Position de thèse - Université Paris

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
École Doctorale V : Concepts et Langages
EA : 4509 - Sens Textes Informatique
THÈSE
Pour obtenir le grade de
Docteur de l'Université Paris - Sorbonne (Paris IV)
En linguistique
Présentée et soutenue par :
Amine SMARA
Le : 3 Janvier 2012
Description morphosyntaxique, en diachronie et
en synchronie, de la négation et de “ra-” dans le
parler d’Oran
Sous la direction de :
Monsieur Amr Helmy Ibrahim Directeur de recherches à Paris-Sorbonne (Paris
IV)
JURY :
Rapporteurs :
Madame Djaouida HAMDANI KADRI
Professeur à l’Université
Du Québec à Montréal
Monsieur Farouk BOUHADIBA Professeur à l’Université d’Oran
Examinateur :
Madame Claire MARTINOT Maître de conférences-HDR à l’Université René
Descartes, Paris 5
1
Il existe dans les parlers arabes d’Algérie un morphème grammatical à la fois indispensable
et en totale rupture avec l’arabe standard et avec d’autres parlers levantins ou de la
péninsule Arabique. Nous parlons bien sûr de “ra-”, qui a été qualifié de particule depuis les
premières études orientalistes sur les parlers algériens mais, comme nous allons le voir, ne
correspond pas de par sa morphologie et sa syntaxe à cette désignation. Ce morphème se
combine avec différentes catégories grammaticales qui vont du verbe au nom, en passant par
des structures comme les syntagmes prépositionnels ou nominaux. Il porte une désinence
verbale, se traduisant par l’ajout de pronoms personnels joints postposés, marquant le sujet
grammatical de la phrase :
Avant d’aborder la question de “ra-” nous
avons
consacré
un
chapitre
à
l’histoire
linguistique de l’Algérie en général et à celle de
la ville d’Oran en particulier. Ce chapitre nous
semblait indispensable afin de cerner le type de
parlers qui ont été introduits dans la région et si
on pouvait classer le parler arabe d’Oran en
Tableau 1
1ère personne
Singulier M/F
Pluriel
r ni
r na
2ème personne r
r i
r um
3ème personne r h r hi
r hum
termes de parlers pré-hilaliens ou de parlers hilaliens. On voulait aussi connaitre les dates
approximatives à partir desquelles on pouvait considérer qu’il y avait une communauté
linguistique stable qui aurait fini par donner naissance à notre parler. Nous avons pu
dégager des données qui contrastent avec les conclusions faites sur les parlers de vieilles
cités comme Tlemcen, ou Tunis. En effet, Oran est une ville qui a été fondée en 902 par des
marins andalous d’Alicante et d’Almeria sur les ruines d’un ancien village berbère “Ifri”.
Les langues parlées à la fondation de la ville sont le berbère et l’arabe andalous. En 1509 la
ville fut prise par les Espagnols et vidée totalement de sa population. Cette situation règle
définitivement la question de la survivance de parlers pré-hilaliens. L’Espagne fut contrainte
à quitter définitivement Oran en 1791. À partir de cette date la ville fut progressivement
mais faiblement repeuplée malgré les diverses incitations instaurées par les Ottomans. La
ville a été repeuplée principalement par une population issue du Beylicat de l’ouest. Donc
lorsque la ville est cédée à la France par le Bey Hassan en 1832 c’est un nouveau parler en
gestation qui est utilisé à Oran. Durant la période coloniale le français est la langue
dominante au coté de l’espagnol, langue maternelle de la forte population d’origine
espagnole ; le nombre de colons espagnols étant plus important que le nombre de colons
français jusqu’au début du 20ème siècle. Après l’indépendance et le départ des européens qui
composaient les trois quarts de la population d’Oran, la ville fut encore une fois
massivement repeuplée par des locuteurs arabophones principalement de l’Oranie et par une
population berbérophone originaire de Kabylie. Finalement nous sommes en face d’un
parler qui a un peu plus de deux cents ans d’existence et qui a subi la pression de plusieurs
2
langues et parlers ; et qui a acquis avec le temps sa propre dynamique et une identité
originale autour de laquelle il se construit de nos jours.
Notre travail est basé sur l’analyse d’un corpus oral constitué auprès de deux groupes de
locuteurs. Le premier regroupe deux locuteurs de plus de cinquante cinq ans et le deuxième
groupe est composé de trois locuteurs de moins de vingt cinq ans. Tous ces locuteurs sont
natifs d’Oran et de ses environs immédiats.
