La problématique des plantes médicinales
Depuis les années 1970, se dessinait un renouveau grandissant d’intérêt pour les plantes
médicinales alors considérées comme de « bonnes herbes » ou de bénéfiques composants de
« la pharmacie du Bon Dieu » , bien des changements sont survenus dans les relations entre
l’Homme et les plantes. Si les végétaux, eux-mêmes, n’ont pas eu le temps de se modifier, nos
connaissances les concernant se sont accrues. Dans le domaine des plantes médicinales, on
peut même parler d’un véritable bouleversement…
Par François Couplan
L’ancienne « matière médicale », qui répertoriait les végétaux dans leurs aspects
thérapeutiques, a d’ailleurs maintenant pris le nom, plus scientifique, de « pharmacognosie ».
Les analyses se sont multipliées et, grâce à des méthodes particulièrement performantes, de
nouveaux principes actifs ont été mis en évidence. De nombreuses études cliniques, menées
de façon scientifique, ont permis de fournir des résultats fiables sur les effets de plusieurs
dizaines de végétaux. Certains dangers ont également été mis en évidence. Si l’on connaissait
depuis longtemps déjà les plantes les plus toxiques, on s’est récemment rendu compte que
d’autres faisaient preuve d’une nocivité plus subtile, leur utilisation régulière sur une période
prolongée pouvant entraîner de graves troubles, parfois mortels. Par ailleurs, diverses
pharmacopées exotiques ont été explorées et nous ont valu l’introduction de quelques-unes
des nombreuses plantes qui les composent. Mais, souvent, les universités occidentales,
économiquement liées à des laboratoires chimiques explorent systématiquement, sur le
terrain, les pharmacopées traditionnelles, à la recherche de principes actifs à breveter pour en
tirer de juteux bénéfices, auxquels ne participeront pas les populations détentrices de ces
savoirs traditionnels.
Les attitudes aussi ont beaucoup changé et nous sommes aujourd’hui bien loin des « simples »
de nos grands-mères et de leurs tisanes bienfaisantes. Pour les pharmacologues, la plante n'est
plus guère qu’un support de principes actifs. Et si l’on peut synthétiser ces derniers, tant
mieux, le végétal lui-même étant souvent regardé avec suspicion… L’utilisateur, de son côté,
cherche souvent à se soigner lui-même, et va chercher des conseils dans des livres ou sur
Internet plutôt qu’auprès d’un médecin. Mais les rares accidents qui en résultent provoquent
immédiatement la réaction du corps médical et des autorités, désireux de garder la mainmise
sur l’utilisation thérapeutique des végétaux. La réussite commerciale de certaines plantes,
comme le millepertuis ou la stévia, ont même entraîné des réactions brutales de la part des
lobbies chimique et sucrier, qui craignent la perte de parts de marché. Enfin, l’intensification
de l’emploi des plantes médicinales menace nombre d’entre elles de raréfaction, voire de
disparition, et il n’est pas rare de trouver sur le marché des plantes de mauvaise qualité qui
causent davantage de problèmes qu’elles n’en résolvent…
Un nombre toujours croissant de plantes médicinales
Les végétaux actuellement utilisés en Europe pour soigner sont d'origines variées. Le groupe
de base est formé de nos plantes indigènes, connues depuis la nuit des temps et faciles à se
procurer car spontanées dans les bois, les prés, au bord des chemins, etc. Ce sont elles que
privilégie la médecine populaire. S'y sont ajoutées, depuis l'Antiquité, divers végétaux
exotiques venus d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Depuis 1970, deux médecines asiatiques
traditionnelles ont été source d'introduction de nouveaux végétaux. La médecine ayurvédique
de l'Inde, vieille de plusieurs millénaires, a répertorié quelque sept mille plantes, dont plus du
tiers sont couramment utilisées. Elle nous a fait connaître par exemple la rauwolfia et le gotu-
kola. La médecine chinoise, quant à elle, est surtout pratiquée par des spécialistes et peu
d'éléments de sa pharmacopée sont connus de tous. L'exception qui confirme la règle est le
ginseng. Notons que certaines plantes chinoises, contenant des alcaloïdes pyrrolizidiniques,
ont été interdites à la vente en Belgique.
