Enjeux moraux et politiques autour de l’objection de conscience
Si la conscience renvoie à nos convictions les plus intimes, c’est dans l’espace commun que nous
mettons en œuvre ces convictions avec un souci de responsabilité, c'est-à-dire notamment en tenant
compte des conséquences de nos actes. « Vous avez vos convictions, mais aussi des responsabilités,
voire le devoir de remplir une mission de service public laïc. ». Cette distinction entre une éthique de
conviction et une éthique de responsabilité relève-t-elle d’une simple question de prudence ou de
justice, ou bien conduit-elle à une étrange schizophrénie ?
D’où vient cette distinction ?
Max Weber
1
pose cette distinction conviction/responsabilité en face de Kant
2
: « Fais ton devoir, le
monde dû-t-il en périr ». L’éthique de Kant est une éthique de la pure rationalité, elle ne s’appuie
que sur le principe logique de la non contradiction, et non pas sur le bien et sur le mal qui relèvent de
la métaphysique. Le critère de cette pure rationalité de nos maximes est donné par Kant dans des
formules dont la plus connue est celle-ci : «Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en
même temps valoir comme principe d’une législation universelle».
Puis-je mentir pour sauver un homme, ou ne pas tenir ma promesse ? Jamais, dit Kant, car il serait
contradictoire et donc irrationnel de vouloir ériger le mensonge en loi universelle. Ce n’est pas la fin
bonne qui doit déterminer mon action, c’est ma volonté comme raison pratique pure et autonome.
C’est donc une éthique pure. « L'éthique peut proposer des lois de moralité qui sont indulgentes et
qui s'ordonnent aux faiblesses de la nature humaine, et ainsi elle s'accommode à cette nature en ne
demandant rien de plus à l'homme que ce qu'il est en mesure d'accomplir. Mais l'éthique peut aussi
être rigoureuse et réclamer la plus haute perfection morale. En fait, la loi morale doit elle-même être
rigoureuse. Une telle loi, que l'homme soit en mesure ou non de l'accomplir, ne doit pas être
indulgente et s'accommoder aux faiblesses humaines, car elle contient la norme de la perfection
morale, laquelle doit être stricte et exacte. »
3
. C’est contre cette morale que s’élève Weber en lui
opposant une « éthique de responsabilité. Elle se présente comme une « prudence », mais une
prudence qui décide du bien et du mal et, finalement, l’emporte sur la conviction. « La distinction
entre l’éthique de conviction et l’éthique de la responsabilité débouche sur un choix raisonné (et non
pas arbitraire) en faveur d’une morale conséquentialiste »
4
. Parmi les théologiens catholiques
également, on rencontre ce type de discours que Jean-Paul II dénonce dans La splendeur de la
Vérité : « Suivant l'opinion de divers théologiens, la fonction de la conscience aurait été réduite, au
moins pendant certaines périodes du passé, à une simple application de normes morales générales
aux cas particuliers qui se posent au cours de la vie d'une personne. Mais de telles normes, disent-ils,
ne peuvent être aptes à accueillir et à respecter la spécificité intégrale et unique de chacun des actes
concrets des personnes ; elles peuvent aussi aider en quelque manière à une juste évaluation de la
1 Max Weber (21 avril 1864 à Erfurt - Munich le 14 juin 1920) est un économiste et sociologue allemand,
considéré comme l'un des fondateurs, avec Karl Marx et Émile Durkheim), de la sociologie moderne. On lui
doit notamment l’idée que la bureaucratie est la forme achevée de l’Etat moderne, dans laquelle l’autorité
est « rationnelle-légale » et non plus charismatique ni traditionnelle.
2 Emmanuel Né le 22 avril 1724 à Königsberg, capitale de la Prusse-Orientale, où il meurt le
12 février 1804. En morale, il est notamment influencé par Rousseau. Il développe une éthique du devoir,
fondée non sur le bien mais sur le pur respect du devoir. C’est le philosophe de l’autonomie de la volonté,
qui produit elle-même, comme « raison pure pratique », la loi morale.
3 Kant, Leçons d’Ethique
4 Weber, Dictionnaire d’Ethique