Nous avons constaté dès que nous nous sommes intéressés à “ra-” que sa négation
obéissait aux règles de la négation verbale, c'est-à-dire, qu’il est nié avec la négation
discontinue “ma -š” à l’instar des verbes. Pour nous cette situation constitue un argument
en faveur du classement de “ra-” comme morphème verbal. Nous avons alors entamé une
analyse systématique de tous les énoncés négatifs de notre corpus afin de vérifier la
régularité du système de la négation. La négation des prédicats verbaux obéit à la structure
suivante : “ma V š”, “ma” est un adverbe de négation, il lui incombe d’introduire la notion
de négation, et “š” est un auxiliaire de négation qui est nécessaire pour assurer la
complétude syntaxique de l’énoncé négatif. “š” est parfois remplacé par d’autres
morphèmes en position d’auxiliaire de négation avec pour but le renforcement de la
négation comme “Domr” (jamais), “
lu” (rien), “ḥatta” (aucun), etc. Il s’efface aussi
lorsqu’il y a redondance de constructions négatives du type “la N la N”, “ma V ma V”,
“ma V ma alu”, “ Ω ma V Ω ma V”, ou tout autre redondance de prédications verbales
niées au sein d’un même énoncé.
La négation des prédicats non-verbaux est de type continu, on l’obtient en postposant
l’adverbe de négation “mešši” (ne-pas, “ce n’est pas”). Cet adverbe permet de nier les
noms, les adjectifs, les participes passifs (verbo-nominaux). La négation continue permet
aussi de nier toute prédication qu’elle soit verbale ou nominale, mais d’une manière globale
et non pas en opérant sur l’élément qui la suit. Ainsi l’énoncé “nta tχalleṣ” (c’est toi qui
paye) peut être nié de deux manières : 1. nta ma tχalleṣš (toi tu ne payes pas) qui représente
la forme standard de la négation au mode impératif dans notre parler 2. mešši nta tχalleṣ (ce
n’est pas toi qui paye). On voit que dans le premier cas la négation est restreinte au verbe et
l’énoncé ne comporte pas d’ambigüité ou de sous-entendu. Elle correspond à une négation
suspentive-réassertive (R.Forest, 1993). Tandis que dans le second exemple la négation
porte sur toute la relation prédicative ce qui induit, en plus de la négation portée sur l’action
de payer, le sous-entendu qu’une autre personne payera. Le deuxième cas est souvent utilisé
pour lever l’ambigüité sur une assertion antérieure (ou présupposée) et correspond à ce que
R. Forest (1993) appelle une négation récusative. Malgré la proximité entre “mešši” et le
verbe, ce dernier n’est pas directement visé par la négation.
Nous avons aussi abordé des questions de nature diachronique à travers les deux formes
de l’auxiliaire de négation que nous avons relevées chez les locuteurs de plus de cinquante
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cinq ans. La forme la plus ancienne “-ši” illustre un état intermédiaire de la
grammaticalisation du nom “šay>/šay” (chose en arabe) en morphème grammatical “-š”.
D’autres phénomènes ont été abordés. Nous pouvons citer le cas des prépositions qui sont
utilisées avec une fonction verbale comme “Dand-” (posséder) pour exprimer la possession
et “fi-” pour l’inclusion, qui sont niées, avec des contraintes spécifiques, à l’aide de la
négation réservée aux prédicats verbaux.
Nous sommes arrivés à la conclusion que le système de la négation dans notre parler est
stable et ne souffre d’aucune exception. Dans la mesure où nous avons pu établir que les
prédicats verbaux sont systématiquement niés à l’aide de la négation “ma -š”, “ra-” et
“ n” qui obéissent au même type de négation sont classés dans la catégorie verbale. Nous
avons aussi démontré qu’il n’existe pas de négation discontinue appliquée à des pronoms
personnels. Les cas de “man š, m š, etc” correspondent à des troncations de “ma ran š, ma
r š, etc”.
Nous avons entamé notre chapitre consacré à “ra-” par la problématique de l’origine de
ce morphème qui n’a pas été tranchée par les travaux antérieurs.
Le verbe arabe “ra>a yara” a été identifié par différents orientalistes (G. Colin : 1903, M.