Depuis quelques années, l'exploration des plantes médicinales des divers continents a été
entreprise de manière systématique. L'Amazonie nous a ainsi offert le guarana et le Paraguay
le maté, l'Afrique orientale le prunier d'Afrique et l’Afrique du sud l'harpagophytum. De
grandes firmes pharmaceutiques, des universités et d'autres organismes paient des botanistes
et des pharmacologues pour recenser les usages traditionnels de tous les végétaux possibles en
questionnant les populations et, en particulier, les guérisseurs. Les plantes sont ensuite
analysées, à la recherche de principes actifs que l’on tentera ensuite de synthétiser. Il ne
restera plus qu'à déposer un brevet et à commercialiser le nouveau dicament pour que
l'opération soit fructueuse. Bien sûr, tout cela profite avant tout aux détenteurs des brevets et,
si l’aboutissement de cette démarche pourra peut-être soulager quelques-uns des nombreux
maux dont souffrent les Occidentaux, les populations locales, à la source de ces découvertes,
n'en bénéficieront pas ou alors, elles risquent de voir leur mode de vie profondément altéré
par l'argent qu’elles recevraient, dans le plus « juste » des cas...
La suspicion des autorités
Un nombre croissant de remèdes gétaux est donc disponible sur le marché, et ces derniers
doivent être évalués. Par ailleurs, le développement sans précédent de l’automédication a
entraîné quelques accidents avec des plantes apparemment aussi bénignes que le séneçon ou
la germandrée, et d’autres, plus exotiques tels l’éphèdre ou le kava-kava. En même temps que
grandit l’intérêt populaire pour la médecine par les plantes, se développe, dans les milieux
scientifiques, un curieux phénomène de suspicion envers les végétaux Par définition, les
plantes médicinales possèdent des effets sur l’organisme et sont souvent proches de la
toxicité. Si elles sont prises en excès ou mal à propos, il est normal de s’attendre à ce qu’elles
risquent de provoquer des dérèglements physiologiques : c’est d’ailleurs le cas de la plupart
des substances actives, et les médicaments de synthèse apportent tous les jours la preuve de
leurs nombreux effets secondaires. Il est étonnant qu’ils n’émeuvent d’ailleurs jamais autant
que lorsque des plantes sont en cause. Peut-être parce l’inconscient collectif pense que ce qui
est « naturel » ne saurait être dangereux. On rencontre pourtant, dans les règnes végétal et
animal, des substances d’une toxicité foudroyante.
Vouloir éviter les problèmes et rationaliser l’usage des plantes part certainement d’une bonne
intention, mais il importe de rester conscient que le risque zéro n’existe pas. L’interdiction
pure et simple ne s’est jamais révélée, en quelque domaine que ce soit, une solution optimale
mais un pis-aller. L’information, l’éducation et la formation du public restent les seuls
moyens véritables de minimiser les dangers existants. Mais cela nécessite une certaine
conception des choses qui n’est pas toujours celle des décideurs. On peut parfois se demander
si les « simples » représentent un péril pour la santé du public ou pour les profits des
industriels du médicament…
L’importance qu’ont récemment prises les plantes médicinales 4 à 5 % des patients utilisent
les plantes comme traitement principal a entraîné des actions de l’industrie chimique qui
craint, à juste titre, de perdre des parts de marché. Ainsi le lobby pharmaceutique a-t-il réussi
à discréditer le millepertuis auprès des médecins. Réputée comme antidépresseur aux
propriétés confirmées par de nombreux tests cliniques, cette plante commune est dénuée des
effets secondaires de ses concurrents de synthèse. En Allemagne, on l’apprécie énormément :
soixante-six millions d’unités de spécialités à base de millepertuis y ont été vendues, en 1994,
pour le traitement des dépressions légères et modérées. Il y avait de quoi faire peur : le 1er
mars 2000, l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) publiait
un communiqué mettant en garde les médecins contre l'usage du millepertuis car il
diminuerait l'effet d'autres médicaments pris simultanément, en activant leur élimination par
le foie. Mais il n’y a en fait aucun lieu d’être surpris, comme le montrent clairement les
notices de la plupart des médicaments : toute substance active présente obligatoirement des
risques d’interactions avec d’autres. Pourquoi donc se montrer infiniment plus sévère vis-à-
vis d’une plante qu’envers les médicaments de synthèse ?
