Synthèse: Le travestissement
Synthèse 1 : le travestissement Les masques Le théâtre de Marivaux se place presque entière-ment sous le signe
du masque. Sa toute première pièce, Le Père prudent et équitable, une comédie en vers de 1706 environ inspirée de
Molière, montre un valet, Crispin, jouant les rôles d’un financier puis d’une femme. Une des plus
impor-tantes parmi ses pièces de début, La Double Inconstance (1723), est fondée sur une histoire de travestissement
qui annonce celle du Jeu de l’amour et du hasard. Le personnage nommé le Prince se fait passer pour « un
simple officier du palais » afin que Silvia, la jeune fille qu’il aime puisse l’apprécier indépendamment de
son rang. L’année suivante, Le Prince travesti reprend une donnée voisine puisque l’intrigue repose sur
le déguisement d’un grand seigneur en « simple gen-tilhomme », et par celui du roi en personne pré-senté
comme un simple ambassadeur. Même type de stratagème dans La Fausse Suivante (1724) comédie dans laquelle
c’est une jeune fille de condition qui revêt le masque afin d’apprendre à connaître l’homme
qu’on lui destine pour époux. Les fonctions du travestissement Les personnages de Marivaux trouvent
toujours de bonnes raisons pour se déguiser. En simpli-fiant on pourrait ramener ces raisons à trois : Ø Se protéger du
regard des autres. C’est ce qui se passe dans Le Jeu de l'amour et du hasard : Silvia, tout comme Dorante, ne
souhaite pas être identifiée ; l’un et l’autre éprouvent le désir de dissimuler leur «être» sous
l’enveloppe du « paraître » pour des motifs assez comparables « Si je pouvais le voir, l’examiner un peu,
sans qu’il me connût » (Silvia, I, 2) ; « il espère sous ce déguisement de peu de durée saisir quelques traits du
caractère de notre future » (Dorante justifié par son père, I, 4). Nous avons vu que ce type de mascarade est très
fréquent dans le théâtre de Marivaux. Il se fonde sur une volonté de secret, de dissimulation, de prise à revers des
étiquettes établies par la société. Ø Créer une situation nouvelle. Le travestisse-ment relève d’un registre
ludique. En inventant le stratagème, le héros favorise les conditions de l’intrigue que le hasard se chargera de
développer et de compliquer. Les mots comme original (I, 1 ; II, 1), singulier (I, 2 ; II, 4), bizarre (I, 4 ; 1,8), unique (1,7 ;
III, 4) définissent le glissement dans une fantaisie sans conséquence. La société impose des contraintes que le
masque — comme l’entrée dans un jeu où la réalité est mise entre parenthèses — libère. On peut,
sous le masque, parler d’une certaine façon : tutoyer pour les maîtres, tourner le compliment pour les valets ; on
peut agir plus librement. Les trois comédies philosophiques (les utopies*) et tout particulière-ment L’Ile des
esclaves illustrent assez bien ce principe. Bien entendu, le résultat du travestisse-ment peut dépasser les effets
attendus quand le masque devient pesant. Silvia en fait l’expérience : C’est que je suis bien lasse de mon
personnage (II-11) et Dorante, qui se révélera à la scène suivante, paraît bien pressé d’en finir. Le Jeu de
Lamour et du hasard mélange ces diverses justifications du déguisement. Dans tous les cas, le masque signale
l’entrée dans la sphère du mensonge, de l’inauthenticité. Alors que le projet de Marivaux dans son théâtre
est d’attein-dre la vérité, voici qu’il nous offre paradoxale-ment d’innombrables silhouettes de
tricheurs. C’est qu’en mettant sur la scène l’image de la tromperie, le dramaturge précipite
l’avènement de la vérité. À la fin de la comédie, sans exception, les masques tombent et « l’être »
apparaît dans le dépouillement et la sincérité. La mystification, servie par le masque, démultipliée parfois par le hasard,
accouche alors de la vérité. Le déguisement et ses ressources scéniques De Shakespeare à Pirandello, sans
oublier Molière, les grands auteurs de théâtre ont com-pris les ressources qu’ils pouvaient tirer du déguisement.
Dans ses comédies, Marivaux mul-tiplie les variations sur ce thème qu’il utilise pour ses effets comiques et pour
ses ressources dramatiques. Ø Les effets comiques : le comique n’est pas absent et il est essentiellement nourri
par le jeu du déguisement, et ceci dans deux voies : § Le personnage d’Arlequin : il remplit son rôle
d’amuseur burlesque que la tradition italienne a familiarisé. Si le valet s’abstient des cabrioles ou des «
lazzi » trop grossiers, il conserve dans son comportement suffisamment de sottise pour amu-ser le public. Sa première
entrée en scène (I, 8) est ponctuée de fautes de langage, de grimaces provoquées par un désir maladroit
d’imiter ses maîtres. Plus tard, face à Lisette, il invente des formules pittoresques qui voudraient encore retrouver le
ton de la galanterie précieuse : Un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau..., Cher joujou de mon âme...
(II, 3) Je brûle, je crie au feu (II, 5) Elixir de mon cœur (III, 6) Aussi bien dans les gestes que dans les mots, le
comique procède souvent de la parodie*, même si, redevenu valet face à Dorante, Arlequin sait montrer sa bonne
humeur indépendante du masque (III, 1). § Le comique de situation : plus subtilement, le double travestissement des
personnages crée des situations qui forcent le sourire. L’identité d’em-prunt place les intéressés dans
des positions de décalage, de porte-à-faux que le spectateur informé de la totalité de la donnée, reçoit avec gaieté. Par
exemple, dès la première apparition de Silvia dans le costume de Lisette (I, 5), M. Orgon et Mario s’amusent à
prononcer des phrases à double-sens destinées à railler la jeune fille : Allons, doucement, ma sœur; ce faquin-là sera
votre égal ! A la scène suivante, M. Orgon se plaît à souligner l’élégance déférente du prétendu Bourguignon
Tu fais ta commission de fort bonne grâce. À plusieurs reprises, Dorante et Silvia, qui sont persuadés, chacun, de mener
le jeu, seront en fait les dupes d’une comédie qu’ils ne maîtrisent pas. Les exemples pourraient être
multipliés, mais on peut plutôt s’arrêter sur le quiproquo* volontaire qu’entretient Mario à la fin de
l’acte I Silvia. —Ce n’est point Bourguignon, mon frère, c’est Dorante. Mario. —
Duquel parlez-vous donc ? Ou encore du quiproquo involontaire que consti-tue le « dialogue de sourds » que mènent
Arlequin et Lisette quand chacun veut faire entendre à l’autre qu’il n’occupe pas le rang
qu’on lui prête (III, 6). Ø Les procédés scéniques Toute œuvre dramatique agit sur deux regis-tres : celui
de la parole et celui du mouvement ; chaque domaine s’appuie sur des moyens parti-culiers : le langage
dialogué, les effets de mise en scène signalés par les didascalies. Marivaux, peut-être parce qu’il connaissait et
suivait la troupe des comédiens chargés d’interpréter ses œuvres, n’est pas avare en indications
scéniques. Si dans Le Jeu de l’amour et du hasard elles sont si importantes, c’est bien parce que les
Des mots passants
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