Cohen : 1912) comme étant à l’origine de “ra-”. Selon la plupart des travaux, mêmes
modernes (Z. Mered : 1992, J. Madouni : 1993), c’est la forme impérative de ce verbe qui a
abouti au morphème “ra-”. Pour nous, il n’y a aucune éventualité pour que l’impératif de
“ra>a” puisse être à l’origine de “ra-”. Nous avons avancé trois arguments pour réfuter
cette théorie. En premier lieu la forme impérative de ce verbe ne semble pas être très
utilisée, l’usage lui préfère l’impératif du synonyme de “ra>a yara”, le verbe
“naðˁara yanðˁuru” (voir, regarder) qui est “>unðˁur” (‫أنظر‬, vois, regarde). Le deuxième
argument réside dans la forme que prend le verbe “ra>a” à l’impératif, à la 2ème personne du
singulier on a “ra” et à la 2ème personne du pluriel il prend la forme “ru”. Donc nous
sommes loin des formes à la deuxième personne du singulier et du pluriel que prend le
morphème “r
r um” en oranais. On peut ajouter à cela l’allongement de la voyelle de la
première radicale qui n’existe pas dans l’impératif de “ra>a” alors qu’il est présent dans la
forme inaccomplie de ce verbe : tar ni, tar , tar hu, etc. (Cf. tableau 2 et figure 1, ci-
dessous). Le troisième argument se traduit par le fait que l’impératif n’est utilisé que pour la
deuxième personne du singulier et la deuxième personne du pluriel, alors que notre “ra-”,
comme l’inaccompli, se conjugue à toutes les personnes.
Cette démarche nous a amené à chercher un lien entre la forme inaccomplie de ce verbe
et notre morphème en oranais. Nous avons constatés que le verbe “ra>a” en arabe standard
possède deux types de fonctionnements syntaxiques.
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En effet, le verbe “ra>a” fait partie des verbes appelés par les grammairiens arabes
“les verbes des cœurs” (‫ )القلوب‬qui englobent deux types de verbes. Le groupe qui nous
intéresse réunit “ra>a” (voir), “dar ” (savoir) et “Dalima” (apprendre) et leur fonction
est l’expression de la certitude. D’un point de vu syntaxique le verbe “ra>a” possède
donc deux valeurs distinctes. Dans le premier cas, il est en position de verbe
distributionnel et exprime l’action de voir, observer visuellement quelqu’un ou quelque
chose : “N-Hum ra>a yara N” comme dans “ra>aytu zaydan” (j’ai (vu+aperçu) Zaïd).
Dans le second cas, il fait partie des verbes de “certitude”, il est appliqué alors à des
constructions à prédication nominale du type “mubtada> χabar” qui deviennent ses
deux compléments. Ex. “zaydun šuj Dun” (Zaïd courageux)  “ra>aytu zaydan šuj Dan
(j’ai vu (avec certitude) que Zaïd était courageux1)”. Il est possible de remplacer le
verbe “ra>a yara” par notre “ra-” dans ce type d’énoncé de l’arabe standard sans que
cela ne perturbe la grammaticalité de l’énoncé : “(ra>aytu+rah) zaydan šuj Dan” ou
“zaydan rah šuj Dan” pour respecter l’ordre des morphèmes en oranais. La compatibilité
de ce dernier avec ce type de construction constitue un indice supplémentaire en faveur
de leur filiation, même s’ils n’ont pas la même valeur grammaticale. La morphologie de
“ra-” qui a résulté de cette grammaticalisation a participé à cette perte de valeur
sémantique originelle.
Tableau 2
ra>a/yara
“ra-”
1ère pers. Sing.
ta-r ni
r ni
2ème pers. Sing.
ta-r (a) r i
3ème pers. Sing.
ta-r h(u) ta-r ha
r h r ha r hi
1ère pers. Plur.
ta-r na
r na
2ème pers. Plur.
ta-r um
r um
3ème pers. Plur.
ta-r hum
r hum
Figure 1
“ra-”
ra>a/yara
ta-ra-ni
Argument1 Prédicat Argument2
ra-ni
Prédicat
Argument2
r
r i
Nous avons comparé la conjugaison des deux formes dans ce tableau pour illustrer les
ressemblances.
Nous avons donc une grammaticalisation qui a eu comme conséquence morphologique la
chute du pronom personnel joint (antéposé) “ta-”, de la forme inaccomplie, qui renvoyait au
sujet grammatical de la phrase dans la mesure où le pronom personnel postposé, qui était en
position d’objet avant la grammaticalisation, est devenu la marque du sujet grammatical
après la grammaticalisation vers “ra-”. Là où “ra>a yara” sélectionnait deux arguments “ra-
” n’en sélectionne qu’un seul. Il s’agit ici du cas le plus représentatif de la
1
J’avais la certitude que zaïd était courageux.