Attention à la dose !
C’est apparemment avec de meilleurs motifs que toutes les plantes renfermant des alcaloïdes
pyrrolizidiniques, toxiques pour le foie, sont mises à l’index. Quelques rares problèmes sont
survenus avec le séneçon, la consoude et le tussilage, mais tous sont clairement dus à des
abus. Une utilisation normale de ces plantes reste sans danger. Comme le disait fort justement
Paracelse, au XVIe siècle : "Toutes les substances sont des poisons, seule la dose juste permet
de distinguer un médicament d’un poison." On va même actuellement jusqu’à penser que
l’organisme a besoin, pour se renforcer, d’être régulièrement exposé à de petites doses de
produits toxiques. Les systèmes enzymatiques de détoxification ont besoin d’être stimulés :
des études en cours montrent en effet des parallèles avec le système immunitaire.
Or les molécules hépatotoxiques contenues dans les Boraginacées consoude, bourrache,
héliotrope... et les Astéracées pétasite, séneçon, tussilage… sont présentes en quantités
très variables suivant les espèces. Il est vrai que l’héliotrope d’Europe et certains séneçons
exotiques présentent un réel danger du fait de leur teneur importante en pyrrolizidines. Mais
consoude, bourrache et pulmonaire, ainsi que les variétés européennes de tussilage, n’en
contiennent que très peu. D’ailleurs ces plantes entrent, depuis des siècles, dans l’alimentation
humaine sans que des problèmes aient été signalés dans le cadre d’une consommation
normale.
Aujourd’hui, l’AFSSAPS a réuni plusieurs plantes sur la liste 2 des plantes médicinales dont
l’évaluation néfice-risque est jugée négative et qui, de ce fait, risquent d’être interdites
comme l’est actuellement la germandrée petit-chêne. Parmi celles-ci figure la berce spondyle,
accusée de renfermer des furanocoumarines, potentiellement photodynamisantes… Mais le
zeste de citron en est tout aussi riche et personne ne s’en inquiète pour autant. Faudrait-il
prohiber les cakes et les boissons aromatisées à l’extrait de citron ?
Il importe de bien mettre les choses en perspective : fumer, boire de l’alcool ou simplement
conduire reste infiniment plus risqué que de se soigner avec les plantes. D’ailleurs, pour
vérifier si les plantes sont aussi dangereuses que certains cherchent à le faire croire, il suffit de
consulter les statistiques d’intoxications par les végétaux des centres antipoison : si les alertes
sont relativement nombreuses dues, en particulier, à des enfants ayant ingéré des « baies »
sauvages , les symptômes alarmants sont remarquablement peu fréquents et les cas graves
extrêmement rares.
Faudrait-il tout interdire au nom du fameux principe de précaution ? Ou plus simplement,
dans le respect de la liberté et de la responsabilité de chacun, ne vaudrait-il pas mieux
informer le consommateur des risques encourus ? Ne serait-il pas judicieux de développer des
professions qui connaissent parfaitement les plantes et servent d’intermédiaires entre elles et
leurs utilisateurs ?
