier pour l’espèce. Le cycle (simplifié) est le suivant : une conidie (équivalent d’une graine) possédant une propriété adhérente au contact d’un puceron, émet un filament germinatif qui transperce la cuticule et pénètre dans le corps de l’aphidé dans lequel il se développe. Ainsi, le mycélium du champignon se fragmente et se multiplie dans le corps de l’hôte jusqu’à la mort de celui-ci. Dans des conditions de forte hygrométrie associée à une température élevée, les nouvelles conidies formées par le champignon (jusqu’à 100 000 dans un puceron) sont projetées sur près d’un 42 LES QUATRE SAISONS DU JARDINAGE SEPT./OCT. 2006 N0 160 B. CHAUBET Nous sommes bien loin des ravages provoqués par un prédateur de choc comme la coccinelle, mais il n’est pas rare d’observer ces petites excroissances rouge vif fixées sur les pucerons du rosier par exemple. Le rôle de ces acariens, même minime, participe à l’entreprise générale de régulation. Colonie de pucerons du rosier mycosés par un champignon du genre Enthomophtora. AIDONS CES AUXILIAIRES. Concernant les pemphredons, l’apport de tiges de ronce coupées et séchées d’un diamètre de 10 mm, fichées dans le sol ou ligotées en fagot, placées dans un endroit dégagé et bien exposé, assure le gîte. Autre solution : lors de la taille hivernale des rosiers, laissez un tronçon de coupe d’une dizaine de millimètres. En séchant, celui-ci fournira un site idéal pour notre guêpe. Les hémérobes fréquentent volontiers la végétation dense et basse du type massif d’orties ou D. KLECKA fondamentaux JARDIN roncier. Un tas d’herbes ou de branches sèches permet l’hivernation des adultes. Les acariens thrombidions apprécient quant à eux les zones fortement ensoleillées qui les attirent en automne et leur permettent de passer l’hiver. Un talus bien exposé fait l’affaire. Pour les champignons entomo-pathogènes, évitez bien entendu les fongicides (même naturels). Si vous constatez un début de mycose, celle-ci peut être favorisée par des pulvérisations d’eau. Ainsi, pour contenir la profusion aphidienne, les antagonistes doivent être nombreux et divers. Dans l’optique d’une régulation naturelle ou provoquée pour limiter les pullulations de pucerons, il est nécessaire de tenir compte de tous les auxiliaires sans en privilégier un a priori, tant il est vrai qu’en écologie le tout est supérieur à la somme des parties. L’aménagement du jardin et de son pourtour pour favoriser les auxiliaires est donc la condition nécessaire (mais pas forcément suffisante dans tous les cas) pour limiter l’essor des ravageurs. Pour le maintien d’une diversité régulatrice, variez les milieux, les expositions, les végétaux… et les pucerons n’auront qu’à bien se tenir ! Quand les pucerons se rebiffent Malgré leur apparente placidité, les pucerons se défendent. Certains comportements les sauvent du carnage. Ils peuvent émettre des substances alertant leurs congénères, engluer leurs attaquants à l’aide d’une goutte émise au bout des cornicules (tubes sécrétoires portés par l’abdomen), cette même goutte ayant aussi un effet répulsif. Ils se recouvrent parfois de filaments protecteurs ou se laissent enfermer dans une galle (excroissance végétale provoquée par l’insecte). Un comportement de danse, parfois coordonnée, peut impressionner l’adversaire. Et en dernier ressort, la fuite par la chute ! Mais ils peuvent aussi s’adjoindre la collaboration des fourmis qui, intéressées par la production de miellat, vont être d’actives protectrices. On a même observé chez certaines espèces des « pucerons soldats » qui attaquent les prédateurs et se servent de leur stylet, habituellement pacifique suçoir, comme d’une dague meurtrière. 1. La parthénogénèse est une reproduction sans fécondation. Les vivipares peuvent dès leur naissance mener une vie autonome et se reproduire. B. CHAUBET Bernard Chaubet, entomologiste, technicien INRA Protection d’un puceron par production d’une couverture laineuse. N0 160 SEPT./OCT. 2006 LES QUATRE SAISONS DU JARDINAGE 43