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grammaticalisation dans notre parler ; quant aux contraintes qui ont motivé cette
grammaticalisation, elles restent à définir.
Notre travail se basant sur un corpus oral, nous avons commencé par extraire tous les
énoncés construits avec “ra-”. Nous avons constaté que ce dernier se combine avec des
verbes à l’inaccompli ou au participe actif pour constituer un verbe composé dont la
prédication est construite autour de l’expression du présent. Le choix de la forme de
l’auxilié à combiner avec “ra-” pour exprimer le présent dépend de plusieurs facteurs. Le
premier relève de la compatibilité de certains verbes à la forme inaccomplie ou au participe
actif avec “ra-”. Ainsi si on veut exprimer la phrase “Samir arrive” en arabe oranais, on ne
peut utiliser que la construction “ra-PPJ V-PAC” qui donne “Samir rah j y” (Samir être-PRE-
s3s venir-PAC-s3s). Nous n’avons pas glosé l’aspect parce qu’il n’est pas important du
point de vue de la prédication construite autour de l’expression du présent. Nous ne
pouvons pas utiliser la construction “ra-PPJ V-INAC” : “Samir r h yji” parce que cet énoncé
a un sens différent de “Samir arrive” puisqu’il a le sens de “Samir a l’habitude de venir”.
Dans ce cas la prédication est construite autour de la valeur aspectuelle d’itération même si
“ra-” exprime toujours un présent. Le deuxième facteur dépend de la racine verbale qui
dans certains cas n’accepte pas l’une des deux formes. Ainsi “ Samir rah l Deb” (Samir
être-PRE-s3s jouer-PAC-s3s) est un énoncé agrammatical, on n’a pas d’autre choix que
d’utiliser la forme inaccomplie avec l’auxiliaire : “Samir rah yelDab” pour exprimer “Samir
joue”. Dans le groupe des locuteurs de plus de cinquante-cinq ans, ces derniers ont utilisé la
construction : “ra-PPJ V-ACC” que nous n’avons pas relevée dans le corpus des locuteurs de
moins de vingt-cinq ans. Cette construction permet d’exprimer une modalité épistémique de
certitude que nous illustrons par cet énoncé produit par la locutrice de quatre vingt dix ans :
“waHdin me bl d flaniya r hum djaw χaṭbu semš ediy t rani Dṭitha’lhom” (Des gens d’un
autre pays sont venus demander la main de semš edyat, je leur ai accordé sa main). Le
fonctionnement de cette construction est toujours basé sur la valeur de présent de “ra-” qui
introduit une borne temporelle signifiant qu’au moment de l’énonciation (c.-à-d., le présent)
l’information véhiculée par le verbe auxilié est certaine, d’où l’utilisation du verbe à
l’accompli. L’action est jugée accomplie et irréfutable. La modalité est un effet obtenu par
la combinaison des deux morphèmes. L’absence de cette construction du corpus des moins
de vingt cinq ans ne signifie pas qu’elle a totalement disparu du parler oranais actuel parce
que nous pouvons encore l’entendre mais dans des situations linguistiques très contraintes.
Effectivement, cette construction est utilisée exclusivement pour braver une interdiction,
elle est systématiquement suivie par une phrase type pour défier son interlocuteur. Si par
exemple j’interdis à une personne de sortir d’une pièce, elle peut sortir et me dire une fois
que je l’aurais prise sur le fait : “r ni χrejt
e mbaDd !” (Je suis sorti et alors !).