Notons aussi que les technologies modernes, qui ont entraîné un regain d’intérêt de la part des
phytochimistes pour les plantes médicinales, permettent des analyses de plus en plus fines et
donc la découverte de nombreuses substances actives nouvelles. Mais, à côté de gétaux
étudiés en profondeur, d’autres ont été totalement négligés. Les résultats doivent donc être
interprétés : il est possible de déceler une myriade de molécules dans chaque plante et, à
l’inverse, ce n’est pas parce qu’aucune donnée n’a été publiée sur tel végétal qu’il ne contient
rien d’intéressant. Par ailleurs, la substance majoritaire est rarement la plus importante quant
aux effets. Et l’on sait désormais que, la plupart du temps, ces derniers sont dus non pas à une
molécule unique mais à un ensemble de principes agissant en synergie. Ainsi l’hypéricine du
millepertuis, les valépotriates de la valériane ou les ginsénosides du ginseng, que l’on a
longtemps supposés responsables de l’activité de ces plantes, ne l’expliquent-ils pas
entièrement.
Des dangers pour nous et pour la nature
Suivant les cas, les plantes médicinales peuvent être cultivées ou récoltées dans la nature.
Parmi les premières, citons l’ail ou le gingembre tandis que le millepertuis, le lierre, le
gattilier et l’aubépine appartiennent généralement à la seconde catégorie. L’ortie est à 50/50
dans les deux… Un point important mérite d’être soulevé : à quoi sert-il d’utiliser des plantes
pour se soigner si elles apportent à l'organisme des résidus d’engrais et de pesticides ? S’il
s’agit de végétaux cultivés, il est donc préférable qu’ils l’aient été suivant les règles de
l’agriculture biologique ou, mieux encore, de la biodynamie. Et les plantes sauvages doivent
avoir été cueillies loin de toute source de pollution.
L’essor remarquable de la phytothérapie, ces dernières années, a provoqué une augmentation
importante de la demande. Et pas seulement en Occident. Près de 80% des habitants de notre
planète n’a pas accès à la pharmacie « moderne ». Dans de nombreux pays, la majorité de la
population, toujours croissante, a donc recours aux végétaux pour se soigner.
On reconnaît dans le monde plus de trente-cinq mille espèces de plantes médicinales, dont les
deux tiers proviennent de cueillette dans la nature. Plusieurs milliers sont actuellement
menacées d’extinction. Ainsi en est-il du prunier d’Afrique dont l’écorce est employée contre
les problèmes de prostate. Son exploitation abusive tue l’arbre et contribue à la déforestation.
De même, l’harpagophytum est en danger car l’extraction de sa racine aux vertus anti-
inflammatoires, largement appréciée contre les rhumatismes, détruit la plante. En Namibie,
des projets d’exploitation durable sont en cours. Mais bien d’autres végétaux n’auront même
pas cette chance.
En Inde, par exemple, le ministre de la santé vient de publier une liste de 359 espèces de
plantes menacées d'extinction, en raison de leur utilisation en médecine ayurvédique. En dix
ans, l'Inde a ouvert des dizaines de cliniques basées sur cette médecine traditionnelle
accueillant des touristes du monde entier. Le marché est évalué à 1,2 milliard d'euros et
progresse de 8 % par an. Mais les plantes proviennent généralement de communautés locales
qui les cueillent dans les forêts sans se soucier de leur conservation…
Bref, se soigner avec les plantes médicinales fait parfois plus de mal que de bien, à la nature
ou à nous-mêmes. Mais au fond, n’est-ce pas notre rapport à la maladie qu’il importerait de
remettre en cause ? Peut-être serait-il plus judicieux d’éviter de « tomber » malade en faisant
ce qu’il faut pour rester en bonne santé : de nombreuses pistes existent pour aller dans ce
sens
François Couplan, docteur-ès-sciences, est ethnobotaniste et auteur d’une soixantaine
d’ouvrages sur les utilisations des plantes et sur la nature, dont le Petit Larousse des plantes
qui guérissent, avec Gérard Debuigne. Il organise régulièrement des stages de découverte des
plantes sauvages comestibles et médicinales dans la nature. Visitez son site :
www.couplan.com
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !