2 RECRUTEMENT ET ÉVALUATION DU PERSONNEL* © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit. Introduction Personne ne contestera l’importance stratégique et économique de l’évaluation du personnel dans les organisations contemporaines. La « ressource humaine » tend à devenir la principale richesse des entreprises, notamment dans le domaine des services, en pleine expansion. Dans cette perspective, la politique de choix des hommes et des femmes constitue un axe privilégié pour les entreprises du secteur privé ou public, qui doivent se positionner dans un monde de plus en plus ouvert et concurrentiel. L’optimisation des procédures de recrutement est censée répondre à un besoin de régulation des flux dans la gestion des carrières et à une logique plus rationnelle de la relation de l’homme au travail : ainsi sont cités comme besoins et conséquences la gestion des entrées et sorties dans les dispositifs de formation et dans les emplois ; le développement de la motivation au travail ; la réduction des accidents du travail ; la limitation du turn over et de l’absentéisme ; la constitution d’équipes de travail harmonieuses et efficaces ; l’élévation de la satisfaction individuelle et du climat social. De fait, le recrutement et l’évaluation du personnel se situent au cœur du développement des ressources humaines. Sur le plan international, les travaux scientifiques sur le recrutement et l’évaluation du personnel constituent une importante documentation, comportant des travaux empiriques et de synthèse (Borman, Hanson et * Par Jean-Luc Bernaud. 102 L’INDIVIDU FACE AU TRAVAIL Hedge, 1997 ; Landy, Shankster et Kohler, 1994 ; Schmidt, Ones et Hunter, 1992). En France, depuis une décennie, le lecteur concerné par ce champ n’aura pas manqué l’ouvrage de synthèse de Lévy-Leboyer (1996) ainsi que l’article du même auteur (Lévy-Leboyer, 1990). Par ailleurs, un ouvrage plus réduit, insistant davantage sur les questions générales que sur les données scientifiques, est également disponible (Jouve et Massoni, 1996). Malgré cet ensemble de publications, le champ de l’évaluation du personnel apparaît encore faiblement théorisé, la plupart des travaux disponibles s’appuyant sur une conception empirique de la recherche ; ainsi Landy, Shankster et Kohler (1994) soulignent bien cette question en s’interrogeant sur ce que mesure véritablement l’entretien de recrutement. Le modèle de référence le plus répandu – implicitement parfois – reste celui de l’appariement entre l’homme et son travail dans le but d’une maximisation de la performance ; il conforte donc une explication de la réussite au travail selon laquelle les facteurs individuels seraient déterminants, résultant d’une internalisation de la notion de performance (Dubois, 1994). Or une focalisation excessive sur ces facteurs pourrait conduire à faire l’impasse sur les facteurs organisationnels traités par ailleurs dans cet ouvrage ; ainsi, quel crédit peuton accorder à une procédure de recrutement lorsque les conditions de climat social, de sécurité au travail ou d’encadrement managerial ne sont pas remplies a minima ? Paradoxalement, le domaine du recrutement jouit d’une image plutôt négative, relayée en partie par les médias ; certains d’entre nous ont pu ainsi découvrir une publicité dans laquelle une responsable du recrutement est ridiculisée parce qu’elle se fonde sur le goût d’un camembert pour prendre ses décisions d’embauche. Les films cinématographiques contemporains sont nombreux à présenter des scènes de recrutement tout à fait détestables (par exemple : Gérard Jugnot dans Une époque formidable). Il n’est donc pas déplacé d’affirmer, en France du moins, que les recruteurs n’ont pas bonne presse. Il faut aussi souligner que le « métier » de recruteur se caractérise comme l’un des plus ingrats et des plus difficiles qui soient. Disposant d’un cadre référentiel en construction, il est soumis à une incertitude forte quant à ses décisions, considérées souvent comme hasardeuses et toujours entachées d’erreurs, même lorsque les meilleures méthodes sont employées. D’autant plus que ces décisions doivent souvent être prises dans l’urgence, consécutivement à une pression forte de l’environnement. Le recruteur doit de plus gérer une situation totalement asymétrique (le pouvoir du recruteur est considérable, celui du candidat faible), et jouer le rôle d’un inquisiteur face à un public qui n’est pas demandeur d’un strip-tease psychologique et qui, de surcroît, est souvent composé d’individus fragilisés par la perte ou l’attente d’un emploi. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’une représentation de « rôles » en termes de RECRUTEMENT ET ÉVALUATION DU PERSONNEL 103 bourreau/victime plane au-dessus de la relation entre le recruteur et le candidat. Le recruteur est également confronté au paradoxe de gérer une confidentialité ingérable, puisqu’un tiers, destinataire des résultats (DRH, direction de l’entreprise ou de l’équipe) est présent dans une grande majorité des cas. Enfin, il doit répondre plus fréquemment par la négative que par l’affirmative, supporter quotidiennement les tensions et angoisses des candidats, voire gérer les agressions de diverses natures des nombreux candidats déçus. Inutile de dire que la place et le rôle du psychologue du travail dans le domaine du recrutement ne sont pas sans difficultés. Le psychologue du travail en France n’est pas reconnu par le monde économique, ni peut-être même connu par ce monde, car le mot « psychologue » est tellement stéréotypé qu’il engloutit la spécificité apportée par la spécialité « travail ». En témoigne l’analyse des pratiques, où l’on peut dire, à l’exception des services publics et des grandes entreprises, que les postes de chargés de recrutement sont très largement occupés par des non-psychologues. Par ailleurs le monde du recrutement est souvent en décalage avec les valeurs véhiculées en psychologie, davantage humanistes – donc centrées sur l’homme, dans le but de l’accompagner, de résoudre ses difficultés – plutôt que de sanctionner son intégration ou sa non-intégration dans l’entreprise, de façon brutale. © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit. Pourtant, même dans une profession aussi ingrate, il convient d’affirmer que le psychologue du travail peut jouer un rôle essentiel dans l’évaluation du personnel. La psychologie du travail offre une formation à la fois scientifique et humaine qui permet d’apporter davantage à ce champ que la représentation quotidienne ne semble exprimer. La rigueur dans l’application d’une démarche scientifique, le fait d’être formé à la connaissance de l’homme dans sa globalité, la réflexion éthique inhérente à cette discipline constituent, entre autres, des atouts considérables. Cela dit, la place du psychologue du travail doit être autre que celle de l’excellent technicien (« testeur » ou « meneur d’entretiens ») dans laquelle on aime parfois le cantonner. Son rôle ne doit pas se centrer exclusivement sur l’application des méthodes. Il doit imprimer une politique en matière de recrutement et d’évaluation du personnel et occuper une fonction de régulation des dysfonctionnements observés. C’est donc un acteur des négociations entre les différents groupes de l’entreprise (salariés, direction, syndicats…) ; un scientifique qui élabore des procédures en tenant compte des contraintes économiques ; une personne de communication qui informe, explique, justifie l’emploi de procédures qui sont souvent mal admises car mal comprises. On trouve du reste les mêmes nécessités dans le domaine de l’appréciation du personnel, qui se développe dans les organisations (voir encadré 2.1).