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“ra-” entre encore dans un autre type de constructions basées sur des prédications nonverbales. Dans ces constructions “ra-” fait office de copule verbale qui lie le prédicat au
sujet, tout en permettant un transfert de propriétés attributives, locative ou d’identification
au sujet de la prédication. Le prédicat peut être un verbe au participe passif, un adjectif, un
nom, un adverbe, un syntagme nominal ou un syntagme prépositionnel. Le participe passif
dans notre parler possède un fonctionnement adjectival et représente le résultat de l’action
dans les constructions “ra-PPJ V-PPAS”, on peut donner cet exemple : “lb b r h maHl l” (la
porte est ouverte), on peut aussi paraphraser par “la porte est dans un état « ouvré »
(ouvert)”. Pour le cas de l’adjectif “N ra-PPJ Adj” on peut citer cet exemple “r [syr] ma
mredtš ?” (Tu es sûr tu n’as pas été malade ?). Nous avons sciemment choisi un exemple
contenant un cas d’alternance codique parce qu’il démontre la régularité du système même
lorsqu’un mot d’une langue étrangère est utilisé. Nous avons aussi démontré que ces
constructions ne sont pas équivalentes aux constructions “N Adj” comme l’ont affirmé
certains chercheurs (Boucherit (2003), Zoulikha Mered (1992)). Dans les constructions à
base de copule, “ra-” introduit une nouvelle information qui se traduit par la nouveauté de
la propriété portée par le prédicat. Ainsi, il y a une différence sémantique entre A : Samir
bogado (Samir est avocat) et A` : Samir rah bogado (actuellement Samir est avocat),
l’énoncé A` sous-entend que Samir n’avait pas cet attribut par le passé. Nous avons ici une
dichotomie adjectif épithète/ adjectif attribut. Lorsque le prédicat est un nom nous avons
des énoncés du type “bu jarra ṣolṭ ni lli rah dar e
az r” ([...] Bou-Jarra Soltani qui est,
actuellement, ministre.). Le fonctionnement reste identique, les propriétés du prédicat sont
transférées sur le sujet de la phrase en les inscrivant dans le présent. Pour le cas des
adverbes prédicats, nous avons l’exemple suivant : “r h bD d Dl ” (Il est loin de toi) ici
aussi “ra-” possède un fonctionnement de copule verbale, néanmoins cet énoncé illustre un
autre phénomène que nous avons rencontré et qui introduit une difficulté dans l’analyse.
Dans notre parler, comme en arabe standard, le sujet est parfois occulté et les pronoms
personnels joints aux verbes suffisent à le représenter grammaticalement. Afin de démontrer
le fonctionnement de “ra-” dans ce type de constructions nous avons eu recours à l’analyse
matricielle définitoire développée par Amr Helmy Ibrahim (1996, 2004, 2009) qui considère
que tout énoncé produit dans une situation d’échange linguistique produit systématiquement
un autre énoncé équivalent moins contraint composé de prédications élémentaires et plus
long que l’énoncé source. Ainsi, notre énoncé précédent peut être analysé comme suit :
“lbnadem elli Dlih lhadra fe lwaqt lH der yen blaṣa bD da Dla lbnadem elli hu a nta” (la
personne dont je parle au moment de mon énonciation existe+trouve(se) dans un endroit
lointain par rapport à la personne désignée par toi). L’avantage de cette analyse c’est qu’elle
nous a permis de restaurer le sujet grammatical qui est occulté dans l’énoncé source et sur
lequel le prédicat transfère les propriétés grâce à “ra-”. Elle règle aussi la difficulté causée
par la position du pronom personnel postposé à “ra-”, seul renvoi au sujet occulté, entre
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cette copule et le prédicat. Pour les syntagmes prépositionnels nous avons des énoncés du
type “ššib ni tt Dah rah fe l>andalus” (Son vieux est aux Andalouses ‘complexe
touristique’). Dans toutes les constructions quelle que soit la préposition : “Dla”, “Dand” ou
“mDa”, “ra-” est en position de copule verbale. “ra-” garde une valeur de vecteur de
présent dans toutes les constructions décrites.
Dans certains cas “ra-” a acquis une fonction de verbe distributionnel à sens plein
exprimant l’idée d’existence comme on peut le voir dans cet exemple “ ima r na had lD m”
(Lit. Comme nous sommes cette année. Telle qu’est notre situation cette année).
En conclusion nous estimons que “ra-” possède les propriétés grammaticales d’un verbe
et l’emploi le plus fréquent statistiquement dans notre corpus est celui d’auxiliaire verbal. Il
entretient avec “ n” une complémentarité dans le sens où ce dernier prend en charge
l’expression du passé avec le même fonctionnement syntaxique que “ra-” dans les emplois
en tant qu’auxiliaire exprimant le passé ou dans les emplois en tant que copule. Ce constat
nous a amené à la conclusion qu’il était primordial de considérer ces deux verbes comme
les deux formes d’un même verbe irrégulier dans la mesure où nous avons deux signifiants
pour un même signifié en fonction de la temporalité exprimée (Cf. la notion d’amalgame
d’A. Martinet, 1960).
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